Y a-t-il une âme qui priera pour moi loin de New Nottingham ?

2 décembre 2023 à 17:30

Cet automne, Global lançait au Canada la série Robyn Hood, dont les esprits les plus affûtés parmi vous auront détecté qu’il s’agit d’une référence à Robin Hood, soit Robin des Bois. Bien vu.

Il s’agit en effet d’une transposition du personnage de folklore anglais au 21e siècle, dans laquelle les « Joyeux Compagnons » sont un groupe de jeunes racisées à la tête de laquelle on trouve Robyn, une rappeuse et militante qui vit à New Nottingham. Dans la série, elle habite dans les tours Sherwood, à l’angle de Sherwood street et Forest street. Ce quartier populaire est sévèrement réprimé par la police et notamment la shériffe de New Nottingham, qui agit principalement au nom d’intérêts privés, en particulier Monarch, la compagnie immobilière d’un certain John Prince (dont les bureaux sont basés sur Castle parkway). Heureusement, avec ses amies et complices, Robyn peut élaborer un plan d’action depuis Lionheart Hall, le centre communautaire de son quartier.
Voilà. Et tout est comme ça, supposé susciter un « I see what you did there » permanent.

Robyn Hood souffre d’un mal assez tragique : une bonne idée avec rien derrière.
C’est le genre de série qui se pitche bien : « what if Robin Hood, but hood ? ». Sur le papier c’est accrocheur, surtout pour des diffuseurs canadiens qui savent très bien qu’on va leur reprocher l’infinie blanchité de leurs grilles (à raison), et qui veulent prétendre faire un effort sans faire le travail de réflexion qui va avec. Or, le problème, c’est qu’après, eh bien, il faut exécuter cette idée super révolutionnaire. Et c’est là que le parpaing de la réalité entre en scène, avec d’autant plus de force que la tartelette aux fraises de la fiction est basée sur une histoire que tout le monde connaît. A quoi sert cette litanie de métaphores à peine voilées dans un épisode d’exposition, quand la plupart des spectatrices connaissent déjà tout ce qu’il y a à savoir, ou presque, de la situation ? A rien, désolée de ruiner le suspense. C’est lourd et redondant.

Il n’y a hélas pas grand’chose à attendre du « ou presque ». Il y a des choses que Robyn Hood, quand même, apporte de personnel à cette histoire plusieurs fois centenaire. Par exemple, John Prince a un fils, Chet, qui est un fils à papa riche mais qui se prend pour une racaille et un tombeur. Robyn a une petite sœur encore au lycée, et une mère qui est elle-même militante aussi ; son sort funeste sera ce qui motive Robyn à se battre contre Prince pour sauver le quartier de Sherwood, dont quelques minutes auparavant elle se moquait éperdument. Ou encore, il y a le triangle amoureux entre Robyn, son amour de jeunesse Little John tout juste revenu de l’armée, et l’avocate Marian Fitzwalter qui travaille pro bono pour les pauvres (car évidemment Robyn n’a pas simplement été gender swapped, elle est aussi bisexuelle). Sauf que chacun de ces ingrédients ne fait qu’alourdir encore le propos de la série au lieu de lui donner de la substance.
Les efforts désespérés de Robyn Hood pour avoir l’air d’être dans l’air du temps sont risibles. La façon dont parlent les personnages trahit son manque d’authenticité (au mieux, les protagonistes qui gravitent autour de Robyn s’expriment en memes…), les personnages méchants sont outrancièrement méchants (les flics lancent des « on est sur une propriété privée ici, on peut vous faire ce qu’on veut » une matraque à la main, John Prince parle ouvertement de faire tuer quelqu’un dans un appel téléphonique à la shériffe…), les gimmicks se succèdent (Friar Tuck est devenu un transhumaniste qui croit un jour pouvoir uploader sa conscience sur internet).
On ne peut rien prendre au sérieux tant la série n’a pas une once de subtilité, comme si elle voulait absolument affirmer aussi haut et fort que possible qu’elle est dans le coup. Ce qui, comme chacune sait, est le moyen le plus sûr de s’afficher comme étant has been.

Et puis, il faut parler de la forme de Robyn Hood, aussi. La série a été créée par le réalisateur « Director X » (non, ce n’est pas un alias d’Elongated Muskrat), qui est passé derrière la camera de quelques épisodes d’October Faction ou The Imperfects, mais qui est pour l’essentiel un réalisateur de clips musicaux. J’aimerais vous dire que ça se sent, mais même pas.
A tout prendre, la réalisation de Robyn Hood m’évoque plutôt ce que j’associe au style des séries d’action qui pullulaient dans les années 90 : un peu ridicule, un peu cheap, un peu idiot, mais pensant pouvoir camoufler ces défauts sous de la musique bruyante, quelques néons, et des références djeunz. Hasard ou coïncidence, la télévision canadienne était bien placée pour produire, co-produire ou simplement accueillir le tournage de ces séries à l’époque, et vraiment il est difficile d’ignorer la filiation ici.

Le pire ? Director X n’assume même pas vraiment la série qu’il a créée :

Director X says the show wasn’t written with any race in mind. Instead, they simply cast who felt right for the role.  “It’s an all-Black show but it’s not about being Black,” he says. “We have a social commentary built in — it’s rich versus poor … we have gay characters and Black characters and all this stuff. But it’s not what Robyn Hood is about. They just exist in this world, like we all exist in the normal world… It’s essentially a superhero show.”

Qu’est-ce c’est que ce charabia ? Mais mec, si tu veux monter une adaptation de Robin des Bois avec des personnes marginalisées de nos jours, bien-sûr qu’il y a des protagonistes noires et/ou gay et/ou « all this stuff » qui vont s’y trouver. Ya pas de honte à admettre que c’est la population qui appartient le plus souvent aux classes les plus modestes et opprimées de la société, et que tu l’a remarqué. Tu peux pas à la fois vouloir t’attaquer aux problèmes de notre monde, et en même temps prétendre que tu n’y as mis aucune intention particulière, genre c’est juste bien tombé.
En même temps, ça reflète bien le niveau de la série, avec une compréhension de surface de nombre de ses enjeux…

Et pourtant, je voulais quand même vous glisser un mot sur Robyn Hood avant que l’année ne finisse et qu’on ne l’oublie définitivement (car on va l’oublier définitivement, c’est certain). Parce que si son exécution est un échec (je pense n’avoir laissé aucune forme de suspense à ce sujet !), son existence elle-même, par contre, dit quelque chose. Elle dit que Global est un diffuseur sans scrupules, certes. Elle dit que Director X doit être tenu à distance de séries dignes de ce nom à l’avenir, aussi. Mais elle dit surtout que si une chaîne a pensé que ce truc, ce truc-là en particulier, avait une chance de faire des audiences décentes auprès d’un public jeune et « urbain », c’est qu’il se passe résolument quelque chose. Les spectatrices notamment Gen Z sont en demande de séries politisées, et les décideurs le savent. Ils ne savent juste pas forcément quoi en faire.
L’échec de Robyn Hood, au-delà de sa dégaine de « how do you do, fellow kids« , n’est pas d’être politique : c’est de ne pas aller loin dans son analyse politique. De ne pas vraiment exorciser les démons de son époque, de sa société, de sa cible. De ne pas comprendre que pour un public qui connaît la pauvreté et la violence, il y a un besoin de reconnaissance par la fiction qui ne peut être superficiel.
L’échec de Robyn Hood n’est pas son sujet, mais que celui-ci ait été placé entre des mains pas assez subversives. C’est plutôt bon signe, en un sens.

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2 commentaires

  1. Mila dit :

     » dont les esprits les plus affûtés parmi vous auront détecté qu’il s’agit d’une référence à Robin Hood, soit Robin des Bois.  » Mon esprit affûté did see what they did there ! Je suis si perspicace, tel le poulet ! *fierté*

    Bon, à côté de cela, c’est moins la joie. Je peux quasiment entendre les dialogues pas inspirés, et à te lire, l’intérêt principal de la série a l’air d’être simplement de voir « oh, c’est tel personnage/telle référence » ce qui… moui, j’ai pas spécialement l’envie.

    (Je commencer à rattraper petit à petit ma lecture, j’y vais tranquillement^^)

  2. Mila dit :

    (Oh et j’ai aussi À Nottingham dans la tête maintenant… je ne suis honnêtement pas fâchée)

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