Friendship is not magic

26 mars 2017 à 11:36

Mary Elizabeth (dite « M.E. ») et Rene se sont rencontrées en 1962, alors qu’elle n’était que deux petites jeunes filles vivant en Alabama. Il a suffit d’une bêtise, une seule, pour lier ces deux inconnues. Pourtant tout semblait les opposer : Rene est une fillette sage et obéissante qui a envie de devenir une jeune fille, M.E. s’enorgueillit d’être un « garçon manqué » pas intéressé par les bonnes manières, les vêtements, ou les garçons. Malgré cela ou, soyons honnêtes : grâce à cela, les deux gamines deviennent inséparables.
La vie, hélas, n’est jamais aussi simple, et surtout pas lorsqu’on grandit dans les années 60, en Alabama, que l’une des amies est noire et l’autre blanche. Leurs différences finissent par rattraper M.E. et Rene, dont les chemins se séparent alors qu’elles ont 19 ans. Ce n’est qu’en 1998, à la mort du père de Rene, que celle-ci revient en Alabama et renoue avec son amie d’enfance.

Any Day Now est, à de multiples égards, une série comme on n’aurait pu en faire que dans les années 90. Mais c’est surtout de par sa timeline, qu’elle est impossible à répliquer : on ne pourrait plus la lancer aujourd’hui, ou alors en déformant sa nature et donc son impact (il faudrait la transformer en série doublement historique : les années 60 ET les années 90 seraient alors l’occasion d’une reconstitution). Un peu comme le spectre de la guerre du Vietnam dans Magnum serait difficile à reproduire à l’identique dans une série moderne.

C’est qu’Any Day Now est très méticuleuse quant à la chronologie qu’elle met en place dés son premier épisode, notamment de par son emploi très fin des scènes se déroulant aux deux époques, qui en fait une sorte d’ancêtre de This is Us. Les spectateurs assistent en effet en parallèle à la rencontre des deux fillettes au début des années 60, et à leurs retrouvailles à la fin des années 90, racontant aussi bien leur amitié que la façon dont celle-ci s’est détricotée.

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Any Day Now, c’est donc l’histoire d’une amitié, mais pas n’importe laquelle : celle de deux petites filles, l’une blanche et l’autre noire, qui ont grandi dans l’Alabama des années 60. La série s’attache à raconter, de façon indissociable, comment ses deux héroïnes ont vécu cette période charnière à la fois de leur vie et de l’Histoire, parfois ensemble, parfois séparées par les lois et les usages d’une Amérique ségrégationniste, parfois séparées pour des raisons plus personnelles. L’idée n’est pas de produire une série historique portant sur le mouvement des Droits civiques spécifiquement, mais plutôt de montrer comment le contexte dans lequel M.E. et Rene ont vécu leurs années les plus formatives a influencé leur façon de grandir, et donc les femmes qu’elles sont devenues. C’est cela qui a façonné leur amitié… et l’a mise en danger.
Any Day Now est, avant tout, une série dramatique sur deux femmes complexes. Deux femmes qui sont évidemment le produit de leur éducation, de leur époque, et de leurs expériences. Qui ne sauraient s’en extraire, quel que soit leur degré d’acceptation de ce fait.

La démonstration nous en est faite alors que se déroule sous nos yeux le fil des événements passés et présents.
Dans les années 60, d’abord : Rene est la fille d’un avocat noir qui lutte ouvertement pour les Droits civiques ; pourtant la petite fille ne voudrait rien tant qu’être « comme tout le monde », c’est-à-dire traitée comme une enfant blanche. Les rappels à sa condition de citoyenne de seconde classe dans un Etat comme l’Alabama lui sont constants, jusque dans les plus petits détails de son quotidien. Pendant ce temps, M.E. ne se soucie que de fumer, chaparder, courir, bref vivre comme bon lui semble ; quand bien même elle est « capable » de se lier d’amitié avec une fille noire, elle ne voit pas que ce qui les différencie peut parfois être blessant pour sa camarade (le mot « privilège » n’est pas prononcé parce qu’Any Day Now ne théorise pas mais, bon, on se comprend).
Any Day Now fait un plutôt bon travail pour montrer à quel point Rene ressent l’impact d’un racisme qui échappe totalement à sa camarade, y compris lorsque celle-ci sort des propos racistes comme sous le coup de l’évidence. Le premier épisode s’attache à dépeindre deux gamines qui, quand bien même elles voudraient ne pas voir leurs différences, y sont confrontées tout de même.

Ces différences, bien-sûr, ne s’expriment plus de la même façon à l’âge adulte, mais elles ont des répercussions. Élevée par un père qui lui a toujours répété qu’elle pourrait faire ce qu’elle voudrait, à condition de travailler dur (très, très dur), Rene est devenue avocate ; M.E., de son côté, est tombée enceinte alors qu’elle n’avait encore que 19 ans, a gardé l’enfant, épousé le père, et vit aujourd’hui une petite vie étriquée, difficile financièrement, et tente difficilement de reprendre les études tout en élevant deux enfants. C’est précisément la grossesse de M.E. qui les a séparées ; une grossesse aujourd’hui doublement amère, puisque l’aîné des enfants de Mary Elizabeth est mort à l’âge de 5 ans.

Que sont devenues les petites filles (plus ou moins) gaies qui couraient dans les rues de leur petite ville d’Alabama ? Les choses auraient-elles pu tourner autrement ? Dans Any Day Now, on a l’impression d’un mouvement inexorable. La juxtaposition du passé et du présent crée une continuité si forte, qu’il semble que ni Rene ni M.E. n’aient pu échapper à ce qui était tracé pour elles. Non seulement il semblait couru d’avance que leurs trajectoires bifurqueraient, mais en un sens, tout indiquait, depuis leur rencontre et même avant, que les choses tourneraient comme elles l’ont fait pour chacune.
Malgré tout il émane aussi d’Any Day Now une force vive incroyable. L’amitié entre ces deux femmes, qui a semblé perdue pendant si longtemps, est renouée après toutes ces années (non sans quelques explications un peu dures) parce que, dans le fond, l’affection que Rene et M.E. se portent résiste à tout cela. Parce qu’il est des choses qui sont plus importantes que ces différences, quand bien même celles-ci sont irréconciliables. Parce qu’au bout du compte, on a beau être le produit de son éducation et de son époque, on peut encore choisir avec qui vivre ses expériences. J’aime qu’Any Day Now décrive cette amitié comme solide, importante, intemporelle, mais pas comme allant de soi.

Malgré le ton légèrement doucereux de son épisode introductif (c’est une série éminemment grand public…), la série ne renâcle pas à montrer une Amérique qui a de sérieuses plaies à panser avant de prétendre aller de l’avant. L’Alabama de Rene et M.E. a un peu évolué avec les décennies… un peu seulement. Mais surtout, lorsqu’on a connu de son vivant l’Alabama ségrégationniste, qu’on a souffert pendant l’enfance puis l’adolescence d’un racisme affectant systématiquement tous les domaines de la vie, il est difficile de faire comme si tout allait bien, comme si tout était naturel, comme si tout était oublié. Le retour de Rene dans sa ville natale la rappelle à cette époque pas si lointaine, aux blessures pas totalement cicatrisées, aux affronts pas tout-à-fait lavés ; d’autant que pendant les années qui ont passé, son père a continué de se battre en Alabama, exerçant son métier d’avocat jusqu’à sa mort. Any Day Now fait un beau travail de ce côté-là (en dépit du fait qu’il s’agisse d’une série créée par deux femmes blanches).
La façon dont s’est apparemment déroulée la dispute qui a causé la séparation entre Rene et M.E. (elle ne fait pas partie des flashbacks, mais elle nous est progressivement dévoilée par l’épisode ; en particulier, M.E. a utilisé le « n-word ») est l’illustration que ce ne sont pas que les différences individuelles qui ont causé la rupture. Que dans le fond, les deux petites filles pensaient ne pas voir la couleur l’une de l’autre, ou au moins pouvoir aller au-delà, jusqu’au moment où la questions est devenue impossible à ignorer. Any Day Now n’est pas naïve, quand bien même elle reste optimiste quant aux chances de guérison…

Cela fait des années que j’espère qu’Any Day Now sorte [légalement] en DVD ; en désespoir de cause, je me suis finalement tournée vers le streaming. Que comme vous le savez j’abhorre. C’est dire si j’étais prise par le désespoir !
Evidemment Any Day Now a un peu vieilli (son ambiance a quelque chose d’une Providence ou d’un Everwood, à certains moments). Mais la regarder aujourd’hui, c’est recevoir une ô combien nécessaire piqûre de rappel (encore une) que les séries n’ont pas attendu la tendance de la « diversité » pour finement traiter des questions raciales, et les mêler à des intrigues profondément humaines.

Cela donnait sans nul doute des sueurs froides aux exécutifs de Lifetime à l’époque, mais Any Day Now réussit son pari, dés son premier épisode : celui d’être une série dramatique touchante, mais abordant des questions complexes. Plus qu’une histoire d’amitié, plus que les trajectoires de deux héroïnes, plus qu’un drama sur fond de racisme, plus qu’une série historique… dés son premier épisode, Any Day Now est plus que la somme de ses parties. J’ajoute qu’Annie Potts est toujours aussi parfaite, et Lorraine Toussaint n’a jamais été aussi impressionnante ; je sais pas ce qu’il vous faut de plus, franchement.
Prochaine étape : céder une fois encore à l’appel du streaming s’il le faut, mais voir au moins le pilote pour I’ll fly away aussi.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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