Basse fréquence

8 octobre 2016 à 19:30

Le soir de son 28e anniversaire, la détective Raimy Sullivan découvre qu’elle peut désormais communiquer, grâce à une vieille CB entreposée dans son garage, avec son père Frank. Sauf que Frank est mort il y a 20 ans, presque jour pour jour…
Assimilée un peu vite aux séries de voyage dans le temps de la saison américaine 2016-2017, Frequency est en fait une série sur les paradoxes temporels, car personne n’y change d’époque, en fait. Mais qu’on ne s’y trompe pas : malgré cette nuance, elle se trouve aussi vulnérable aux écueils desdits paradoxes temporels que peut l’être Timeless.

L’une des règles de l’univers de Frequency est ainsi que les deux époques (1996 et 2016) évoluent en parallèle. Les deux héros vivent donc le même jour, à la même heure, simplement pas la même année. D’autre part, tant qu’un évènement n’a pas eu lieu dans la vie de Frank en 1996, il ne peut pas avoir eu de conséquences dans celle de Raimy en 2016. C’est particulièrement pratique lorsqu’il faut insérer un peu de suspense dans l’intrigue, mais ça traduit une vision des causes et conséquences très simpliste : il faut attendre qu’un évènement « ait eu lieu » dans le 1996 parallèle pour qu’il ait des conséquences sur 2016 ! Alors que par définition, si on est en 2016, les évènements de 1996 se sont déjà produits ?
Mais bon, comme toutes les séries de son genre, Frequency a bien besoin de trouver une astuce pour ne pas être piégée par les paradoxes temporels (et comme toutes les séries de son genre, Frequency découvre qu’il n’y a pas d’astuce idéale).

Dans un registre similaire, si son but principal est de changer le passé pour garder Frank en vie au-delà du pilote (une entreprise qui réussit, bien-sûr, bien qu’avec un twist final ; 2016, année du pilote à twist !), Frequency doit aussi déterminer comment en gérer les conséquences, 20 ans plus tard. Raimy saura-t-elle seulement qu’elle a changé le passé ?
Eh bien Frequency a décidé que réécrire l’Histoire ne signifiait pas perdre la mémoire : après avoir changé le cours de la vie de son père, Raimy se souvient à la fois de la timeline dans laquelle Frank est mort il y a 20 ans, ET de la timeline dans laquelle il a survécu au-delà. L’idée est séduisante, à défaut d’être parfaitement assumée par le pilote (on a quand même droit à une scène pendant laquelle Raimy, qui pourtant sait qu’elle possède les souvenirs de deux timelines, ne comprend pas que l’histoire ait changé), et ouvre des perspectives intéressantes. Par exemple, puisque Raimy doit continuer de changer le passé avec l’aide de Frank dans les épisodes suivants, combien de timelines lui faudra-t-il se remémorer sans les mélanger d’ici la fin de la saison ? Y a-t-il des limites à cet exercice, sur un plan psychologique par exemple ? Ce serait bien que Frequency creuse la question.

Il faut admettre que l’aspect mythologique ne captive pas vraiment Frequency, qui y consacre aussi peu de temps que possible… Après tout on parle d’une qui croit qu’en évoquant vite fait un orage magnétique, elle a parfaitement expliqué comment la CB de 1996 et celle de 2006 étaient capables de communiquer.

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Dans la série Frequency (j’avoue ne pas avoir vu le film, il parait que dans le cas présent ce n’était pas nécessaire), il faut aussi souligner que c’est la dimension dramatique, voire mélodramatique, qui mène la danse. Le thème de la série est pour l’essentiel : comment Raimy peut-elle sauver un parent mort voilà 20 ans ? Le fait qu’elle soit flic, que son père aussi, qu’elle enquête sur une affaire vieille de deux décennies, et même (au moins pour le moment) ses relations avec d’autres flics, apparaissent comme assez secondaires, ce qui est surprenant.
Ce choix a toutefois ses mérites : en s’intéressant plus à la relation père-fille, Frequency annonce d’entrée de jeu qu’elle ne se servira pas de leurs échanges comme de prétextes pour faire avancer des enquêtes professionnelles… ou que, disons, ce n’est pas son intention première (mais les saisons peuvent être longues, alors restons sur nos gardes !). Le pilote propose donc, avant tout, d’étudier les interactions entre ces deux personnes qui s’aiment sans se connaître, l’une parce qu’elle a grandi sans son père, l’autre parce qu’il n’a connu que l’enfant de 8 ans qu’elle était en 1996. Cela signifie que toutes sortes de richesses dramatiques se logent potentiellement dans les recoins du scénario de Frequency.
Hélas, pour le moment la plupart des passages conçus pour être émouvants se posent là en matière de facilité scénaristique. Il n’y a aucune scène qui dépasse, pas un dialogue qui tente de surprendre dans Frequency. Raimy et Frank font exactement tout ce qui est attendu d’eux par le pitch de départ, partagent une complicité perdue/nouvelle au bon moment, pleurent au bon moment… Sans mentionner que ce qui les rend touchants de prime abord (une tendre relation père-fille) fait aussi d’eux des étrangers (ils ne connaissent en fait rien l’un de l’autre) et que ce lien apparaît, parfois, comme simpliste. Il méritera d’être creusé si Frequency veut vraiment briller par sa dynamique centrale entre les deux héros.

Frequency est donc hautement imparfaite (et encore, ne me lancez pas sur le fait que les actrices jouant Raimy et sa mère aient le même âge…) mais elle a le mérite d’essayer de ne pas se réfugier totalement derrière des enquêtes pour exister. En laissant une large place à l’émotion, elle essaie de marquer sa différence, à défaut de totalement prouver qu’elle sait en tirer le meilleur. Il faudra voir si cette émotion, maintenant qu’elle ne repose plus sur le manque (la deuxième salve de souvenirs, acquise par l’héroïne pendant le pilote, montre qu’elle a grandi avec l’affection idéale d’un père très présent), pourra être pérenne sans virer au sirupeux.
Au-delà des 20 ans qui séparent Raimy de son père dans le contexte de l’intrigue centrale, il serait aussi intéressant de voir si Frequency fera l’effort de s’autoriser à parler du fossé qui existe entre 1996 et 2016 en termes d’expérience (le matériel promotionnel, qui renvoie à l’avant/après du 11 Septembre, semble l’indiquer). Cela pourrait apporter plus de profondeur à une série qui, pour son premier épisode, se repose sur des ressorts simplistes pour créer de l’émotion. Nul doute toutefois que si Frequency parvient à exploiter le potentiel qui est le sien, elle pourrait devenir l’une des réussites les plus ambitieuses de son network.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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