C’est tous les remerciements que l’on a

11 novembre 2013 à 16:44

FocussurlesSeriesIsraeliennes-650

En ce 11 novembre où nous nous rappelons (bien que de façon un rien sélective) de notre histoire et des héros passés, regarder Nevelot prend une double signification.
J’avais déjà eu l’occasion de vous parler de cette mini-série il y a environ un an et demi, mais hélas à l’époque, c’était sans sous-titre ; le « Focus sur les séries israéliennes » de ce weekend permet de réparer cette faute, puisque les deux premiers épisodes étaient projetés. Nevelot est l’adaptation d’une nouvelle de l’auteur Yoram Kaniuk, décédé il y a quelques mois, et dont l’humour grinçant et le don d’observation de la société israélienne ont fait la renommée. En particulier, Kaniuk fut l’un des premiers à oser parler de la Shoah en des termes humoristiques dans son pays. J’avoue que bien qu’étant amatrice d’humour noir, je n’ai pas toujours trouvé Nevelot drôle, peut-être parce que je l’avais déjà vue une fois et plutôt prise au sérieux, peut-être pour d’autres motifs sur lesquels je reviendrai dans un article ultérieur.
En attendant, voici ma review du premier épisode (sur cinq) de Nevelot.

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Ephraïm et son ami Moshka sont aujourd’hui des retraités paisibles à la routine fade. Ephraïm, en particulier, qui est le narrateur de la série et son personnage central, pose sur son pays un regard acerbe alors qu’il compare la jeunesse d’aujourd’hui, décadente, sans-gêne, individualiste en somme, à sa propre jeunesse ; à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lui et Moshka s’étaient en effet enrôlés dans le Palmach, une force paramilitaire qui avait combattu lors de la guerre d’indépendance de 1948, et qui aidait également les réfugiés juifs qui avaient échappé aux camps à arriver en Israël (du moins, ce qui deviendrait Israël). Lorsqu’il repense à cette époque, Ephraïm tire une grande fierté de ce qu’il a fait à l’époque. Il est un héros de l’histoire de son pays, et il a pourtant beaucoup donné (et d’autres ont donné plus encore, comme leur instructeur qui a perdu un bras dans l’explosion d’une grenade). Il servait un idéal plus grand que lui.

Alors qu’un jour, comme chaque jour à vrai dire, ils passent leur après-midi au café, Ephraïm et Moshka observent, une fois de plus, la jeunesse israélienne qui se « pavane » devant eux, outrageusement libre et libérée, insouciante et fière, si fière de l’être. Moshka, une larme roulant sur sa joue, aura ce mot : « nevelot » ; les salauds, les charognards.
Mais leur contemplation amère sera interrompue par un accident : une petite vieille a été renversée par un chauffard. Jeune, comme par hasard ! Et cette petite vieille n’est pas n’importe qui : Ephraïm la reconnaît, c’est la belle Tamara, dont lui et Moshka étaient amoureux à l’époque du Palmach. Sans dire un mot à son ami, Ephraïm rend visite à Tamara à l’hôpital, mais apprend qu’elle est décédée ; il croise dans les couloirs une femme qui lui ressemble énormément, sa fille, éplorée et qui doit gérer les conséquences de cet accident.

Nevelot nous met ainsi en situation, à la fois en nous plongeant directement dans la psyché de son héros, un vieillard aigri et déçu par la jeune génération, et en interrompant la routine qui nous est décrite très tôt, avec cet évènement perturbateur. Mais cet évènement n’a rien d’un prétexte. Le flot de souvenirs qui remonte à la surface élime les derniers résidus de patience et de docilité d’Ephraïm. Soudain, la coupe est pleine. Il ne va plus rien pardonner. Ainsi, lorsque sa voisine du dessus organise une fête (« c’est la fête de l’Indépendance ce soir », lui explique-t-elle non sans le prendre de haut, « c’est le 4 Juillet ! », comme si l’Indépendance des USA avait plus d’importance que celle d’Israël), il décide de se rendre sur le toit de l’immeuble où se sont regroupés des dizaines de jeunes, de couper la musique, et même d’arracher le piercing d’un type qui l’énervait vraiment trop, le laissant le nez en sang.
Fuck this shit, semble-t-il se dire. Et effectivement, le point de non-retour va vite être atteint, lorsque Moshka et lui, boitillant jusqu’à la plage où ils essayent de se réconforter l’un l’autre sur l’état actuel de leur monde, croisent le chemin de jeunes juste un peu plus agressifs que d’habitude. La rencontre finit par un véritable massacre sur le sable.

Nevelot est dure, très dure. Mais elle ménage de temps à autres des répliques cyniques, plus légères, qui permettent ponctuellement de souffler. Un tout petit peu, hein : on est loin d’une dramédie à l’américaine. Mais tout est bon à prendre quand on voit le sujet.
En aménageant également des flashbacks plus nostalgiques, la série s’intéresse aussi à la jeunesse de ses héros. A la rencontre avec la belle Tamara ; à la façon dont fonctionnait l’unité du Palmach à laquelle Ephraïm et Moshka appartenaient ; comment leur commandante est devenue l’épouse d’Ephraïm, et bien plus encore. En filigrane de l’arrivée de Tamara en Israël, échouée sur la plage avec un bateau de réfugiés, et à laquelle est donné un nouveau nom, une nouvelle vie, c’est aussi le sort des rescapés de la Shoah que Nevelot aborde, même si c’est certes de très loin.

La série repose donc quasi-intégralement sur l’histoire israélienne et sur les blessures de la communauté juive, et pourtant, elle a quelque chose de terriblement universel.
Peut-être parce qu’en tant que spectatrice jeune, je porte un regard différent de ses personnages centraux sur la jeunesse d’aujourd’hui ; j’avais parfois envie de relativiser, de leur dire qu’il faut que jeunesse se passe. Les deux épisodes suivants, également projetés, me l’ont d’ailleurs parfois permis, en rappelant que même quand ils étaient jeunes, Ephraïm et Moshka aussi pensaient à leur bon plaisir, étaient parfois égoïstes eux aussi. Ils n’étaient pas entièrement voués corps et âme à servir un idéal, même s’il est clair qu’avoir quelque chose pour quoi se battre, perdre des proches dans ce combat, ou assister à certaines horreurs découlant de la Shoah, leur ont donné une perspective particulière sur le monde et sur leur pays. Mais ils n’étaient pas si respectueux de leur pays que ce que leur mémoire leur dicte.
Là où Moshka, dans un premier temps, agit comme la bonne conscience, le « bon petit vieux », docile et acceptant que désormais il faille baisser la tête devant la jeunesse arrogante qui leur a succédé, Ephraïm se pose comme un homme dont la colère a trouvé une excuse pour s’exprimer. Les deux vieux hommes, rompus à l’exercice de la mort, vont vite retrouver leurs marques, et laisser derrière eux une trainée de sang. Comme si toutes les limites, tous les interdits avaient sauté.

Nevelot ne se présente pas, pourtant, comme une leçon. Ni comme un avertissement d’une génération à une autre. C’est plus une fable sociale, presque un conte fantastique. L’omniprésence de la mort, son absurdité parfois, et le pessimisme ambiant, rappellent un peu Maupassant. Son image incroyable, sombre et si prompte à insuffler la peur dans un plan, rend le tout particulièrement oppressant.

La mini-série Nevelot a été remontée de façon à devenir également un long-métrage. Si je peux comprendre qu’il soit difficile, sur une chaîne de télévision française, de concevoir de proposer 5 heures de télévision dans pareil univers, je trouverais beaucoup moins excusable de refuser d’y passer moins de 2h. J’espère que donc que d’une façon ou d’une autre, il sera possible de voir la fin de Nevelot sous nos latitudes. L’histoire le mérite. L’Histoire aussi.

Je finis en vous donnant rendez-vous d’ici quelques jours, ici-même, afin d’en savoir plus sur Nevelot mais aussi BeTipul, car je vous réserve une petite surprise… Alors restez dans le coin !

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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