La loi de Dakar

25 avril 2024 à 14:24

Après trois années passées en Asie loin d’un père avec lequel il s’est brouillé, Gabriel Thiam revient au Sénégal pour l’enterrer. Comme souvent dans ce genre de cas, la douleur d’avoir perdu un proche se double d’une nécessité de renouer avec tout un entourage forcément présent pour les funérailles. A commencer, bien-sûr, par sa mère Yvonne, à laquelle il n’avait plus trop donné de nouvelles, ou son cousin Bacar, dont il n’est plus autant proche qu’avant ; mais aussi son oncle, Racine, ancien ministre depuis devenu un haut fonctionnaire de l’Union africaine, ou son ex, l’avocate Lika, toutes deux venues à la cérémonie.
Toutefois, au-delà de la douleur et de l’inconfort des obsèques elles-mêmes, Gabriel commence aussi à se poser des questions quant aux circonstances du décès de son père.

Lex Africana est à la fois un thriller et une série d’action, et semble se doubler également d’un commentaire sur le développement du Sénégal voire plus largement de l’Afrique. C’est la dernière série originale en date de Canal+ Afrique, lancée il y a quelques jours. On la doit à un acteur, cascadeur, créateur et producteur, Seydina Baldé, qui semble avoir des idées très arrêtées sur ce qui fait une bonne série en 2024.

…Et ces idées, malgré les efforts de Canal+ Afrique en la matière, ne sont hélas pas toujours partagées dans la sphère africaine francophone ; Lex Africana est plus aboutie que plusieurs des séries de la chaîne. Le soin mis dans la réalisation, la photographie, les dialogues, ou encore la direction d’actrices, témoigne d’une ambition rare, et ce avec des moyens qui pourtant n’appraissent pas comme très différents d’autres productions originales de la chaîne cryptée en Afrique. Je peux naturellement me tromper, Canal+ Afrique n’ayant pas pour coutume de me donner accès à son budget fiction !
Cette ambition en traduit une autre : Lex Africana est résolument ancrée dans le contexte sénégalais, mais elle se rêve en série panafricaine voire même internationale, comme le montre le parcours international de son héros et ses références multiples à l’Asie mais aussi l’Europe. Il ne fait pas vraiment doute dans mon esprit en la voyant que ses efforts pour optimiser sa qualité objective ont été produits dans l’espoir d’exporter la série, ce qui est d’autant plus intéressant qu’elle est, au risque de me répéter, une série de Canal+ Afrique. C’est-à-dire que d’une part, elle est vouée à être diffusée dans plusieurs pays d’Afrique francophone quoi qu’il arrive… mais d’autre part, qu’au-delà de ce cadre, les séries de la chaîne connaissent rarement un sort international. Par exemple, ces séries ne sont jamais diffusées par Canal+ en France, où ça me fait suffisamment râler, ni en Pologne… et à ma connaissance pas au Myanmar non plus, où le groupe est également implanté.
Ce pari sera-t-il suivi d’effet ? Pour l’instant rien n’est moins sûr, mais en tout cas Lex Africana met autant de chances de son côté que possible, et c’est évident à la regarder.

Toutefois, je reconnais que j’aurais apprécié que la même intention préside au scénario. L’histoire telle que la présente ce premier épisode est pour le moins peu inspirée.
Gabriel est un architecte à succès mais qui a tenu ses distances avec ses proches (dont sa mère Yvonne et son cousin Bacar, donc), et qui se voit obligé par le deuil de revenir dans un lieu qui lui est douloureux à bien des égards. Il ne s’est pas réconcilié avec son père avant le décès de celui-ci, il a perdu le contact avec les autres membres de sa famille, et son ex est, il va bientôt s’en apercevoir, heureuse dans une nouvelle relation. Il n’a plus vraiment sa place en Afrique, et pourtant, il n’avait pas tellement plus sa place en Asie, où quelques flashbacks/cauchemars nous indiquent que Gabriel n’a pas connu la sérénité non plus, même si les détails de son traumatisme nous échappent pour le moment. Seydina Baldé campe un homme taciturne, cassé, éteint même ; qui n’aime pas parler de lui ou de sa vie au loin, mais qui n’a pas envie de trainer au Sénégal non plus. D’ailleurs, il n’a prévu que d’y passer quelques jours le temps d’enterrer son père, avant de repartir.
De toute façon, ce n’est pas grave si Lex Africana ne nous donne pas plus de détails dans cet épisode introductif. Tout ce que l’on a vraiment besoin de savoir sur lui, c’est que Gabriel est un homme tenace et un expert en arts martiaux ; c’est là où tout se joue. Aussi, lorsqu’il va commencer à se poser des questions sur l’accident de voiture qui a coûté sa vie à son père (un homme réputé pour sa prudence et sa sagesse !), il va commencer à affronter, au sens littéral, des ennemis violents. Cela ne va sûrement que le conforter dans l’idée qu’il y a anguille sous roche, et que cet accident n’en était pas vraiment un… Mais dans ce cas, qui a pu vouloir assassiner son père, un médecin respecté et ancien ministre de la Santé qui a tant fait pour le peuple sénégalais ?

Vous le voyez, l’histoire ne casse pas exactement trois pattes à un canard pour le moment. On voit arriver de loin certains aspects à venir de l’intrigue de Lex Africana dés cette introduction, qui suggère que le chaleureux oncle Racine a beau s’épandre en discours larmoyants à des funérailles (et être tout sourire lorsqu’il parle du développement radieux de l’Afrique), il ne dit peut-être pas toute la vérité ; ou bien que Razak, le criminel et trafiquant de drogue avec lequel Bacar travaille, trempe dans des choses bien plus complexes que le simple crime de rue. Ce qui serait surprenant, ce serait que Racine et Razak ne se connaissent pas, en fait ! Il y a une conspiration à l’oeuvre, et l’avenir de l’Afrique semble se construire sur la tombe du père de Gabriel Thiam, raison pour laquelle il va lui falloir se battre dans un garage ou une ruelle une fois de temps en temps.
Et c’est TRES dommage. Peut-être que ce sera l’oeuvre des épisodes suivants, ne perdons pas espoir. Cependant, je soupçonne que ce soit plutôt l’aspect dramatique (la relation de Gabriel à ses parents, notamment) qui soit mieux préparée par l’exposition, et plus à même de se développer. Sur l’angle plus politique, j’avoue que j’ai été un peu refroidie par cette mise en place qui ne cherche pas franchement à dire des choses que nous n’aurions déjà entendues. Je ne dis pas qu’une série d’action a besoin d’être nécessairement d’une complexité inouie, je dis juste que dans le cas de Lex Africana, qui a l’air si désireuse de rompre avec le business as usual, ç’aurait vraiment été mieux avec un scénario plus inspiré.
Toutefois, répétons-le quand même parce que ça mérite de l’être, ce premier épisode est ambitieux, bien fichu, et interprété avec beaucoup de sobriété. C’est déjà pas mal, surtout pour une série d’action !


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