Dieu est humour

6 novembre 2021 à 20:42

Chaque fois que je parle d’une série de l’autre bout de monde qui a fait l’objet de plaintes, notamment de la part d’un public plutôt conservateur et/ou religieux, je trouve irrémédiablement des commentaires (généralement de personnes n’étant pas coutumières des lieux, mais c’est certainement une coïncidence) pour me dire que « ah bah ouais, là-bas ils sont comme ça » (qui est « ils », on ne sait pas, on ne peut que présumer, c’est pratique) et variations sur le même thème. Pour être claire : ces commentaires seront systématiquement supprimés.
Amies téléphages, pas besoin d’aller « là-bas ». Aujourd’hui je vais prendre une série créée et diffusée à nos portes qui rencontre exactement le même type d’opposition. Et ça me donne l’opportunité, une fois n’est pas coutume, de parler télévision suisse, ce qui se produit trop peu souvent à mon goût.

Diffusée par la télévision publique RTS, La vie de J.C. est, de toute évidence, tout un programme : il s’agit de reprendre certains des passages les plus célèbres de la vie de Jésus (ainsi que quelques autres !), et de les tourner en une comédie. Lancée à la mi-septembre, la série évoque un peu, dans son intention, les premières saisons de Kaamelott

…Et très franchement les comparaisons avec Kaamelott sont inévitables à ce stade, bien au-delà de leur genre ; je n’ai pas du tout été la seule à la faire. Même genre (comédie historique), même format de shortcom que les premières saisons (4 minutes environ), même ton (peut-être légèrement plus improvisé, je dirais, au vu la présence de tics de langage), et même personnage central, investi d’une mission mais entouré d’abruties l’empêchant de la mettre a bien (en soi ce n’est pas très étonnant, Arthur était écrit comme une figure christique).

Le premier épisode ne semble pas s’offusquer de la frappante ressemblance, et propose une première intrigue qu’on pourrait résumer par : « c’est dur d’être aimés par des cons ». Jésus tente de trouver refuge chez l’apôtre Simon, après avoir été exaspéré par les nombreuses demandes des villageoises. Il faut dire que ça part d’un bon sentiment : tout le monde est impressionnée par le miracle que Jésus a accompli, et réclame plus de miracles ! Sauf que, bien entendu, pas n’importe quels miracles : JC mentionne des maux de hanches, des otites, de la rétention d’eau… Evidemment, le Messie n’est pas là pour ce genre de choses. Et ça l’agace hautement qu’on le prenne pour un vulgaire guérisseur alors qu’il a accompli un miracle dans un but bien différent : leur faire comprendre à la fois qu’il est envoyé par Dieu, et la puissance de celui-ci. Mais rien à faire, les villageoises sont terriblement terre-à-terre. D’ailleurs il s’avère que même Simon a une requête…
Si les épisodes pour le moment diffusés ressemblent à une série de sketches, ici rien de commun avec, par exemple, ce que la comédie israélienne HaYehudim Baim pouvait accomplir. Dans la comédie suisse, on retrouve bel et bien une unité de lieu et des personnages récurrents, quand bien même les intrigues ne sont pas vraiment feuilletonnantes (pour la défense de La Vie de J.C., le livre original l’était à peine plus). Même sur le ton, on est trèèès loin du mordant de cette série, puisque La Vie de J.C. a surtout envie de se mettre en scène des moments absurdes, et pas vraiment d’offrir une satire religieuse, sociale et encore moins politique.

Alors du coup, d’où vient la levée de boucliers ? Eh bien demandons aux principales intéressées.

Vous me dites si vous voyez un thème récurrent (commentaires déposés sur LeMatin.ch)

Ah oui non mais pardon, c’est ma faute, je pensais qu’on allait avoir un échange argumenté (autre que le recours au whataboutisme).
On a même pu trouver, il y a quelques jours, de nombreux opprimés… pardon, on me dit dans l’oreillette que c’est une trentaine de membres d’un groupuscule intégriste importé de France vers une nation où le Christianisme est la religion majoritaire… qui ont décidé de manifester à Genève. Voilà qui semble être beaucoup de remue-ménage pour une shortcom qui, pour l’essentiel, est trop brève pour avoir le temps de choquer qui ce soit, et qui, pour être honnête, est tiède.

Pourtant, je voudrais attirer votre attention sur autre chose. Quelque chose dont on parle assez peu (moi y compris, je le reconnais) dés lors qu’il est question de polémique sur une série : les personnes qui pourraient être offensées sur le principe, mais décident de regarder la série et en tirent un point de départ pour parler de ce qui leur est cher, à leur façon. Par exemple, le professeur Olivier Bauer décortique chaque épisode, non seulement pour son intrigue mais surtout pour sa signification théologique. Ainsi, pour le premier épisode, il écrit sur son blog : « L’épisode reprend un thème classique dans les évangiles, celui du malentendu ». C’est un article court, mais vraiment intéressant !
En soi, le premier épisode de La Vie de J.C. n’est en effet ni en train de critiquer la religion, ni Dieu, ni même Jésus… mais bien les villageoises qui n’ont rien compris à ce qu’on essaie de leur dire sur Dieu ou la force de la foi… Non, au lieu de regarder la lune, les villageoises persistent à regarder le doigt. Sauf que ce n’est pas ça, être chrétienne, et si J.C. s’offusque, ce n’est pas par défaut de caractère, mais bien le signe qu’il reste fidèle à ses principes et la parole divine de son père, qui ne l’a pas envoyé auprès de l’Humanité pour faire disparaître les furoncles sur le nez. D’ailleurs, dans la Bible aussi, Jésus s’énerve parfois lorsque personne ne comprend son message… et, si c’est relaté dans la Bible, en un sens c’est aussi une part du message, non ?
En tout cas rien de blasphématoire à mettre en scène, certes par l’absurde (et, je le reconnais bien volontiers, un peu d’obscénité lorsqu’une villageoise demande un miracle pour le pénis de son mari), une situation dans laquelle seul le contenant a été pris en compte par les croyants, et pas le contenu. Oh, attendez, je crois que je viens de parler par parabole…

Tous les épisodes que j’ai vus pour le moment (la série est en cours de diffusion) ne se valent pas, mais force est de constater qu’il est possible d’en tirer quelque chose de positif, ou au moins de traiter la série comme point de départ pour une discussion théologique (dont je reconnais bien volontiers que ce n’est pas ma spécialité), ou même simplement abstraite. Par exemple, une série comique sur la religion est-elle nécessairement moqueuse de ladite religion ? Une série sur la religion qui n’est pas strictement prosélyte est-elle nécessairement une attaque ?
En outre, on pourrait s’arrêter sur le fait que cette série est créée par deux Suisses ayant eux-mêmes grandi dans la tradition chrétienne. Pourquoi partir du principe que malgré cet héritage (dont Zep parle d’ailleurs au cours de cette interview), l’approche est nécessairement mal intentionnée ? Contrairement à certains des exemples donnés en commentaires ci-dessus…

Le problème c’est que, dans ce genre de circonstances, l’attrait de la controverse (couplée à la tentation de parler de la minorité de voix qui s’élèvent) nous empêche de parler de cet aspect plus théorique, qui pourtant pourrait apaiser certains esprits. En tout cas, ceux de bonne foi (sans jeu de mot). Et qui surtout enrichit l’art télévisuel, de sa conception à notre consommation de cet art.
Après, est-ce à dire que La Vie de J.C. est une immense oeuvre d’art, non. Pour être honnête, elle n’entrera pas dans l’Histoire de la télévision, et tout comme cette controverse, elle sera probablement oubliée dans quelques années (surtout si, a contrario de Kaamelott, elle n’obtient pas de nouvelle saison pour affiner son approche ou ses personnages). La bonne nouvelle c’est qu’une série n’a pas besoin d’être un chef-d’oeuvre intemporel pour mériter d’exister. Surtout qu’à l’ère de la fameuse « Peak TV », ce ne sont pas les autres options qui manquent pour le public.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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