Context is king

30 décembre 2016 à 23:41

En cette fin d’année, tous les téléphages possédant le moindre espace d’expression se précipitent pour dresser le bilan de 2016. Et par la grâce du Dieu de la Téléphagie, cette année est bien meilleure en matière de télévision que dans bien d’autres domaines de nos existences !
Ne m’adonnant pas à ce cérémonial par préférence personnelle, j’ai choisi à la place de vous entrainer avec moi dans une réflexion qui m’a semblé omniprésente pendant l’année, sur ma façon d’aborder une nouvelle série.

Et dans mon cas, il faut reconnaître que la question est d’importance : je suis une gourmande consommatrice de pilotes et autres épisodes inauguraux en tous genres (rappelons que tous les pays ne fonctionnent pas sur le principe du pilote, loin de là ; même si, par raccourci de vocabulaire, j’ai tendance à tout rassembler sous la même appellation). En 2016, j’en ai reviewé un peu moins de 200, et le chiffre est bien en-dessous de la quantité de « pilotes » vus pendant cette période, mais on en reparlera très vite.
Toujours est-il que cette année, la problématique s’est posée à moi à plusieurs reprises, parce que j’ai eu l’impression d’être plus négative dans mes reviews de pilote que les années précédentes.

Pourquoi ? Eh bien c’était justement ce que je tentais de discerner, et quelque chose qui devrait poser question à nombre d’entre nous, quelle qu’ait été leur humeur cette année au moment d’aborder une série. Un indice pour vous qui jouez à la maison : 2016 a battu des records d’emmerdement dans ma vie personnelle. Or, il s’avère que regarder une série, c’est en grande partie (bien que pas uniquement) un investissement émotionnel.

Allez vous investir dans une série quand vous n’êtes, pour simplifier, pas d’humeur !

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Eh oui, le contexte est roi en matière de téléphagie. Pas nécessairement au sens où le contexte dans lequel une fiction naît détermine votre intérêt pour elle (quoique, l’idée se défend amplement, mais ce n’est pas ce dont je veux parler aujourd’hui), plutôt parce qu’une série vous demande un certain nombre de gestes envers elle, qu’il faut être en condition de faire au moment où on l’aborde.

La notion de la suspension de l’incrédulité (ou suspension of disbelief chez nos amis anglophones) est un excellent exemple de cela. Pour rappel, suspendre son incrédulité signifie être capable d’accepter que ce que la série propose est vrai ; bien-sûr il s’agit de fiction, donc le téléphage n’attend pas La Vérité, mais plutôt une version de la réalité qu’il soit raisonnable de tenir pour probable. La suspension de l’incrédulité est nécessaire à toutes les étapes d’une fiction (sans quoi on se trouve devant jump the shark ; il s’agit d’un virage que le spectateur va parfois opérer, mais qui peut aussi le conduire à laisser tomber la série). Toutefois, elle prend plus d’importance encore lorsque la série débute, qu’elle a besoin de poser des repères, de présenter ses personnages et leur situation, qu’elle met en place ce qu’on appelle son univers.
Ne pas être capable pendant le premier épisode de suspendre son incrédulité est, vous serez d’accord avec moi je pense, extrêmement mauvais signe ! Tout le monde ne choisit pas nécessairement de baisser les bras devant une série après un pilote rebutant comme je le fais ; mais quel que soit le choix du téléphage à ce stade (stop ou encore ?), le constat reste le même : parfois, ça ne passe tout simplement pas.

Mais là où le contexte devient important, c’est que cette suspension de l’incrédulité ne se délivre pas aussi facilement selon l’humeur dans laquelle on a commencé cet épisode introductif ! En particulier, si le téléphage est fatigué (c’est le 712e pilote de sitcom à propos d’un père incompétent), ou triste (il vient de finir un bingewatch de sa série préférée et s’est rabattu sur un autre pilote par dépit), ou furieux (le téléphage vient d’apprendre l’annulation d’une série chère à son cœur), il va être juste un peu moins enclin à s’engager et donc à accepter le postulat de ce nouveau pilote. Ces émotions ne sont pas limitées à des circonstances télévisuelles. Le spectateur est un être humain qui, entre deux épisodes, deux soirées télé, deux bingewatch, reste une personne qui expérimente toutes sortes de choses au quotidien. Cette fatigue, cette tristesse, cette fureur, peuvent être causées par des éléments qui n’ont rien à voir ni avec le pilote regardé, ni avec aucune autre série.
Outre la suspension de l’incrédulité, sont également visés par ce problème le phénomène d’identification ou la capacité à se lier affectivement à des personnages. C’est dire si l’horlogerie interne du spectateur est le résultat de réglages minutieux.

Il y a donc des séries dont on démarre le pilote alors qu’on n’est pas dans des conditions idéales pour cela, sur le plan émotionnel. Et le pire c’est qu’on le fait quand même !

Au fond de nous, nous savons instinctivement détecter certains des contextes dans lesquels la découverte d’une nouvelle série (ou plus largement d’un épisode que nous n’avons pas encore vu, y compris d’une série que nous aimons déjà) n’est pas idéale.
Combien d’entre nous pour admettre que le soir en rentrant du boulot ou de cours, on est trop fatigué pour regarder un drama d’une heure… pour au final avoir vu trois à quatre épisodes d’une comédie de vingt minutes avant d’aller se coucher ? On l’a tous fait, inutile de faire les innocents. De même que préférer se remettre un éternel DVD de Buffy en VF (qui commencerait presque à s’user) plutôt que de lire des sous-titres d’Arvingerne après avoir passé deux heures sur la relecture d’un devoir ou d’une note à rendre. En tant qu’habitué de la fiction sérielle, on sait aussi reconnaître une « humeur » ; comme dans « je suis pas d’humeur à regarder The Expanse ce soir, je vais juste me faire un gentil Gilmore Girls« . Sans parler de ceux, et ils sont nombreux, qui regardent une série précise pour retrouver le moral (pour moi en ce moment, c’est Chef, même si je suis sur la fin de la saison et qu’il va bientôt me falloir trouver autre chose).
Nous sommes donc conscients, à certains degrés, de l’importance du contexte dans lequel nous nous mettons devant une série, ou devant les séries en particulier. Mais nous détectons sûrement mieux ces conditions dans le cadre de séries qui nous sont déjà familières : je sais que regarder The Magicians alors que j’ai un coup de blues ne va rien arranger, parce que j’ai déjà tâté de The Magicians et que j’ai une expérience de son atmosphère.

C’est forcément plus compliqué pour une série dont nous ignorons tout, ou que nous ne connaissons que sur le papier. D’ailleurs puisque nous n’avons pas d’historique avec elle, nous avons tendance à être moins cléments que pour une série qui nous accompagne depuis des mois voire des années.

La raison pour laquelle cela m’a beaucoup tracassée cette année, c’est que de par mes circonstances personnelles, je me suis trouvée généralement d’humeur maussade avant même de commencer un pilote donné. J’ai malgré tout regardé ce pilote (soit parce que je ne me rendais pas compte que j’étais crispée, soit au contraire parce que je pensais pouvoir le mettre de côté) et j’ai fini par, aha, surprise : ne pas aimer ce pilote.
Était-ce forcément la faute de la série en question ? Difficile à déterminer avec précision, bien-sûr. Mais apprécier ou non une série n’a pas seulement quelque chose à voir avec ce qu’elle est, comme on l’a vu, et les émotions du spectateurs peuvent empêcher celui-ci de s’impliquer.

Alors toute la question est de savoir, en réalité, si regarder un pilote une seule fois suffit à s’en faire une opinion. Vous le savez pour voir passer certaines de mes reviews : cycliquement, je tente un revisionnage d’un pilote ou d’un autre pour vérifier que j’en pense toujours la même chose. Ou pas. Pour certaines séries, ça a été une révélation et je me suis aperçue que, oui, maintenant j’étais « d’humeur » à suivre, parfois même sincèrement aimer une série. Un cas typique pour moi, c’est 30 Rock, dont le pilote ne m’avait pas franchement enchantée à l’origine, que je ne regarde que quand j’ai une grippe carabinée parce que dans ces conditions-là, il s’avère que je l’apprécie. Vous savez quoi, c’est mieux que rien. Est-ce que vous percevez l’ironie de l’intro pour ma review d’alors ? Sublime.

On ne peut décemment pas procéder de la sorte pour tous les pilotes qu’on regarde. Surtout moi avec mes centaines de pilotes vus chaque année, je ne veux même pas y songer ! Mais une fois de temps en temps… Car dans le cas de certaines séries (pas toutes, ça va de soi ; personne n’a besoin de plusieurs visionnages de Work It pour en savoir ce qu’il pense), ce revisionnage dans un contexte différent, espacé de plusieurs semaines, ou mois, voire années, peut s’avérer précieux.

La problématique se pose bien au-delà de la question de l’état émotionnel du téléphage, d’ailleurs ! Regarder Six Feet Under quand on n’a jamais vécu de deuil, et regarder Six Feet Under après le décès d’un proche, ce sont deux expériences radicalement différentes, alors que c’est bien la même série.

C’est la raison pour laquelle deux choses m’apparaissent comme de plus en plus importantes au moment d’aborder une série, et qui sont liées.
Le contexte de la communauté téléphagique (pour faire court : les autres amateurs de séries, qu’on les connaisse dans la vie de tous les jours ou sur les réseaux sociaux), et le contexte de l’industrie télévisuelle. Il s’agit là de deux forces exercées sur le téléphage qui s’apprête à commencer une série : le peer pressure (« mais si, regarde, Westworld c’est génial !!! ») et la pression commerciale (Netflix qui sort une saison entière de The OA dont grand mystère a été fait pendant des mois).
Ces phénomènes, dont je parlais plus en détails au début de l’année, peuvent avoir des effets assez nocifs, dans leur genre ; personnellement je finis par fuir les séries qui me semblent répondre à l’un, l’autre, ou (pire) ces deux critères, et j’en reporte le visionnage. C’est plus simple si j’y viens par moi-même quand je me sens plus détendue, moins forcée, bref… que le contexte s’y prête. Cela implique cependant d’accepter de laisser derrière soi, outre une série qui a l’air populaire, le concept de « retard », au profit de la promesse d’aborder une série aussi sainement que possible.

Combien de séries ai-je pu négliger alors qu’elles sont solides, simplement parce que le timing était mauvais me concernant ? Je ne le saurai jamais, bien-sûr ! Mais cela donne à réfléchir. Parmi les séries que j’ai durement critiquées cette année, et de mon point de vue elles ont été nombreuses, peut-être qu’il y en a dont il aurait mieux valu que j’en reporte le visionnage initial du pilote.
En attendant le mieux que je puisse faire, c’est essayer d’adopter un comportement plus serein dans l’approche d’une série inconnue, tout en essayant d’être aussi attentive que possible à mes émotions. Histoire de donner à chacune la chance qu’elle mérite. Sauf Work It, parce qu’il y a quand même des limites à ce qu’on peut exiger de soi-même.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. maxwell39 dit :

    Je ne peux qu’être totalement d’accord, le contexte dans lequel on regarde une série est primordial. Déjà, il fat savoir que dans l’immense majorité des cas, je ne suis que mon instinct, mon envie à un moment M. J’ai remarqué que les saisons pouvaient avoir une influence. Les polars nordiques, c’est au coeur de l’hiver tandis que des séries + funs, avec moins d’ambitions, c’est plus pour l’été. Je vais que peu ^étre influencé par le contexte extérieur (les sériephiles).
    L’humeur/ le moral du moment joue forcément dans mes choix. Quand je suis fatigué, je vais préféré un bon cop show en VF (Law & Order, Les Experts, Esprits Criminels), où je sais que je n’aurai qu’à me laisser guider sans réfléchir. Et quand j’ai un coup de moins bien, les séries qui me font du bien s’appellent Daria ou Arabesque (on ne ris pas au fond 😀 ), voire un même un cop procedural, quelque chose de rassurant, dans lequel je vais me retrouver immédiatement.
    Ca m’arrive aussi d elaisser une seconde chance à des séries, à un moment différent de l’année. Ca a très bien marché pour Nurse Jackie et The Wire, pas pour Breaking Bad mais c’est pas grave, on ne peut pas adhérer à toutes les séries 🙂

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