What happens in Vegas

5 février 2022 à 22:06

Il existe pas mal de séries étasuniennes ayant pour décor la ville de Las Vegas. Pas très étonnant, c’est le genre de ville dont l’existence repose presque totalement sur sa réputation en tant que Sin City, et une réputation comme celle-là, la popculture l’entretient autant qu’elle s’en repaît. Tout est excitant et sulfureux à propos de Las Vegas ! Et du coup on y va pour des choses excitantes et sulfureuses, et ainsi de suite.
Plusieurs de ces séries portent même le nom de la ville dans leur titre, sous diverses formes, et Vega$ est de celles-là. Son pilote est, vous l’aurez compris, ma review du jour.

Et au passage, c’est un vrai pilote ! Je sais que j’utilise indifféremment le même tag pour les pilotes et les premiers épisodes, mais là, promis, c’est un pilote : un téléfilm de 73 minutes diffusé au printemps 1978 (la première saison étant lancée à l’automne suivant), dans lequel un détective privé du nom de Dan Tanna travaille sur plusieurs affaires en même temps.
Sur le papier, je pourrais m’arrêter là. Vega$ n’est pas une série très compliquée, elle repose sur une formule assez classique, en particulier quand on connaît l’omniprésence des séries procédurales dans les grilles américaines des années 70, et en particulier vu son genre télévisuel assez codifié.

…Mais comme je me suis bien amusée devant cet épisode, je vais vous en dire un peu plus !

Dan Tanna correspond en de nombreux points à l’archétype du détective privé : c’est un homme déterminé, compétent, doté d’un solide sens de la répartie, et évidemment il a du succès avec les femmes. Où sont les détectives privés gays ? Bon, pas dans les séries des années 70, j’imagine, mais un reboot de Vega$ avec un homme gay fan de Liberace, ça serait extraordinaire. On en apprend assez peu sur son histoire, hors le fait que c’est un vétéran qui a fait le Vietnam, et qui a d’ailleurs gardé contact avec des membres de son unité qui apparaîtront au cours de l’épisode (« the place is bad, but the friends were good »). Mais la série établit que c’est quelqu’un qui a des principes, en tout cas : il refuse les affaires de divorce, par exemple ; il déclare aussi à la police tous les dommages matériels qu’il cause, et paie les dégâts (il a une ardoise au poste de police, du coup). Dans ce pilote, Tanna est contacté par les parents texans d’une jeune femme de 18 ans qui serait en fugue à Las Vegas, mais découvre rapidement que les choses ne sont pas si simples, et finit par rembourser ses clients afin de protéger la jeune femme. Il y a donc toutes sortes d’indices démontrant que Tanna est profondément moral, quand bien même ça ne l’empêche pas de tremper dans des milieux un peu moins recommandables que la moyenne. Mais bon, hein, c’est Sin City. Si on enlève les milieux peu recommandables, que reste-t-il ?

Le pilote de Vega$ suit donc cette affaire, qui a tous les attributs d’une intrigue de détective privé classique, et en parallèle, Tanna continue d’accepter d’autres jobs, qui servent d’intrigue secondaire. Celle-ci fait plus « couleur locale » : cette histoire ne pourrait se produire nulle part ailleurs, hors peut-être Atlantic City. Ainsi, il est chargé par un casino de surveiller un arnaqueur notoire, qui semble avoir trouvé une combine pour systématiquement décrocher le jackpot aux machines… sauf que personne ne comprend comment. Du coup, il n’y a aucun motif pour l’arrêter ! Et comme normalement c’est toujours la maison qui gagne, Tanna doit essayer de découvrir le fonctionnement du stratagème.

Dan Tanna est sans nul doute un personnage central solide ; Robert Urich l’interprète avec une malice évidente, mais sans jamais négliger de le rendre humain, voire vulnérable. En fait j’ai même été surprise de le voir glousser comme un adolescent après avoir passé une nuit torride avec une belle blonde, comme s’il ne parvenait pas à croire que cette vie soit la sienne. C’est à ce genre de petits détails (et quelques autres) qu’on se surprend à sourire avec affection devant certaines de ses réactions. En un sens, Tanna est la personnification du terme « cool » (un terme certes parfois galvaudé), avec son logement-garage, ses gadgets incroyables et sa décapotable colorée, mais il est aussi un peu plus que ça. Il y a une forme de dualité qui s’exprime ici à travers le personnage, mais qui en fait est emblématique de tout le pilote.

C’est justement ça qui m’a fascinée : le panachage omniprésent dans ce pilote. Vega$ se nourrit à deux mamelles, avec d’une part, le « folklore » moderne de Las Vegas, qui sied si bien aux années 70 ; et d’autre part, un héritage très net des films noirs, notamment dans le déroulé de certaines scènes, ou la fonction de détective solitaire elle-même.
J’imagine qu’à l’époque, les exécutives d’ABC se sont dit : « ah, bonne idée, une série moderne qui reprend les codes de vieux films en noir et blanc, ça va faire un super contraste ». Evidemment, aujourd’hui, le rendu est différent : pour nous, il y a moins de contraste entre le passé et le passé (quand bien même ce sont, ça va de soit, deux époques différentes). Certaines choses semblent kitsch, mais de façon diffuse ; d’autres ont perdu leur originalité parce que, ma foi, plusieurs décennies de fiction policière procédurale nous contemplent.

Tout en m’amusant des tours et détours des intrigues, ou de la façon dont Vega$ essaie de se distinguer légèrement d’autres séries similaires (Tanna a par exemple DEUX assistantes qui se relaient !), j’ai eu une pensée émue sur ce que cela dit de la façon dont les séries vieillissent. Elles sont toutes vouées à le faire, bien-sûr… même si certaines s’y attèlent plus vite que d’autres. Qui sait ce que les spectatrices de demain verront dans les séries qui nous semblent à la pointe de la modernité aujourd’hui ?
C’est sûrement encore plus vrai pour les séries de la trempe de Vega$ : des séries qui ne sont pas des bijoux, mais qui essaient d’exister malgré tout, par elles-mêmes, avec leur spécificités, leurs influences, leur idée de renversement d’un cliché… qui dans quelques décennies, seront souvent également devenues, à leur tour, des clichés aussi. Peut-être que certaines séries parmi les plus innovantes ne vieillissent pas ou faiblement, mais le gros du peloton, et à plus forte raison à l’ère de la Peak TV et des milliers de sorties hebdomadaires (chiffre ressenti…) des plateformes de streaming, beaucoup de séries ne sont pas destinées à bien vieillir. Ma foi, très souvent, elles ne sont pas conçues pour vieillir du tout, vu que la semaine prochaine une trentaine d’autres sortiront à leur tour…

Pourtant, il y a un charme indéniable qui se dégage de ce pilote de Vega$. Quelque chose d’à la fois cynique et sincère, que j’ai un peu de mal à m’expliquer. J’espère que certaines des séries d’aujourd’hui arriveront à dégager quelque chose comme cela…
De Vega$, pendant très longtemps, je ne connaissais que le générique (qui figurait sur une vieille compilation, que j’avais achetée quelque part au début des années 2000), je suis tombée par hasard sur ce pilote cette semaine, et me voilà soudain à me sentir très nostalgique, voire mélancolique ! Ça n’a pas de sens, mais bon, si tout devait avoir du sens…


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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