Too good to be true

14 février 2020 à 20:52

Utopia Falls n’apparaît pas, au premier coup d’œil, comme profondément originale. Rien qu’à écouter son introduction, on ressent une forte impression de déjà vu. Jugez plutôt : dans le futur, des catastrophes et des guerres ont ravagé la Terre, jusqu’à ce que finalement la technologie ait flanché et la planète soit devenue inhabitable. Il ne subsiste plus qu’une colonie humaine, la dernière, appelée New Babyl. Le temps a passé et New Babyl est devenue, contre toute attente, une utopie prospère, grâce à quelques valeurs fondamentales inculquées à des générations d’habitants. D’abord et avant tout, le bien commun passe en premier ; et puis, chacun doit tenir sa place. La société est organisée autour de 4 secteurs définis (Nature, Progress, Industry et Reform, chacun avec un uniforme défini), et gouvernée par le Tribunal ; c’est parce que l’ordre des choses est préservé que tous peuvent vivre dans l’harmonie.
Dans cet univers, le plus grand honneur qui soit pour un adolescent est d’être sélectionné pour une compétition appelée l’Exemplar. Il s’agit d’un tournoi de danse auquel seuls les meilleurs peuvent participer, et un seul gagnant être choisi.
Oui non mais, je sais. Mais attendez.

« What if Divergent… but with dance ? » est certainement le pitch de série qui donne le moins confiance au monde, mais il est possible qu’Utopia Falls ait plus que ça à offrir. Conçue pour la plateforme de streaming canadienne CBC Gem (et proposée à l’international par Hulu), cette série de science-fiction camoufle dans un épisode d’exposition très conventionnel quelques promesses qui pourraient bien en faire une oeuvre tout-à-fait à part.

Je me demande régulièrement s’il serait possible d’écrire une série se déroulant dans une utopie.
D’abord parce que je crois que ce serait un exercice de style particulièrement satisfaisant. Même dans un monde parfait, les humains restent des humains, imparfaits et animés de passions diverses, et il me semble intéressant d’essayer de décrire des micro-conflits dans un monde qui ne génère que des choses positives à un niveau social et politique. A une époque c’était l’idée derrière la franchise Star Trek, mais je ne ressens pas cela en regardant Discovery ou Picard.
Et puis ensuite, voire surtout, parce que la fiction a un tel pouvoir que je crois qu’on a aussi besoin d’utopies. De fictions qui nous donnent de l’espoir. Qui nous donnent des choses positives à construire, pour nous-mêmes et pour nos communautés. Qui nous disent, au moins une fois de temps en temps, ce pour quoi aujourd’hui nombre d’entre nous se donnent du mal pour faire bouger les choses. Or, à l’heure actuelle, nous avons beaucoup de dystopies qui nous disent comment les choses pourraient tourner mal, ou qui, sur un mode métaphorique, nous invitent à regarder droit dans les yeux les dysfonctionnements actuels de nos sociétés. Ne vous méprenez pas : je crois qu’on a aussi besoin de ces séries… mais elles épuisent. Souvent on me parle de fictions « anxiogènes » et, même si j’ai du mal avec ce qualificatif notamment parce que je le trouve fourre-tout, il traduit une impression que les discours négatifs nous enlisent dans un point de vue sur le monde déprimant. Où sont les fictions qui nous disent ce qu’il y a au bout du tunnel ? Au lieu de dépeindre un futur où le sexisme est le même qu’aujourd’hui sinon pire, nous raconter un monde où le sexisme n’existe plus… parce que, j’ai beau nourrir des idéaux féministes, je n’arrive pas vraiment à imaginer à quoi ressemble un monde où mes propres idées ont « gagné ». Parfois j’aimerais bien avoir une série vers laquelle me retourner qui soit positive sans être dans l’escapisme, et une utopie semble être le genre tout trouvé… sauf que je n’en trouve pas.

Toutes les utopies de fiction que j’ai pu voir jusqu’à présent (dans les séries, mais aussi dans les films ; j’avoue n’être pas une grande lectrice alors il y a peut-être de meilleurs exemples en littérature) finissent en général par se révéler être des dystopies.
Vous vous souvenez de ce qu’on disait la semaine dernière à l’occasion d’Onisciente ? La dystopie est dans l’œil de celui qui regarde, et n’a pas pour vocation d’être visible à l’œil nu pour ceux qui y vivent. Utopia Falls est ce qui s’approche le plus d’une utopie parce que les gens qui vivent dans son univers sont dans l’ensemble satisfaits de la façon dont leur monde fonctionne. Les habitants de New Babyl semblent heureux parce que tout leur apparaît comme positif. La communauté avant l’individualité ? Bien. Chacun à sa place ? Parfait. Personne ne semble avoir de problème avec la façon dont les affaires sont conduites, il ne semble pas y avoir de perdant, et tous, même ceux qui vivent à Reform, nourrissent une forme de contentement permanent avec l’état de la société.

C’est bien entendu suspect pour nous. Et quelques rares indices dans ce premier épisode d’Utopia Falls nous mettent sur la piste d’une vérité qui est toute autre. Par exemple, il n’y a pas de survivants qu’à New Babyl…
Une dystopie ne prend forme que lorsqu’un ou plusieurs protagonistes prennent conscience des dessous pas très propres de leur utopie. Les dystopies partent du principe qu’une utopie est toujours trop belle pour être vraie, et c’est la vocation qui semble être celle d’Utopia Falls. Vers la fin du premier épisode les deux personnages principaux, Aliya5 et Bodhi2, font la découverte d’une archive secrète qui pourrait leur en dire plus sur l’art qui les fait vibrer… mais aussi plus largement, sur le monde dans lequel ils ont grandi.
Je ne veux pas trop vous en dire, et le pilote lui-même est encore dans l’allusion à ce stade, après avoir passé beaucoup de temps à faire de l’exposition pure (et assez peu subtile… les dialogues sont poussifs au possible, notamment). Toutefois, il ne peut pas être un hasard que la plupart des personnages importants de la série soient racisés (Aliya5 et Bodhi2 sont noirs, il y a également deux acteurs asiatiques et une actrice hispanique au casting), que la voix de l’intelligence artificielle de l’archive soit celle d’un homme noir (…qui n’est nul autre que Snoop Dogg lui-même !), et que les formes d’art visibles ou audibles à l’intérieur de l’archive se réfèrent à la culture afro-américaine (et, à première vue du moins, aucune autre), qui semble totalement inconnue à ces adolescents.

A voir ce seul épisode, il est un peu tôt pour en être certaine, mais Utopia Falls pourrait bien s’avérer être une série afro-futuriste !

Vous le voyez, on est devant une série de science-fiction qui a peut-être quelque chose dans sa manche qui n’a jamais été vu auparavant. Et du coup, tout l’aspect hyper conventionnel présenté dans le premier épisode d’Utopia Falls pourrait bien n’avoir été mis là que pour être mieux critiqué.
Bien-sûr, pour le savoir, il faudra regarder la totalité des 10 épisodes qui constituent la (première ?) saison de la série, et ça veut dire rester patiemment assis devant des intrigues vues cent fois (un triangle amoureux par exemple), en souffrant des dialogues insupportables de banalité délivrés sans grande nuance, et je ne parle même pas des scènes de chant/danse. Bon, clairement c’est une série pour ados d’abord et avant tout ; de ce fait, tout le monde n’y trouvera pas nécessairement son compte… mais je reste curieuse de savoir jusqu’où elle ira.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Je serais intéressée de savoir si ton intuition sur l’afrofuturisme de la série se trouve fondée. Ça me donnerait envie d’aller regarder la série, parce que sinon, c’est un peu trop du vu et revu pour moi.
    Je te suis totalement dans ton désir d’avoir plus d’utopie. On a besoin de projets de société positifs et la fiction est un très bon moyen de montrer en pratique à quoi ils pourraient ressembler.

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