Mésentente

27 avril 2017 à 22:00

Cela fait plusieurs années que je ne regarde même plus les séries de Ryan Murphy, ma politique étant qu’il y a bien assez de séries qui me rendent curieuse sans que je ne me coltine exprès des séries dont je sais très bien qu’elles ne me correspondent pas. Le ton « camp » assumé de son univers (…parle-t-on de Murphyverse le concernant ?) n’est clairement pas ma tasse de thé, quand bien même certaines problématiques soulevées, à l’occasion, par ses créations (je pense par exemple à Pretty Handsome, qui hélas n’a pas eu la chance d’être achetée au-delà de son pilote), peuvent avoir de la valeur. Quant à la solution de facilité qu’il s’est trouvée avec son concept « anthologique », j’ai un problème de principe avec elle ; en fait, j’ai même un problème avec l’idée d’appeler ça une anthologie, parce qu’historiquement ce n’est pas du tout ça, la définition d’une anthologie. Comme vous le voyez, Murphy et moi, on n’a pas grand’chose en commun.

Cette année, j’ai quand même fait un effort, en glissant un œil à FEUD voilà quelques semaines. Rien à faire, ce n’est pas pour moi.
Comme pour mieux enfoncer le clou, Séries Mania décidait de proposer les deux premiers épisodes de la série en guise de soirée de clôture ; je crois qu’à ce stade, je vais quand même me fendre d’une review. Mais vous êtes avertis, n’est-ce pas ?

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FEUD part de deux idées, l’une alléchante et l’autre bien moins.
Il s’agit de lancer une nouvelle « anthologie » (mouaif…) dans laquelle chaque saison revient sur une dispute célèbre ; un principe de départ qui colle parfaitement à l’amour démesuré de Ryan Murphy pour les conflits simplistes. Mais à l’occasion de cette « anthologie » (à d’autres), FEUD commence pour sa première saison par se pencher sur l’histoire du cinéma, et ça, je me disais que ça pouvait m’intéresser ; après tout j’aime bien les films sur l’histoire du cinéma (FEUD devait initialement en être un). Alors en série, je ne pouvais qu’être encore plus ravie, non ?
…Pas tellement. Parce que même si l’idée de revenir sur le tournage d’un film comme What Ever Happened to Baby Jane? (que j’ai d’ailleurs regardé après avoir vu le pilote de FEUD) ne manquait pas de mérite, encore une fois, le traitement dû aux caractéristiques du Murphyverse garantit une série superficielle, voire parfois en contradiction flagrante avec les thèmes que la série fait mine de soulever.

Reprenons : on est au début des années 60 et les rôles pour les femmes d’un certain âge sont rarissimes au cinéma (c’est toujours un problème aujourd’hui sur grand écran, moins sur le petit, et FEUD souligne bien cela).
Joan Crawford, désespérée de ne pouvoir relancer sa carrière d’actrice, décide donc d’être pro-active et de lancer elle-même un projet. Pour le mener à son terme, il lui faudra trouver un réalisateur, un producteur, et même une partenaire à l’écran : ce sera What Ever Happened to Baby Jane?, l’adaptation d’un roman du même nom dans lequel deux sœurs, anciennes stars du show business, se déchirent. C’est Bette Davis qui finit par endosser le rôle-titre, celui de la plus instable des deux sœurs. Mais loin de signifier que le plus dur est passé, l’arrivée de Davis dans le projet va entretenir la rivalité qui existe de longue date entre les deux actrices. Les bisbilles constantes de Crawford et Davis n’échappent pas, bien-sûr, aux tabloïds…

Dans la façon dont il tente de mettre en place l’intrigue, le premier épisode de FEUD fait mine de créer des parallèles avec le monde du cinéma d’aujourd’hui, et de lancer des interrogations sur des sujets sensibles tels que l’âgisme et la mysogynie de Hollywood, la manipulation du studio, ou encore la toxicité de la presse à scandales. La métaphore n’est qu’à peine voilée et ne trompe personne, mais la subtilité n’a jamais fait partie du répertoire de Murphy, après tout.

Les problèmes commencent lorsque FEUD, tiraillée entre l’envie de parler de quelque chose d’un peu substantiel (quand bien même il s’agit de Hollywood) et ses tendances camp, va à l’encontre de son objectif de départ, en dépeignant des personnages féminins caricaturaux. On a beau saupoudrer l’épisodes de séquences d’interviews pour un documentaire (où n’interviennent pour le moment que des femmes), histoire de se donner une contenance et faire mine d’analyser vaguement ce qui se déroule pendant le tournage, l’épisode passe quand même le plus clair de son temps à dépeindre Crawford et Davis comme deux mégères mesquines, toutes en ego, et bien décidées à pourrir l’autre pourvu de s’octroyer juste un peu plus de gloire.
Bref, ce FEUD nous ramène à tous les clichés sur les discordes entre femmes, passant beaucoup, beaucoup plus brièvement sur la façon dont les hommes, et notamment les hommes de pouvoir gravitant autour de What Ever Happened to Baby Jane?, entretiennent la situation (ça se décante un peu dans le deuxième épisode, mais ceci est une review de premier épisode).

Comme tout cela ne manque pas d’énergie, de performances grandiloquentes, et d’effets de manche, FEUD n’est bien-sûr par une série totalement honteuse. Le soin apporté à la recréation du tournage, et par la même occasion, du film What Ever Happened to Baby Jane?, est indéniable, par exemple. Mais la série n’accomplit pas du tout ce qu’elle prétend.
A force d’accumuler les scènes dans lesquelles les deux femmes s’opposent, généralement sur la base de trois fois rien, FEUD semble prendre plus de plaisir à détailler les petitesses de ses héroïnes qu’à décrier le système dans lequel elles évoluent. Ce qui devient le focus de la série, volontairement ou non, ce sont les différentes façons dont s’exprime leur haine réciproque ; c’est ce qui donne du corps à l’action, constitue les seules péripéties de FEUD. En reportant notre attention sur ces affrontements plus ou moins subtils entre deux femmes issues d’une époque où la détestation savait s’exprimer subtilement, la série nous incite à nous intéresser à l’expression détournée, pour ne pas dire sournoise, du conflit entre les héroïnes. Pas franchement de quoi quoi pavoiser…

Au final, FEUD fait ce que Ryan Murphy a toujours fait : s’emparer de sujets qui ne sont pas dénués d’intérêt ni de pertinence, mais en négliger la véritable signification et complexité, au profit d’une série bien produite, mais futile voire réductrice.
Peut-être qu’une prochaine saison de FEUD pourrait parler de ma mésentente avec Murphy, tiens.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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