We care about your privacy

24 mai 2024 à 19:15

Le futur qui nous attend est celui de la surveillance ; ce n’est pas une prédiction bien risquée étant donné que c’est déjà notre présent. La question qui se pose donc, ce n’est pas comment échapper à cette surveillance de chaque instant, mais plutôt comment trouver un endroit où vivre qui traite nos données avec un minimum de respect. Corcordia est cet endroit.
A Concordia, une ville expérimentale basée en Suède pilotée par une compagnie éponyme, les cameras sont partout, les captures biométriques omniprésents, les systèmes de traitement de donnée râtissent la moindre seconde. Il est impossible d’échapper à la surveillance, mais ce n’est pas grave : le plus important, ce sont les garanties qui sont fournies aux habitantes. Leurs données ne seront jamais vendues, et seront principalement traitées par une intelligence artificielle ; sauf cas extrême, aucune personne humaine ne saura jamais ce que vous avez fait à tel ou tel moment de votre journée. Grâce à cette infrastructure exceptionnelle, utopique presque, Concordia est vue comme un lieu à la pointe de la modernité. C’est, aussi, un endroit particulièrement sûr, où jamais aucun crime n’a été commis.

Du moins, jusqu’à ce que le corps d’un jeune homme soit retrouvé juste en-dehors des limites de la ville. Bienvenue dans Concordia, la série du même nom, qui vient de démarrer sur plusieurs télévisions de la planète ; mais ça, j’y reviens.

Or, donc, il y a un mort. Et la thèse de l’accident est assez facile à écarter vu la façon dont le cadavre a été retrouvé. La question est donc : qui a tué Oliver Miller ?
Pour répondre à cette interrogation, d’autant plus importante que c’est la réputation de la ville expérimentale qui est en jeu, l’enquêtrice et spécialiste de crise Thea Ryan est dépêchée par les Amin, la famille qui finance Concordia (en particulier, le nom de Fatemah Amin est prononcé, mais pour l’instant elle n’apparaît pas dans ce premier épisode). Sur place, elle fait équipe avec Isabelle Larsson, community officer dans une ville qui n’a pas vraiment de police et dont la tâche, d’ordinaire, consiste plutôt à faire de la prévention et du social ; pour elle aussi, ce type d’investigation est tout nouveau.
Malgré la multitude de cameras présentes à Concordia, toutefois, les choses ne sont pas si simples. Ne serait-ce que parce que le principe fondateur de cette ville est le respect de la vie privée, et qu’il n’est pas acquis que les images collectées peuvent être visionnées par des humains. Et puis, quelles images ? Jusqu’où remonter ? A quel point fouiller dans l’intimité de la victime est-il éthique ?

Le premier épisode de Concordia a fort à faire : il lui faut à la fois expliquer le fonctionnement de son univers, mettre en place ses protagonistes, introduire le mystère sur lequel repose l’intrigue, et… et, ma foi, ce qui m’intéresse, c’est bien-sûr ce que ce premier épisode n’a pas beaucoup le temps de faire. L’interrogation sur la vie privée n’en est pas absente, mais elle est forcée de rester au second plan pendant que la série établit le reste.
Il y a toutefois quelques indices intéressants de ce qui pourrait, à terme, se dire dans la série. Un montage (vraisembablement promotionnel) en début d’épisode nous montre ainsi plusieurs personnes parler de leur expérience à Concordia, de la raison pour laquelle elles ont choisi de vivre là (l’épisode est muet, en revanche, sur les difficultés à obtenir de la place dans cette ville, ou sur le tri social qui peut se produire en amont), dévoilant par la même occasion leur vision de ce qu’est la « vie privée », à l’heure de la videosurveillance omniprésente et de la monétisation de la moindre donnée. Il y a dans le lot des choses qui méritent d’être entendues. Les règles qui régissent le traitement des données à Concordia vont aussi, c’est de plus en plus clair, être au coeur de l’enquête.

Cependant, ma scène préférée à ce sujet est apparue bien plus tard dans cet épisode d’exposition, lorsque Thea et Isabelle ont dû demander à la mère d’Oliver dans quelle mesure elles devaient lui dire ce qu’elles allaient trouver au cours de leur investigation. Cathy Miller a alors ces paroles, que je trouve prometteuses : « I want to know the truth about what happened. But… were there parts of his life that he wouldn’t have wanted to share ? That he had to figure out for himself ? I’m sure there were. So, if you see something that can help you find out what happened to him and you need to tell me, fine. If not… please let me remember my son through my own eyes« . Je trouve cette idée fascinante parce que, dans n’importe quelle série à vocation policière (même si ici, techniquement, la police n’est pas vraiment impliquée, juste incarnée par un personnage qui pour le moment est tenu à l’écart de la majorité des investigations), cette idée de la vie privée est totalement écartée. Au nom de la quête de vérité, l’intimité est régulièrement piétinée ; qu’il s’agisse des agissements de la victime, de sa vie amoureuse ou amicale, ou même de son corps lui-même, ouvert pendant l’autopsie. Dans une série policière, normalement, la victime perd toute intimité ; c’est la seule façon, nous a-t-on toujours implicitement dit, de parvenir à lui rendre justice. Or, Concordia pose avec ce monologue une question que je n’avais jamais entendu une autre série poser, permis bien-sûr par l’univers de science-fiction de la série : et la vie privée, alors ? Ironie du sort, c’est dans une ville où l’on est filmée à tout moment et où notre moindre battement de coeur est examiné par des algorithmes que la limite, pour la première fois, est posée.

Si Concordia veut vraiment étudier ce thème, ce que je la suspecte de vouloir faire au moins en partie avec un point de départ pareil, alors ça peut donner une série intéressante. Peut-être même qu’elle vaut la peine de se coltiner une fiction aux mécanismes de l’investigation policière ! Croyez-moi, ça me coûte de le dire ; surtout que sans ces miettes de réflexion sur la vie privée, le premier épisode de Concordia se présente autrement une série assez classique, et pas nécessairement aussi excitante que sur le papier. Parce que, je l’admets, on ne sent pas une différence folle entre l’intérieur des limites de la ville expérimentale dont elle nous répète qu’elle est unique (…pour le moment : une expérimentation, c’est généralement un premier pas !), et l’extérieur qui ne semble pas spécialement souffrir de la surveillance systématique de sa population. En outre, malgré une référence faite au réchauffement climatique, tout le monde a l’air de vivre dans un monde plutôt agréable… Le world building laisse un peu à désirer pour le moment.

Concordia s’inscrit dans cette tradition récente, très récente, consistant pour des diffuseurs d’Europe de l’Ouest à s’associer à des diffuseurs japonais. Imaginez ça : on est passées de décennies entières pendant lesquelles la télévision européenne faisait mine de complètement ignorer l’existence de séries live action produites au Japon, à considérer ce pays comme un excellent partenaire potentiel. Sans transition. Sans vraiment (à part quelques timides tentatives, principalement sur arte) importer de séries japonaises, par exemple. Non, directement on est passées à la coproduction !
Ce qui, ces dernières années, nous a donné des séries comme :
The Head, partenariat entre l’Espagne et le Japon ;
Der Schwarm, mélange de diffuseurs en Allemagne, France, Suisse, Autriche, Suède et Japon (reviewée l’an dernier) ;
Les Gouttes de Dieu, impliquant l’audiovisuel public en France et Hulu au Japon ;
– et maintenant Concordia, production unissant l’Allemagne, la France, le Japon et… ET ?!
Attendez une minute. A quoi « MBC » fait-elle référence ? Je connais plusieurs chaînes qui s’appellent MBC dans le monde. Bougez pas, je m’occupe de fouiller…

Hm. C’est très vague. Je vais tenter autre chose…

Oh tiens. Ce que ne disent pas du tout les articles de presse qui mentionnent MBC, c’est qu’il s’agit du groupe panarabique basé aux Emirats Arabes Unis ! Le même qui possède la plateforme de streaming Shahid, et c’est d’ailleurs comme ça que j’ai eu la confirmation de quel MBC était impliqué dans ce projet. Il semblerait donc que nous ayons là une co-production internationale impliquant également un pays du Golfe ! Assez incroyable ça tout de même.
Et fascinant de voir combien les articles de presse semblent timides à ce sujet, aussi. De là à supposer que l’embarras vient de la production elle-même, et que les différents articles s’en font involontairement l’écho… Faut le dire si vous avez honte !

Enfin bref, Concordia, actuellement dans toutes les bonnes crèmeries et prochainement sur France2, mérite qu’on la… surveille.


par

, , , , , , , ,

Pin It

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.