Hirondelles

23 octobre 2023 à 21:15

Printemps 1957. Comme des milliers de personnes avant elles, Leah, Chantrelle et Hosanna font le voyage depuis leur Jamaïque natale en direction du Royaume-Uni. Là-bas les attend le frère des deux premières, Aston, qui vit déjà sur place. Il pourrait potentiellement épouser Hosanna si elles se plaisent, mais elles ne se sont jamais rencontrées auparavant, ce sera la surprise. En fait, ce sera la surprise pour tout le monde, tant rien n’avait préparé les jeunes femmes à la vie en Europe. Chacune arrive avec des objectifs (Leah tente d’échapper à un mari violent, Chantrelle a trouvé un emploi de gouvernante dans une famille blanche et espère plus tard devenir actrice), mais la réalité est différente de ce qu’elles avaient imaginé.

Trigger warning : violences domestiques.

Cette année marque les 75 ans de l’arrivée du bateau HMT Empire Windrush, et donc de celle qui a été surnommée la Windrush generation. Je vous disais récemment qu’il était encore assez rare pour une série de s’intéresser à la perspectives d’immigrantes ; ITV nous offre depuis hier cette possibilité avec Three Little Birds.

Three Little Birds a toutes les apparences d’une… écoutez, je ne vois pas d’autre façon de le décrire que : toutes les apparences d’une série britannique sur les Britanniques. Quand la télévision américaine raconte l’Histoire américaine, on bombe le torse, la musique est épique, et on met des drapeaux partout où c’est possible ; quand la télévision britannique raconte l’Histoire britannique, ça a les apparences d’une fiction wholesome au possible. Pensez Call the Midwife ou The Durrells, vous voyez le genre ? Elles ont un cachet, ces séries-là, un truc qui dit : « je ne vais faire de mal à personne, être regardable par plusieurs générations, et je vais être très simple à comprendre. Avec moi, pas la peine de chercher le sens caché des intrigues ou des métaphores complexes, tout ce qu’il y a à savoir est parfaitement évident et plein de bons sentiments ». Même si par ailleurs, il peut aussi s’y raconter des choses dures.
Aussi, lorsque commence l’intrigue de Three Little Birds à bord du bateau qui emmène ses trois oiseaux en Grande-Bretagne, et même si l’on se doute qu’une fois sur place tout ne sera pas simple, les choses ont l’air assez idylliques. Leah, Chantrelle et Hosanna sont pleines d’espoir, un peu tiraillées par l’angoisse de ne pas savoir à quoi s’attendre, mais globalement positives. Leah, elle, est un peu plus inquiète que les autres, et l’on comprendra au fil de l’épisode pourquoi : elle a laissé ses trois enfants derrière elle, car elle veut établir une vie (et notamment trouver un emploi) avant de les faire venir. Fille de pasteur, Hosanna se demande un peu si Aston va lui plaire et si elle va lui plaire, mais comme on lui a promis qu’elle pourrait repartir en Jamaïque à tout moment et qu’elle aurait toujours une chaperonne à ses côtés dans l’intervalle, ce n’est qu’à moitié un soucis. Quant à Chantrelle, elle est résolument la plus optimiste des trois, a des rêves de gloire pleins la tête, et surtout, n’a qu’une hâte : adopter le train de vie britannique, dont elle pense qu’il sied mieux à ses attentes en matière de raffinement et de divertissement.

Sitôt posé le pied à quai, cependant, elles déchantent toutes les trois. Le personnel des douanes est peu accueillant, Aston n’a pas autant d’argent qu’il le prétend (et lui-même est un peu déçu que Hosanna ne soit pas très à son goût), et le trajet jusqu’à la destination de chacune va être long. Pire encore, pour la première nuit qu’elles passent sur le sol britannique, Aston n’a trouvé qu’une petite chambre à partager avec l’un de ses « amis », glauque et, donc, mixte. Hosanna est furieuse, et encore plus ulcérée quand l’ami en question organise une gigantesque fête avec du rock’n’roll.
Bref, ce n’est pas franchement un bon départ. Et le pire, c’est que rien ne va s’arranger, si bien que moins de 24h après leur arrivée, les trois oiseaux migrateurs se sont disputés et l’une d’elle passe même la nuit en prison pour avoir osé se plaindre à un policier blanc.
Plus l’épisode de Three Little Birds avance, plus il devient clair que derrière ses airs grand public, la série n’a pas vraiment envie de mâcher ses mots. Son histoire n’est pas celle de trois jeunes immigrées ayant fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais celle de trois femmes noires qui se sont pris le racisme en pleine gueule en arrivant. Ce qui ne veut pas dire qu’après ce premier épisode, aucun espoir n’est possible et que l’avenir sera nécessairement tragique ; par contre, il ne s’agit pas de passer rapidement sur la réaction exécrable des Britanniques. Il s’agit de l’étudier, et de la montrer du point de vue des victimes de ce racisme violent, ne donnant aucune chance à qui que ce soit de se trouver des excuses. En fait, dans le premier épisode de Three Little Birds, il n’y a pas de « gentille blanche », ça n’existe tout simplement pas ; et c’est légitime parce que s’il y avait effectivement une blanche qui serait gentille, bah ce serait normal et ce ne serait pas la peine de le montrer. Je ne dis ça pour personne en particulier, hein Ten Pound Poms. Oui, j’ai enfin regardé le premier épisode, et c’est vraiment pas glorieux.
Ce que la série veut dire, c’est, en des termes clairs, que le racisme rencontré par la génération Windrush n’était pas le fait d’une minorité de Britanniques. Et que quand bien même il l’aurait été, ça a quand même rendu la vie des personnes noires, et notamment des femmes noires, absolument infernale. Le créateur de la série, Lenny Henry, sait de quoi il parle : la série est inspirée par le parcours de sa propre mère, qui a immigré depuis la Jamaïque à la même époque. Accessoirement, il est aussi un acteur noir de la distribution de The Rings of Power. Vous vous souvenez comment ont été reçues les actrices noires de The Ring of Power l’an dernier ? Voilà.

A ce stade vous l’aurez compris, je ne suis pas nécessairement la meilleure personne pour continuer de vous parler de Three Little Birds. Donc faites-vous une faveur, regardez-la vous-mêmes, et parlez-en autour de vous. C’est curieux comme je n’avais pas beaucoup entendu de Three Little Birds avant son lancement… je ne dois pas être la seule.

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5 commentaires

  1. Mila dit :

    Encore une série dont je n’avais pas du tout entendu parler (mais en l’occurence, au moins, je suis pas la seule !)(mais c’est pas une bonne chose…) Et donc je sais jamais trop quoi commenter dans ce genre de cas, sinon que j’ai lu, que je suis contente d’avoir lu, et aussi, en l’occurence, que je vois *parfaitement* de quelle ambiance tu parles quand tu parles de « une série britannique sur les Britanniques » u_u

    • ladyteruki dit :

      Je te suis reconnaissante de quand même persister à commenter, même si je sens bien que pour toi ce n’est pas forcément facile.
      Et, hein ? On est d’accord, hein ? Les Britanniques prennent tout de suite un ton bien particulier pour parler d’elles-mêmes ! Je suis pas folle 😛 Pas sur ça en tout cas !

  2. JainaXF dit :

    Tiens, c’est marrant, je suis tombée dessus par hasard et j’ai vu le premier épisode que j’ai bien apprécié ! Et la représentation du racisme est effectivement glaçante (le passeport de Chanterelle !)… j’avais déjà vu ce thème abordé (d’une manière différente) dans « Small Island » il y a quelques années. Bref, une bonne surprise, je continuerai sûrement !

    • ladyteruki dit :

      Oui le pire dans le passeport de Chantrelle c’est que nous sommes les seules, pour le moment, à avoir perçu le danger. C’est d’ailleurs très intéressant la façon dont ce plan se déroule parce que la séquence continue avec les adieux dans le jardin, et il y a un truc dans l’air quand tu regardes les gosses courir, mais les protagonistes ne le perçoivent pas du tout. C’est hyper glaçant d’être dans la confidence comme ça.
      J’ai absolument pas vu Small Island ! Et confesse ne pas avoir entendu parler de cette série… mais du coup je vais voir si je peux mettre la main dessus, merci !

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