Dipshits

26 avril 2024 à 17:35

Nous avons Parlement. La télévision suédoise a Dips, une comédie qui comme son nom le suggère se penche sur plusieurs employées des services diplomatiques. J’ignorais que les épisodes avaient été traduits jusqu’à ce que je découvre que les deux saisons ont été mise à disposition sur… bon, bref, on n’a pas besoin d’entrer dans les détails. …Mais pour toute question, vous savez où trouver mon compte Mastodon.
En tout cas j’ai sauté sur l’occasion pour tenter le premier épisode, et décider si je voulais voir les suivants.

La série démarre lorsque deux nouvelles stagiaires sont affectées au service protocolaire du ministère des Affaires étrangères suédois, sous la responsabilité de Mimmi Hamilton, jusque là l’unique agente dudit service. Il apparaît très rapidement que c’est un peu le placard pour elle, et du coup aussi pour ses stagiaires, le pistonné Jens Stråhle et l’incompétente Fanny Båtsman.
Ce jour-là, le ministère reçoit une délégation chinoise.

Alors on pourrait se dire qu’au service protocolaire, là où l’essentiel du travail consiste à s’assurer des conditions d’accueil des invitées du ministère, le risque pour ces trois-là de tout foirer est minime. Quel mal pourrait donc découler de badges mal imprimés ? En tout cas c’est clairement la raison pour laquelle ces zigotos ont ce job : leur impact sur les activités diplomatiques est microscopique.
Microscopique n’est pas zéro, hélas. Dés le premier épisode, Mimmi (qui bien-sûr fait genre elle a de l’expérience et de l’autorité alors que personne ne la prend au sérieux dans le reste des services) se plante, donne des consignes floues voire difficiles à exécuter à ses stagiaires (par exemple elle demande à Fanny d’aller chercher les épouses des dignitaires chinois à l’aéroport… alors que Fanny n’a pas le permis), et n’exécute aucun contrôle de leurs tâches (par exemple en laissant Jens choisir le cadeau diplomatique). Et cela donne les résultats qu’on peut espérer vu le niveau, forcément.
Si vous avez du mal avec l’embarras de seconde main, c’est sûr que je ne recommande pas le visionnage de Dips. On a là une comédie qui se régale de leurs bourdes et de l’humiliation qui s’en suit lorsque lesdites bourdes sont découvertes par des personnes extérieures au service protocolaire… ou, pire, lorsqu’elles en sont directement témoin.

Si l’on dépasse les bouffées de malaise, toutefois, il se dit aussi des choses dans Dips. Le commentaire sur les relations internationales de la Suède est cinglant et sans merci, même si évidemment la plupart des personnages de la série n’ont pas la compétence directe pour établir ce constat volontairement.
Cela se révèle par exemple dans les raisons-mêmes de la vue de la délégation chinoise. Le ministère des Affaires étrangères est en effet en train d’essayer de leur pitcher la vente du Mjölner, une bombe à fragmentation qui n’est plus utilisée par la Suède depuis qu’elle a ratifié une convention interdisant ce type d’armes. Mais dont, du coup, elle voudrait bien se débarrasser. Naturellement, cela pose quelques questions éthiques, vite balayées du revers de la main par la diplomatie suèdoise qui se fait forte de remarquer qu’on vend à la Chine des Mjölner vides, c’est-à-dire sans explosifs… donc du coup, on a les mains propres ! Et peu importe ce que les autorités chinoises (qu’on sait soucieuses de n’oppresser personne) en feront ensuite ; ça se trouve, les bombes à fragmentation seront utilisées pour distribuer des prospectus ! Qui peut dire ?
Vous le voyez, Dips ne fait pas de quartiers. Même si ses protagonistes n’ont pas la main sur les décisions ou même les négotiations, elles ne baignent pas moins dans le monde diplomatique. Elles sont trop stupides et/ou nombrilistes pour s’intéresser à ce qui se passe (sauf Fanny, qui en dépit du fait qu’elle ne sait strictement rien faire, semble sincèrement passionnée par la géopolitique), mais il n’empêche qu’elles font partie de ce système, à leur humble, très humble échelle.

Dips saupoudre son commentaire pendant tout l’épisode, pointant discrètement son nez dans le fond d’une scène où ce sont les clowneries de ses trois pitres qui sont supposées attirer notre attention. Cela signifie aussi que la série est truffée de références, et notamment de références à la vie politique suédoise ou à des personnalités dont nous, spectatrices francophones incultes, nous n’avons peu ou pas entendu parler (en tout cas, moi, j’ignorais l’existence de Dag Hammarskjöld, désolée).
Par exemple, un attaché diplomatique que connaît Mimmi a envoyé par erreur une dickpick à Barbro Holmberg ; ou bien les stagiaires sont invitées à ne pas déranger l’équipe qui travaille d’arrache-pied dans le département chargé de faire libérer Dawit Isaak (…et qui s’avère être un placard à balais), ou bien le ministre des Affaires étrangères cherche une entreprise suédoise à laquelle faire porter la responsabilité de la venue de la délégation chinoise devant la presse (« dites-leur que c’est pour Volvo »/ »On a déjà utilisé cette excuse »/ »D’accord, essayez… euh, Ericsson, ça marche à tous les coups »). Je vous avais prévenue, Dips (pour diplomates… ou pas) est sans pitié !

Dips est une série dont je n’avais en réalité découvert l’existence que par accident, en 2020, lorsque sont sorties trois autres séries sur le monde diplomatique scandinave et que je faisais mes recherches dessus.
…Et dont hélas je n’ai jamais trouvé de sous-titres pour les trois, ce qui persiste à m’empêcher de les comparer. Vous savez combien j’adore les comparaisons ! Ces trois séries sont la suédoise Ambassadören, la danoise Ambassadøren, et la norvégienne Ambassadøren… et à voir le matériel promotionnel, vous devinez combien la comparaison, ici, aurait du sens :

Les trois séries ont en effet été produites et proposées en parallèle par Viaplay, la plateforme nordique (dans laquelle Canal+ est en train de mettre ses billes à hauteur de 30%, au passage), et ç’aurait été vraiment intéressant de voir quelles nuances, notamment politiques, justifient une localisation pareille pour ces séries politiques.
Si vous savez comment regarder ces trois séries (pas juste une, pas juste deux, mais les trois), hit me up.

Dips ne fait clairement pas dans la nuance, en attendant. Cela signifie que je l’ai trouvée un peu usante à regarder. Je ne venais pas vraiment pour voir ce connard de Jens avec son complexe de supériorité ou Fanny passer de longues minutes à mettre la clé dans le contact du minibus du ministère, voyez. C’est bien dommage, en un sens, parce que le portrait méprisant que Dips fait du monde diplomatique suédois, fier d’afficher un progressisme de façade, a vraiment du mérite.


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