Éthique justice

10 juin 2014 à 19:17

Place à Singapour ce soir, où j’ai décidé de traîner mes guêtres histoires de varier les plaisirs. Je vous parle ci-dessous d’un drama qui se déroule dans le monde du journalisme de télévision, posant des questions éthiques tout en se penchant sur une tentative de meurtre et même un peu de romance. Rafraîchissant, non ?
Place à la review du pilote de Wei Xiao Zheng Yi… ou Poetic Justice si vous voulez absolument utiliser son titre anglophone, ce que je vous autorise exceptionnellement à faire dans le cas présent étant donné que Singapour parle également l’anglais, et qu’il s’agit d’un des titres officiels. Vous pouvez d’ailleurs le voir sur l’affiche ci-dessous. Sinon, vous savez que la traduction de titres est interdite en ces lieux, pas vrai ? Qu’on soit clairs.

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Wei Xiao Zheng Yi démarre par une scène très touchante, quoique dénuée de tout contexte, pendant le journal de la mi-journée. On est le 31 décembre, et la journaliste annonce que c’est la dernière édition qu’elle présente, sans plus d’explication ; à partir du lendemain, une collègue prendra le relai, c’est tout. Tandis qu’elle revient à l’actualité, on a un aperçu des réactions à divers degrés de plusieurs groupes de spectateurs, apprenant la nouvelle devant leur télévision ou leur ordinateur, en direct. Tous semblent, à différents degrés, touchés par cette annonce. On palpe alors en moins d’une minute une très jolie atmosphère de nostalgie ambiante, démontrant combien la journaliste fait partie de leur vie.

Cette journaliste, c’est Liu Yanzhi, qui une fois le journal bouclé, fait ses adieux et retourne à sa voiture, ses affaires à la main. Mais dans le parking, elle est agressée par un groupe de 3 types louches, et finit par se vider de son sang entre deux voitures… et là, bien-sûr, générique.

Six mois plus tôt… oh oui, Wei Xiao Zheng Yi est le genre de série à vous faire le coup du « six mois plus tôt ». C’est juste un tout petit peu agaçant, mais admettons. Six mois plus tôt donc, le même journal est présenté par une dénommée Feng Luoling, star de la chaîne ; Yanzhi n’est, elle, qu’une simple journaliste de la rédaction, travaillant sur des sujets mineurs.
Luoling est admirée de tous : les journalistes de la rédaction la regardent hébétés tandis qu’elle présente les informations, le producteur du journal la couvre de compliments un rien obséquieux, et une chaîne concurrente convoite ses services. Il y a juste un truc qui ne passe pas : elle ne présente pas exactement les choses de façon objective ; l’édition que nous la voyons présenter aborde ainsi le cas d’un ex-taulard récidiviste, et bien que citant un sondage sur la questions où les avis sont partagés à 50%, Luoling éditorialise à l’antenne que les anciens condamnés devraient se demander ce qui dans leur comportement incite la plupart des gens à avoir à leur encontre une attitude négative. Si la chose semble passer au-dessus des têtes de tout le monde, Yanzhi, elle, fait remarquer aussi diplomatiquement que possible, en salle de rédaction, que la présentatrice vedette est ici hors de son rôle…

Il aura fallu une dizaine de minutes à Wei Xiao Zheng Yi pour signifier son thème : la déontologie. Ce n’est sûrement pas la phase d’introduction qui nous l’aura soufflé, s’orientant plus vers le thriller, et d’ailleurs le générique non plus puisque celui-ci montre exclusivement les quatre protagonistes principaux dans des situations romantiques (je vous laisse imaginer ma tête). C’est pourtant l’angle que va exploiter la majorité de l’épisode.
Comme beaucoup de séries, souvent asiatiques d’ailleurs, l’idée de départ est donc de parler de choses sérieuses… tout en les camouflant plus ou moins grossièrement derrière de la romance (dans ce premier épisode, l’amuuur sera une problématique de personnages masculins, d’ailleurs, fait suffisamment rare pour être souligné) et une intrigue en fil rouge plus ou moins prenante (l’agression de Yanzhi remplit ici ce rôle ; on ne l’abordera plus pendant le reste du pilote). L’intention est louable, et la technique permet sans aucun doute de toucher un public plus large.

Malheureusement, le scénario de Wei Xiao Zheng Yi manque un peu d’élasticité : on a très vite, d’un côté, la « bonne journaliste », Yanzhi, attachée à bien faire même sur des tâches mineures comme interviewer le patron d’une simple librairie, et de l’autre, la « mauvaise journaliste », Luoling donc, compétente certes… mais avec les dents qui rayent le parquet et le désir visible de chercher du spectacle, quitte à mettre des tiers en danger, afin d’obtenir des images considérées intéressantes, et se mettre en valeur. Toute une séquence (très mal réalisée d’ailleurs) va d’ailleurs consister à prouver que Luoling n’a pas de considération éthique et espère juste capter la scène choc pour son prochain journal, même si pour cela il est possible qu’elle ait un rien pipé les dés et poussé un ancien taulard à bout devant sa camera. Mais ce n’est même pas vraiment fait de façon mal intentionnée : elle est uniquement poussée par l’ambition journalistique.
Il n’est pas question ici de mauvaises personnes, mais de mauvaises pratiques, ce qui est une nuance intéressante bien que trop peu soulignée. Le fait que Yanzhi élève seule sa jeune nièce orpheline, et aide une vieille SDF renversée par une voiture, déséquilibre un peu la chose, montrant en tous cas qu’il y a des gentilles personnes avec de bonnes pratiques. En expliquant ensuite que l’ex-petit ami de Yanzhi a été condamné pour un crime (encore flou) qu’il dit n’avoir pas commis, Wei Xiao Zheng Yi pourrait s’éloigner de son manichéisme, mais ne parvient pas à s’exécuter sans faire passer son héroïne pour une victime (et une victime restée depuis célibataire, rendez-vous compte), plutôt qu’en démontrant qu’elle est, elle aussi, partiale sur la question évoquée.

Clairement, Wei Xiao Zheng Yi veut nous parler de cette histoire d’ex-condamnés et de réinsertion : la fin du pilote le démontre. On y trouve en effet une nouvelle scène très mal réalisée, où le surjeu a toute sa place, et dans laquelle un ancien taulard qui a eu toutes les peines du monde à décrocher un boulot de serveur se trouve acculé par un patron convaincu que son employé lui causera des maux. Yanzhi, à la fois témoin (elle est dans le café à ce moment-là) et partie (le serveur en question est le père de la meilleure amie de sa nièce ; vous suivez toujours ?), va être impliquée dans la séquence de conflit qui s’en suit, et qui sert de contrepoint à la séquence avec Luoling. Le résultat n’est pas de la plus grande subtilité, mais Wei Xiao Zheng Yi a dit ce qu’elle avait à dire.

Il faut voir ensuite comment les épisodes suivants s’articuleront à la fois autour de la question déontologique, et de la question apparemment vitale à l’intrigue de la réinsertion, tout en laissant une place suffisante à la romance pour ne pas perdre des points auprès du public le plus large possible. Wei Xiao Zheng Yi fait des choix étonnants, et ajouter là-dessus cette histoire de retour six mois en arrière fait un peu overkill.
Il y a clairement de bonnes idées dans ce premier épisode, mais il y a aussi une écriture trop peu fine sur les passages qui comptent, et une réalisation lourde au possible dés qu’il y a autre chose que de simples dialogues. Sur une échelle allant d’une teleserye philippine à un drama japonais de WOWOW, où évidemment la fiction câblée nippone représente la note maximum, on est quelque part entre la série philippine et la romcom sud-coréenne dans ce qu’elle aura de moins fin, pour vous donner une idée. Ça se regarde, hein, mais encore faut-il être sûr de n’être pas rebuté par ce genre de choses ; par exemple je ne recommanderais pas à un spectateur occidental de faire de Wei Xiao Zheng Yi sa première fiction asiatique. Même si les sujets sérieux qu’elle aborde sont a priori attirants. Considérez-vous prévenus…

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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