Si j’avais un marteau

10 octobre 2023 à 17:53

Après Yuru Camp△, qui accompagne plusieurs adolescentes dans la découverte des joies du camping, apprêtez-vous à vous trouver un nouveau hobby : le bricolage ! C’est, comme son nom l’indique plus que clairement, l’objet de DIY!!, une série à la formule très similaire (et qui trouve également ses origines dans un format dessiné : une série animée et un manga ont précédé le dorama). Qu’importe ! Ce n’est vraiment pas le genre de fiction à laquelle on vient en quête d’originalité : Yuru Camp△ comme DIY!! brillent plutôt par leur aspect feelgood, et leur chronique innocente de joies simples.
Honnêtement, si cela devait devenir une nouvelle tendance à la télévision japonaise, vous ne me verriez pas me plaindre.

L’histoire de la série est extrêmement simple : Miku et Serufu sont voisines et amies d’enfance, mais leurs chemins se séparent lorsqu’elles sont acceptées dans deux lycées différents.
Aparté : il y a toutes sortes de jeux de mots dans les noms des protagonistes de la série, assez anecdotiques dans l’ensemble ; mais si ça vous intéresse, le premier épisode en utilise un explicitement dans ses dialogues, qui porte sur Serufu.

Miku, qui est studieuse et organisée, a été admise au sein de la prestigieuse école Yuyu Girls’ Vocational High School (ou « YuVoc »), dont le cursus en sciences appliquées et le programme exigeant semblent la mettre en bonne voie pour devenir ingénieure en impression 3D. De son côté, Serufu est… disons qu’elle est brave. Elle passe le plus clair de son temps la tête dans les nuages, est très étourdie, et n’a pas vraiment de but dans la vie. Ah, et elle est pathologiquement maladroite, aussi (elle est comme ça depuis l’enfance, et s’est infligé toutes sortes de blessures à cause de ce trait de caractère au fil des années). Cela étant, elle est d’une jovialité à toute épreuve ; ça ne la mènera pas bien loin dans les études, mais enfin, c’est une qualité quand même, je suppose. Et de fait, Serufu a un peu foiré son examen d’entrée, et s’est retrouvée à la Gatagata Girls’ High School, un lycée un peu moins poussé.
Les deux établissements, il faut noter, appartiennent au même campus, et leurs bâtiments se font face (ou plutôt, YuVoc fait littéralement de l’ombre à Gatagata). Mais rien à faire, pour Miku, c’est comme si Serufu avait disparu de la surface de la Terre du jour au lendemain… même si, en parallèle, son amie lui manque. Alors qu’elle continue de la croiser tous les jours, vu qu’elles sont voisines et vont dans des écoles elles aussi voisines ! Bref, la situation est étrange.
Serufu, toute tête en l’air soit-elle, a quand même vaguement remarqué que quelque chose clochait, et est un peu triste de ne plus parler aussi souvent à Miku qu’auparavant.

Fort heureusement, il y a plein de nouvelles expériences à faire.
En particulier, un jour qu’elle rêvasse sur son vélo et fait une chute sur le chemin de l’école, Serufu fait la connaissance impromptue de Rei, une élève plus âgée qui lui répare son guidon en deux temps, trois mouvements. Serufu, qui certes s’émerveille d’un rien, est ébahie que cette lycéenne non seulement trimbale des outils avec elle, mais en plus, qu’elle sache s’en servir. Elle finit par trouver sa trace dans une cabane à outils à l’arrière du lycée, où elle surprend Rei en pleine création d’une étagère. Une étagère ! Alors que ça se trouve dans le commerce ! Serufu, à qui certes il n’en faut pas beaucoup, est épatée. Mais Rei n’est pas du genre à se satisfaire d’expliquer ce qu’elle fait : elle propose à Serufu de manier elle-même la scie électrique et de l’aider dans son projet ! Et Serufu, qui il faut l’admettre est impressionnable, est ravie de cette perspective.
…Dans une série réaliste, c’est le moment où Serufu se coupe tous les doigts de la main et commence à utiliser le text-to-speech pour sa prise de notes en cours. Mais non. Rappelez-vous : série feelgood. Elle a donc, quand même, la présence d’esprit d’être intimidée par l’engin, et à la place, se contente de visser une vis dans un trou. Et ne se fait presque pas mal ! Une vocation est née. Le lendemain, désireuse de poursuivre l’expérience, elle rejoint le club de bricolage de Rei. Son projet ? Être capable de créer un banc, l’installer entre sa maison et celle de Miku, et avoir un lieu où retrouver (dans tous les sens du terme) sa meilleure amie.
Les enjeux de DIY!! sont de toute évidence humbles, mais ils ont le mérite d’exister. Et de soulever quelque chose d’intéressant.

Le bricolage n’est pas exactement populaire au Japon ; les loisirs créatifs sont, comparativement, des activités plus courantes pour qui s’intéresse aux travaux manuels. De leur côté, les « home centers » (l’équivalent nippon des magasins de bricolage) ont tendance à vendre majoritairement des plantes, des objets de décoration, des produits pour animaux, et du matériel de camping, contre assez peu d’outils et de matières premières (qui même si elles existent, forment une minorité du chiffre d’affaires). Le bricolage n’a pas non plus été normalisé dans la popculture comme une occupation courante, et plus j’y réfléchis plus les personnages de séries japonaises que j’ai vus se servir d’outils étaient des professionnels plutôt que des amateurs, ou alors les utilisaient par nécessité plutôt que goût personnel. Avec aucune nuance entre les deux.
…Mais il y a un avantage à cela : cette absence signifie que les représentations genrées sur le bricolage sont également absentes de la popculture. « Papa bricole », ce n’est pas vraiment un truc qui existe à la télévision japonaise. Parce que personne ne bricole, certes… mais ça compte quand même !
De ce fait, avec DIY!!, voilà que ce loisir manuel, pas spécialement élégant ni mignon qui plus est, et donc comme je l’ai dit assez peu populaire, est promu ici comme une activité fascinante… à des jeunes filles. Il n’y a en effet pas un seul personnage masculin au générique de DIY!!, puisque même la prof qui encadre le club de bricolage est une femme ; à la réflexion, je crois que je n’ai même pas vu de figurant masculin de tout cet épisode. Cette magnifique non-mixité est incroyable, parce que du coup la transmission du savoir se fait exclusivement de personnage féminin à personnage féminin. En l’occurrence, c’est surtout Rei (avec son aura de grande sœur… mais aussi, et je sais que vous comprenez ce que je dis ici, son énergie de Sailor Uranus), qui détient les clés du savoir, et sert d’instructrice à Serufu. Cela dit, je suis à peu près certaine que dans les épisodes suivants, d’autres protagonistes vont sûrement se montrer capables.
Car, ah oui, c’est ça le prétexte narratif à un fil rouge narratif entre les épisodes : pour que le club subsiste, il doit avoir au moins 5 membres, donc Rei et Serufu vont se mettre en tête de recruter d’autres jeunes filles pour bricoler à leurs côtés. Et au vu du générique, je ne doute pas que ces jeunes filles existent, et qu’elles aient des compétences et profils complémentaires.

Avec Yuru Camp△ et dans une certaine mesure Ryousangata Riko, on est assiste donc dans DIY!! à un embryon de tendance encourageant des protagonistes féminines à se passionner pour des activités loisirs manuels. Et donc à des séries éloignées des clichés de ce que normalement les jeunes filles et femmes sont supposées adorer ; dans une industrie audiovisuelle où les rôles genrés restent extrêmement codifiés, c’est vraiment appréciable. En fait, n’ayant pas ou peu de représentations de ces loisirs dans la popculture, ces séries sont quasiment en train de créer un engouement pour ces loisirs exclusivement féminin !
Bon, alors, il faut raison garder. Je ne sais pas si ce phénomène va dépasser le succès de cette poignée de séries somme toute assez confidentielles (ce sont des séries diffusées après minuit, comme les séries high concept). Mais peu importe, tout est bon à prendre. Jusqu’à présent, dans les séries nippones, les protagonistes féminines n’ayant pas les attributs de la féminité parfaite avaient tendance à être codées comme étant autistes, des girlbosses ou des garçons manqués, et quasiment rien d’autre, donc un peu de variété fait du bien dans le panorama.

Et puis vous me connaissez : j’aime lorsque la télévision japonaise nous sert des séries calmes, avec peu voire pas d’enjeux.
C’est quelque chose que peu de télévisions du monde savent faire, et plus encore avec sincérité. Il y a quelque chose de révolutionnaire à mes yeux dans les choix que font ces fictions ; ces séries-à-hobby (on pourrait aussi inclure dans cette dénomination des titres comme Meikenchiku de Chushoku wo ou Tetsu Oota Michiko, 2 Man Kilo ; les tags sont là si vous ne visualisez pas trop à quel dorama je fais référence) ainsi que le genre entier de la « série d’appétit« , sont des fictions basées sur le plaisir ! Celui à la fois ressenti par leurs héroïnes, et celui transmis aux spectatrices. Décrire la satisfaction du montage d’un objet, d’une soirée au coin du feu, d’une belle visite architecturale, ou d’un bon petit plat, ce n’est pas juste une parenthèse escapiste : c’est une proposition qui va à l’encontre des séries sombres et/ou traumatiques et/ou hors de prix, qui sont souvent celles qu’on considère, ailleurs dans le monde, comme de facto plus importantes. C’est un courant sériel incitant à la joie… c’est pas important, la joie, peut-être ? C’est pas une denrée rare, la joie ? Et une joie constructive, qui plus est : selon les occupations montrées, regarder une de ces séries peut inciter à tenter des expériences similaires, c’est-à-dire simples mais positives. Ou, faute de temps/moyens/accès, au moins garantir une petite demi-heure de satisfaction, auquel cas, voilà délivrée une demi-heure de dopamine sans aucun inconvénient. Pour ma part, c’est le genre de bonheur par proxy auquel j’accroche.
Si ça ne tenait qu’à moi, on en aurait même beaucoup plus, des séries comme celles-là.

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2 commentaires

  1. Mila dit :

    « Dans une série réaliste, c’est le moment où Serufu se coupe tous les doigts de la main  » that is what I would have done, yes u_u

    Je n’avais jamais noté le peu de bricolage à l’écran japonais (en dehors des profs) mais c’est vrai que maintenant que tu le dis, aucun exemple ne me vient réellement à l’esprit. Bon certes, mon esprit est peu réveillé là tout de suite, mais quand même. En revanche, je vois très bien de quel type de séries tu parles (en même temps, je te suis/lis depuis un moment, donc forcément) et c’est effectivement un genre qu’on ne trouve pas partout, et c’est dommage u_u

    • ladyteruki dit :

      Ce serait super si d’autres cultures télévisuelles s’emparaient de ce genre de choses, mais beaucoup d’industries télévisuelles sont des grosses snobs, honnêtement.

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