C’est pas l’homme qui prend la mer

8 juin 2024 à 19:37

Que savez-vous de l’Histoire du Portugal, au juste ? Pendant le 20e siècle, par exemple ? Moi, je vous le dis tout net, pas grand’chose. Mais fort heureusement c’est à ça que sert la curiosité !

Terra Nova est une série portugaise sans dinosaures, mais malgré ce lourd handicap, la série ne manque pas d’intérêt. Elle se déroule dans les années 30, sur la côte atlantique, à Ílhavo. Un endroit que la série décrit comme un village de pêche, mais dont Wikipedia nous dit qu’en 1930 elle comptait plus de 17 000 âmes, donc euh… bon, on n’a pas la même définition d’un village.
Quoi qu’il en soit, Terra Nova se penche sur la vie des pêcheurs (masculin volontaire) et de leurs familles.

Dans le premier épisode, les pêcheurs n’ont pas encore pris la mer : ce n’est pas encore le bon moment. Mais les préparations bruissent dans le fond des activités quotidiennes des habitantes, et cela se sent au bar qui est encore rempli, ou aux filets que l’on tisse… Terra Nova choisit de montrer les choses les plus banales avec l’intention de révéler la nature de ses protagonistes, de leur donner l’opportunité de se montrer telles quelles.

Par exemple, le pêcheur Albino, dit « le Bossu » (il n’est pas bossu), attend que la mer soit plus clémente pour s’embarquer dans la saison de pêche. Même si l’on ne sait pas ce qui, exactement, le hante, en revanche on sait qu’il a la conscience lourde. Sa fille Mariana, elle, sait bien qu’elle restera sur la terre ferme quand viendra le moment de partir en mer pour son père ; or elle a des envies de nouveaux horizons. Elle travaille comme serveuse dans un petit bar où les pochtrons du village viennent boire tous les soirs, mais elle aspire à trouver une place comme domestique chez des gens riches dans une grande ville, pour partir. Peut-être qu’elle a lu trop de livres (sa mère le pense certainement), ou peut-être est-elle réellement destinée à autre chose que la vie qui est actuellement la sienne. Ou peut-être que son avenir est avec le séduisant Miguel, qui va partir en mer pour la première fois bientôt, et qui est la seule personne au village qui encourage sa passion pour la littérature ?
Le Docteur Bernardo aussi a besoin de changer d’air. Il est lassé des consultations dans son cabinet, et a récemment appris que ses écrits, qu’il espérait voir publiés, n’étaient pas assez bons. Alors qu’il noie sa peine de plume dans un bistrot, il est abordé par deux hommes qui lui proposent de devenir le médecin de bord de l’expédition qu’ils organisent. Le pêcheur Tó Verde, quant à lui, sait bien qu’il prendra la mer bientôt ; il utilise en fait sa capacité à voyager pour faire miroiter à sa prostituée préférée, Madalena, l’opportunité de quitter le pays et changer de vie. En échange de cette promesse qui devra, lorsque le temps le permettra, se concrétiser prochainement, Madalena lui offre des passes gratuites… Pas sûr, pourtant, que Verde soit très honnête dans sa promesse.
Pendant ce temps-là, chez le Capitaine Silva, on a d’autres préoccupations. Dans cette famille comptant parmi les plus aisées d’Ílhavo, leur fille unique Amélia est sur le point de présenter son petit-ami Pedro à ses parents, or, c’est un étudiant qui vient d’une famille plus humble. Et, ce que le Capitaine ignore, c’est que Pedro est également un communiste…

Dans les petits et grands tumultes de la vie, Terra Nova dessine en effet le contour d’un Portugal figé dans la peur. A voix basse, on parle du gouvernement de Salazar (dont je ne savais franchement pas grand’chose, c’est bien : ça m’a poussée à un peu de lecture) ; on imprime secrètement des pamphlets politiques ; on échappe à la police (parfois avec le soutien discret d’autres citoyens…), et ainsi de suite. Raconter la Grande Histoire à travers toutes ces petites histoires est le but de la série.
Pas étonnant que tant de monde dans la série étouffe à sa place, étouffe dans son pays, étouffe dans une nation prise à la gorge. Bien-sûr que l’on rêve d’ailleurs lorsqu’on vit sur un sol fasciste… Terra Nova décrit bien tout cela, sans pour autant se lancer dans de grands monologues abstraits. C’est ce qui explique que son premier épisode se déroule intégralement à terre, dans ce village : pour nous expliquer que ce n’est pas que par nécessité professionnelle que l’on s’embarque dans un périple périlleux sur les mers.

Les épisodes suivants nous parleront, quand il aura levé l’ancre, de ce qui se passe à bord du Terra Nova (c’est le nom du navire de pêche, d’où le titre de la série bien-sûr). Il est probable que malgré le désir de s’éloigner du Portugal, celui-ci embarque aussi avec les pêcheurs : on peut sortir le pêcheur du port, mais pas le port du pêcheur. Les situations personnelles, sociales et politiques vont elle aussi être du voyage, et se mêler pour expliquer ce qui va se passer…
Diffusée en 2020 par la télévision publique portugaise, RTP1, Terra Nova est une production historique comme je les aime : elle s’intéresse moins à des figures majeures qu’à des anonymes (généralement de condition humble), elle adopte le ton calme de la chronique, et dans le même temps elle ne romantise pas l’existence de personnages au point d’oublier le contexte politique de leur époque. C’est mon type d’approche préférée. Elle est l’adaptation du roman O Lugre, une oeuvre de l’écrivain portugais (ancien médecin notoirement à gauche) Bernardo Santareno ; la diffusion correspond au centenaire de sa naissance. Visiblement, cela a plu au public portugais : la série a trouvé un tel succès qu’elle a été remontée au format d’un long métrage, et qu’elle est sortie sur grand écran (nul doute qu’on y perd en nuances, car on ne raccourcit pas une série de 10 épisodes si facilement). Le film a également été projeté au musée maritime d’Ílhavo, et a connu un peu de gloire dans des festivals internationaux. Finalement, la version en 13 épisodes a fait son arrivée sur la plateforme max dans certains pays.
Tout un périple.


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