America Corp.

17 novembre 2016 à 19:28

Dans le futur d’Incorporated, ce seront les intérêts des grandes entreprises qui détermineront qui a le droit de vivre et de mourir et, dans les deux cas, dans quelles conditions. C’est la rentabilité d’une personne, et donc implicitement son ambition, qui lui permettra de vivre dans un certain confort, certes relatif. Les prodigieuses avancées technologiques ne profiteront qu’à une minorité. Les populations pauvres seront abandonnées à elles-mêmes, au crime, à la violence, sans que les politiciens ne tentent même de leur prêter attention puisqu’ils n’auront plus vraiment de pouvoir face aux industriels riches et omnipotents. Et c’est sans parler des catastrophes écologiques et de la menace d’attentats.
Ce que la science-fiction va nous inventer, des fois, hein…!

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Le pilote d’Incorporated ? Comment vous le décrire… disons que si, un soir, dans un bar, un épisode de Black Mirror avait payé un verre à un épisode de Profit et qu’une chose en entrainant une autre, ils avaient passé la nuit ensemble (en dépit de leur différence d’âge !), Incorporated serait la conséquence de cette nuit de débauche 9 mois plus tard.

On trouve dans cette série de science-fiction un exercice constant de commentaire plus ou moins oblique sur la société d’aujourd’hui. Ce qui, je vous l’accorde, est la vocation des meilleures séries de science-fiction, sauf qu’Incorporated a un peu la main lourde pendant son exposition. Inutile d’être d’une finesse inégalée pour comprendre ce sur quoi l’épisode, et sûrement la série dans son ensemble, veut nous avertir ! D’autant que la compagnie dans laquelle le héros de la série travaille, SPIGA, ne camoufle en aucune façon les pratiques qui sont les siennes pour préserver la blancheur maculée de ses locaux, et la menace de violence est permanente. Apparemment en 2074, les « méchants » ne se fatiguent même plus à passer pour des figures bienveillantes ; au point que quand la compagnie vous licencie, c’est de façon très littérale que votre existence est mise en péril.
Et ça, c’est pour les travailleurs vivant dans les « green zones », ces ilots pavillonnaires où la vie semble douce (en dépit des rationnements alimentaires) et verdoyante et où un travail lucratif, dans un bureau feutré de SPIGA par exemple, attend quelques élus. Pour ceux qui ont le malheur de vivre dans les « red zones », les choses sont autrement plus difficiles, puisque lorsqu’ils ont la chance d’être employés par des résidents des green zones, ils sont marqués par un bracelet permettant leur fliquage systématique et rigoureux. Alors, oui, certes, ce n’est pas parce qu’ils jouissent d’une apparente liberté que les gens des green zones sont à l’abri, mais quand même, ça pourrait être largement pire.

Le héros d’Incorporated, c’est Ben, un homme marié qui semble avoir acquis un statut confortable au sein de SPIGA. Tout semble lui réussir : un emploi au siège, une épouse magnifique, une fantastique demeure dans la green zone de Stanford Mills. Au point que son couple a réussi à décrocher le sésame : une autorisation de procréer !
Mais les choses ne sont pas aussi simples, car Ben cache un lourd secret. Son ambition, contrairement à celle de tous ses collègues, n’est pas de progresser dans l’organigramme par pur amour de la progression sociale ou du profit, mais bien parce qu’il est issu d’une red zone, et qu’il s’appelle en réalité Aaron. Mais surtout, parce qu’il est à la recherche d’Elena, une jeune femme qui depuis 6 ans a disparu de sa vie. Les circonstances exactes sont un peu floues, et l’introduction d’Incorporated se limite pour le moment à quelques sous-entendus qui permettent de se faire vaguement une idée, mais sans plus. En tous cas, elle fait désormais partie d’un groupe de call girls travaillant dans un club réservé aux exécutifs de SPIGA, et Ben doit désormais progresser dans son organigramme s’il veut avoir un jour accès à elle… Et rien, vous entendez, rien ne l’empêchera d’être promu au 40e niveau du siège social de l’entreprise.

Incorporated, ce sera donc, vraisemblablement, cette quête de progression à tout prix, l’aventure secrète ou au moins dont il espère qu’elle va le rester, d’un outsider qui doit avoir l’air assimilé pour retourner le système à son avantage (ou plutôt, à l’avantage de la pauvre Elena, placée dans un frigo social). En cela, Incorporated a toutes les marques du corporate drama : ambition dévorante, rivalités plus ou moins amicales, jeux de pouvoir… Mais les enjeux sont supposément bien plus terribles du fait du contexte dystopique dans lequel ces intrigues se produisent.
Ce n’est pas exactement la parousie, soyons clairs : ce premier épisode enfile un nombre impressionnant de clichés, tous desservis plutôt que servis par le degré de raffinement technologique de la seconde moitié du 21e siècle. Il faut également admettre qu’en-dehors de Ben, dont le seul avantage est d’être tellement présent qu’il finit par acquérir un semblant de relief, les personnages sont d’une simplicité à faire peur, à la limite de la caricature, et encore, je dis « à la limite » uniquement parce que Julia Ormond investit à fond dans son rôle de PDGère surpuissante.

Évidemment on pourrait profiter du premier épisode d’Incorporated pour se poser toutes sortes de questions sur les phénomènes déjà présents au début du 21e siècle, et ce qu’ils laissent présager de notre avenir s’ils continuent d’empirer, tous autant qu’ils sont. Mais au stade de son épisode introductif, Incorporated ne s’y prête en fait pas vraiment, en fait. La série n’interroge rien, elle évolue juste dans cet univers et y place son intrigue (elle estime peut-être qu’on est suffisamment familiers avec les mécanismes de son univers ? ce serait lui prêter plus de finesse qu’elle n’en a). Soyons clairs : je suis tout-à-fait d’accord pour qu’une série se déroulant dans un monde dystopique ne s’attache pas forcément à détruire le système, ni même à en révéler une vérité cachée quelconque ; au contraire, je trouve ça bien plus fascinant, et unique d’ailleurs, de s’intéresser à des personnages qui imaginent que le monde qui les entoure, pour tout dysfonctionnel qu’il soit, va préserver le statu quo. Ce qui est gênant en revanche, c’est que finalement ce monde semble pour le moment juste servir de carte blanche à la série lorsqu’elle veut faire un choix : Ben veut se débarrasser de quelqu’un ? Facile ! Il existe précisément la technologie précise et le mécanisme interne de SPIGA qui vont l’y aider. Au-delà de ça, on ne ressent pas vraiment de vertige.
En outre, ses métaphores ne trompent personne. Ainsi dans le premier épisode d’Incorporated, les quartiers au-delà de la porte Sud sont clairement les villes mexicaines frontalières où les Américains profitent de la pauvreté, la débauche et l’absence de règles (cela nous renvoie au pilote de Trepalium, où les quartiers de chômeurs étaient une référence directe aux quartiers ghettoisés des banlieues). Un cliché qui ne trompe personne, et qui au prétexte de vouloir tenir un discours, se montre en fait particulièrement creux.

L’intrigue d’Incorporated pourrait fonctionner par la suite, bien-sûr. Peut-être qu’une fois l’univers posé, le côté prophétique aura l’occasion de se calmer, et la série aura l’occasion d’entamer une véritable discussion sur un élément de son choix, voire plusieurs. Dans l’intervalle on a quand même l’impression qu’Incorporated s’est allègrement servie dans divers genres populaires auprès d’une certaine catégorie de spectateurs (…et de critiques) sans vraiment mener une réflexion de fond sur ce qu’elle voulait dire, dépeindre, inspirer. Au bout d’une heure de prêche plus ou moins explicite sur les dangers de la corporatisation du monde, on a un peu le sentiment d’en avoir fait le tour.
Ce qui ne signifie pas qu’Incoporated est bonne à jeter, du tout. Mais derrière son budget vraisemblablement confortable et son intrigue centrale un peu classique, il n’y a rien à se mettre sous la dent ; hors production values, Incorporated a en somme pour le moment tous les attributs d’un thriller de type guilty pleasure, regardé sans déplaisir mais oublié promptement au bout d’une heure.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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