The villain of his own story

12 décembre 2023 à 21:15

Contrairement aux idées reçues (héritées d’une connaissance superficielle de Bollywood, généralement), les séries musicales sont plutôt rares en Inde. Pas inexistantes, mais rares. Il faut dire que, comme partout, produire des chansons originales épisode après épisode, ça a un coût… plus encore dans un pays qui a pendant jusque récemment les soaps comme l’alpha et l’omega de la fiction télévisée. Ça représenterait des centaines, voire des milliers de chansons !
Mais, depuis environ une décennie, les formats changent en Inde ; principalement grâce au boom des webséries, puis au nom de l’explosion des plateformes de streaming. Le fameux « lissage » des formats dont je vous parle si souvent a donc fait son œuvre en Inde aussi, et les séries plus courtes ont commencé à devenir plus courantes, avec des saisons à l’américaine. Et qui dit série plus courte, dit qu’il devient un peu plus faisable de se lancer dans une série musicale.

Chamak, lancée la semaine dernière par la plateforme Sony LIV, est un étonnant thriller musical. Son genre de prédilection ? Le rap, qui est la passion animant son héros, un trentenaire penjabi répondant au nom de Kaala. Le premier épisode fait plusieurs allusions au fait que « kaale » signifierait « foncé »/ »sombre », mais… je ne parle pas ni ne lis le penjabi et ai eu du mal à le vérifier, donc bon, prenez-le avec prudence. Mais l’histoire de Kaala ne commence pas dans le Penjab, non. Elle commence au Canada.

Lorsqu’il était encore enfant, Kaala est parti au Canada avec son père, et il n’a aucun souvenir des quelques années qu’il a passées en Inde.
Avec son père, la situation est tendue ; c’est un homme distant, qui a passé les années suivant leur émigration à bosser comme chauffeur routier et à ramener des coups d’un soir sans vraiment s’occuper de son fils. Celui-ci, seul petit garçon sikh dans son école, a en outre été la cible de harcèlement raciste. Finalement, quand nous le rencontrons, il est en prison : il purge une peine pour cambriolage, coups et blessures, possession d’armes illégales. Cela fait 6 mois qu’il est derrière les barreaux (harcelé par un prisonnier blanc raciste aussi, ne pouvant compter que sur le soutien d’un camarade noir), et apparemment il a déjà une chance de conditionnelle. Son dossier et ses propos ne l’aident pas vraiment à rassurer le jury qui écoute sa requête de remise en liberté… mais son rap, oui.
Il y a quelques jours, je disais à Mila sous l’une de ses videos du Calendrier de l’Avent que je suis peu à l’aise pour parler réalisation, ne possédant pas bien les outils théoriques pour le faire, et que du coup, bah, je n’en parle pas vraiment. Vaut mieux se taire et passer pour une conne, que l’ouvrir et le prouver. Je suis bien plus facilement réceptive à des questions de couleur, de lumière, de montage, alors que le cadrage, la composition… Bref, je suis assez facilement impressionnée ! Accessoirement je m’y connais encore moins en rap. Du coup, je ne vais rien dire… mais je vous conjure d’attendre environ 5min dans ce premier épisode de Chamak pour assister au rap de Kaala, une chanson autobiographique intitulée « Chal Uth Kaale ». Si ce passage ne vous séduit pas, rien ne le fera. C’est d’une efficacité redoutable, avec de vraiment bonnes idées pour produire à la fois un numéro musical réussi et une séquence d’exposition futée, et il n’y a absolument rien à jeter.

Résultat, ça marche : Kaala est relâché. Lorsque son ami Tidde vient le chercher à la sortie et l’aide à revenir à la vie normale, son premier réflexe est d’aller voir sa petite amie et d’aller lui demander de l’épouser. Manque de chance, elle est passée à autre chose, ou plutôt quelqu’un d’autre, bien-sûr. Et c’est là que Kaala nous révèle qu’il n’est pas un rappeur incompris (contrairement aux histoires qu’il se raconte), mais quelqu’un de profondément impulsif et violent. Après qu’il ait décalqué ce gars, il est donc obligé de prendre la fuite, surtout lorsqu’il s’avère que sa victime est le fils du shérif. Une fois de plus, Tidde le soutient : il organise l’évasion de Kaala pour qu’il puisse quitter le Canada et rejoindre l’Inde, où en théorie personne ne devrait aller le chercher.
Pendant ce volet, Chamak révèle que si, émotionnellement, la série est intéressée par le réalisme émotionnel lorsqu’il s’agit de ses personnages (et surtout son protagoniste central), en revanche, côté scénario, il faut parfois suspendre son incrédulité. Pour raconter l’histoire qui est la sienne, la série n’hésite pas parfois à prendre des raccourcis et adopter ce qui pourrait sembler être des facilités. L’échappée du Canada en est un excellent exemple, qui ressemble à une parodie de blockbuster américain où l’on surjoue un peu l’ennemi, les enjeux, les solutions. Peu importe.

Lorsqu’on admet de mettre la logique de côté, c’est un véritable régal que d’apprécier ce que le thriller raconte sur la personnalité de son héros, sur les histoires sur lesquelles il s’est bâti, sur ses oscillations entre les ténèbres et l’espoir. Derrière le thriller musical aux effets de style et de manche, se cache une série dramatique qui fait ce que les meilleures fictions dramatiques font de mieux.
A ma grande surprise (et mon grand soulagement, je l’admets), Chamak n’est pas l’histoire d’une fuite, c’est l’histoire d’un homme qui se trouve. Car l’histoire qu’il s’est toujours racontée, c’est que sa vie a comme commencé lorsqu’il est arrivé, enfant, au Canada, or, son histoire ne commence pas là. Elle a bel et bien commencé au Penjab, et une fois sur place, il va être confronté à tout cela. De sa mère, il n’a par exemple qu’une vieille photo, mais présenter celle-ci va ouvrir une boîte de Pandore… Chamak est en grande partie inspirée par le sort du chanteur Amar Singh Chamkila ; dans la série, le chanteur s’appelle Taara Singh, et il a été assassiné sur scène avec sa femme, un jour de 1999. Comment tous ces ingrédients s’imbriquent-ils ? Vraiment, je vous recommande de le découvrir par vous-même.

Ça fait un bout de temps maintenant que je veux mettre du temps de côté pour parler uniquement de séries indiennes pendant un moment. Une journée, une semaine, un mois (une année ?), peu importe la durée de ce moment. Juste prendre le temps de ne faire que ça histoire de vous parler des richesses de la télévision indienne, qui se surpasse depuis quelques années (en grande partie grâce au fameux « lissage » pour lequel dans n’importe quel autre pays je n’ai que du mépris). Mais vous savez bien comment c’est : il y a toujours beaucoup de choses qui se passent à la télévision mondiale, et je ne trouve jamais le temps de tout mettre de côté pour faire juste cela.
Et pourtant, quasiment (quasiment…) chaque série indienne que je vois ces dernières années mérite qu’on parle d’elle pendant des heures. Pas toutes, évidemment, mais, genre, au moins 90%, à vue de nez. Je tombe amoureuse plusieurs fois par an (et d’ailleurs j’en profite pour vous exhorter, si ce n’est fait, à regarder Sweet Kaaram Coffee) et le flot de bonnes séries ne s’arrête ja-mais. Chamak est de celle-là. Elle est énergique, passionnée, intelligente, tragique, multiple… Le nombre de choses qu’elle promet d’aborder relève de la folie : outre son personnage torturé, elle veut aborder l’industrie musicale (de véritables célébrités apparaissent d’ailleurs dans la série, comme pour la rap battle de ce premier épisode), parler politique… et elle veut le faire en émaillant ses épisodes de chansons ! Le pari est fou, mais le fait qu’une saison 2 soit d’ores et déjà en mouvement devrait rendre ces ambitions un peu moins hors d’atteinte qu’il n’y paraît.
J’ai passé mon après-midi à me demander : est-ce que je parle de Chamak maintenant, juste après avoir été foudroyée ? Ou est-ce que j’attends d’avoir du temps pour parler de toute la saison ? J’ai décidé qu’il était trop risqué d’attendre, surtout en cette fin d’année chargée… et qu’au pire, on en reparlera. Quand je l’aurais finie. Ou quand vous l’aurez commencée, tiens.

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2 commentaires

  1. Mila dit :

    Je suis dans cet article and I like it 😀

    Et du coup j’espère que tu vas en reparler quand tu auras fini la saison, aussi. Je suis allée voir la bande-annonce, parce que j’espérais qu’ils montreraient un extrait du rap dont tu parles (et a priori c’est le cas, à moins que ce soit une autre scène) et tout ce que j’ai entendu comme musique dans cette bande-annonce, je *o* (je suis du genre éloquente dans la vie)

  2. Mila dit :

    OK j’ai dégotté la série, pour quand j’aurai bouclé ce que j’ai en cours, et visiblement la scène de la bande-annonce n’est pas celle dont tu parlais… ENCORE MIEUX. Plus de scènes qui tuent.

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