Jolies, jolies filles à vendre

4 avril 2017 à 19:04

Ce ne sont pas vos livres d’Histoire qui s’en vantent : à Londres, au 18e siècle, une femme sur cinq se prostituait.
Le genre de statistique qui glace le sang. Plongée dans de sombres pensées sur le destin de toutes ces femmes forcées de se donner au plus offrant (et bien souvent à moins généreux encore), j’ai un instant reconsidéré ce que j’étais en train de faire : avais-je vraiment envie, là, maintenant, de regarder une série aussi sombre et déprimante sur le sort dégradant de femmes obligées de se vendre pour survivre ? Avec les difficultés inhérentes à une vie sexuelle au 18e siècle, qui plus est ? Ce serait ça, ma soirée ?

Quand j’ai repris mes esprits, il était trop tard. Le premier épisode de Harlots avait déjà démarré. Et dans l’allégresse, en plus… ce qui finalement était le plus dérangeant dans cette expérience.

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Pour être honnête, Harlots ne possède pas un mauvais épisode inaugural ; il est juste inégal. Ce qui, quand on est une série de Hulu, n’est pas aussi dramatique qu’à la télévision traditionnelle, je suppose. Mais après avoir donné une information aussi tragique que celle que j’ai énoncée ci-dessus, j’attendais plus de gravité de cette exposition. Au lieu de quoi, Harlots semble plus souvent qu’à son tour se prendre pour un spin-off de Marie-Antoinette de Coppola, ce qui n’est pas la pire des comparaisons, mais reste plus coloré et rieur qu’espéré.
Qu’on ne s’y trompe pas : le drame n’est pas absent de Harlots, et la série ne prend pas à la légère le sort de ses personnages. C’est plus la réalisation qui surprend, dans son désir d’offrir au spectateur un bonbon bigarré, gai, surtout pas trop rebutant. Tentative qui se conçoit, bien-sûr, mais semble par moments un peu contre-productive. Alors que des jeunes femmes souriantes, voire ravies, traversent l’écran à intervalles réguliers, on en oublierait un peu trop facilement qu’elles n’ont pas choisi leur moyen de subsistance, et que celui-ci, si vous me passez l’expression, n’a rien d’une partie de plaisir. Pendant les premières minutes de Harlots, on voudrait même nous faire croire que le seul obstacle à l’existence paisible de ces jeunes créatures se trouverait plutôt du côté de la loi, et de ceux qui cherchent activement à la faire appliquer. Au 18e siècle, la loi est avant tout morale, et la moralité fortement teintée de religion…

Il faut de longues minutes de patience avant que Harlots ne dévoile quel traitement elle réserve à cet univers. Ses héroïnes ne sont pas des jouisseuses, mais des femmes d’affaires, dans un monde où le seul commerce qui soit accessible aux femmes est celui-de la chair. S’élever socialement, c’est n’avoir qu’un produit financier à faire fructifier. Aucun choix ne se fait au hasard, et la conduite de l’entreprise familiale ne souffre d’aucun sentiment personnel, ou presque.
C’est là que se joue tout le drame de Harlots, ou disons, là qu’il se jouerait si la série s’autorisait à l’exploiter plus ; mais le premier épisode prend bien garde de ne pas être morose trop longtemps, et de ne pas trop s’appesantir sur cette fracture entre l’affaire familiale, et ce sur quoi porte le fonds de commerce. Ce que le scénario refuse pour le moment de délivrer, il faudra aller le chercher du côté des performances, en particulier Samantha Morton qui est magnifique dans son rôle de mère maquerelle ; elle incarne une complexité qui semble manquer dans ce qui est explicité de cet épisode introductif. Ce qu’elle offre est plus proche de ce que j’attendais (et redoutais) en commençant l’épisode.

En-dehors de ses quelques étincelles de grâce (l’innocence de Lucy Wells à l’opéra en offre une autre, les vignettes sur la prostituée qui chante au bas de la rue une autre encore), Harlots peine à se distinguer de ce qui semble être le millier d’autres séries similaires. C’est en partie injuste : des séries historiques sur la prostitution, il n’y en a pas tant que ça (et Maison Close commence à dater). Mais c’est son insistance à vouloir faire une série historique « grand public », un peu sexy, légèrement scandaleuse mais pas trop, appliquée à montrer une époque à la fois dépaysante et finalement aussi sordide que les autres, qui rappelle ce que tant de séries ont déjà tenté par le passé sur le même mode (on pourrait appeler ça « l’école The Tudors« ). Ce n’est pas qu’il ne s’y dise rien ; c’est que comme d’habitude rien ne semble pouvoir être dit sans montrer des personnages, mineurs ou importants, en train de baiser dans tous les coins.
Parce que rien n’affole autant une série historique que de faire perdre aux grands un peu de leur supposée élégance pour niquer au moindre prétexte, et de rendre aux petits un peu de pouvoir par l’entremise de quelques piécettes ; rien n’excite une série historique comme la perspective de parler des dessous pas très propres de l’Histoire ; rien n’émoustille une série historique comme la promesse de parler de luttes de pouvoir avec les fesses à l’air.

Dans le fond, c’est cela plus qu’autre chose qui m’a déçue devant Harlots. Si la série avait vraiment eu le courage de ses convictions, elle aurait proposé une série sur la prostitution sans sexe : ça, ç’aurait été osé, ça, ç’aurait été nouveau, ça, ç’aurait été unique. Dans le cas présent, l’impression de redite sur la forme est si persistante, que je ne suis pas sûre de pouvoir convoquer la patience nécessaire à guetter les petites étincelles de grâce au milieu des longues scènes de lubricité un rien gratuite. Pas totalement gratuite, bien-sûr : on a ses principes. Mais un peu quand même, si l’on veut être honnête…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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