Slippery slope

9 novembre 2019 à 20:37

Parce que je ne voulais pas lui faire de procès d’intention, j’ai regardé le premier épisode de Wir sind die Welle, la nouvelle série allemande de Netflix qui s’inspire, comme le film Die Welle avant elle, de l’expérience dite « troisième vague« . J’avais vu le film un bout de temps en arrière, ne l’avais pas trouvé ébouriffant, mais il avait au moins le mérite de prêter attention à l’expérience d’origine, et à en ancrer le propos dans la société allemande moderne volontairement.
Wir sind die Welle, en revanche… Ma foi, si l’action se déroule toujours en Allemagne, le propos a tellement été transformé que j’appréhendais vraiment le résultat. Bah j’ai pas été déçue dites donc.

Dans une petite ville (fictive) du nom de Meppersfeld, la vie n’a rien d’extraordinaire. Celle de Lea est même particulièrement dénuée d’éclat, alors que l’adolescente passe ses journées à jouer la petite fille modèle : bien travailler en classe, faire du tennis, être toujours gentille avec tout le monde, avoir un petit ami propre sur lui… Des activités qui font plus ou moins partie de la panoplie pour quelqu’un comme elle, née dans une famille aisée. Dans le lycée de la ville, elle côtoie sans vraiment leur parler d’autres ados bien différents, y compris dans sa classe, mais jusqu’à présent elle s’est contentée de vivre dans sa bulle sans trop prêter attention à autre chose que sa routine. Cela va changer avec l’arrivée d’un nouvel élève, Tristan, qui de par sa dégaine négligée autant que son intelligence aiguë, va immédiatement capter l’attention de Lea : il est peu attentif aux apparences, hautement instruit et politisé, et il a ce petit côté rebelle qui manque de bout en bout à la vie de la jeune fille. Et comme en plus elle a l’air de lui plaire, elle entre bien vite dans son sillon.
Elle n’est pas la seule : l’attitude de Tristan, et son don pour cerner rapidement ses interlocuteurs et emprunter leurs codes, va vite lui attirer d’autres amis. Rahim, un jeune garçon d’origine libanaise qui souffre de l’islamophobie ambiante à Meppersfeld ; Hagen, le fils de fermiers qu’une usine voisine a totalement ruinés ; ou encore Zazie, une artiste aux influences un peu goth persécutée par un groupe de filles de la classe. En encourageant leur rébellion envers les injustices, et en introduisant des idées politiques dans leur parcours individuel, Tristan va progressivement les motiver à s’organiser…

C’est donc le point de départ de Wir sind die Welle… Laissez-moi remonter mes manches pour qu’on parle de ce qui me défrise là-dedans, parce que c’est un gros morceau. Pourquoi le principe-même de la série me mettait mal à l’aise ? Et pourquoi ce sentiment s’est-il confirmé devant le visionnage du premier épisode ?

Parce que Wir sind die Welle commence en réalité sur une séquence dont je n’ai pas encore parlé : une jeune fille (dont on ne sait pas encore qu’elle s’appelle Lea ni quel type de personne elle est) aide un jeune homme (dont on comprendra ensuite qu’il s’agit de Tristan) à empoisonner une bouteille d’eau en plastique. Déguisée en serveuse, elle l’apporte ensuite à un homme politique en plein discours très à droite lors d’un événement public. Il s’effondre quelques minutes plus tard, sous le regard d’un groupe masqué dont on devine que Lea et Tristan font partie.
C’est ainsi que s’ouvre Wir sind die Welle et le propos n’a rien d’ambigu : il pose comme point de départ un geste extrême, violent, radical. Parce que nous ne savons pas qui sont ces deux adolescents, que nous ne connaissons pas leurs motifs (ils n’apparaissent, par déduction, qu’en écoutant le discours de leur cible), et que l’entreprise toute entière est menée de façon clandestine, il se dégage quelque chose de profondément négatif de leur démarche. Idéalement le spectateur réagit à la xénophobie contenue dans le discours prononcé sur scène, mais par les temps qui courent je n’irai pas jusqu’à dire que cela va de soi ; à côté, les « héros » de cette action ne tiennent pas de propos de fond : ils se content d’une attaque ciblant l’intégrité physique de quelqu’un. En somme, elle est difficile à soutenir. Ce que demande d’entrée de jeu Wir sind die Welle, c’est donc de juger les moyens mis en oeuvre comme s’ils résumaient la démarche de Lea et Tristan.
Le reste de l’épisode, d’ailleurs, n’en dira pas tellement plus explicitement puisqu’on aura droit à un retour en arrière sur leur rencontre, et celle de Tristan avec le reste des ados de Meppersfeld, c’est-à-dire qu’entre le moment où cet attentat est commis, et le moment où les personnages nous expliquent leur cheminement, il va se passer AU MOINS un épisode.
Cette mise en place me pose problème pour des questions chronologiques et idéologiques, donc. Mais ce n’est pas tout.

A l’origine, l’expérience de la « troisième vague », c’est une simulation grandeur nature organisée dans une institution américaine pour faire comprendre à des étudiants étasuniens comment le Nazisme a pu voir le jour et obtenir un tel pouvoir en Allemagne dans les années 30 et 40. Il s’agit d’un exercice pratique imaginé par un professeur : une mise en situation pour montrer à ses élèves que n’importe qui, dans les circonstances appropriées, pourrait tout-à-fait trouver le fascisme acceptable. Le film Die Welle, bien que transposant cette expérience à une salle de classe d’un lycée allemand (avec les particularités évidentes d’un tel contexte), reprenait donc assez fidèlement le concept de départ : proposer une mise en scène servant aussi de mise en garde.
Quelle est la mise en garde ici ? Pour le moment, au vu de ce que nous dit le premier épisode, il ne s’agit plus vraiment de fascisme mais de terrorisme. Et de terrorisme d’extrême gauche, a priori.
Je suis navrée mais quand je regarde autour de moi, j’ai pas franchement l’impression que ce soit un danger immédiat !

Tout au long de cet épisode introductif, j’ai attendu que Wir sind die Welle nous dise : « bon, ouais ces ados s’apprêtent à taper dur, mais enfin, regarder les dérives auxquelles ils font face, c’est un vrai danger ». Mais j’ai eu du mal à trouver quelque chose comme ça dans le propos de cette exposition. L’islamophobie à laquelle Rahim fait face (ainsi, fugitivement, qu’une femme voilée anonyme) n’est pas vraiment montrée comme différente des moqueries que subit Zazie de la part d’un groupe de filles, par exemple. En un sens, la violence des idées politiques derrière son harcèlement quotidien est minimisée ; ça nous prépare à quoi de présenter les choses comme ça ?
Et puis, en partie à cause de ce que nous savons après avoir vu la toute première séquence, nous avons que la rébellion des héros de Wir sind die Welle peut aller très loin dans la violence, d’autant qu’elle est motivée par un cheminement politique, et instinctivement, nous sommes placés dans une position de malaise voire de recul par rapport à cela. Sans compter que Tristan est, outre son intelligence et sa sociabilité, également montré comme un délinquant récidiviste (il vit dans une maison de correction, il organise un cambriolage, trois fois rien quoi).
Clairement, Wir sind die Welle veut nous demander jusqu’à quel point on peut lutter contre les injustices… tout en ayant déjà préparé sa réponse, semble-t-il. Le faire en s’inscrivant en plus, volontairement, dans le contexte de l’expérience de la « troisième vague », c’est vraiment prendre une position claire sur la question.

Alors je veux bien qu’il ne s’agisse que du premier épisode, et qu’il en reste cinq autres pour nuancer un peu cette mise en place. Mais je suis quand même profondément perturbée par ce qui se joue pour le moment en matière de message. Une part de moi se dit une fois de plus que toutes les séries ne sont pas obligées d’avoir les mêmes positions politiques que moi ; mais faire passer un homme politique xénophobe pour une victime et des lycéens gauchistes comme une menace grandissante, c’est quand même un autre degré. Sans compter que j’ai l’impression de devoir m’adresser ce type de rappel de plus en plus souvent et ça ne me rassure qu’à moitié.
Encore une fois, le fait que très ostensiblement, Wir sind die Welle revendique être influencée par l’expérience de la « troisième vague » (…de loin, de dos et dans le noir, quand même), ne fait qu’ajouter à mon inconfort. Ça va que cette première saison est courte, mais j’ai l’impression que je vais quand même la regarder à reculons, vu le démarrage.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

3 commentaires

  1. Mila ♥ dit :

    Moui… de base, la série ne m’intéressait pas particulièrement (essentiellement parce que j’avais peur qu’elle me sape autant le moral que le film, même si clairement, elle s’en éloigne finalement pas mal) et je ne me sens pas bien plus intéressée maintenant, donc je vais te laisser y aller (à reculons…) et je verrai bien si tu fais un 180° o.o … (moi dans le doute, je laisse mes amies prendre le risque d’abord, oui… je suis une lâche comme ça…)

  2. Manon dit :

    C’est bien dommage que la série passe totalement à côté d’une telle opportunité de réinventer l’expérience de la troisième vague dans notre contexte actuel… peu de recul et de réflexion pour un sujet assez important il me semble !

  3. Tiadeets dit :

    Ce que tu dis de la série me met tellement mal à l’aise. J’ai vu le film plusieurs fois et l’histoire en elle-même tient un propos éminemment politique. Ce que cette série en fait n’est pas seulement malaisant, c’est aussi complètement à l’encontre du propos de base. Faire de l’extrême-droite la victime et de l’extrême-gauche les méchants en plaçant le centre (inexistant là semble-t’il, mais présent comme troisième voie) comme seule alternative est ce qui nous a amené dans la situation actuelle de montée de l’extrême-droite.
    Je n’en attends pas beaucoup de Netflix en ce qui concerne propos de gauche, mais là quand même…

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