Found family

6 octobre 2023 à 12:47

Quand une série se définit comme étant une « Mpreg romantic comedy« , je suis bien obligée d’admettre que l’audace m’éblouit. Le terme « Mpreg » est d’ordinaire réservé à certains recoins d’internet, et est loooin d’être entré dans le langage courant du grand public. Mais la série dont il s’agit ici est une fiction originale de la chaîne canadienne OUTtv, qui comme son nom le suggère s’adresse essentiellement à un public LGBT ; on y estime probablement que le vocabulaire de ce public est un peu différent.
La série en question s’appelle Womb Envy (ce titre est tout un programme aussi). Après une diffusion chez OUTtv au printemps, elle a apparemment été mise en ligne ensuite sur Apple TV+ et Amazon Prime Video dans certains territoires, ce qui explique qu’elle me soit finalement parvenue. Et c’est donc le sujet du jour.

Trigger warning : alcoolisme, homophobie, emprise parentale.

Les déboires de Max commencent un soir qu’il souffre de la gueule de bois (vous avez bien lu) après une énième orgie la veille, et que ses vomissements intenses lui ont fait rater une énième journée de travail. A ce stade il est quasi-certain qu’il va être viré, mais cela s’apprête à devenir le cadet de ses soucis lorsque Maggie fait irruption à sa porte.

Max et Maggie ont grandi ensemble dans une petite bourgade paumée, elles sont devenues inséparables, Maggie a servi de beard à Max à l’adolescence, et ensemble, elles ont projeté de partir loin de leur ville natale… sauf que seul Max est parti pour Toronto. Leurs vies sont depuis différentes ; voilà environ une décennie qu’elles ne se sont pas vraiment parlé, hors quelques sporadiques interactions de la plus grande banalité sur les réseaux sociaux. Leur lien indestructible s’est donc déchiré avec la distance. Alors que soudain Maggie réapparaisse est, vous l’imaginez, plutôt étrange. La jeune femme a qui plus est une surprise : elle est enceinte de 6 mois. Et elle n’a aucune envie de donner naissance à ce bébé dans le même patelin où elle s’est retrouvée bloquée ! Alors la voilà à Toronto. Avec une idée derrière la tête : faire croire à sa mère Dorothy que l’enfant est de Max, et qu’il est son fiancé, pour échapper à son destin provincial …et à l’intégrisme religieux de Dorothy, ancienne alcoolique devenue born again Christian.
En l’espace de quelques minutes, voilà donc le quotidien de Max chamboulé. Certes, son existence n’est pas glorieuse : dans le tourbillon du premier épisode, avant que n’arrive Maggie, on a le temps de sentir qu’il ne va pas bien, que même son pote Kyle s’en rend compte,  et que son existence est autant en désordre que son appartement. Mais enfin, jusque là, c’était encore sa vie, au moins ; là, elle semble de moins en moins lui appartenir à mesure que Maggie et Dorothy s’en mêlent. Il a accepté, sans avoir le temps de réfléchir, le pacte que lui proposait Maggie : se faire passer pour le père de son futur enfant et son fiancé… et donc, en un sens, rentrer dans le placard pour elle. Mais ne lui doit-il pas ça, après toutes ces années ? Il a aussi promis de rester célibataire, et la tache s’avère bien ardue lorsqu’il rencontre Patrick, le coach en accouchement de Maggie, dont il tombe immédiatement amoureux ! Dans ce chaos ambiant, Max se retrouve en plus accablé par les apparitions surnaturelles de The Divine, une drag queen qui lui sert de conscience queer ; et elle n’apprécie pas cette histoire de placard, oh non.

Il n’est pas au bout de ses surprises. Dans la tourmente des jours qui suivent ce curieux accord passé entre les deux amies, Max découvre que son corps change. Ses hormones le tourmentent, il est pris de malaises, et son ventre… son ventre grossit quasiment à vue d’œil ! Womb Envy n’est pas, en réalité, une histoire qui raconte vraiment une grossesse masculine (désolée de vous décevoir), mais plutôt une exploration du phénomène de couvade dont Max fait l’expérience.
Ce qui surprend, toutefois, surtout après deux ou trois épisodes complètement fous, c’est combien de thèmes Womb Envy veut en fait aborder à travers cette couvade. Pas forcément avec le sérieux d’un drama, parce que son énergie est vraiment chaotique (et qu’en plus ses épisodes d’un quart d’heure environ sont vraiment trop courts pour ça), mais avec sincérité, en tout cas. Max va devoir se confronter à toutes sortes de choses qu’il n’aurait jamais regardées en face autrement. Sur son rapport à l’alcool (même si la série fait finalement un pas de côté un peu dommage à mes yeux), sur son instabilité affective, sur la façon dont il traite autrui en général… Le retour de Maggie dans sa vie est aussi l’occasion forcée de se confronter à leur passé commun, d’admettre qu’il a eu un rôle à jouer dans la disparition de leur amitié autrefois si intense, et qu’aujourd’hui, il a des obligations auprès d’elle, en particulier parce qu’il lui a donné sa parole et qu’il a accepté ses conditions.
Max n’est pas prêt à tout ça, mais il n’a pas le choix. Dans la situation présente, il n’y a pas d’autre option que l’introspection et l’humilité, malgré ses efforts pour y échapper ou se défausser de sa responsabilité.
Dans ce contexte, l’exubérante The Divine n’est pas qu’une amie imaginaire taquine. Même si, en drag queen fière de l’être, elle apporte également une énergie chaotique dans la vie de Max (à qui elle n’était jamais apparue jusqu’alors), elle sait aussi être de bon conseil, le rabrouer lorsqu’il se complait dans ses travers, ou le rappeler à la raison lorsqu’il oublie son identité d’homme gay. Jongler entre tout ça n’est pas toujours facile, voire parfois contradictoire, mais The Divine le fait avec bonne humeur, un verre à la main, et toujours un fantastique costume sur le dos (ce n’est probablement pas un hasard que l’interprète de The Divine ait créé la série…).
En revanche, j’ai quelques bémols à apporter du côté de deux personnages que j’ai peu mentionnés jusqu’à présent. D’une part, Kyle, l’ami fidèle, qui n’apparaît pas dans tous les épisodes mais apporte à chaque fois beaucoup de tendresse protectrice à l’environnement de Max (son interprète ayant vraiment trouvé un équilibre remarquable entre « BFF flamboyant » et « personnage avec une âme à fleur de peau »). Il est largement sous-employé, peut-être par crainte de faire doublon, précisément, avec le rôle de The Divine dans la vie de Max, car il est vrai que sur beaucoup de points, leurs attitudes vis-à-vis des choix du héros se rejoignent. J’espère que Kyle sera mieux traité par la suite (si suite il y a), mais ce n’est rien en comparaison avec ce pauvre Patrick. Car, oui, il faut se confronter à la réalité : Womb Envy se décrit comme une « romcom Mpreg« , mais ce n’est pas réellement possible d’avoir une romcom dans laquelle l’enjeu amoureux est traité de façon anecdotique. Max pense beaucoup à Patrick, parle beaucoup de Patrick, s’inquiète beaucoup du regard de Patrick… la série, moins. Et malgré les quelques protestations de l’intéressé à ce sujet (« je ne suis pas parfait juste parce que je suis malvoyant ! »), Womb Envy a un peu de mal à nous dire ce qui rend Patrick imparfait, et tout simplement humain. La durée de cette saison inaugurale n’y est pas pour rien, mais c’est un peu dommage quand même.

Cela étant, Womb Envy n’est pas si superficielle que ça dans sa démarche autour d’un personnage handicapé. Elle aborde même quelque chose que la plupart des séries, où qu’elles se trouvent, ne prennent pas au sérieux : le sujet du validisme. L’interprète de Patrick est un acteur présentant réellement un handicap, pour commencer. Dans ses dialogues, et une partie de son intrigue, Womb Envy prête attention à cet aspect et affirme le handicap de son personnages dans les dynamiques ; même si, comme pour plusieurs autres, elle n’a pas le temps de le faire très profondément.
Ce à quoi elle a prêté beaucoup d’attention, surtout, est son accessibilité. Co-produite avec l’aide de l’AMI, Womb Envy est en effet à la fois une série audiovisuelle et un podcast audio, la production affirmant qu’il est possible de passer de l’un à l’autre à tout moment d’un épisode. Pour faciliter cette bascule, la version video (qui est celle sur laquelle je me base pour cette review) inclut en effet une narration audio supplémentaire assez fine ! Son rôle est tour-à-tour de lire l’écran-titre qui sert de générique (« Womb Envy« , donc), d’apporter un complément aux plans d’ambiance (pour introduire un nouveau décor quand ce n’est pas perceptible dans les dialogues), de marquer auditivement les sauts dans le temps (« and we are back to present day, girl » après un flashback), ou encore de lister une partie des crédits de fin d’épisode (pas tous). Cela se fait souvent de façon gaie, humoristique et subtile, l’idée étant autant d’apporter ces informations à des spectatrices malvoyantes… que d’habituer les spectatrices voyantes à trouver cela normal. La distribution de la série se relaie (selon les épisodes où les actrices apparaissent moins) pour offrir leur voix à la narration, participant à l’impression d’un travail cohésif, et non d’un simple supplément plaqué là, parce qu’il faudrait, en post-prod. Honnêtement plus de séries devraient faire ça, c’est vraiment bien fait ; et qu’une série indé à petit budget s’en donne la peine devrait faire honte à tout le reste du monde.
Mais ça montre bien que l’intention de Womb Envy est de bien faire ce qu’elle s’est mis en tête d’accomplir. Elle veut joyeusement inclure tout le monde dans son magnifique bordel ambiant, et charmer à tout prix. Vous savez quoi ? Le pari est réussi. Une fois qu’on s’est habituée à ses quelques limites, ça marche vraiment.

Womb Envy est bien plus que ce que son titre, son résumé ou même son premier épisode, peuvent laisser penser. Il faut parfois un peu s’accrocher : c’est une production à petit budget, avec une direction d’actrices qui n’est pas toujours aussi solide qu’elle pourrait l’être (même si le cast ne démérite pas), et beaucoup d’idées fourrées dans un format trop court pour ses ambitions (des problèmes similaires à ceux d’Alter Boys, mais qui s’expriment différemment). Le dernier épisode de la saison le prouve : Womb Envy en garde pourtant pas mal sous la pédale !
Comme quoi, elle a raison : il lui faut une seconde saison.

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6 commentaires

  1. Mila dit :

    « une histoire qui raconte vraiment une grossesse masculine (désolée de vous décevoir) » En effet, la déception est cuisante, j’imagine qu’il faudra que je regarde Saito Takumi à la place… (ou Schwarzenegger, mais… non, plus jamais Junior ><)

    Bon mais la… cuisance (laisse-moi inventer des mots)… de la déception est fortement apaisée par tout ce que tu racontes d'autre, car la série donne vraiment l'impression d'avoir été créée avec soin et amour (malgré le manque de temps d'écran de Kyle et Patrick).

    • ladyteruki dit :

      Oui, c’est le genre de projet que tu ne peux pas trouver sur des chaînes plus traditionnelles, et qui font partie des premières que le grandes plateformes de streaming ont arrêté de commander d’elles-mêmes si quelqu’un n’a pas déjà mis la main à la poche (comme ici où apparemment elles sont deux à proposer les épisodes en deuxième intention, une fois que le financement et la production sont couvertes).

  2. Dandelion dit :

    alors j’avoue que l’annonce de base m’a rappelé le cringe de certains forums rp xDDD
    mais au final j’avoue être intrigué et plutôt curieux tiens…

  3. avoloc dit :

    i gave this a watch/listen this weekend – it was even better than you suggested! i could easily get used to this format that’s more accessible to visually impaired consumers, and i think they did a very apt job of sharing these characters in a representative and approachable way – i very much look forward to another season despite the misleading tagline

    • ladyteruki dit :

      Honestly everyone should do that ; not only is it fantastic in terms of accessibility, but in the age of podcast supremacy, it really expands the possibilities for a show to find an audience. A second season would really be great ; plus they’re really ending the first season in a way that makes it easy to do. Now it’s just a matter of the show finding the appropriate success for that to happen !

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