La vie en grand

27 avril 2024 à 23:54

« Here we go again« . Louise est assise, une fois de plus, devant son oncologiste, un bourdonnement terrifié dans les oreilles, attendant les résultats de ses dernières analyses. Elle n’est pas très optimiste, et qui le serait ? Après ces derniers mois passés à l’hôpital… Et pourtant, c’est la surprise : une bonne nouvelle. Elle est en rémission ! Et la vie peut enfin recommencer.
…Ou plutôt commencer parce que Louise, l’héroïne de Louise Lives Large, est encore une collégienne.

Rien ne me fait plus plaisir que de voir des séries pour la jeunesse s’essayer au réalisme plutôt que de parler à leurs spectatrices comme à des idiotes incapables de saisir des nuances. Louise Lives Large est à mettre au même plan que des séries comme la méconnue websérie américaine Zoe Valentine ou l’excellente série australienne First Day : on y présume que les adolescentes ont une vie intérieure, et que la complexité du monde ne leur est pas étrangère.
Les adolescentes sont des personnes ; les histoires qu’on leur racontent doivent se montrer à la hauteur de ce qui pourtant devrait être une évidence.

Louise apprend donc dans le premier épisode que tous ses tests sont bons, et qu’après une année chaotique, elle peut enfin retourner à l’école, retourner à sa vie.
Mais quelle vie, justement ? Les choses ne sont pas aussi simples une fois venue la rentrée. Pendant une année scolaire (plus les vacances d’été qui viennent de s’achever !), le monde a continuer de tourner sans elle. Sa meilleure amie Faith, par exemple, est devenu extrêmement populaire, et ne se déplace plus sans Hannah, sa groupie qui la suit partout ; elle n’a plus vraiment besoin de Louise, d’autant que pendant ces derniers mois elles ne se sont plus tellement parlé. Et puis, il y a pire : désormais, tout le monde traite Louise comme « celle qui a eu le cancer », et c’est une identité lourde à porter tout en étant déshumanisante. Tout ce qu’elle fait est vue à l’aune de sa supposée fragilité ou au contraire de son courage… quand ce n’est pas l’idée qui apparaît chez certaines que Louise utilise son histoire médicale pour se donner de l’importance.
Le retour à la vie normale n’en a donc que les apparences. La normalité a changé, et Louise doit s’adapter.

Par le plus grand des hasards, elle se rapproche lentement de Jess, la soeur jumelle de Rob, un garçon qui était un ami de Louise à l’école primaire, mais avec lequel elle avait perdu le contact avant même le cancer.
Jess a un peu une mauvaise réputation, et c’est vrai qu’elle n’a pas un caractère évident, toutefois elle a aussi encore un peu d’affection pour Louise. Mais surtout, Jess et Rob ont perdu leur mère (qui d’ailleurs était une amie proche de la mère de Louise) d’un cancer quelques années plus tôt, et sont au fait des réalités moins stéréotypées de la maladie. Progressivement, Louise et Jess partagent des rires et des confidences. C’est elle qui donne à Louise l’idée de se lancer dans une « anti-bucket list » : une liste de choses à faire non pas avant de mourir, mais parce qu’elle est en vie.
Louise Lives Large se donne pour cadre narratif cette fameuse liste, qu’épisode après épisode Louise imagine puis essaie de faire devenir réalité. Cela la pousse non seulement à dessiner les buts qu’elle se fixe (une opportunité d’être créative), mais aussi à se poser les bonnes questions. Qu’attend-elle de la vie, maintenant ? Dans le premier épisode, par exemple, Louise décide de sécher des cours… juste pour voir ! C’est le moment de faire des expériences, non ?

La façon dont Louise Lives Large emploie son sujet de départ pour raconter des histoires d’adolescence relativement universelles est vraiment brillante. Louise a, de toute évidence, un parcours bien spécifique ; mais comme Hannah de First Day, ses apprentissages bénéficient à toutes sortes de spectatrices.
Qui plus est, et c’est vraiment la grande force de la série, Louise Lives Large a l’excellente idée d’élargir ses intrigues à toute une galerie de personnages du même âge, mais aux préoccupations différentes. Ainsi, Jess et dans une moindre mesure Rob sont confrontées à la nouvelle petite-amie de leur père, et à la place qu’elle prend dans leur foyer et donc dans leurs vies. Jess est également en conflit avec Faith, et apparemment quelque chose a eu lieu pendant l’été qui donne une excuse à Faith pour harceler Jess. Une nouvelle élève, Daisy (mais que Jess surnomme « Tulip » !) débarque dans la classe, avec un secret : elle vit dans la partie de la ville où sont établies des familles voyageuses. Oísin découvre qu’il est un garçon qui plait, mais craint de n’être vu que comme un himbo alors que dans le même temps, il se prend de passion pour de nouvelles choses que personne ne prend au sérieux. Spud commence à penser aux filles, même si dans le même temps il a encore envie de faire le pitre. Hannah est prise dans l’ombre de Faith, qu’elle pensait admirer mais dont de plus en plus elle constate qu’elle peut être méchante. Rob a un faible pour Louise, mais n’ose trop rien dire. Pendant ce temps, Fiachra craque pour Rob, mais il a bien compris qu’il n’a aucune chance avec lui…
Les héroïnes de Louise Lives Large ont autour de 13 ou 14 ans, un moment de transitions s’il en est. Elles commencent à définir qui elles sont, mais le défi consiste à assumer d’être ces personnes face à des paires. Plus difficile encore que se construire : voir notre image se construire dans le regard des autres…

Louise Lives Large a vraiment bien cerné tout cela, et les intrigues se saisissent avec énergie de toutes les opportunités de dépeindre des moments maladroits, heureux, tristes, angoissants…
…Et elle le fait avec une intrigue feuilletonnante ! Je ne m’y attendais pas du tout, vu la formule de départ, mais force est de constater que Louise Lives Large ne se contente pas de faire du formulaïque. D’ailleurs, certains épisodes ne vont même pas vraiment s’intéresser à la fameuse « anti-bucket list« , préférant prendre au sérieux ce que traversent les protagonistes plutôt que d’insister sur des gimmicks. La série ne s’apesantit pas sur certaines choses, les intrigues vont vite, se résolvent parfois un peu simplement, mais l’essentiel est que les choses soient dites, et que l’opportunité soit donnée aux spectatrices de voir à l’écran des choses qui les touchent de près. Ce n’est pas superficiel, mais on n’est pas là pour faire dans la tragédie non plus !
Louise Lives Large imbrique tous ses ingrédients sans perdre un instant (n’est-ce pas, après tout, la leçon apprise par Louise !), en profitant pour toucher à toutes sortes de sujets et même, parfois, en gardant un oeil sur les adultes de son intrigue, qui ont également des préoccupations. Que ce soient deux profs qui se tournent autour, ou des parents dont les disputes deviennent de plus en plus inquiétantes, tout le monde traverse quelque chose qui mérite un peu d’attention scénaristique.

Des séries comme Louise Lives Large font vraiment plaisir à voir. Ce sont des fictions dont l’humour n’est pas absent, mais qui remplissent leur mission avec sérieux. Il faut dire qu’ils se sont mis à trois pays pour produire ces 8 épisodes : l’Irlande (où le tournage a eu lieu et dont la plupart des membres de la distribution sont originaires), le Canada et la Belgique ! Un trio qu’on trouve rarement à la tête de co-productions communes, mais qui a réussi à créer une petite perle méritant d’être vue. Et, très franchement, ça me fait chaud au coeur de penser que des ados de ces trois pays ont ou vont avoir accès à la saison 1 de Louise Lives Large… que j’espère ne pas être la dernière.


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