Schoonheid

21 avril 2016 à 17:00

Certains jours, le téléphage est plus vulnérable que d’autres. Ces jours-là, l’idéal est de regarder une série qui vienne envelopper l’âme, soit pour bercer le spectateur fragile, soit pour au contraire le pousser à s’épancher. C’était l’une de ces journées pour moi hier, et par le plus grand des hasards, c’était le soir de la projection de Beau Séjour à Séries Mania. Sérendipité totale.
Mais mon affection pour Beau Séjour n’est pas qu’une question de timing : il s’agit aussi, voire surtout, de l’une des rares fictions en compétition pour cette 7e édition capable de s’adresser aux spectateurs sur un plan émotionnel sans chercher la surenchère ni s’adosser à des solutions de facilité. Vous m’avez peut-être vu grommeler ces derniers jours à propos des séries à propos de meurtres et de disparitions qui ne font pas toujours les efforts attendus d’elles pour aller plus loin que la décharge adrénaline (et encore, quand on a de la chance). Beau Séjour est l’exception qui confirme la règle : la série a beau partir d’une mort non-accidentelle, ce qu’elle fait à partir de là se passe presque totalement sur le plan de l’émotion. Quelque part, il m’a semblé que Beau Séjour était l’une des rares séries projetées à considérer ses spectateurs comme des personnes, et non des consommateurs. Je lui en suis profondément reconnaissante.

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Kato Hoeven, une adolescente vivant dans la petite ville de Dilsen, se réveille dans une chambre en réfection de l’hôtel Beau Séjour. Lorsqu’elle reprend ses esprits, quelle n’est pas sa surprise : elle découvre en effet qu’elle est morte.

Cette réalisation, bien-sûr, lui apparaît par paliers successifs et complexes. La vérité est d’autant plus difficile à accepter que cela signifie pour elle une grande solitude, étant donné que ses proches ne la voient pas.
…Ce qui n’est d’ailleurs qu’une demi-vérité, toutes mes excuses : il semblerait qu’une poignée d’habitants de Dilsen soient au contraire capables de la voir, encore leur faut-il être en mesure d’accepter une réalité aussi incroyable. Mais en-dehors de ces 5 personnes très spécifiques, personne ne sait qu’elle erre encore sur les chemins de Dilsen. Le plus dur, c’est que sa mère fait partie de ceux qui ignorent sa semi-existence.

Beau Séjour passe la majeure partie du premier épisode aux côtés de Kato. Pour la série, à ce stade, l’enquête est accessoire, et agit surtout comme un révélateur de la tragédie atypique dont les Hoeven-Otten (la famille de Kato est en effet recomposée) font l’expérience. Ce n’est que dans le deuxième épisode, projeté hier après une première salve d’applaudissements nourris, que les personnages policiers gagnent un peu d’importance, sans jamais cependant reléguer Kato au seul statut de victime.

Car notre héroïne a beau être morte, restent encore ses émotions, et les quelques personnes qui peuvent la voir ne sont pas non plus épargnés par les chocs divers dus aux circonstances. Et c’est vraiment là, dans ces interactions entre Kato et les vivants qui la voient, mais aussi ceux qui ignorent sa présence, que Beau Séjour accomplit quelques petits miracles. Il y a une scène en particulier qui m’a pour ainsi dire émotionnellement démontée : Kato a tenté par tous les moyens de nouer un contact avec sa mère Kristel, en vain. Les deux femmes sont côte-à-côte au moment de la découverte du cadavre de Kato, repêché dans la Meuse. L’adolescente, qui jusque là avait réussi à maîtriser ses émotions et se concentrait sur ses tentatives de se faire remarquer par Kristel, voit alors sa mère s’écrouler, et commence à pleurer à son tour. Le plan, long et douloureux, permet à la mère et la fille de communier autour d’une même douleur, celle d’avoir perdu l’autre. Une dernière fois. Kato ne fera plus d’autres efforts pour essayer de contacter sa mère…
C’est dans ce genre de passages poignants et fins que se jouent les qualités de Beau Séjour. Plus qu’une histoire de meurtre, la série est une histoire de mort, et de deuil à faire.

Comme je l’ai dit, dans le second épisode, l’enquête prend un tant soit peu plus de place ; il est naturel que tant que Kato est incapable de se souvenir de ce qui lui est arrivé, la série aura besoin de poursuivre cette intrigue (le contraire serait irréaliste, si tant est qu’on puisse parler de réalisme pour une série dans laquelle une personne essaye de comprendre son propre meurtre). Mais pour moi il est clair que cette partie de la série n’a pas vocation à phagocyter le reste. D’ailleurs ce n’est pas pour rien qu’un policier de Dilsen fait partie des 5 élus capables de voir Kato, afin d’interagir avec elle au moins autant que de se poser des questions à son propos.

Ce qui est également formidable dans Beau Séjour, c’est que l’air de rien la série a de vrais moments d’humour. Je ne m’y attendais pas du tout (et la créatrice Nathalie Basteyns a noté qu’elle appréciait qu’un public français comprenne certaines blagues flamandes ; cela augure de bonnes choses pour la diffusion future sur arte) et je dois dire que, si je n’ai pas toujours ri en même temps que le reste de la salle, notamment au début du premier épisode que je trouvais trop déchirant pour cela, cela reste une excellente surprise. Cet humour doit plus au naturel des relations décrites, et surtout à l’absurde de la situation fantomatique de Kato, qu’à des gags à proprement parler, mais cela fonctionne parfaitement.
En outre, Kato reste une adolescente, parfois obstinée, parfois agaçante, parfois incapable d’empathie surtout dans l’urgence de sa situation ; certains dialogues avec les proches qui la voient (comme son alcoolique de père) fournissent donc de la matière à des échanges enlevés et sympathiques, qui travaillent vraiment en faveur de la série comme des personnages. Que la prise de tête ne soit pas constante dans ce drame sombre à l’ambiance glaciale est très appréciable, et novateur (la seule série vue en festival qui rivalise vaguement avec cela est Springfloden avec la bonne humeur de son héroïne Olivia).

Vous l’aurez compris, on tient à mes yeux (rougis) une véritable réussite. Patience, la série arrive en 2017 sur sa chaîne flamande, et ensuite, on la récupère sur nos écrans français ! Mais si vous n’avez pas la patience, une deuxième séance est prévue pendant Séries Mania…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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