Brand new life

31 décembre 2016 à 19:50

Il n’est pas exagéré de dire que l’oeuvre de ma vie, en 2016, aura été de procéder à un marathon intégral de Madame est Servie. Who’s the boss? en VO, mais je suis une nostalgique donc exceptionnellement voilà.
L’entreprise aura exigé une constante attention tout au long de l’année, en grande partie à cause de la fermeture de divers sites qu’on ne nommera pas mais qui ont rendu la disponibilité des épisodes bien compliquée. Cela dit si quelqu’un s’était porté volontaire pour m’offrir une intégrale, la question ne se serait pas posée, donc c’est un peu votre faute aussi. Nan mais c’est pas grave, allez, c’est déjà bien de l’admettre.

Bref, Madame est Servie, un projet titanesque qui m’a tenue occupée entre deux trois autres menues petites choses dans la vie, genre, euh, je sais plus. Il faut dire qu’on s’absorbe vite dans la vie de cette famille un peu atypique, et pourtant si chaleureuse. Voici donc mon bilan de l’année, je veux dire : des 8 saisons.

L’histoire on la connaît tous, mais reposons les bases : Tony Micelli, père veuf d’une petite fille bagarreuse du nom de Samantha, quitte son quartier pas encore gentrifié de Brooklyn à New York, pour trouver une vie meilleure dans l’État autrement plus chicos du Connecticut. Il se présente donc pour répondre à une annonce de domestique auprès d’Angela Bower, une publicitaire ambitieuse qui suite à son divorce, gère seule l’éducation de son fils unique Jonathan, quoique sa mère Mona Robinson soit souvent présente (hélas essentiellement pour la taquiner).
Tony se présente donc avec sa fille sous le bras et sa vie dans sa fourgonnette, après avoir tout plaqué, alors qu’il n’est même pas certain d’obtenir le poste ; mais au début des années 80 la recherche d’emploi, c’était pas la même ambiance et les gens avaient encore ce qu’on appelle de l’espoir.
Bien qu’initialement interloquée à l’idée d’engager un homme pour tenir sa maison et s’occuper de son foyer, Angela finit par l’embaucher. Et ils se marièrent et vécurent heureux… enfin pas tout de suite, bien-sûr.

Pour l’essentiel, Madame est Servie est donc une comédie domestique assez classique, où il va être question de faire à dîner, de conquérir des clients, d’aider les enfants à grandir, et de se lancer des œillades l’air de rien. L’aspect romantique est en effet omniprésent dans la série dés le premier épisode (et oui, j’ai quand même été jusqu’au bout du marathon), amené de façon variable d’un épisode à l’autre mais toujours là en toile de fond pour rappeler que si Tony et Angela jouent au papa et à la maman, c’est qu’il y a une raison. On n’imaginerait pas ces deux-là n’être que des amis, et Madame est Servie est TRÈS claire à ce sujet.
Alors du coup, les intrigues en elles-mêmes sont rarement foudroyantes, à plus forte raison pendant une ère télévisuelle où le feuilletonnant n’était pas franchement à l’ordre du jour ; cela se décante un peu sur la fin de la série, mais pour l’essentiel, il faut s’attendre à de l’inconséquence la plus totale.

Pourtant, Madame est Servie a un talent certain pour tout de même donner du liant à ses épisodes, parce qu’elle maîtrise quelque chose qui se perd dans les comédies en multi-camera de son espèce : une étonnante maîtrise de ses personnages et de leurs différentes dimensions. Il faut dire qu’elle a vraiment une distribution en or et qu’elle aurait tort de se priver de solliciter ses acteurs pour des choses légèrement plus atypiques, voire profondes.
Au fil des épisodes, puis des saisons, il devient clair que là où les intrigues de Madame est Servie sont souvent (pas toujours) superficielles, les personnages, eux, sont soignés. Certains thèmes reviennent, presque de façon obsédante, à travers leurs réactions ; le recours à leur backstory (comme par exemple l’enfance d’Angela, qui a eu the mother of all awkward phases, ou l’expérience de Tony dans le monde du sport professionnel) est régulier, et pas uniquement à des fins comiques. Il ne s’agit pas ici de créer nécessairement des gags récurrents, bien que cela se produise, mais de procéder à des rappels du vécu des personnages, qui apparaissent ainsi comme des personnes un peu plus complexe que votre héros de sitcom habituel. Lorsqu’Angela s’indigne d’une remarque de sa mère quant à son physique d’adolescente, mettons, une part de cette indignation relève de l’humour, mais une autre apparaît comme profondément sincère. Le comique de situation ainsi créé n’est jamais moqueur, toujours tendre ; il invite à une réelle sympathie avec les personnages.
Au-delà des simples répliques de la série, plusieurs épisodes remettent sur le tapis des éléments douloureux du passé de l’un ou l’autre : une aventure de Mona qui a compté plus que les autres, un divorce qui pique encore un peu, un rêve de star du baseball brisé, etc., et au final, Madame est Servie parvient à très bien servir ses personnages de cette façon, quand bien même ce qui leur arrive au quotidien continue d’être plutôt banal.

Madame est Servie est, en particulier pendant sa première saison, parfaitement consciente de proposer aussi un renversement des standards de la comédie d’une demi-heure. Sa volonté est affichée de prendre un principe vieux comme la télévision (le sitcom domestique) et de l’approcher en lui offrant une chance de se moderniser en s’attaquant directement aux rôles genrés, sur lesquels ont longtemps reposé (et soyons clairs : reposent encore) tant de comédies familiales.
Angela Bower et Tony Micelli sont volontairement placés dans une situation récupérant les clichés pour mieux les renverser : Tony est un macho capable de faire le meilleur risotto du monde, un père aimant qui prend de nombreuses initiatives pour être dans la vie de sa fille, et un ancien sportif capable de reprendre ses études universitaires, même ; Angela est une femme un peu introvertie mais qui brille devant ses clients, une working girl ambitieuse qui ne s’en cache pas mais ne néglige pas sa famille, et une délicate chose blonde capable d’un aplomb infini lorsqu’elle sait ce qu’elle veut. Opérer constamment à mi-chemin entre deux stéréotypes permet à ces personnages (et d’autres, comme Mona dont la vie sexuelle très active n’est jamais un gag à ses dépends) de se trouver une certaine complexité, au moins dans le cadre d’un sitcom de network disons. Cela permet à certains épisodes de tirer partie d’un aspect de leur personnalité, et à d’autres épisodes d’aller chercher des ressorts dans un autre aspect, et ça fonctionne plutôt bien en général. Bien-sûr, ce renversement de stéréotypes genrés a parfois des ratées, et il arrive à des intrigues (souvent celles cherchant le plus à adresser une leçon à ses spectateurs) de ne pas délivrer exactement le message voulu. Il arrive d’ailleurs encore un peu souvent que ce soit Tony qui ait le dernier mot, se plaçant comme l’homme de la maison par lequel tout est résolu ; certains épisodes maintiennent l’impression d’une relation dominant-dominé, mais ils sont fort heureusement en minorité. Pour l’essentiel, Madame est Servie accomplit un travail plutôt louable en la matière, y compris lorsqu’il s’agit de présenter à ses protagonistes l’opportunité d’interroger eux-mêmes les limites des rôles qui sont les leurs. Cela fonctionne en particulier très bien pour Angela qui définit assez clairement les hésitations, contradictions et difficultés qui peuvent être les siennes à l’occasion.

Tout cela fait de Madame est Servie, parfois à ma grande surprise, une série plutôt fine par moments, mais qui ne s’embarrasse pas d’abstraction superflue. Ici pas question de partir dans des généralités, des leçons de société ou des slogans politiques… ou très rarement, et dans ce cas-là très maladroitement comme quand Tony va à Washington.
Madame est Servie veut juste suivre ses personnages, et rien qu’eux (et comme je l’ai dit, elle le fait très bien), le reste du monde n’aura qu’à se débrouiller à partir de là.

Pour quelqu’un qui comme moi, a passé une solide partie de son enfance devant les épisodes de Madame est Servie sur Hem6, quoique dans le désordre, ce marathon aura été une drôle d’aventure. Je me suis liée à nouveau aux personnages, mais différemment. En particulier, Angela Bower, dont je gardais un souvenir assez froid et à laquelle j’avais tendance à préférer plutôt Tony voire Mona, m’a fait grande impression. C’était comme faire sa rencontre à nouveau.
J’ignore si c’est l’influence des visionnages de Transparent, ce qui n’est pas totalement à exclure, ou simplement le temps qui passe, mais j’ai eu un sacré béguin pour Judith Light/Angela Bower. Au point de trouver souvent Mona exagérément cruelle à son égard.
Angela Bower, ses robes incroyables (avec des épaulettes de 10cm, parfaitement !), ses énormes lunettes rosées, ses cheveux magnifiquement brushés… et surtout cette classe de tout instant. Il n’existe pas une scène pendant laquelle Judith Light n’est pas au sommet de son art, apportant des nuances de vulnérabilité à un personnage qu’elle passe son temps à rendre plus émouvant. Madame est Servie ne rechigne pas devant ce qui peut être émouvant, jusque dans le sujet de certains épisodes, mais avec Judith Light on atteint les cimes. Elle  refuse d’enfermer Angela dans une routine (Tony Danza n’a pas toujours tant de scrupules) et de se reposer sur les mêmes réactions, les mêmes tics de jeu. Son Angela n’est pas toujours psychorigide ou coincée, elle n’est pas incapable de rire d’elle, et à travers son jeu, elle est capable de révéler une sensualité que le scénario semble souvent lui refuser. Elle apporte aussi, et c’est assez surprenant vu le ton de la série, une grande douceur posée, qui calme de nombreuses fois l’ambiance des scènes, et qui se révèle plus qu’appréciable face à un co-acteur principal qui est une boule d’énergie.
Sous les doigts fins de Judith Light, c’est une femme dans toute son humanité qui est modelée épisode après épisode, et, ma foi, on ne peut reprocher à son homme de maison de tomber sous son charme, je vous le dis franchement.

Bien-sûr il n’y a pas que Judith Light qui soit capable de toucher mon cœur ; Madame est Servie est même capable de faire des choses très impressionnantes une fois de temps en temps. Le seul visionnage de l’épisode sur la mort du père de Tony (d’une réalité d’autant plus douloureuse que Danza avait également perdu le sien à cette même période) met les points sur les « i » : dans Madame est Servie, on sait aussi aller sur des terrains autrement moins drôles. D’une façon générale, tout ce qui a trait au passé et au deuil est plutôt bien géré dans la série, ce qui est étonnant vu que rien, ni dans son ton ni dans son pitch, ne le lui impose.

Contre toute attente, je pourrais vous parler encore longuement de Madame est Servie. Je pourrais vous dire le délice que représente cette impression de (re)voir grandir Sam et Jonathan, ainsi que leurs interprètes, au long de ces 8 années. Je pourrais vous dire à quel point Madame est Servie est capable de kelleyriser un personnage (l’irritant petit Billy ; on lui en est donc reconnaissants) alors que David E. Kelley n’avait même pas encore inventé la pratique ! Je pourrais vous dire combien certains aspects de la romance m’ont, comme jamais, donné envie de « shipper » des personnages fictifs (un échange de regards brûlant dans le double-épisode ouvrant la saison 2 suffisant à me convertir entièrement à la cause), ce qui me concernant n’est pas un petit compliment. Je pourrais vous dire que j’ai trouvé son final éminemment brutal, à plus forte raison parce qu’il est assez ouvert pour une série du genre.
Je pourrais aussi vous dire à quel point la dette d’Une Nounou d’Enfer à Madame est Servie s’avère immense ; j’avais écrit un bref article sur le sujet à l’époque de SeriesLive, hélas sans doute perdu à jamais faute de l’avoir sauvegardé avant la fermeture du site. Tant pis. De toute façon il y a matière à le détailler bien plus. J’ai toutes sortes de théories sur les raisons de cette proximité parfois très curieuse, certaines plus évidentes que d’autres puisque Fran Drescher a quand même incarné deux personnages différents dans Madame est Servie et qu’on peut dire qu’elle est allée à bonne école. Au pire j’écrirai une thèse sur le sujet un de ces jours. Vous riez mais je suis capable !!! En tous cas la parenté est si forte, que c’était presque un pèlerinage pour moi, en tant que fan de Fran.

Mais nous n’allons pas entrer dans le détail de tous ces points. Pour une simple est bonne raison : au terme de ces 8 saisons, regardées sur une année, je suis aussi un peu lasse. Pas fâchée d’avoir suivi ce marathon, mais pas fâchée qu’il se termine. Madame est Servie, de par la frivolité de certains épisodes et surtout à cause de son obsession à ne pas rapprocher ses deux personnages centraux (ou alors pour revenir aussi vite que possible au status quo), peut se montrer épuisante. J’ai en particulier eu beaucoup de difficultés en saisons 6 et 7, qui m’ont paru compter le plus grand nombre d’épisodes creux ou sans imagination. C’est le lot de tout sitcom que d’être inégal, mais là, c’était un peu hardcore certains jours.
A ce stade je veux laisser Madame est Servie en 2016 (paradoxalement peut-être), pas parce que j’ai développé une allergie, bien au contraire, mais parce que je ne veux pas me donner une chance de réviser l’impression qu’elle m’a faite pendant ce marathon un peu compliqué. J’ai aussi, tout-à-fait entre nous, l’espoir de vivre ce genre d’expérience avec d’autres « vieilles » séries à l’avenir…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. maxwell39 dit :

    Le jt de 20 étant le standard à la maison à cette époque, je n’ai jamais regardé les sitcoms de M6. Au mieux, j’ai regardé (avec plaisir) Malcolm où les redif’ de Ma sorcière bien-aimée le midi. La seule chose que je connaisse d’elles, c’est leur réputation 🙂

    • ladyteruki dit :

      C’est terrible ces gens qui n’ont pas eu d’enfance ! Heureusement il n’est jamais trop tard pour rattraper le temps perdu !
      (…au moins en matière de séries)

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