Le vendredi c’est permis

10 novembre 2023 à 18:47

Il se dégage une douleur sourde du début de Fe Koul Osboua Youm Gomaa, une série égyptienne dont les circonstances sont brumeuses. On y découvre une famille en pleurs qui fait ses adieux au corps d’une défunte… avant que l’on ne réalise que la jeune femme, en réalité, est toujours en vie. Ce décès était un subterfuge pour disparaître, et c’est dans une demeure très loin de chez elle, sous une nouvelle identité, que la défunte commence une nouvelle vie.
Pour Fe Koul Osboua Youm Gomaa, l’actrice Menna Shalaby, qui joue cette jeune femme, a reçu la toute première nomination d’une interprète égyptienne aux International Emmy Awards. Ça valait bien la peine de passer trois quarts d’heure étouffants.

De tout ce premier épisode, pas une seule fois on n’obtiendra le moindre indice tangible sur ce que Nour cherche à fuir. Mais l’essentiel n’est pas là. Et de toute façon, elle ne s’appelle plus Nour.

Devenue Leila, elle semble avoir passé un accord avec une mystérieuse femme riche, Madame Sawsan. De prime abord, cette dame distinguée pourrait passer pour une alliée (n’est-ce pas elle qui l’a aidée à décolorer ses cheveux ?), mais son aide n’est pas sans contrepartie : Leila a promis d’épouser son fils Imad, un homme que la série dépeint clairement comme autistique, même si (pour le moment ?) le terme n’est pas prononcé. C’est un mariage arrangé, donc, mais dont la composante principale est de s’assurer que le jeune homme a quelqu’un qui veille sur lui, s’occupe de lui, s’assure qu’il mange et reste de propre, ce genre de choses. A priori, rien de sexuel ne devrait se produire, mais ça n’empêche pas Leila d’être inquiète.
Ne seriez-vous pas terrifiée, dans le fond ? Après avoir dû faire vos adieux à votre famille pour toujours, après vous être faite passer pour morte auprès de tout votre quartier, après avoir reçu les ultimes rites… débarquer dans une maison loin de tout, dont vous ne savez rien, enfermée 24 heures sur 24 avec un inconnu ? Et plus encore, avec un inconnu imprévisible ?
Car Imad semble avoir des accès de colère, à un tel point que le premier soir, après lui avoir donné en cachette des médicaments pour dormir, Leila l’enferme dans la maison… et le retrouve le lendemain, couvert de sang dans une maison comme ravagée par une tornade. Et dans tout cela, Leila ne peut compter que sur Hassan, l’employé de Madame Sawsan qui est là 6 jours par semaine (le vendredi est son jour de repos), puisque sa bienveillante bienfaitrice ne vit pas sur place. Cependant, celle-ci ainsi que son mari peuvent guetter le moindre fait et geste qui se produit dans la maison, grâce à un système de surveillance dans chaque pièce (ainsi, probablement, que la loyauté de Hassan, bien que celui-ci ne rentre jamais dans la maison).

Il y a donc de quoi être bouleversée. Fe Koul Osboua Youm Gomaa nous plonge dans les premiers jours déroutants de Nour/Leila au sein de cette demeure vieillotte, mal éclairée, jonchée d’objets, et où la jeune femme ne sait pas à qui se fier. Car très vite, il apparaît que Madame Sawsan n’éprouve aucun remords à lui lancer des menaces implicites si jamais Leila voulait revenir sur leur accord (c’est que, elle fuit quelque chose, non ? alors il n’est pas dans son intérêt de retourner d’où elle vient, pas vrai ?). Lors de ses visites, la grande dame n’hésite pas non plus à lui faire savoir, qu’aucun de ses actes n’est, jamais, un secret.
Avec sa voix éteinte, son regard bas, et son teint blafard, Leila n’en mène pas large dans ce premier épisode. Et c’est, honnêtement, un point fort de cette mise en place. La jeune femme est à la fois terrifiée par ce qu’elle a laissé derrière elle, ébranlée par le changement de vie radical auquel elle a donné son accord mais pas de gaité de cœur, et effrayée à l’idée de ce qui l’attend. Elle a aussi très peur qu’Imad soit encore plus difficile à vivre qu’attendu. On lit dans ses yeux (avant même que la série ne lui donne un cauchemar à ce sujet) la façon dont elle guette le moindre mouvement de son « mari », dont elle redoute son regard, dont elle craint de l’approcher, de peur de déclencher en lui une pulsion qu’elle ne pourrait repousser. C’est que, voyez-vous, Imad n’a pas oublié d’être grand et large.

Fe Koul Osboua Youm Gomaa jongle avec tout cela… mais je soupçonne que cette introduction cache un peu de son jeu. Son but n’est pas exactement de raconter ce huis clos horrifique et de guetter le moment où tout va basculer pour la jeune femme ; à la place, son synopsis indique (pardon pour le spoiler) que Leila se retrouve dans cette maison… où un meurtre a lieu chaque vendredi. D’où le titre international de la série : Every Week Has a Friday. Leila n’est pas nécessairement vouée, dans ce contexte, à devenir une victime (surtout alors qu’on ignore tant de sa backstory). J’avoue que ça m’a un peu soulagée de garder ça à l’esprit pendant cet épisode extrêmement bien réalisé, formidablement bien interprété, mais indubitablement stressant. Et, selon où Fe Koul Osboua Youm Gomaa aura décidé d’aller (…une réplique d’Imad, en particulier, me laisse penser que ce n’est pas vraiment là où Leila semble pour le moment le croire), la série pourrait d’ailleurs n’être pas aussi problématique qu’elle peut le sembler de prime abord.
Il y a un thriller nerveux, mais résolument intelligent, qui se cache derrière cette introduction. C’est juste qu’il vaut mieux ne pas être une couarde comme moi pour l’affronter, quoi.

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1 commentaire

  1. Mila dit :

    Okay ça a l’air assez super et carrément mon style *o* Mon genre de stress, pour le coup ! Plus qu’à trouver un moyen de le voir ~Merci pour la découverte ! ♥

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