Papa déconne

26 avril 2020 à 13:51

Au risque de vous faire mourir d’ennui, je vais vous raconter un rêve que j’ai fait cette semaine. Ca n’arrive pas souvent mais juste cette fois-ci, tenez bon parce que c’est la raison pour laquelle je poste cette review.

J’ai rêvé que je voyais un couple se parler dans une maison colorée, et en les voyant interagir, je me suit dit : « ah oui, c’est le couple de ce sitcom, c’est quoi le nom déjà ? Une comédie familiale autour d’un couple de la classe moyenne… » ; le problème c’est que, j’ai réalisé immédiatement que ça décrivait BEAUCOUP de sitcoms, alors, toujours dans mon rêve, je suis allée regarder sur IMDb les noms des acteurs pour retrouver le nom de la série. Bon dans mon rêve yavait pas le logo d’IMDb, mais on se comprend, hein ; en tout cas c’était leur mise en page. Tout en explorant la base de données, j’avais l’impression de passer à côté de quelque chose, comme si en m’attardant sur ce sitcom je ne cherchais pas le bon, paradoxalement. Finalement, j’ai enfin pu retrouver les noms des acteurs que j’avais vus dans leur maison colorée : il s’agissait de Grant Show et Daphne Zuniga ; je me souviens m’être écriée « ah mais oui, c’est un sitcom qui n’a duré qu’une saison dans les années 90 avant d’être annulé ! Lui, il était charpentier et elle, elle était décoratrice d’intérieur ». La réponse a paru me satisfaire parce que je me suis réveillée à peu près à ce moment-là, pour autant que je puisse en juger.
Au réveil, ma première pensée a été : « hm, je crois que je viens de rêver d’un sitcom qui n’a jamais existé ». Et ensuite, par association d’idées je me suis rendue compte que le sitcom qu’en réalité je cherchais dans mon rêve, ça devait être According to Jim, avec Courtney Thorne-Smith… qui jouait avec Show et Zuniga dans Melrose Place ! Vous voyez le truc ? Et du coup j’ai ressorti mon vieux dossier d’According to Jim, et c’est de ça dont on cause aujourd’hui.
Ecoutez, je ne sais pas de quoi ça a l’air de l’extérieur, mais la vie à l’intérieur de mon cerveau de téléphage n’en finit pas de me surprendre.



Comme je vous le disais (ou plutôt, mon subconscient vous le disait), According to Jim est l’un des 712 millions de sitcoms américains à mettre en scène un couple totalement banal de la classe moyenne. Un genre très peuplé, parce qu’aux États-Unis c’est sous cette forme que le sitcom est né (c’est différent au Royaume-Uni, mais c’est un autre sujet pour un autre jour) puis a fleuri, et on n’arrête pas une équipe qui gagne.

Il y a bien longtemps, je me rappelle avoir lu un article (j’aimerais juste me rappeler où) qui avançait une théorie intéressante sur les rôles genrés à la télévision américaine, en particulier dans les sitcoms sur la classe moyenne. Pour résumer ce qui m’en est resté, il s’y disait que ces sitcoms sont apparus dans les années 50, à un moment où dans l’après-Guerre, les femmes n’étaient pas exactement au foyer… elles y retournaient. Elles avaient participé à l’effort de guerre, merci, au revoir. Ces sitcoms avaient la particularité non seulement de présenter l’image de la parfaite femme au foyer, mais aussi de la mettre souvent en présence d’un mari un peu idiot, flemmard et/ou maladroit ; dans sa grande intelligence émotionnelle, l’épouse utilisait ses talents domestiques pour arranger les situations dans lesquelles le mari se mettait et tout finissait bien. Regardez, mesdames, vous rendez vraiment la vie de votre famille meilleure en concentrant toute votre attention sur votre foyer.
Bon, faudrait vraiment que je remette la main sur l’article, parce que chaque fois que j’y repense, j’ai plein d’exemples et de contre-exemples qui me viennent en tête que j’aimerais bien voir expliqués dans le cadre de cette théorie (ça se trouve ils sont abordés et je ne me souviens pas des détails !). Par exemple, je ne suis pas totalement convaincue que les rôles genrés dans la fiction soient aussi récents que les années 50, ne serait-ce qu’à cause des séries radiophoniques, ou le cinema évidemment. Par contre, je peux croire qu’effectivement un renforcement de ces normes sociales et domestiques ait été opéré pendant cette décennie, a fortiori à la télévision parce que les premiers spectateurs assidus, rappelons-le, étaient majoritairement des spectatrices.

Et donc je repensais à cette théorie en revoyant According to Jim. On n’est clairement plus dans les années 50, mais les rôles genrés dans les sitcoms sur la classe moyenne ont largement survécu… bien qu’avec quelques variations.
En fait, According to Jim est l’exemple parfait de la forme moderne de cette dynamique familiale (cette famille moderne, si vous voulez) : un mari qui accumule les gaffes, et une épouse qui le supporte sans trop de raisons apparentes mais qui se montre raisonnable. Derrière ce qualificatif a priori plutôt flatteur, se cache le rôle qui échoit systématiquement à l’épouse de tenter de juguler les enfantillages de l’homme, de composer avec les décisions irrationnelles de celui-ci, bref de maintenir un peu d’ordre dans la maisonnée, où il devient dans les faits comme un enfant supplémentaire à la charge de la figure féminine du couple. Pas si charmant que ça, donc. Pourtant c’est le crédo de nombreuses séries similaires de ces 30 dernières années ; ah oui, parce que si According to Jim a été lancée voilà bientôt 20 ans et peut donc être accusée d’être « vieille », ce n’est pas le cas de, disons, Last Man Standing, Man with a Plan ou Kevin Can Wait, pour ne citer qu’elles. Des maris immatures vivant aux côtés d’une épouse qui conduit la maison d’une main de maître, ça ne manque pas, même si aujourd’hui, « modernité » oblige, ces personnages féminins sont autorisés à travailler (c’est fort urbain).
Ce que l’on remarque, c’est que ces sitcoms ont en fait opéré un changement très intéressant par rapport aux dynamiques observées dans de nombreuses comédies datant des premières décennies de la télévision. Avant, celle qui était l’héroïne du foyer était la femme. Elle est au contraire devenue l’éteignoir de service depuis les années 90 (et la liste des séries à appliquer ce principe est longue : The King of Queens, Home Improvement, My Wife and Kids, The War at Home, Still Standing, Everybody loves Raymond, 8 Simple Rules, Listen Up!, The Bill Engvall Show, Rodney… pour ne parler que de multicamera).

Le vrai héros, quand bien même (voire surtout) il collectionne les bourdes, c’est le mari ; ce n’est d’ailleurs pas un hasard que la plupart de ces séries soient construites autour d’un comédien ayant un minimum de reconnaissance préalable, l’actrice jouant sa femme était castée après coup. Sans aucun doute possible, c’est le mari la star, et son manque de maturité est tournée comme un trait non pas humoristique, mais affectif : il est un peu idiot, mais c’est pour ça qu’on l’aime ! So relatable ! On est tous un peu comme lui dans le fond, non ?
…Bah, non, pas si vous êtes l’épouse. Mais justement. Cette génération de sitcoms part du principe que le public s’identifie au mari. La série est donc construite en privilégiant sa perspective au sein du foyer ; d’ailleurs regarder le matériel promotionnel de ces séries est hautement instructif. Mais cette perspective est au mieux celle d’un type qui estime que sa famille va le rendre fou (« hahaha, il ne supporte pas ses enfants, c’est hilarant« ), au pire celle d’un énergumène qui veut l’attention de ses proches sans aucune responsabilité… et souvent un mélange de deux. Alors certes, ces hommes sont présents dans leur foyer, et prennent part dans une certaine mesure à la vie de leur famille (pas à la tenue de la maison, faut pas déconner), et en un sens c’est « progressiste », mais la seule façon que ces sitcoms ont trouvé d’impliquer un homme dans la vie de sa propre famille, c’est de lui faire faire n’importe quoi et que sa femme lui pardonne ses conneries derrière tout en continuant de faire tourner la boutique au jour le jour, une charge de travail qui s’assort en plus de l’étiquette de chieuse pas drôle. Car il s’avère que lorsqu’on privilégie le point de vue du mari et qu’on veut faire rire, faire passer l’épouse pour la psychorigide de service est un moyen infaillible pour pondre des dizaines voire des centaines d’intrigues domestiques reposant sur des conflits tous trouvés.
Pour comparaison, les sitcoms basés sur un couple, mais s’orientant sur la question amoureuse plutôt que domestique (Dharma & Greg ou Committed, par exemple, ou même Dingue de Toi), permettent un peu plus souvent aux deux personnages d’être à peu près égaux devant l’excentricité. La différence réside peut-être dans le fait que dans une comédie ostensiblement familiale, il ne fait aucun doute que le couple va durer, et ça participe même à l’humour de la série : quelle que soit la pitrerie du mari cette semaine, au final on lui passera tout. Alors que dans une série s’orientant plus sur l’exploration de la romance entre les deux héros, les défauts de chacun sont de potentiels obstacles à la réussite du couple : un trop grand déséquilibre causerait une rupture, et même si cette rupture ne se produit jamais vraiment, sans quoi il n’y a plus de série, elle est la menace qui plane au-dessus des interactions. Dans ces sitcoms, le couple qui apprend à vivre ensemble peut cesser de le faire si les choses vont trop loin ; le mari qui fait le zouave est en revanche assez certain que son comportement n’aura jamais de conséquences.

Pour en revenir à According to Jim précisément, c’est ce que l’on observe dans son épisode inaugural. L’intrigue principale tourne autour du premier jour d’école de leur fille aînée, Ruby, qui pose quelques soucis à Jim et Cheryl parce que la petite refuse d’être laissée en classe. Incapable de résister aux cris terrifiés de sa fille chaque matin, Cheryl (dont on suppose qu’elle est mère au foyer, mais ça n’est jamais explicitement indiqué) a passé les premiers jours de l’année scolaire sur un banc à quelques mètres de Ruby, mais il faudra bien qu’un jour la petite accepte de rester à l’école sans ses parents. Un dilemme ordinaire et sans réel enjeu… c’est donc une mission pour Jim ! Celui-ci décrète bientôt que Cheryl est trop émotive (« but that’s ok, you’re a woman… that’s what we love about you guys« ), et que c’est lui qui emmènera sa fille à l’école désormais.
…Naturellement il n’en est pas plus capable qu’elle, et va même empirer les choses en se faisant escorter hors de l’école manu militari (et, apprendra-t-on ensuite, en cassant une fontaine à eau). Mais parce qu’il refuse d’avouer son incapacité à résoudre le problème, il prétend que pour décharger Cheryl, c’est désormais lui qui accompagnera leur fille à l’école et ira même la chercher à 15h… sans lui dire qu’après tout ce qu’il a causé, il a dû changer la petite d’école, ce stratagème visant en fait à camoufler ce fait, et lui permettre (la nouvelle école étant plus souple) de quand même rester toute la journée à proximité de sa fille.
Le premier épisode d’According to Jim semble s’intéresser à une problématique familiale courante, mais en réalité elle n’a aucune intention de répondre à ses propres questions : à la fin de l’épisode, rien n’est résolu pour Ruby qui continue de hurler à la mort si on la laisse seule à l’école. La résolution repose non pas sur la conclusion de l’intrigue elle-même, mais juste sur le fait qu’au bout du compte, le mensonge de Jim est découvert et qu’il doit donc s’en faire pardonner par Cheryl. Un pardon obtenu en jouant du tambour sur son propre ventre et en faisant le singe dans la chambre à coucher, chose à laquelle son épouse ne peut pas résister (because of reasons) et ils finissent donc par éteindre les lumières… avant qu’une autre dispute n’éclate, bien-sûr.

Ce à quoi on assiste à travers According to Jim, c’est une réintroduction molle de l’homme à la vie familiale : les intrigues sont là pour prouver qu’il n’est pas capable de gérer ses propres émotions, qu’il n’est pas capable de dépasser ses travers, qu’il n’est pas capable de prendre des décisions sensées. En bref, il ne contribue à rien (dans ce premier épisode on le verra brièvement tenter de réparer un tiroir de la cuisine, non sans laisser le plus jeune de leurs enfants jouer avec un marteau ; par contre celle qui fait la cuisine, les courses, la lessive, met ou débarrasse la table, devinez qui c’est), mais ce n’est pas grave parce que son soucis, c’est d’être vu sous un jour positif par sa famille. Derrière le soi-disant effet d’identification, il y a juste un soucis d’être validé. Pas validé pour ses actions ou même pour ses intentions, parce que dans les deux cas celles-ci reflètent les défauts du protagoniste, mais validé pour faire acte de présence. Se présenter comme le pitre accomplit cela et ça ne demande pas d’efforts, donc eh bah bingo.
Le mari d’According to Jim (et de toutes les comédies en son genre) a littéralement le mérite d’être là, point barre.

Heureusement que tous les pères (de télévision et d’ailleurs) ne sont pas comme ça. Mais on ne peut pas vraiment compter sur ce type de sitcoms domestiques pour les y encourager depuis près de 30 ans, en tout cas.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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