Pliée, brisée, jetée

8 novembre 2015 à 15:49

Il faut quand même admettre que d’ordinaire, quand la télévision parle de danse, c’est généralement à un jeune public : on vend du rêve, des paillettes, de la future célébrité, du dépassement de soi à la grande rigueur, pas mal de numéros chorégraphiés et une bonne louche d’émois amoureux par-dessus. Voilà, ya pas de mystère. Je ne dis pas que ça ne peut pas être bien fait, au contraire, mais osons le dire, la danse, bien souvent, ça nous est présenté par la télévision comme de l’escapisme pour adolescentes : Dance Academy, Bunheads, et quelques autres, sont passées par là. Elles n’ont pas été nombreuses à passer, je vous l’accorde, mais elle avaient tout de même cela en commun.
Manquait donc une série qui porte sur l’univers de la danse un regard moins complaisant, et cette série est supposée être Flesh and Bone, qui démarre ce soir sur Starz.

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Flesh and Bone est très consciente de l’héritage qui est le sien. Tout au long de son premiers épisode, la série va ainsi tenter de déjouer les clichés dus à son « genre » (un bien grand mot vu qu’on n’a affaire qu’à une poignée de séries, certes), et de prouver qu’elle n’est pas là pour faire fantasmer sur le métier de ballerine, ni pour nous faire espérer un instant vivre le parcours de son personnage principal, Claire.
Plusieurs de ces tentatives sont réussies, il faut l’admettre. La série démarre ainsi sur une longue journée d’audition, mais nous ne verrons personne danser ; en fait, la scène pendant laquelle Claire tente d’impressionner le directeur de la compagnie new-yorkaise qu’elle veut intégrer se déroule entièrement avec l’héroïne hors-champs, la camera préférant se concentrer uniquement sur la perception de son travail par le directeur. C’est le genre de choses qui donne envie d’aimer Flesh and Bone, quand la série détaille pendant un long montage d’ennuyeux exercices, quand la série refuse de donner dans la facilité, quand la série joue des habitudes du spectateur (qui sont également prises via les séries musicales de façon plus large, où la performance est toujours montrée), quand la série s’attache à raconter son histoire plutôt qu’à payer une « taxe tutu » pour prouver qu’elle sait filmer une scène de ballet. L’objet de Flesh and Bone n’est pas vraiment la danse, et c’est sa garantie de sortir de l’escapisme.

Malheureusement Flesh and Bone n’évite pas tous les écueils, loin de là. Et dans sa hâte de prouver qu’elle n’est pas le genre de série qui va faire s’inscrire des milliers de petites filles à des cours de ballets cet hiver, elle oublie que d’autres clichés sont au moins aussi empoisonnés.
Le pilote va ainsi nous sortir toute une panoplie de personnages qui ne sortent absolument pas de la caricature, voire qui s’y enfoncent : le directeur de la compagnie gay qui n’est qu’ego, la première étoile hautaine qui se drogue, et ainsi de suite. Dans ce panorama où chacun est à sa place, Claire devient « la petite nouvelle très introvertie mais talentueuse », un rôle qui va vite trouver ses limites à force de la voir hésiter et balbutier à longueur d’épisode. Et si, de toute évidence, Flesh and Bone a l’ambition d’approfondir un peu plus la psychologie ou le background de son héroïne, les silhouettes qui l’entourent restent en revanche désespérément vides d’humanité, ou même du potentiel d’une humanité quelconque.
Les enjeux eux aussi sont particulièrement vus et revus : Claire est une future étoile que le directeur de la compagnie, ravis de sa découverte, veut propulser grâce à un programme original, mais pour cela il faut de l’argent et donc il faut convaincre le mécène de la troupe ; insérez ici une soirée de gala, de lourds sous-entendus sexuels, et des dents qui rayent le parquet de la salle de danse. Forcément, cela suscite des jalousies, à charge pour Claire d’essayer de les affronter du mieux qu’elle pourra et peut-être, si on a de la chance, d’en tirer une forme de character development.

Au bout d’une heure à ce rythme, non sans avoir passé de longues minutes dans un club de strip tease à reluquer un tatouage sous toutes les coutures parce qu’on est sur Starz, Flesh and Bone démontre qu’elle se contrefout complètement de créer quelque chose de dense, de complexe, de profond. L’attrait principal ici, de toute évidence, était de créer un Black Swan pour la télévision ; je n’ai pas spécialement aimé le film, je me trouve donc d’autant plus désemparée devant la série.
Étant donné l’intrigue familiale de Claire, j’aurais envie de poursuivre tout de même l’expérience, car le sujet de toute évidence m’intéresse. J’aurais envie de voir comment la relation de Claire à son frère et celle de Claire à son directeur vont évoluer côte-à-côte à l’écran ; mais c’est aussi précisément ce qui me retient, car il n’est rien de pire qu’une série se vautrant dans la facilité et le fanservice pour vous parler de maltraitances intrafamiliales et d’emprise.

Pour être sûre, j’ai revu le pilote de Flesh and Bones une seconde fois. Rien à faire, certaines choses qu’elle aborde me fascinent. Et rien à faire, je ne lui fais pas confiance pour les aborder dans les épisodes futurs.

Article également publié sur le blog officiel de Séries Mania.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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