Bois tendre

22 mai 2021 à 23:09

La télévision du Ramadan, ce n’est pas que dans le monde arabophone que ça se passe ! En Indonésie, le mois sacré était également l’occasion d’audiences hors du commun, et donc d’une programmation exceptionnelle. Pas très étonnant pour un pays qui compte la plus importante population musulmane au monde (225 millions d’âmes environ), mais cela n’est pas toujours tombé sous le sens. Cela ne fait que depuis 1998 (après la chute de Suharto) que les chaînes indonésiennes ont commencé à investir ce mois, et proposer des fictions spécifiquement commandées pour le public musulman.
Outre le fait qu’elle est récente, il y a plusieurs autres raisons pour lesquelles la fiction indonésienne du Ramadan reste méconnue : déjà, la télévision indonésienne n’est pas très riche (surtout comparée à des géants de l’industrie TV du Ramadan comme l’Egypte), et surtout, elle est tournée en Indonésien, et ne partage donc pas un socle linguistique comme cela peut être le cas dans le MENA.

Même si cette tradition n’a donc qu’une vingtaine d’années, et qu’elle a moins de reconnaissance internationale que pour d’autre séries du Ramadan, le sinetron du mois sacré s’étend déjà à la VOD. Personne n’y échappe, la plupart des traditions télévisuelles du monde sont en train de faire cette transition. Cette année, les plateformes iflix et WeTV (cette dernière étant la version internationale de la plateforme chinoise Tencent) proposaient ainsi un partenariat : Ustad Milenial, soit The Millennial Preacher. Ce serait la série la plus chère commandée par WeTV à ce jour, même ! Mais bon, les exécutifs passent leur temps à éviter la question, en disant des trucs genre « oui c’est notre série la plus chère, en cela que son message est d’une valeur inestimable », oh puh-lease, à d’autres.
Au vu de son titre et sa diffusion, une série indubitablement religieuse, donc. Et en même temps, pas tant que ça.

Ahmad a toujours rêvé de devenir un ustad, depuis sa plus tendre enfance. A l’adolescence il a réussi à intégrer un pesantren, et désormais il tente de rejoindre un programme international lui permettant d’éduquer le Coran au Caire. Une chance inespérée pour ce fils de menuisier, issu d’une petite bourgade, mais hélas ceci est une review du premier épisode, ce qui veut dire que ce n’est pas gagné d’avance et qu’il lui faudra 20 épisodes avant de trouver (faut-il l’espérer) le moyen de réaliser son rêve.

Car les choses sont bien plus mal engagées qu’il n’y paraît. Lorsque Ustad Milenial commence, le père d’Ahmad est malade, très malade. S’absentant de ses cours, le jeune homme s’est rendu à son chevet, et l’ambiance est au pessimisme. Même si c’est l’occasion pour lui, qui vit au loin, de revoir ses proches (dont sa mère Maemunah, sa sœur Aisyah, son cousin Ibrahim ou encore sa cousine Khadijah), il est déchiré par les dernières volontés de son père, qui lui demande de reprendre l’atelier de meubles familial.
Alors que faire ? Partir au loin et se dédier à Dieu, mais manquer à sa famille ? Ou rester mais trahir son vœu de se consacrer à la religion ?

J’avoue que je ne regarde pas beaucoup de séries indonésiennes. Ustad Milenial m’a rappelé pourquoi je devrais en tester plus souvent.
Il y a tant de douceur et de tendresse dans ce premier épisode ! En-dehors d’une brève scène à la fin de cet épisode inaugural, les dialogues sont doux, les personnages d’une grande gentillesse, et la mise en place de l’intrigue se fait sans vraiment chercher à dramatiser les choses. Le ton est à la chronique la plus apaisée possible, même quand Ahmad a un cas de conscience, ou que son père décède sous nos yeux. Pas de manœuvres soapisantes ici. Tout est vraiment d’une sobriété parfaite.

Mon plus grand coup de cœur, qui personnifie plutôt bien les qualités de la série, c’est à la mère d’Ahmad qu’il revient. Maemunah est incarnée avec une douceur infinie (par Cut Mini Theo, dont je viens de décréter que j’étais amoureuse), et pourtant indique fermement sa position pendant le premier épisode : elle est et reste un parent.
Elle insiste auprès de ses deux enfants pour qu’ils s’occupent de préparer leur avenir, et elle se chargera du reste. Elle encourage Ahmad à ne pas écouter les dernières volontés de son père (une position surprenante) si elles se mettent en travers de ses projets, et insiste pour qu’Aisyah termine ses études à l’université quand bien même les circonstances ont changé. Lorsqu’en cours d’épisode, il apparaîtra que la famille a de lourdes dettes, elle rappellera que c’est un soucis de parent et que ses enfants n’ont pas à s’en inquiéter. Elle trouvera une solution (ça m’a d’ailleurs rappelé une réplique similaire dans Pørni). Tout ça avec une voix plus proche du souffle que du murmure, et un sourire indéfectible sur les lèvres. Il y a quelque chose d’incroyablement affirmatif mais d’une douceur sans faille, dans la position de Maemunah, qui est la manifestation de l’attitude de la série en général.

Et je sens que ça va être primordial, comme approche, étant donné qu’Ustad Milenial se prépare, entre autres choses, à être une comédie romantique. Ah, elle n’en fait pas grand mystère : lorsqu’Ahmad reparaît, Khadijah dite Kiya est plus que ravie. Elle a du mal à masquer le béguin énorme qu’elle nourrit pour Ahmad, lequel est sûrement trop préoccupé pour le remarquer, mais ça n’a échappé à personne d’autre. Certainement pas les spectatrices. D’ailleurs elle est émouvante, cette petite Kiya, dont le cœur est si facilement bouleversé par un garçon qu’elle adore depuis des années. J’espère que la série ne va pas lui faire un coup foireux. Elle mérite, cette Kiya. Elle aussi, avec son grand sourire, elle insuffle beaucoup de douceur à cet épisode. Je ne lui veux que du bien.
Au juste le seul mystère de ce premier épisode, c’est pourquoi la série s’appelle « Ustad Milenial » alors que le jeune héros n’est pas un Millennial (il est trop jeune ! c’est clairement un Gen Z…), et n’en donne d’ailleurs aucun signe. A part quand il utilise brièvement son portable pour regarder des photos du Caire au début de l’épisode, rêvant à toutes les choses qu’il pourrait y apprendre sur le Coran, je ne vois pour le moment pas trop d’où ça vient.

Dans tous les cas, il ressort beaucoup de sérénité de ce premier épisode, grâce à des choix subtils au niveau du ton, des dialogues et de plusieurs protagonistes importantes.
Au risque de m’avancer (je n’ai pas encore vu les autres épisodes après tout), j’ai envie de dire qu’Ustad Milenial, ce n’est pas tant une série sur la religion, ou une série religieuse, mais tout simplement une série où les personnages, parce qu’ils sont croyants, se comportent d’une certaine façon. Ce qui se passe est donc plus le reflet de leur foi, qu’une façon prosélyte de parler d’Islam (le contraire de beaucoup de séries où il est question explicitement de religion).
Peut-être que cela évoluera au fil des épisodes, lorsqu’Ahmad va tenter de continuer son apprentissage religieux tout en (ce n’est pas un spoiler si c’est dans le premier épisode) travaillant à l’atelier de menuiserie ? A ce stade ce n’est pas l’impression que j’ai. Je crois qu’Ustad Milenial veut juste apporter au public de Ramadan (et au-delà : la diffusion est toujours en cours, car en Indonésie les fictions lancée pour le mois sacré ne sont pas spécialement diffusées quotidiennement) une fiction positive et bienveillante. Un simple reflet des valeurs portées par ses personnages comme ses spectatrices.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

1 commentaire

  1. Tiadeets dit :

    Oh, ça semble sympathique comme série ! J’ai l’impression de l’avoir vu passer quand je traînais sur WeTV ou je ne sais où.

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