La beauté du Diable (director’s cut)

24 avril 2014 à 13:24

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Séries Mania, c’est l’opportunité de découvrir des séries étrangères dont je suis le développement depuis un bout de temps, et finalement réussir à regarder un épisode (ou plus) de façon compréhensible, c’est-à-dire sans avoir à recourir à la VOSTM. Dans le cas de certains pays, en particulier, pour lesquels ont peut rarement espérer une diffusion aussi vaste que pour les nations téléphagiquement populaire du moment (Suède ou Danemark, par exemple), c’est une véritable aubaine.

La preuve par l’exemple avec Nymfit, dont je vous parle depuis très exactement deux ans ce mois-ci, et dont la diffusion a commencé il y a quelques semaines à peine en Finlande. Sans festival, pas sûr que j’aurais un jour réussi à mettre le grappin dessus.
Et le plus fou, c’est que Nymfit est exactement fidèle à l’idée que je m’en suis faite alors que j’accompagnais son parcours ces deux dernières années.

N’allez pas croire que c’est un compliment.

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Si vous découvriez, le jour où vous sautez le pas pour la première fois avec votre petit ami, que chaque rapport sexuel conduit à la mort de vos partenaires, vous ne le prendriez pas très très bien, n’est-ce pas ? C’est le problème de Didi, dont les ardeurs s’avèrent plus dangereuses que prévu. Lorsque le jeune homme qu’elle fréquente depuis 1 an meurt dans ses bras, la voilà paniquée, mais rapidement, sa mère prend les choses en main et convoque l’aide de deux inconnues, Nadia et Kati. Ces dernières vont révéler à Didi sa véritable identité : elle est en réalité une nymphe. Si elle veut rester en vie, elle doit impérativement, à chaque pleine lune, s’envoyer en l’air avec un pauvre mortel qui en échange perdra la vie. Le deal n’est pas très équitable, admettons-le. Et ce n’est évidemment pas très facile à entendre, surtout alors que Didi est envoyée en exil auprès des deux autres nymphes, rompant totalement le contact avec sa vie précédente.

Commençons par les bonnes nouvelles, parce que je suis d’humeur joyeuse : la réalisation de Nymfit n’est jamais prise à défaut, et offre une série plutôt soignée où l’héroïne apparaît comme lumineuse (et si jamais vous vous posiez la question : on est au passage loin de l’univers en skai noir de Lost Girl, au pitch pourtant similaire). Ce n’est pas simplement pour souligner son innocence (sur laquelle je reviens dans un instant), mais aussi parce que la série essaye d’atteindre quelque chose d’assez organique visuellement. D’une façon qu’on pourrait qualifier de très scandinave, elle chercher à ancrer son aspect fantastique dans une réalité plus terre-à-terre ; le mélange est plutôt esthétique et épuré, loin de la surcharge de beaucoup de séries du genre cherchant à en faire des tonnes. Seuls les passages consacrés aux ennemis des nymphes (les satyres), manquent de finesse visuelle, et nous replongent dans l’ambiance devenue rétro de la Trilogie du Samedi.
Lors des flashbacks de certains personnages, qui nous renvoient aux origines de l’arrivée des nymphes parmi les humains il y a plusieurs siècles de cela, on ressent une certaine proximité avec Highlander, avec un véritable soucis de ne pas avoir l’air bon marché cependant ; mais le contraste est intéressant. Et si pour cela il faut en rajouter un peu dans les filtres, soit, admettons.

Eeeeeeet ouaip, c’est tout ce que je vois là tout de suite. Bonne réalisation.
Parce que le problème de Nymfit, c’est quand même tout le reste. Le producteur Matti Halonen a beau nous jurer que Nymfit s’adresse à un public féminin, et que c’est une série où les femmes dominent et où les hommes ne sont que de la viande, il est permis de douter du résultat, à défaut de l’intention.
Déjà parce que le premier épisode commence directement par une scène, hm, d’action, qui bien que n’étant pas absolument choquante (surtout pour quiconque regarde le câble américain !), nous propose avant tout de voir deux personnages anonymes, qui, sans contexte, passent à l’acte. C’est une séquence de dépucelage « romantique », tout ce qu’il y a de plus classique avec deux personnes qui visiblement s’aiment, et notamment une jeune femme (sur laquelle est rapidement mis l’accent) qui veut perdre sa virginité « au bon moment » et dont c’est la première fois. Admettons.

Sauf que cette perte de virginité est une boîte de Pandore, qui renforce tous les mythes négatifs sur la sexualité des femmes « libérées ». Les verrous qui maintiennent les nymphes en état de femme « normale » (comprendre : qui n’a pas un besoin de sexe trop régulièrement, et qui a besoin d’être amoureuse pour passer à l’acte avec l’élu de son cœur) sautent, et tout part en vrille pour tout le monde.
A plus forte raison parce que les nymphes sont des femmes en tous points, si ce n’est qu’elles n’ont pas de cycle menstruel. Et c’est dans ce genre de détails que c’est dérangeant : délestées des conséquences de la sexualité humaine (en l’occurrence, le risque de grossesse), elles deviennent des créatures dangereuses. Non seulement les hommes sont victimes de cette sexualité (ils sont utilisés purement et simplement, à chaque pleine lune, et y laissent la vie)… mais les femmes aussi puisque, sans ce rapport sexuel, les nymphes vieilliraient et mourraient. Et on sait bien que c’est la pire chose imaginable. D’ailleurs Kati va très explicitement dire quels sont les atrocités qui attendent Didi si elle ne procède pas à son petit coup d’hygiène mensuel : sa peau va devenir grise et ses seins se flétrir. Personne ne veut ça, pas vrai ?! Étrangement, la mort n’est pas autant mise en avant comme raison de vouloir céder à l’appel de la nature à chaque pleine lune.
Toutes sortes d’autres idées un peu perverses jalonnent cet apprentissage de la sexualité que fait Didi dans ce début de série ; en somme, tout ce qui se disait il y a plusieurs siècles et, en fait, pendant une majeure partie de l’Histoire (les femmes sont par essence de cruelles créatures insatiables, nymphomanes et pécheresses), est repris en intégralité dans le discours de Nymfit. Comme tous les personnages féminins humains sont rapidement écartés, ça n’aide pas à contrebalancer le propos.

Et le pire, c’est que tous les personnages qui sont dans la confidence sont d’accord pour en expliquer le moins possible à Didi, maintenue dans une solide ignorance autant que faire se peut. Parfois c’est en s’exprimant à demi-mots, comme dans la plupart des séquences avec les satyres, mais Nadia et Kati ont même toute une conversation sur le fait qu’elles vont en dire le moins possible. Sans aucune raison (valable ou non). Il sera indiqué plusieurs fois à notre héroïne que les raisons la dépassent et qu’il faut simplement qu’elle fasse ce qu’on lui dise, à savoir coucher avec des inconnus chaque mois. Sous-entendu (à peine voilé) : tu n’y couperas pas. Le 2e épisode explicitera même le terme d’obligation. Et en plus la mère de Didi a fait kidnapper celle-ci par les deux autres nymphes, au lieu de lui expliquer très civilement pourquoi elle devait partir après la mort de son petit ami. Parfaitement, l’héroïne est kidnappée puis forcée à avoir des relations sexuelles avec des inconnus. Niveau female empowerment, on a vu plus inspirant.

Vous allez me dire, si on explique tout à Didi dés le pilote de Nymfit, elle n’a plus de découvertes à faire sur la mythologie de son existence de nymphe, et il n’y a pas de série. Certes. Mais ça fait un peu léger comme fil rouge, le maintien artificiel d’un personnage dans l’ignorance…

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Comme beaucoup de discours sur la « liberté sexuelle » de femmes assoiffées de relations intimes, on découvre quand même que Nymfit a des intentions paradoxales, avec des injonctions très contradictoires à son héroïne notamment.
La virginité de celle-ci, apprend-on dans quelques rapides flashbacks, a été jalousement gardée par sa mère qui a fait tout son possible pour lui éviter d’adresser la parole à des garçons, une fois l’adolescence arrivée. Mais en parallèle, l’actrice qui incarne Didi, bien que toujours vêtue de robes légères et virginales, est constamment soumise à une chosification sexuelle, qui donne à intervalles réguliers dans le fanservice le plus complet dés que l’occasion se présente de proposer un plan sur ses cuisses ou de la faire courir dans des vêtements mouillés sous la nuit. Innocente, donc, mais pas trop puisqu’il faudra quand même qu’elle couche avec une nouvelle victime dés le deuxième épisode.
Il y a aussi tout un sous-texte de la pureté, notamment cette scène un peu étrange où Kati donne un bain à la jeune héroïne et lui explique textuellement que « quand nous sommes propres, nous nous sentons apaisées »… pourquoi seraient-elles sales, elles vivent toutes les trois en centre-ville dans un appartement impeccable meublé par IKEA ? Serait-ce leur sexualité qui les rend sale ? Je n’ose le croire ! Je veux bien essayer de ne pas voir le mal partout mais les possibilités sont assez réduites dans le cas présent.
Sans parler de la scène de tripotage lesbien obligatoire dans un autre passage… à qui veut-on faire croire qu’il s’agit d’une série pour les femmes comme l’avance Matti Halonen ? Tout n’est que male gaze. Le plus rageant est de le présenter de façon aussi malhonnête, dans le fond.
Se pose cependant la question de savoir ce qu’il adviendrait d’une nymphe qui en fait serait homosexuelle : comment est-elle supposée survivre ? Tout cela est très hétérocentré.

On a tous droit à un guilty pleasure, et on est tous, enfin supposons-le, des adultes. Il n’est pas question de verser dans la pudibonderie. On peut faire une série dans laquelle les personnages sont simplement sexy et s’envoient en l’air sur un scénario simpliste ; le succès de True Blood a prouvé qu’il y avait un public pour cela et l’inspiration de Nymfit est assez visible sur ce point. Cela étant, peut-être que ça pourrait être accompli sans un discours sexiste tenu pendant des siècles, et/ou sans l’exploitation du corps des femmes (surtout pas des hommes).
Et surtout, je vois difficilement comment Nymfit se qualifie, en l’état, pour rivaliser avec certaines autres fictions du festival. Je ne vous cache pas que le visionnage des épisodes joue en sa défaveur comparée à la concurrence, mais d’autres membres du jury étaient plus positifs que moi… et les délibérations du jury s’annoncent donc comme très passionnées !

Article également publié sur le site officiel de Séries Mania.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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