The Wide Wide West, introduction à l’Histoire du western télévisé

22 juin 2015 à 12:00

Le 24 juin prochain, c’est-à-dire pas plus tard que mercredi, ce sera l’anniversaire de la naissance de Hopalong Cassidy, la toute première série de western de la télévision américaine, et autant le dire : du monde. Alors cette semaine, j’ai eu envie d’aller faire un tour dans les grands espaces de l’Ouest américain, et de vous embarquer dans une incroyable expédition parmi les westerns nés aux USA.

Ils ont fait les beaux jours de la télévision jusque dans les années 60, formant le plus gros des grilles pour les networks (…mais pas que !), et pourtant on n’en parle jamais. Ou si peu. Il faut dire qu’ils se sont faits bien plus rares ces dernières années. Il nous manquait donc une bonne occasion de découvrir (ou, allez, redécouvrir ?) la variété incroyable de tons que permet le western, et de remonter la piste de son histoire aujourd’hui un peu perdue dans la poussière.

Eh bien cette semaine, on l’a notre opportunité, et je vous invite à chausser vos plus belles bottes à éperons, pour me suivre dans un périple qui va nous emmener dans quelques unes des plus grandes séries de western de la télévision US, en tâtant de plusieurs décennies. Tous les jours à midi et à 18h, je vous proposerai donc un article ou une review sur le sujet, ainsi que des fun facts assortis ! Vous m’avez bien lue, trois rendez-vous par jour. Ce ne sera pas de trop si on veut explorer l’immensité du genre…

Ouaip, parce que d’après mes calculs, si l’on se limite aux séries américaines, et en excluant les séries de guerre (portant sur la Guerre de Sécession, comme North and South, qui bien que se déroulant à l’époque appropriée ne relèvent pas du même genre) et les séries futuristes (sorry, Firefly !), on se retrouve avec autour de 200 séries et mini-séries différentes parmi lesquelles piocher. Autant vous le dire tout de suite, on ne fera vraiment pas le tour en… calcul mental… 21 articles cette semaine. Vraiment pas. Et je vous invite à vivre ces articles et reviews plus comme une porte entrebâillée qu’une présentation exhaustive.
Vous le voyez, on a de quoi faire. Alors, en selle ! La curiosité n’attend pas, et on commence immédiatement par se remettre dans le contexte en revisitant les débuts du western.

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I’m a rich lonesome cowboy

Et d’ailleurs il me faut commencer par une confession : Hopalong Cassidy n’est pas eeexactement la première série de western, c’est la première série live de western. Elle est en effet précédée par The Adventures of Cyclone Malone, en syndication, où le cowboy du nom de Cyclone Malone était une marionnette que ses fils ne gênaient pas pour affronter toutes sortes de méchants de l’Ouest, et sauver au passage sa bien-aimée Cozy Dumond.
Alors d’accord, une émission de marionnettes n’enlève rien au mérite qu’avait Hopalong Cassidy en lançant un genre à part entière à la télévision américaine, mais loin de n’être qu’une simple anecdote, cette précision quant à la véritable origine du western télévisé augure de plusieurs caractéristiques du genre, et en particulier, de sa cible : beaucoup des premiers westerns sont au départ destinés aux enfants.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, lorsque Hopalong Cassidy démarre en juin 1949, la série est très différentes des 28 nouvelles dont elle est tirée. Initialement créé par l’écrivain Clarence E. Mulford, le cowboy Bill Cassidy dit Hopalong est un personnage à l’attitude rustre et un peu effrayante, qui boit comme un trou et fume en permanence. Mais lorsque les premières adaptations sont filmées à partir de 1935 avec William Boyd dans le rôle principal, Hopalong devient plus courtois, ne boit pas (ou alors du jus de salsepareille), ne fume pas, et intervient quasi-uniquement pour protéger des innocents ; la recette prendra très vite et Boyd tournera pas moins de 66 films sur le personnage de Hoppie (le petit nom de Hopalong Cassidy auprès de ses fans).
L’acteur est en effet très investi dans ce rôle : c’est lui qui, rassemblant toute sa fortune en 1944, rachète les droits pour s’assurer que la suite de films n’est pas annulée après le départ du producteur Harry Sherman. Il persévèrera jusqu’en 1948 malgré des conditions financières de plus en plus difficiles. Lorsque la carrière au cinéma de Hopalong Cassidy semble sur la fin, William Boyd décide que la télévision est son prochain eldorado ; il rassemble une nouvelle fois des fonds pour racheter les droits des films antérieurs à 1944, de façon à se trouver en possession de la totalité d’entre eux, et les propose à NBC, alors un jeune network en pleine ascension. Remontés pour durer une heure, 52 de ces films donnent naissance à la série Hopalong Cassidy. Le succès est tel que Boyd se lance dans la production d’épisodes inédits, cette fois d’une demi-heure, tout en remontant le lot de films restants en épisodes d’une demi-heure également. Au total 52 épisodes de 30 minutes seront fournis à NBC, grâce à la société de production que William Boyd fonde pour cette occasion.
Mais le phénomène dépasse largement la télévision ; Hopalong Cassidy est également adaptée à la radio (une dynamique rare à une époque où c’est plutôt l’inverse !), les produits dérivés se multiplient notamment des cartes de collection, une bande-dessinée est créée, et finalement Hopalong fait son retour au cinéma, où Boyd s’arrange pour que ses vieux films ressortent. La série Hopalong Cassidy s’achève quant à elle en 1954, après avoir créé un véritable phénomène popculturel. William Boyd, vieillissant, estime que son image ne colle plus à celle du héros, et prend sa retraite, devenu plus que riche grâce au rôle de sa vie. Notons au passage que la première série live de western a aussi permis à l’un des premiers acteurs-producteurs de la télévision américaine de prendre le contrôle de son personnage et sa carrière, une position rarissime jusque récemment.

HopalongCassidy-650William Boyd dans le rôle qui a changé sa vie… et la télévision américaine.

Beaucoup de choses dans cette histoire inspirent le monde hollywoodien. Les produits dérivés sont l’une de ces choses ; Hopalong Cassidy a monnayé des droits d’utilisation auprès d’une centaine de compagnies différentes ! Les produits endossés par William Boyd étaient méticuleusement choisis (Boyd refusait d’associer l’image de Hoppie à des produits dangereux ou simplement inappropriés pour des enfants), mais rien n’oblige d’autres héros de western à être aussi sélectifs, après tout… et même s’ils le sont, ma foi, il y a pas mal d’argent à se faire, Hopalong Cassidy l’a prouvé. Après tout, on est en plein baby boom, et les enfants, ce n’est vraiment pas ce qui manque aux USA.
Alors tout le monde va, dés 1949, se jeter dans l’arène de rodéo (avec des résultats plus ou moins probants), à commencer par ABC qui, quelques mois après le lancement de Hopalong Cassidy, lance pas moins de deux projets : The Lone Ranger (banco ; il s’agira du tout premier véritable hit du network) et The Marshal of Gunsight Pass (flop ; annulé au bout d’une saison). Un an après le démarrage de Hopalong Cassidy, c’est au tour de CBS de prendre le taureau par les cornes et de lancer The Gene Autry Show (jackpot), talonné par la syndication où émerge une série en 1950, The Cisco Kid, bientôt suivie de trois autres l’année suivante.
The Lone Ranger et The Gene Autry Show sont particulièrement aimés du jeune public, et deviennent avec Hopalong Cassidy trois superpuissances du genre… et comme prévu, tout ce petit monde vend énormément de produits dérivés, dont des costumes de cowboy, des armes-jouets et des lunchboxes à n’en plus finir (Hopalong Cassidy figure sur la toute première lunchbox portant une image). Et que dire des sponsors ? Les premiers westerns font le bonheur de marques de pain, de céréales, de chewing gums…

A partir de là, tout le monde a déjà au moins UNE série de western qui fonctionne, et qui est pérenne, mais loin de se reposer sur leurs lauriers, les networks et la syndication (très active !) commandent au contraire toujours plus de séries : c’est l’emballement le plus total. Le début des années 50 représente une véritable ruée vers l’or, et ce pun est totalement intended.
Le nombre de séries diffusées simultanément croît en fait exponentiellement, et la télévision américaine est colonisée par les westerns, si bien que lorsque s’achève la saison 1954-1955, il y a déjà 11 séries du genre en cours de diffusion… sur seulement 3 networks plus la syndication. Vous imaginez l’effet d’envahissement (au pire, imaginez que les westerns sont des séries policières procédurales ; ah, vous voyez ?). Et pourtant, semaine après semaine, ce sont toujours des westerns qui enregistrent les meilleurs scores d’audience.

C’est précisément pendant cette saison que le rêve éveillé des exécutifs de la télévision américaine va devenir réalité. Davy Crockett, première série diffusée par ABC dans le cadre de l’émission Disneyland, est une mini-série dont les 5 épisodes sont totalement indépendants, et diffusés au compte-goutte pendant une année. L’acteur Fess Parker y incarne une version très édulcorée du véritable Davy Crockett, un homme politique mais surtout un homme de terrain et un soldat, mort pendant la bataille de Fort Alamo ; dans la série, l’épisode consacré à Alamo omet d’expliciter la mort de son héros, flirtant avec le mensonge par omission afin de préserver l’image d’un homme invincible (ce n’est d’ailleurs pas le dernier épisode de la série).
Et pour un coup d’essai, c’est un coup de maître : en un an, les Américains vont dépenser 300 millions de leurs dollars en produits dérivés Davy Crockett (environ 2,6 milliards aujourd’hui, si on tient compte de l’inflation), dont : la fameuse toque de trappeur en fourrure de raton-laveur, 14 millions de livres, et 4 millions de vinyles scandant la ballade de Davy Crockett. Si bien que Disney décide de remonter les épisodes pour sortir une version longue destinée aux salles obscures, permettant à la mini-série d’être montrée non seulement aux USA, mais en Europe et même au Japon.
Le succès de Davy Crockett et de ses produits dérivés aura un effet durable sur la façon de Disney d’envisager la télévision, encore palpable aujourd’hui (Zorro sera dans le même cas quelques années plus tard, et je ne parle même pas des séries modernes estampillées Disney).

Gun for hire, morals are extra

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Le Code du Cowboy selon l’attaché de presse de Gene Autry

Les westerns de la première moitié des années 50 répondent à peu près tous au même cahier des charges : leur héros est un homme très moral, conçu comme un modèle pour la jeunesse, et il évite la violence autant que possible.
La conséquence de cette image très propre du cowboy est que contrairement à certains westerns du cinéma, qui s’autorisent quelques variantes de plus, les séries de western perpétuent une image très idéalisée de l’époque. En fait, la communication autour de ces séries tente précisément de prouver que son héros est plus vertueux que celui des autres séries ! Le grand gagnant à ce petit jeu, c’est Gene Autry, qui commencera à énoncer ces préceptes dans sa série radiophonique, puis créera carrément le Code du Cowboy lorsqu’il connaîtra la gloire avec le Gene Autry Show. Ce code de conduite, publié dans la presse à l’intention de ses jeunes lecteurs, évoque la vie de cowboy sous un angle moral, comme le montre la coupure ci-contre… alors qu’à la base, le métier de cowboy est surtout celui de quelqu’un qui accompagne les convois de personnes, de bétail ou de marchandises et tire à vue quiconque se met en travers de sa paie.
Les autres cowboys de télévision essayent tous de se positionner de façon similaire, et très vite ; The Adventures of Wild Bill Hickok propose par exemple son propre code, dans lequel on retrouve les mêmes idées, mais simplement formulées différemment… et pas dans le même ordre.

Vous voulez parier sur quelque chose qui n’est pas idéalisé dans les westerns ? L’image des Mexicains et surtout, des Amérindiens, qui dépasse rarement le stade du stéréotype. Bien que n’étant pas les seuls « méchants » des séries western du moment, ils sont très caricaturaux ; hasard ou coïncidence (disons pas trop hasard, en fait), ils sont souvent incarnés par des acteurs blancs… le redface et le brownface ayant encore quelques belles années devant eux.

There’s a new sheriff in town

Contrairement aux apparences, les spectateurs américains n’ont encore rien vu. Et en septembre 1955, deux révolutions vont se produire au même moment, accentuant encore le phénomène du western télévisé.
L’automne est en effet devenu le moment pour de nombreuses chaînes de dégainer des nouveautés ; le système de saisons se met lentement en place dans l’industrie télévisuelle, et septembre/octobre 1955 est précisément la période où tout le monde s’accorde à dire qu’il est idéal de lancer des séries. Et ce mois-là, ces séries vont, comme par hasard, être pour beaucoup des westerns… portant le nombre de séries du genre en cours de diffusion à 21 dés le mois d’octobre 1955. Vingt. Et. Une. Est-il encore possible d’allumer une télévision sans tomber sur un western ? Il est permis de douter.

Cette arrivée en force n’est rendue possible que par un autre changement dans l’industrie : désormais, les westerns ne s’adressent plus forcément aux enfants. On doit ce basculement à deux networks, qui lancent des séries beaucoup plus sombres qu’à l’accoutumée, à quelques jours d’écart : The Life and Legend of Wyatt Earp chez ABC, puis Gunsmoke pour CBS, et enfin Cheyenne, à nouveau sur ABC (cette dernière étant aussi la toute première série produite par la Warner Bros.).

Gunsmoke-Title-650Gunsmoke, c’est pas pour les enfants.

Même si CBS a tablé sur une prise de risques minimale en adaptant une série radiophonique à succès, l’arrivée de Gunsmoke n’est pas un pari gagné d’avance : la version radio est très sombre, met en scène des dilemmes moraux, et s’embarrasse assez rarement de happy endings. Matt Dillon, le héros de Gunsmoke, n’a pas été conçu pour caresser le spectateur dans le sens du poil. Ses créateurs, Norman MacDonnell et John Meston, proposent initialement à la branche radiophonique de CBS un projet qui retranscrit la violence de l’Ouest… aussi bien envers les hommes qu’envers les femmes, ce qui est rarissime. C’est précisément la raison pour laquelle, lorsque CBS veut en faire une série, ils s’opposent au projet, craignant que le ton et le réalisme de la série ne soit perdu en route ; pas de chance, CBS n’attend pas leur bénédiction pour user de ses droits, et lance la série les samedis soirs en seconde partie de soirée.
Le network ne veut absolument pas atténuer le côté rude de la série, et s’adjoint pour son lancement un expert en westerns : John Wayne lui-même, qui introduit la diffusion du pilote en avertissant les spectateurs que c’est la seule série de western qui pourrait avoir son aval. A l’écran, il annonce à propos de Gunsmoke : « It’s honest, it’s adult, it’s realistic ». Et si ça vient de John Wayne… D’ailleurs dés le premier épisode, Matt Dillon se prend du plomb dans les côtes lors d’un duel qu’il ne gagne pas, histoire de bien poser l’ambiance. Ne vous inquiétez pas, on reviendra sur ce premier épisode au cours de cette semaine spéciale.

Gunsmoke finira par décrocher le record de la série la plus longue de l’Histoire télévisée américaine, avec un total de 635 épisodes dont la diffusion se tiendra sur 2 décennies. A partir de sa deuxième saison jusqu’en 1961, Gunsmoke devient l’une des séries préférées des Américains (et souvent LA préférée), mais la série commence lentement à perdre en popularité pendant les années 60. Elle n’est pas la seule.

How the west was won… and then lost

Après avoir connu l’apothéose pendant la saison 1958-1959, avec plusieurs dizaines de saisons en cours de production simultanément, le western commence sa lente descente vers les abysses. C’est justement en 1961 que les choses commencent à s’assombrir pour les cowboys de la télévision américaine : de moins en moins de séries sont lancées, et elles font de plus en plus rarement de vieux os. Sur les séries de western lancées pendant la saison 1961-1962, aucune n’est renouvelée, et certaines sont mêmes écourtées prématurément.

Alors pourquoi les westerns sont-ils tombés en disgrâce ? La saturation n’est qu’un facteur parmi d’autres, en fait.

Le premier, c’est que la lucrativité du genre laisse de plus en plus à désirer. On se rappelle que c’était là le cœur de l’attrait pour les westerns : l’appât du gain. Eh bien les coûts de production augmentent tellement que le rapport coût/bénéfice change dans les années 60, notamment à cause de la couleur, du passage au format une heure qui devient la norme… mais pas seulement. Ça va vous sembler tout bête, mais le prix de location et d’entretien des chevaux est en augmentation constante ! Et en plus, tourner avec des animaux devient de plus en plus compliqué maintenant que Hollywood est supposé ne pas les tuer sur les tournages ; la supervision des cascades et les assurances s’ajoutent donc aux coûts…
En outre, produire des westerns, ça implique d’être souvent en extérieur, donc de louer et/ou d’entretenir des ranchs de production énormes où se dressent des reconstitutions de villes entières. Dans les années 50 et au début des années 60, les networks ont énormément investi dans ces ranchs, mais ils commencent à s’y sentir à l’étroit : contrairement aux studios de centre-ville, ils ne sont pas polyvalents, et dans un ranch de télévision, on ne peut tourner à peu près que des westerns. Les investissements s’avérant de moins en moins rentables, les networks et les sociétés de production se tournent donc vers des projets moins onéreux, excluant de facto le western.
Quant à la syndication, elle a dû renoncer dans les années 60 à commander autant de westerns qu’auparavant, son fonctionnement ne lui permettant pas d’investir massivement dans la production en couleurs de séries tournées en extérieur. Le nombre de projets de western en syndication ne remontera jamais vraiment après cela, ou alors à la faveur de quelques tentatives de comédies (vite écourtées) ou pour des co-productions canadiennes.

Le deuxième, c’est que la société américaine est en train de changer, et que le western n’évolue pas dans la même direction qu’elle.
Même dans ses incarnations les plus adultes et les plus sombres (et elles se sont multipliées pendant la seconde moitié des années 50 et au tout début des années 60), les séries de western renvoient à une image passée de la grandeur des USA. Une image idyllique d’une grande nation d’aventuriers et de guerriers fiers de leur rapport aux armes, et qui fait mal au cœur des Américains alors que la guerre du Vietnam perdure et piétine. Et puis, la conquête de l’Ouest, avec ses dangers sauvages et ses Indiens menaçants ou ces militaires mexicains, ce n’est plus vraiment à l’ordre du jour alors que les gens s’installent en banlieue, et ont de plus en plus des emplois de bureau. Comment s’identifier aux messages que véhiculent ces séries ? Enfin, les valeurs auxquelles le western fait appel semblent désuètes, notamment dans les relations hommes-femmes, qui dans les westerns ne connaissent pas du tout la révolution sexuelle.

Troisièmement, il faut savoir qu’en parallèle, la violence de la télévision est de plus en plus interrogée, notamment par les hommes politiques. Newton N. Minow, nommé à la tête de la FCC (Federal Communications Commission) en 1961 par Kennedy, est le plus proéminent des détracteurs de cet univers télévisuel. En mai de cette année-là, il prononce devant la National Association of Broadcasters un discours où il ne mâche pas ses mots, et dont les termes-clé (« Keep your eyes glued to that set until the station signs off. I can assure you that what you will observe is a vast wasteland« ) restent dans les annales. Pendant ce discours et par la suite, il pointe du doigt en particulier les westerns, qui de par leur nature, et en raison de la compétition des networks pour offrir la série la plus « adulte » possible à la fin des années 50, comptent parmi les programmes violents les plus évidents.
Mais derrière sa colère, Minnow a aussi une compréhension du phénomène télévisé qui va plus loin : il sait que les chaînes du monde entier achètent des séries américaines, que ces fictions participent au soft power américain de la Guerre Froide, et il estime que les westerns font du tort à l’image des Américains : « What will the people of other countries think of us when they see our western badmen and good men punching each other in the jaw in between the shooting? (…) What will the Latin American or African child learn from out great communications industry? We cannot permit television in its present form to be our voice overseas« .
Pour finir, il menace les networks de leur retirer leur licence d’exploitation si des changements n’interviennent pas dans les grilles.

TheHighChaparral-650Les héros de The High Chaparral sont gentils, promis.

On ne saura jamais si la peine aurait été mise à exécution, parce que les networks se montrent rapidement frileux en matière de westerns, commandant toujours moins de projets pendant les années suivantes.
Mais il reste des westerns à la télévision américaine, bien-sûr. Simplement ils appartiennent à une nouvelle ère, qui montre combien les networks ont révisé leur copie : les nouveaux westerns se tournent vers le genre familial, créant de grandes sagas où l’action est reléguée au second plan. Désormais, ce sont des familles, des clans, des dynasties qui occupent l’écran, se lançant à la suite de Bonanza, comme The Big Valley ou The High Chaparral. Les networks en profitent pour s’intéresser à d’autres groupes de spectateurs, comme les femmes, ce qui donne par exemple la terrible et calamiteuse comédie romantique Here Come the Brides (oui, ça fait beaucoup de peine à dire, mais c’était conçu pour les femmes). Les tentatives d’arrondir les angles aboutissent aussi à l’émergence inédite de comédies de western, en single camera voire en multi-camera… donc en studio, faisant d’une pierre deux coups.
La décennie des sixties, bien que moins prolifique comparée à la précédente, permettra en tous cas des expérimentations de tons et de genres, qui se poursuivront jusque dans les années 70.

Et puis, en corollaire, il y a autre chose. Quelque chose d’encore flou, quelque chose d’encore en travaux… mais la société américaine est aussi en train de se demander si quelque part, les représentations des westerns à propos des personnes de couleur ne devraient pas évoluer.
On l’a dit, les Mexicains, les Amérindiens, mais aussi ponctuellement les Noirs (généralement des esclaves, ou des esclaves libérés), étaient montrés dans les westerns classiques de façon caricaturale, perpétuant des stéréotypes qui, dans les années 50, ne froissaient pas le public blanc, les producteurs blancs, les exécutifs blancs, ni les annonceurs blancs. Mais dans les années 60, la lutte pour les droits civiques prend une place croissante dans l’actualité, dans les discussions, et dans les esprits. Il est de plus en plus gênant de faire perdurer l’imagerie raciste des westerns classiques. Les voix des Afro-américains, notamment, se font de plus en plus entendre quant à la façon dont ils sont présentés à la télévision, que ce soit sur le problème du blackface, sur la reproduction de stéréotypes, sur le caractère révisionniste de certains mythes générés ou entretenus par les westerns, et ainsi de suite. Comme la télévision américaine ne sait encore pas trop comment gérer ces objections, il est plus simple de ne pas commander de séries à risques, et les westerns sont mis de côté pour simplifier la vie des décideurs.

TheRuralPurge-650« I’ll never forget you, Rural Purge. »

The Good, the Bad and the Cancelled

Au bout des années 60, les networks ont tout essayé, ou presque. Les westerns, ils en ont jusque là. Et puis, plus largement, ils en ont marre d’avoir cette image champêtre promue par tant de leurs séries qui se passent à la campagne ou dans un ranch, et qui ne correspond pas au public urbain et jeune de l’époque, pour ne rien dire des idéaux de l’Amérique pendant cette décennie. Eh oui : en 1969, toute l’Amérique ne parle que de décrocher la lune, et est tournée vers l’avenir ! Aussi les trois grands networks commencent-ils à se débarrasser de tout ce qui les gêne.

Surnommée la « Rural Purge » (la purge rurale, pour les moins anglophones de mes lecteurs), cette période correspond à trois années, entre 1969 et 1972, pendant lesquelles de nombreuses comédies bucoliques vont être annulées, pour être remplacées sans ménagement par des séries plus urbaines et contemporaines. La Rural Purge concerne avant tout les séries d’une demi-heure, les Green Acres, les Petticoat Junction, les Beverly Hillbillies : des séries qui ne sont pas des westerns, mais qui ont les mêmes problèmes d’image que ceux-ci dans une société où l’urbanisation domine. Et attention : ce n’est pas une question d’audience. Certaines de ces comédies sont fauchées en pleine gloire !
Bien que n’étant pas le seul concerné, le network CBS est au cœur de cette manœuvre après avoir, pendant des années, commandé toujours plus de séries se déroulant à la campagne et/ou dans le passé. Fred Silverman (qu’on dit être le premier exécutif à avoir grandi devant la télévision), un jeune cadre de 33 ans récemment promu à la tête de la programmation de CBS et s’appuyant sur les abondantes recherches menées par ses équipes et des consultants, n’hésite pas à trancher des têtes, saison après saison, pour faire place nette dans les grilles. Et évidemment, toutes ces séries annulées doivent bien être remplacées !
Les networks optent pour des séries plus sombres, et/ou s’attaquant à des sujets de société, permettant à des séries comme The Mary Tyler Moore Show, Maude ou All in the Family d’apparaître à la télévision américaine. Désormais, les séries doivent avoir quelque chose à dire sur les spectateurs qui les regardent, pas sur leurs grands-parents (ou pire, arrière-grands-parents !).

Vous le voyez, les westerns ne sont pas uniquement visés par la Rural Purge… mais ça ne les empêche pas de passer massivement à la trappe. Même des séries au long cours, comme The VirginianBonanza ou The High Chaparral, et qui semblaient ancrées pour toujours dans les tubes cathodiques américains, finissent par passer de vie à trépas. Les années qui suivent la Rural Purge sonnent aussi le glas pour les rares westerns qui y avait survécu, comme Gunsmoke qui s’achève en 1975.

Centennial-650Non, Centennial n’est pas tirée d’un roman d’Eric Jonrosh.

Pour aller plus loin…

Bien-sûr, la Rural Purge et sa traîne d’annulations de westerns n’est jamais totalement venue à bout du genre. Des westerns, il a continué d’en apparaître, quoique très irrégulièrement et rarement avec autant de succès que pendant la grande époque des dizaines de westerns par semaine. Les années 70 ont ainsi vu émerger Kung Fu, mélangeant western et arts martiaux ; La petite maison dans la prairie, drama familial par excellence (et sans suspense, héritière de Bonanza) ; ou à la fin de la décennie, Dallas, dont les intrigues sont fortement ancrées dans la culture western (et dont la dette, là encore, à Bonanza et sa suite de The Big Valley et autres, est immense).

Et puis, le western a toujours ses entrées à la télévision américaine grâce au goût cyclique des networks pour les mini-séries et autres séries évènement. C’est là la reconversion la plus spectaculaire du genre. Ces fictions de courte durée sont généralement l’occasion de rassembler une distribution pléthorique et prestigieuse, et de produire quelques heures de télévision plus chères, mais ambitieuses. C’est ainsi que naîtra la saga de Centennial, ou la suite de séries et mini-séries autour de l’univers de Lonesome Dove. On vivra l’émergence de séries de western pour femmes (sans traite) dans les années 90, grâce au succès de Dr Quinn, femme médecin, pour ensuite trouver même Angelina Jolie pré-Oscar dans True Women sur CBS aux côtés de Dana Delany et Annabeth Gish…

Finalement, c’est le câble qui s’est emparé du genre à partir de la seconde moitié des années 90, permettant des séries aussi diverses que Legend, Deadwood, Into the West ou When Calls the Heart. Non, le western n’est pas mort.

Cette semaine nous allons passer un peu plus de temps sur certaines de ces séries que sur d’autres. Il faudra en omettre, c’est sûr. Alors pour vous permettre d’apprécier l’Histoire du western télévisé, je vous ai préparé quelques documents pour vous aider à adopter une vue d’ensemble. Voici par exemple un tableau comportant TOUS les westerns de la télévision américaine (la timeline court du début de la télévision à nos jours), qui permet de visualiser à la fois la fréquence et la longueur des séries, mais aussi leur network d’origine. (cliquer pour télécharger)

2015-06-22 - Histoire des western TV - TableauNote : bien que visant l’exhaustivité, il est totalement possible que des séries manquent à l’appel. Oui, même avec 200 séries au compteur.

Quant à ce petit graphique, issu des données du tableau ci-dessus, il vous donne aussi une idée du nombre de séries en cours pendant cette même timeline. Étant donné que mon tableau couvre la totalité de l’Histoire télévisuelle américaine (fun fact : ça représente 834 mois), il a fallu serrer un peu. Ceci ne vous donnera donc pas le nombre de séries en cours de production à une date donnée, car l’exactitude est difficile à cette échelle, mais en tous cas cette représentation vous délivrera un récapitulatif visuel de ce qu’on a dit plus haut sur le volume de séries produites par décennie. (peut être TRÈS agrandi)
2015-06-22 - Histoire des western TV - Graphique

Et pour le reste ? Eh bien revenez à 18h, bien-sûr.

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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