Elle a fait un bébé toute seule

10 juin 2022 à 20:05

Aujourd’hui je vais parler d’une romcom ; donc ne croyez pas un mot de ce que je m’apprête à dire.

Quiconque a lu quelques unes de mes reviews sait que, lorsqu’il s’agit de romance, je ne suis pas le meilleur public qui soit. Dans ce genre-là encore plus que dans la plupart des autres, les clichés m’agacent, l’impression de prévisibilité me crispe, et d’une façon générale je ne suis même pas sûre de souhaiter un happy ending à la plupart des personnages. D’ailleurs, la plupart du temps, je trouve les protagonistes de ces fictions soit ridicules, soit insupportables ; il arrive même que ce soit un peu des deux. Mon investissement émotionnel dans ces séries est à peu près le même que si je regardais un documentaire de 4 heures sur le procédé de fabrication du roquefort… et encore, je pense que tant qu’à parler de trucs pourris, je préfèrerais entendre parler de bouffe que de romance.
Mon avis est donc à prendre avec des pincettes. En fait, vous savez quoi, tenez les pincettes avec d’autres pincettes, c’est encore mieux. Pourtant, je n’y peux rien, il faut que je vous parle de Skruk, une romcom danoise que Netflix a lancée ce mois-ci. Il faut que j’évacue ça de mon système.

L’héroïne de Skruk (ou Baby Fever de son titre international) est Nana, une gynécologue spécialisée dans les questions de fertilité. Même si la série établit très tôt ses capacités professionnelles (elle a le plus grand taux de réussite de sa clinique), en revanche sur un plan personnel, le portrait est moins à son avantage. Par exemple, elle n’hésite pas à mentir à ses patientes pour leur donner l’impression qu’elle comprend ce par quoi elles passent, s’inventant des fécondations in vitro, des grossesses, et même des grossesses multiples selon les cas. Apparemment c’est beaucoup plus simple de leur donner cette illusion que si ça s’est bien passé pour elle, ça se passera pour ses patientes aussi… plutôt que de leur parler sincèrement. So relatable.
Quand la série commence, malgré ce qu’elles raconte aux patientes, Nana n’a pas d’enfant. Or, lorsque, par le plus grand des hasards (elle voulait tester une nouvelle machine d’examen, et quel meilleur cobaye qu’elle-même ?), elle découvre qu’il ne lui reste qu’environ 6 mois de fertilité, ça commence un peu à la chatouiller. D’autant que Nana, voyez-vous, est célibataire, alors trouver un partenaire avec lequel faire un bébé, et plus encore l’éduquer ensuite, ça ne va pas se produire du jour au lendemain.
Alors un soir, après avoir bu plus que de raison, elle s’insémine elle-même avec du sperme « emprunté ». Comme n’importe qui le ferait dans sa situation, faut-il croire. Elle a bien une pensée pour la dimension éthique de son acte, mais enfin, vaut mieux en prison avec un enfant que vivre libre sans enfant… je paraphrase à peine.

Si je connaissais pas Netflix, je soupçonnerais que Skruk représente une tentative un peu vulgaire (mais pas inédite pour la plateforme) de réemployer des ingrédients de séries au succès éprouvé, afin d’obtenir un mélange parfaitement calibré. Juana la Virgen et Hjem til Jul semblent en particulier s’être penchées sur le berceau de cette nouvelle production. Bon, la romcom à base de fécondation in vitro, on aura toutes vu le parallèle, mais pourquoi Hjem til Jul ? Eh bien, parce que la série norvégienne partage avec Skruk la même protagoniste antipathique, nombriliste, et méprisante, en fait, mais qu’elle est résolue à lui délivrer un happy ending quand même.
La façon dont au début de l’épisode Nana a envoyé bouler un type (avec lequel, de son propre aveu, elle avait eu un premier rendez-vous débouchant sur un bon coup, pourtant), juste parce qu’il l’invitait à dîner pour lui cuisiner les champignons qu’il a cueillis… il ne lui proposait même pas d’aller chercher les champignons avec elle ! C’est quoi ton problème ? C’est quand même pas de sa faute à ce pauvre gars si t’aimes rien.

Juste une fois je voudrais voir ces héroïnes finir malheureuses plutôt que récompensées par le scénario. Mais non. Evidemment que non.

A la place, voilà ce qui se passe dans Skruk : Mathias, un ex petit-ami que Nana a perdu de vue depuis des années, fait à nouveau irruption dans sa vie. Ou plutôt, elle le croise dans la cour de l’immeuble de la clinique… alors qu’il s’apprête à faire un virement en liquide à la banque du sperme. Comme ce gars lui manque, et surtout qu’elle vient d’apprendre pour sa fertilité déclinante, Nana entreprend, et j’espère que vous être assise… d’utiliser les données de la banque du sperme pour l’appeler (ce qui est, vous en conviendrez, très professionnel), d’obtenir un re-premier rendez-vous avec lui, et de lui demander quand il veut des enfants. Pas « si », mais « quand ». Forcément ça refroidit l’ambiance.
Quand elle en parle plus tard avec sa meilleure amie, l’aide-soignante Simone, les deux femmes décident de se murger, quelque chose de bien… et bien entendu de le faire à la clinique, parce que là encore c’est un comportement parfaitement professionnel (ça n’a même pas l’air d’être la première fois). Et du coup, quand un peu plus tard, Nana se retrouve ivre au dernier degré, elle décide de passer une tête à la banque du sperme voisine, au beau milieu de la nuit, pour s’octroyer le sperme de Mathias. Ya rien qui va.

Ya rien qui va, à plus forte raison parce qu’on sait parfaitement que cette insémination va la faire tomber enceinte. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas de série ! Nana ferait un test négatif, pousserait un soupir, et volerait sûrement le sperme de quelqu’un d’autre. En espérant que ce soit uniquement dans un frigo, parce que je la soupçonne du pire. Mais non, clairement Skruk veut forcer les interactions futures entre Nana et Mathias, vouées au moins temporairement au conflit certes, mais à terme, à une résolution à peu près positive. C’est déjà suffisamment déplorable quand c’est Mary Jane Paul qui vole du sperme dans sa cuisine et que le projet de maternité n’aboutit pas (au moins Being Mary Jane prenait la peine de critiquer le projet ainsi que d’en décortiquer les mécanismes), mais là il ne peut qu’aboutir. Je ne vois pas comment Skruk pourrait faire autrement.
Et, au pire, même si ça ne conduit pas les deux ex à raccrocher les wagons pour élever leur enfant ensemble, Nana a eu ce qu’elle voulait : un bébé. Donc elle aura quand même obtenu satisfaction. De la pire des façons.

Au nom de quoi ? Pourquoi, dramatiquement, ça a du sens de donner satisfaction à cette protagoniste ? Nana n’a fait preuve d’aucune qualité qui justifierait qu’elle obtienne ce qu’elle désire. Ou même la moitié de ce qu’elle désire. A ce stade, personnellement, j’espère juste qu’elle passera le reste de sa vie avec un bout de popcorn bloqué entre deux molaires.
D’ailleurs, avant de découvrir par accident son infertilité imminente, elle avait même dit à Simone qu’elle n’était pas sûre de vouloir un enfant ! Et là tout d’un coup, en 24h, c’est devenu urgent au point de violer le code déontologique et/ou la loi plusieurs fois ? Sans parler de, vous savez, le consentement de Mathias ? Pourquoi devrions-nous vouloir que Nana obtienne ce qu’elle veut ? Hélas, juste parce que la série a décidé que Nana était l’héroïne (et que potentiellement les spectatrices pouvaient se reconnaître dans son horloge biologique), on va lui donner gain de cause à un degré ou à un autre. Et on s’étonne que je m’agace.

Le pire c’est que je n’ai pas l’impression que Skruk, surtout avec ses épisodes d’une demi-heure qui ne lui en donnent pas le temps, interroge de façon intéressante le désir dévorant d’enfant et/ou les cliquetis implacables de l’horloge biologique. Même les cas que croise Nana sur son lieu de travail ne sont abordés qu’en surface (rien à voir avec, par exemple, ce qu’a pu faire Inconceivable, qui se voulait vraiment comme une série médicale sur la fertilité) ne nous disent pas grand’chose à ce sujet pour le moment. Il n’y a vraiment pas grand’chose à sauver dans ce premier épisode… et après tant souffert pour finir la première saison de Hjem til Jul (qui avait le même format), je n’ai aucune intention de risquer ma santé mentale juste dans l’espoir d’être contredite.
C’est pour ce genre de conneries que je préfère regarder regarder tout, sauf de la romance.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Pendant tout l’article, je ne pouvais m’empêcher de penser « quel pauv’ gamin ! » (Vraiment tu choisis les pires cas lorsqu’il s’agit de romcom xD, pour en regarder un certain nombre, il y a bien, bien mieux)

    • ladyteruki dit :

      Le pire c’est que ça fait depuis janvier/février que je bosse sur une review de romcom *que j’ai appréciée*, mais je m’en sors pas parce que j’ai pas les termes XD

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