Bien mal acquis

9 octobre 2023 à 20:18

« Hm c’est quand même bizarre, je sais que je regarde cette série pour la première fois, mais… tout est familier. Enfin non, pas tout, c’est surtout l’histoire qui l’est. La réalisation et la distribution, pas vraiment. De quoi ça peut bien venir ? »

Bon, ça m’a pris une petite heure pour trouver la réponse, mais votre temps est plus précieux que le mien, et je vais vous délivrer sans plus attendre la solution : en regardant la série kényane Faithless, en fait je regardais un remake de la série sud-africaine AboMama ! Enfin… je n’ai trouvé aucune source pour le confirmer (certes je n’attends pas de Deadline que la publication perçoive ce genre de nuances, l’expertise internationale y est limitée ; mais dans la presse africaine en tout cas, je n’ai rien vu). Cependant, vous me connaissez, je garde trace de tout ce que je regarde dans mes archives, rendant les comparaisons possibles. Et là, ça ne fait aucun doute.
Qui plus est, ce sont toutes les deux des séries originales de Showmax. Elles sont produites pour deux pays différents, mais ce ne serait pas la première fois que Showmax déclinerait ses propres séries pour plusieurs territoires ; commercialement, ça a du sens pour une plateforme panafricaine. Elle a déjà fait cela, par exemple, avec les romcoms Unmarried (Afrique du Sud), Unmarried (Nigeria) et Single Kiasi (Kenya).

Or, j’adore ça, les remakes internationaux ! C’est un sujet passionnant, comme en attestent les dizaines d’articles que j’ai écrits sur leurs vertus. Pensez au comparatif de Gran Hotel avec ses nombreuses versions aux quatre coins du monde, par exemple ; à mon plaidoyer au moment de parler du premier épisode de Temple ; aux reviews comparatives des adaptations indienne, étasunienne et française de Kvodo (qui d’ailleurs pourrait être une expérience à renouveler, puisque d’autres remakes ont émergé depuis). Or justement, je n’ai quasiment jamais l’opportunité de faire ce travail de comparaison sur des remakes produits en Afrique !
Alors, si vous m’autorisez l’effet de redite (puisque j’ai déjà brièvement reviewé AboMama dans mon article-test de Showmax l’an dernier, que je recommande d’autant plus chaudement vu la conclusion de la présente review d’ailleurs), prenons le temps de nous arrêter sur ce que cette adaptation fait.

Car une adaptation, vous le savez à force de me lire sur le sujet, ce n’est jamais une copie : ce sont toujours des choix.

Lancée en juin dernier, Faithless met en scène quatre femmes respectables qui tiennent le bureau du SACCO de leur paroisse. De ce que j’ai compris, un SACCO (pour Savings And Credit Cooperative Organisation) est une pratique assez courante dans des communautés (généralement religieuses, mais apparemment pas toujours) de certains pays d’Afrique. Ainsi, outre le Kenya, j’en ai trouvé trace au Rwanda ou en Uganda. Dans le cas présent, ces bonnes dames du SACCO gèrent bénévolement une cagnotte qui sert de banque communautaire, capable d’offrir des prêts à des taux minimes (ou parfois sans intérêt du tout), de procéder à des achats groupés, ou d’apporter de l’aide d’urgence à certains foyers de la paroisse. Cet argent est collecté à la fois grâce à la participation financière des ouailles, et à des initiatives de charité. Le SACCO n’a pas pour mission de financer l’église, et tourne sur un budget différent de celui des dons.
Esther, une serveuse dans un restaurant qui élève aussi la fille de son frère Benja ; Ruth, l’épouse du pasteur qui a pris en charge la responsabilité du SACCO ; Deborah, qui chante également dans la chorale de l’église ; et Hope, sont donc nos bienveillantes protagonistes. Or, les temps sont durs : la caisse du SACCO est à moitié vide. En fait, ça commence à être très inquiétant.

Dés cette introduction de Faithless, vous aurez peut-être remarqué quelque chose : bien qu’ayant quatre héroïnes, la série en présente certaines mieux que d’autres. C’est la première d’une liste de différences avec AboMama, qui prenait grand soin d’introduire de façon relativement équitable ses protagonistes. A défaut d’avoir une stricte égalité (surtout vu le rôle de l’une d’entre elles dans l’événement déclencheur), il y avait en tout cas une attention portée à la réalité de chacune. Ici, ce n’est pas le cas ; il y a plusieurs foyers dans lesquels ce premier épisode ne pénètre tout simplement pas.
Cela rejoint une autre différence : la plupart des protagonistes principales de Faithless sont préoccupées uniquement par le SACCO (qui n’existait pas vraiment dans la version sud-africaine). Il n’y a qu’Esther qui montre des signes d’inquiétude pour sa situation personnelle. Elle gagne en effet peu d’argent dans son boulot de serveuse, et n’a pas osé demander à son patron une augmentation, suite au renvoi récent de plusieurs autres serveuses : elle craint trop de connaître le même sort. Or, elle a bien besoin de son emploi : son foyer a trois bouches à nourrir, et elle est la seule à travailler. Elle héberge en effet son frère Benja, dont on comprend à demi-mots qu’il est considéré comme un bon à rien, ainsi que la fille de celui-ci, dont Esther assume tous les frais.
Cela opère un changement de dynamique par rapport à AboMama, où les situations individuelles étaient plus complexes, et mettaient en avant des problématiques financières plus variées. D’autant que les quatre héroïnes formaient plus un groupe de prière qu’un bureau de bénévoles, et que leur dilemme financier ne concernait donc pas directement les activités religieuses.

A la place de ces présentations détaillées des quatre femmes, Faithless opte de passer du temps avec Benja, ce que ne faisait quasiment pas la série d’origine. On le suit beaucoup plus, et ce dés la scène introductive de la série qui le montre, lui et deux complices, conduire un braquage… d’une ambulance. Sauf que cette ambulance transporte un sac dont on comprendra plus tard qu’il contient une petite fortune appartenant à un homme d’affaires douteux. L’un des complices est d’ailleurs le fils de cet homme d’affaires.
L’épisode introductif passe plusieurs moments en compagnie de Benja, non seulement pendant le braquage ou dans ses retombées (le partage de butin avec les complices, la façon dont Benja envisage de dépenser l’argent, l’inquiétude d’être identifié et retrouvé par l’homme d’affaires véreux, etc.), mais aussi dans son quotidien avec sa fille, pour laquelle il apparaît comme un bon père, toutes proportions gardées (puisqu’évidemment il ne subvient pas à ses besoins matériels). C’est vraiment intéressant que Faithless passe autant de temps à humaniser ce personnage, plutôt qu’aux bénévoles du SACCO… quant on sait quel sort elle lui réserve avant la fin de l’épisode.

Toutefois, la plus grande différence que marque Faithless par rapport à AboMama réside dans ce qu’elle révèle de son intrigue. Dans son épisode introductif, la série sud-africaine montrait efficacement le trajet de l’argent volé, puis abordait avec les quatre femmes la question épineuse de décider ce qu’elles en feraient ; les enjeux étaient posés avant la fin du premier épisode, dramatiquement et moralement. Et c’est une question d’autant plus gênante que c’est de l’argent volé : outre le danger qu’il représente, leur foi les éloigne naturellement de ce qui a été acquis de façon immorale… mais que, bon, l’argent, même illégalement obtenu, eh bah on va pas se mentir c’est important pour beaucoup de choses dans la vie. Ça reste de l’argent, quoi !
La série kényane, quant à elle, achève son premier épisode sans que qui que ce soit ne connaisse l’existence du fameux sac plein de billets, si ce n’est Benja… qui a été retrouvé, capturé et exécuté par l’homme d’affaires. Le dilemme moral ne se pose donc pas du tout pour le moment, et dans l’éventualité (très probable) où Esther trouve l’argent dans l’épisode suivant, son origine malhonnête sera bien plus floue. Cela signifie aussi qu’il y a un plus grand suspense dans l’épisode de Faithless, qui ne permet pas de nécessairement comprendre où l’intrigue de la série se dirige, surtout si l’on n’a pas d’acquis sur AboMama contre lequel adosser son analyse des événements.

On pourrait supputer que plusieurs de ces changements sont dus à une question de timing.
Très bien, parlons-en : le format a-t-il changé entre la série sud-africaine originale et son adaptation kényane ? Oui… mais pas comme on le croirait : Faithless a environ une dizaine de minutes de plus pour son premier épisode que n’en avait AboMama. Ce n’est donc pas par souci d’efficacité qu’on assiste à tous ces changements, mais bien par choix. Celui de raconter la même histoire, mais autrement.
Voilà qui explique sûrement pourquoi, au début de mon visionnage, je n’ai pas tout de suite saisi qu’il s’agissait d’une (probable, vu que je n’en ai trouvé la confirmation nulle part) adaptation. Bien que l’histoire et les enjeux soient strictement les mêmes, tout cela est raconté de façon unique. On n’a pas l’impression d’assister deux fois à la même série… parce que, eh bien, ce ne sont pas du tout les mêmes séries ! Elles marquent des pauses sur des choses très différentes, sont intéressées par des thèmes différents, et ont aussi relégué aux épisodes suivants des projets différents. Par-dessus le marché, j’ai le sentiment que Faithless a joui d’un budget plus confortable, ce qui ne fait qu’ajouter à l’impression d’assister à un projet séparé de l’original.

Je me tue à vous le dire : les remakes internationaux sont formidables. Et ils sont, plus souvent qu’on croit, le nid d’une forme de créativité insoupçonnée, comme lorsqu’ici ils permettent à des équipes de production de faire des choses très variées à partir d’un même cahier des charges initial. Les adaptations ont souvent mauvaise presse, surtout une fois que l’original a été vu et est tenu pour parole divine. Ce qui sépare Faithless d’AboMama prouve cependant qu’il y a des tonnes de choses possibles à partir des mêmes ingrédients. Mon amour fasciné pour les remakes internationaux se nourrit précisément de ce genre d’expérience !

…Sur un sujet attenant, j’en profite pour signaler que, si vous voulez regarder des séries africaines gratuitement, non seulement la période d’essai de Showmax dure confortablement deux semaines… mais il va falloir en profiter rapidement. En effet, au 1er novembre, les abonnements à Showmax depuis l’Europe deviendront impossibles car la plateforme se retire de notre région au 1er décembre. C’est donc votre dernière chance pour faire des découvertes.

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4 commentaires

  1. Mila dit :

    Je n’ai vu aucune de ces deux séries (j’avais tenté Showmax suite à un de tes articles, mais pas de pot, je crois que j’avais commencé la période d’essai juste avant des vacances où je partais sans PC, parce que je suis bête comme mes pieds, donc j’ai jamais profité de l’essai au final =_= ) mais je te rejoins sur l’intérêt pour les adaptations internationales de séries. Je me souviens en effet de l’article sur Grand Hotel, d’ailleurs, et sur aussi My Dear Citizens (pour une fois j’avais vu une des deux versions !)(j’étais aussi persuadée que tu avais écrit sur la version US de Good Doctor, mais apparemment j’ai rêvé cet article-là). Bref je te rejoins sur cet intérêt, donc c’était un plaisir de lire à nouveau, même sur des séries que je n’ai pas vues, parce que ton enthousiasme pour le sujet est un plaisir en soi 🙂

    • ladyteruki dit :

      Ah le timing, c’est vraiment tout en téléphagie. Est-ce que tu as essayé avec une addresse mail différente ? Depuis le temps peut-être que ça marche (…d’ailleurs peut-être que je devrais essayer aussi, une addresse ici, un browser là, un VPN dans le coin… c’est maintenant ou jamais).

  2. Mila dit :

    Non, je t’avoue que je n’ai pas réessayé. C’est possible que ça marche, surtout que pour ma part j’ai un VPN…

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