Kismet

9 décembre 2020 à 21:29

Hey, vous savez de quoi on ne parle pas assez souvent ? Des trésors du patrimoine télévisuel mondial qu’on peut trouver en ligne. C’est difficile à chiffrer, mais il existe des heures et des heures de télévision sur des plateformes comme Youtube, Dailymotion ou Vimeo (et je ne parle même pas des plateformes « locales », mais il y aurait long à dire des trésors qu’on trouve sur des équivalents russes ou chinois). Evidemment, dénicher une pépite dans ces recoins d’internet où l’indexation est aléatoire (et souvent évitée volontairement), et où les contenus peuvent disparaître du jour au lendemain pour des questions de droits, c’est une expérience très différente du streaming de Netflix, Amazon Prime et Hulu. Il n’y a aucune espèce de promotion ou publicité, non plus. Bref, accéder au patrimoine télévisuel, c’est souvent une affaire de curiosité, d’initiative et… de chance.
Hier, alors je préparais un article (que finalement je n’ai pas eu le temps de finir, mais c’est pas grave, hein ? J’essaie de ne pas trop me mettre la pression alors que je suis en phase de « convalescence téléphagique« ), je suis tombée par le plus grand des hasards sur le premier épisode de Wanda at Large, un sitcom étasunien remontant à 2003. Qu’évidemment j’ai aussitôt regardé !
Il semble y avoir d’autres épisodes en ligne, si j’en crois mes recommendations, mais pas l’intégrale… telle est la dure loi d’internet en la matière.


Comme beaucoup de séries construites autour d’une personnalité connue (les Américains appellent ça un vehicle), plus encore s’il s’agit de quelqu’un venant du monde du stand-up, Wanda at Large est explicitement centrée sur la comédienne Wanda Sykes, qui garde donc jusqu’à son nom. Le parcours de l’héroïne est d’ailleurs si j’en crois Wikipedia calqué sur le parcours de l’interprète : Wanda Sykes a travaillé pour la NSA avant de se consacrer au stand-up, eh bien Wanda Hawkins est apparemment une ancienne employée du gouvernement américain aussi, mais qui a réorienté sa carrière. Ce sont des ressorts très courants pour un sitcom de ce type, même si, pour être honnête, ce n’est pas beaucoup développé dans cet épisode d’introduction, qui ambitionne principalement de mettre en place les situations à venir plutôt que d’expliquer qui vient d’où et pourquoi.
Wanda Hawkins y est dépeinte (et là encore c’est assez proche de l’image publique de Sykes) comme quelqu’un de jovial, drôle, mais doté d’un certain je-m’en-foutisme. Elle ne craint ni les déconvenues, ni même la réaction négative de gens qu’elle pourrait caresser à rebrousse-poil avec ses bons mots… sans jamais être dans la méchanceté, bien entendu. C’est un peu la raison pour laquelle il est si facile de tomber sous son charme. Son neveu et sa nièce, qui vivent dans le même immeuble, apprécient clairement sa présence à cause de cette attitude ; on n’en parle pas beaucoup dans cet épisode initial, mais ils ont perdu leur père et vivent désormais uniquement avec leur mère, une veuve que Wanda est supposée aider à élever ses enfants. En théorie elle a donc un rôle de support dans leur vie, mais dans la pratique, son approche est plus celle de la « cool aunt« .

Dans le premier épisode, Wanda Hawkins se retrouve par un concours de circonstances à une soirée de travail au sein de la chaîne de télévision où bosse son ami Keith, producteur pour WHDC TV. Elle est avant tout venue là pour boire gratuitement, mais dans le feu de l’action elle impressionne le patron de Keith et finit par dégoter une place au sein d’une émission de débats, où elle est entourée de gens très sérieux. Elle est évidemment tout leur contraire.
L’originalité essentielle de ce premier épisode en est sa chronologie. Aujourd’hui c’est devenu monnaie courante si ce n’est une obligation légale que de commencer in media res, interrompre l’action, puis faire un bond dans le passé pour expliquer comment on en est arrivés là avant d’enfin délivrer une conclusion. Mais pour un sitcom multicam et à plus forte raison au début des années 2000, c’est encore assez rare. Cela a en tout cas le mérite de souligner l’énergie inépuisable de son héroïne, et son état d’esprit anticonformiste. Je veux dire, qui d’autre se rendrait au travail en peignoir parce qu’il ne sert à rien de s’habiller si de toute façon on va se faire virer ? 

Wanda at Large est avant toute chose l’occasion d’apprécier ce type d’énergie, venant de quelqu’un qui n’a à la fois honte de rien, et qui en même temps fait les choses avec sincérité et tendresse. J’ai tendance à penser que beaucoup de gens qui se présentent comme « honnêtes » et qui ne font que « dire ce que les autres n’osent pas » sont de gros connards égocentriques, mais ce n’est pas tout-à-fait ce qui se joue ici. La franchise de Wanda (la comédienne comme le personnage) est plus une façon de faire parler quelqu’un qui a peu voix au chapitre en temps normal : Wanda est une bonne vivante (elle aime l’alcool… et d’autres substances), mais surtout une femme noire venant d’une classe sociale peu aisée. Le panel dont elle fait partie, et qui se gargarise de débats intellectuels, ne représente pas son expérience ; Wanda revendique le droit d’énoncer sa vérité haut et fort plutôt que de s’en excuser. Et même d’en faire sa force, au final. D’ailleurs la raison première pour laquelle elle choque ses nouveaux collègues en critiquant la chirurgie esthétique de l’une des journalistes présentes n’est pas tant qu’elle s’est attaquée à l’apparence de celle-ci, il y a une réflexion plus profonde derrière, même si elle n’est pas exprimée selon les habitudes du milieu où Wanda évolue à présent.

Tout cela n’est pas exactement un manifeste politique… mais quand même.
Le signifié dans Wanda at Large est clairement de donner les pleins pouvoirs à Wanda Sykes pour être pleinement elle-même et avoir le contrôle de ce qu’elle dit. D’ailleurs je l’ignorais mais apparemment Wanda at Large est la première série créée, écrite, produite et interprétée par une femme noire. Sykes ayant fait son coming out plusieurs années après, on pourrait aussi ajouter qu’il s’agissait d’une femme noire lesbienne, qui plus est.
Wanda Sykes ne s’est jamais cachée d’avoir des opinions bien tranchées. De se revendiquer du petit peuple (c’est vrai pour beaucoup de comiques, pour être honnête), de parler avec la voix qui est la sienne, celle d’une femme noire venue du Sud des Etats-Unis. Celle d’une femme qui ne devrait pas nécessairement être là, du moins pas si elle avait dû écouter les autres. C’est également vrai dans ses spectacles de stand-up ; mon préféré, même s’il commence à dater, est résolument Ima be me (dans lequel elle parle entre autres de son coming out lesbien, mais aussi de la présidence d’Obama ou de sa « nouvelle » vie après un mariage, la naissance de ses enfants, et les changements de son corps avec l’âge).

Une voix que, si je n’avais pas fait une recherche spécifique hier, je n’aurais pas entendue. Il n’est pas certain que j’aurais vu ne serait-ce qu’une seule minute de Wanda at Large sans la mise en ligne de cet épisode par un anonyme sur Youtube, non plus (chose d’autant plus vraie que le DVD de Wanda at Large est sorti en 2015, assez discrètement en plus).
Et c’est vrai de dizaines, centaines, voire peut-être un bon millier d’autres pilotes que je vais régulièrement chercher et récupérer sur la plateforme, pour les garder au chaud des fois qu’ils soient retirés. Je sais qu’on vit à une époque où tout le monde aime se rassurer en disant qu’il y a « too much TV« , et où on essaie tant bien que mal de s’organiser pour voir ce qui nous intéresse sans pour autant perdre de vue que ça doit rester un plaisir. En outre, notre dépendance croissante aux plateformes de streaming légales, qui ne se gênent pas pour occuper tout l’espace médiatique avec leurs nouveautés, et éventuellement seulement quelques séries bankable de leur catalogue plus ancien, fait qu’on n’a pas toujours du temps à consacrer à ce genre de choses.
Cependant, le visionnage de ce premier épisode de Wanda at Large m’a rappelé deux importantes leçons. D’abord que le hasard n’existe presque plus dans notre consommation telle que prescrite par Netflix et consorts. Et surtout que, l’histoire télévisuelle, elle a été faite par de nombreuses séries qui par définition ne sont pas récentes, et que ce patrimoine n’est quasiment jamais mis en avant par la culture téléphagique actuelle. Du coup j’ai pas fini mon article, mais j’ai appris plein de choses.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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