Je est un autre

17 avril 2017 à 17:00

Dans un futur proche, il sera possible de transférer votre « âme » dans un autre corps ; devenir autre grâce à la médecine prendra un tout nouveau sens. Mais dans ce même futur, les transférés sont pourchassés par un nouveau type de police, la BATI ; l’opération a été rendue illégale et ceux qui malgré les risques persistent à se faire transférer risquent l’enfermement dans un centre spécialisé…
Tombé dans le coma suite à un accident de plongée, alors qu’il était en vacances avec sa famille, Florian Bassot a passé 5 années coupé des siens, avant que son corps ne donne des signes d’essoufflement. Dans l’urgence, son épouse Sophie a donc organisé un transfert illégal, aidée par un spécialiste faisant partie de ses proches. C’est le corps d’un homme sur le point de mourir qui a été utilisé pour cela ; pas exactement un choix, une bête question de timing. Florian se réveille alors, au bout de 5 ans, dans le corps de cet inconnu. Un inconnu qui n’est autre que Sylvain Bernard, un flic de la BATI.

transferts-seriesmania-650

Je voulais aimer Transferts, je le voulais vraiment. Le thème m’intéressait beaucoup. Quand je suis à Séries Mania, je ne regarde pas beaucoup de séries françaises (à quoi bon, puisque de toute façon elles passeront en France après le festival ? toutes les séries de la programmation ne peuvent pas en dire autant), mais là j’avais fait l’effort de me lever spécialement pour la séance et j’espérais ne pas être déçue. Ce n’est pas que je n’aime pas ce que j’ai vu, c’est plutôt que c’est assez moyen. C’est correct, au mieux, disons.
Le problème essentiel de Transferts de mon point de vue, sacrée ironie du sort, est que la série manque d’âme. Rien ne surprend dans son déroulé, et surtout rien n’émeut vraiment, notamment dans le parcours de son personnage central. Il est appréciable que celui-ci continue longtemps d’être perdu dans cette situation, et j’ai apprécié de le voir tâtonner pendant de longues minutes pour savoir comment gérer cette nouvelle apparence, cette nouvelle vie. Mais bien qu’il se passe à l’écran tout ce qu’on espérerait de dramatique voire tragique, rien n’émeut.

Si, une émotion subsiste dans Transferts, mais vous n’allez pas l’aimer : c’est le malaise. La série se targue, entre autres, d’aborder la question des politiques publiques autour du transfert, du stigmate social que cette procédure peut engendrer, et de la répression démesurée qui découle de tout cela. Sur le papier, fort bien. Sauf qu’on se retrouve avec une série où la haine de l’autre s’exprime en permanence, dans une métaphore à peine voilée d’oppressions qui ne sont, elles, ni fictives ni futuristes. Devant ces aspects de Transferts j’ai repensé à mon malaise devant Blå Ögon, lors d’une édition précédente de Séries Mania : à passer son temps à accorder du temps de parole à la haine, dénonce-t-on vraiment ? Ou se contente-t-on d’infliger des discours violents (quand ce ne sont pas des actes) comme si le choc suffisait à la démonstration ? L’agression constante de Transferts n’est pas aussi intellectuelle qu’il le faudrait, et au lieu de discuter du sujet qui la fascine, la série a trop souvent tendance à simplement apporter des démonstrations de rejet violent, en particulier, et ce n’est pas anodin, par des personnages portant l’uniforme.
En outre, il semble parfois que la seule raison pour laquelle Florian est écœuré… est due au fait que lui-même est concerné au premier chef par les propos tenus et les menaces brandies (parfois suivies d’effets, mais pour le moment toujours sur d’autres). Sorti de son cas personnel, il ne semble pas faire sa part dans la discussion de la série sur le bien-fondé de l’oppression des transférés, et apporter des arguments, des idées, des convictions, allant au-delà du « oui mais moi j’aimerais bien que ça ne m’arrive pas ».
Je ne sais pas si c’est très juste que cela me bloque. Le fait est que c’est le cas. Regarder une série qui semble vouloir s’attaquer à plein de choses intelligentes, mais finit uniquement par énoncer des messages de violence à longueur d’épisode, ça ne suscite aucune réflexion mais ça met mal à l’aise. Notez bien, j’admets volontiers le malaise quand la série est fine dans son propos ; beaucoup moins autrement.

C’est dommage. Il peut se dire des choses fascinantes avec ce sujet de départ et ses corollaires posés dans le premier épisode de Transferts. Sur l’identité, bien-sûr, mais aussi le moralisme des lois, l’outil policier, la place de la religion organisée, l’opposition entre la science et ladite religion, et plus encore. Imaginez aussi ce que la pratique du transfert pourrait dire de nos sociétés vouant un culte à l’apparence, ou, dans un autre registre, ce qu’elle pourrait signifier pour la communauté transgenre. L’outil est riche ; il n’est pas toujours bien employé pour le moment. La série a un objectif en vue (l’histoire de Florian), et ne s’intéresse pas beaucoup à tout ce que sa mythologie pourrait couvrir.
Je ne suis pas convaincue que ces choses fascinantes seront dites, même si je ne doute pas un instant que plusieurs de ces thématiques seront mises sur le tapis d’ici la fin de la saison. Il y a un manque de profondeur dans le traitement des bonnes idées initiales de Transferts, qui me refroidit.

J’ajoute que la raideur de nombreux dialogues n’aide pas, et que la distribution est très inégale (surtout dans les rôles secondaires). Ce n’est pas la catastrophe, je le répète, mais cela ne fait qu’alourdir le bilan. Et puisque j’en suis à enfoncer des clous dans le cercueil, ce serait pas mal aussi si les deux seules héroïnes féminines n’étaient pas éprises du héros et enclines à se jeter à son cou (j’ai dit quoi ? « cou » ? c’est bon, c’est le mot de trois lettres commençant par « c » que je voulais écrire) dés qu’il entre dans leur champ de vision. Dans les rôles secondaires, on trouve certes une nonne qui a l’air un peu plus complexe, mais elle ne s’exprime que dans deux scènes du deuxième épisode (il y a aussi une préado tueuse mais techniquement c’est un homme, dont acte).
Non, Transferts n’est pas mauvaise… elle n’a simplement pas la complexité qu’on est en droit d’attendre d’une série affichant de telles ambitions.

par

, , , ,

Pin It

Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.