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    30 octobre 2023 à 15:29 • Dorama Chick •

    « Oh, une nouvelle romcom sud-coréenne à base de musique ! Ce doit être parfaitement innocent et adorable. De toute façon, je ne m’attache jamais à ces séries, alors ça ne coûte rien d’y jeter un œil. Ce sera une heure vite passée, surtout que dernièrement j’ai regardé des choses plutôt dures. Mais là, avec un titre comme Muindoui Diva (c’est-à-dire Castaway Diva), aucun risque ! Voilà qui va me faire le plus grand bien ».
    …

    Trigger warning : violences (dont physiques) sur mineures.

    *soupir*
    Bon eh bah. Parlons-en.

    Sur le papier, Muindoui Diva (une série lancée par TvN ce weekend, et également mise à disposition à l’international par Netflix) laissait présager de la légèreté, de la légèreté, et encore de la légèreté. Jugez plutôt : « Après avoir passé 15 ans seule sur une île déserte, une chanteuse en herbe réintègre la société et ne recule devant rien pour réaliser son rêve : devenir une diva« . C’est le résumé de Netflix soi-même. Le matériel promotionnel était coloré et gai (pour le prouver, je vous en ai mis plusieurs exemples au fil de cette review), et bien-sûr, la promesse d’une romcom musicale n’est généralement pas de vous faire sangloter à trois heures du matin, prostrée au-dessus de votre clavier. Pas que ça me soit arrivé. La preuve : il était 3h30.
    Dans les faits, hélas, ce n’est pas aussi simple. Cette même Muindoui Diva n’arrive pas à s’empêcher de raconter ce qui se déroule avant que son héroïne ne se retrouve sur une île déserte. Bah oui, vous comprenez, il vous faut le contexte ! Et le contexte, le voici. Accrochez-vous.

    On est en 2007 et Jung Ki Ho vit avec son père, un homme qui l’élève seul et dont il est terrifié. Ki Ho est un adolescent solitaire, et qui passe tout son temps libre à travailler sur le port de l’île de Chunsam où il réside, ainsi qu’à offrir ses services pour transporter ses camarades en vélo après les cours en échange d’un petit billet. On découvre très rapidement que sa préoccupation première, c’est de mettre de l’argent de côté. La raison à cela devient vite apparente lorsque son père rentre le soir et le bat comme plâtre, ignorant que l’adolescent a caché une caméra dans sa chambre, qui enregistre le moindre détail de cette violence vraisemblablement coutumière.
    Dans la même classe, Seo Mok Ha est une adolescente qui vit avec son père, un veuf gérant d’un petit restaurant de poison. Sur l’île de Chunsam où elle a toujours vécu, il n’y a guère que la mer qui fasse vivre la population, de toute façon : c’est un bled paumé, où les gens ont un lourd accent provincial et pas beaucoup d’avenir hors du port. La jeune fille, elle, a d’autres rêves : elle admire de tout son cœur la chanteuse Yoon Ran Joo, dont Mok Ha s’est convaincue qu’elle est secrètement originaire de Chunsam mais qu’elle a changé son nom, son apparence, et sa façon de parler, et a ainsi trouvé le succès à Séoul. Rien n’indique vraiment que cette théorie soit correcte, mais l’essentiel, c’est que Mok Ha ait quelque chose à quoi se raccrocher. Tout justement, quelque chose lui a donné de l’espoir : l’agence artistique qui gère la carrière de Ran Joo a lancé une audition en ligne, pour laquelle il suffit d’enregistrer un clip musical dans lequel les candidates interprètent un titre de la chanteuse. Mok Ha a choisi Dream Us, une ballade à la guitare pleine d’espoir. Elle a la capacité vocale, elle a la guitare, elle a l’espoir. Le seul truc qui lui manque… c’est une caméra numérique. Ce n’est pas le moindre des détails, mais elle apprend que Ki Ho, avec lequel pourtant elle ne s’entend pas, est féru de video et équipé pour tourner le clip de ses rêves. Après une après-midi passée ensemble, convaincues que les deux ados n’ont rien en commun, l’affaire est dans le sac (ou plutôt dans la clé USB). Hélas, après cela, Mok Ha est aux abonnées absentes.
    En allant voir chez elle ce qui se passe, Ki Ho y découvre la police : Mok Ha a appelé les services d’urgence après une énième nuit que son père a passé à la battre, et à détruire ses affaires. Dont sa guitare et sa précieuse collection de CD de Ran Joo, l’enfoiré.

    Déjà que je n’en menais par large quand Ki Ho s’est fait battre par son père, mais voir cette pauvre Mok Ha se faire violenter m’a absolument terrassée. Les lectrices de longue date de ces colonnes le savent : ce genre de sujet me touche un peu trop personnellement pour me laisser insensible dans la fiction. Là, franchement, je n’en pouvais plus. Les palmiers de l’île déserte ne pouvaient pas arriver assez vite. Je pétais un peu les plombs.
    …Quand en plus l’officier de police présent sur les lieux, et essayant odieusement de temporiser la situation (« bon, vous avez juste essayé de discipliner votre fille qui s’est mal comportée, ça a un peu dérapé, ça arrive, elle va s’excuser d’avoir appelé la police ») s’est révélé être le père de Ki Ho, alors là…

    A partir de ce point de l’intrigue, l’épisode inaugural de Muindoui Diva opère un tournant. Il n’est plus vraiment question d’énumérer les malheurs des deux adolescentes. Ki Ho, qui a vu depuis la rue la scène se dérouler, comprend désormais que contrairement à ce qu’il croyait, lui et Moh Ka ont beaucoup en commun. Il leur reste toutefois une différence fondamentale : lui doit se tirer par ses propres moyens, mais Moh Ka, elle, bénéficie d’une main tendue depuis l’extérieur de l’île. C’est que, voyez-vous, malgré l’abattement de l’adolescente, il a envoyé en secret son clip d’audition… et elle a été choisie pour venir à Séoul ! Une chance inespérée de, eh bien, de changer son nom, son apparence, et sa façon de parler, et ainsi trouver le succès à Séoul. Ou en tout cas quelque chose de cet ordre. Il lui fait donc promettre que la prochaine fois que son père veut la toucher, elle devra venir chez lui pour prendre la fuite ensemble.
    Il ne faut pas attendre longtemps pour que le paternel imbibé de Mok Ha tente de défoncer la porte de sa chambre afin de passer sa frustration sur elle. Alors, en pleine nuit, pieds nus sous la pluie, la voilà à toquer à la fenêtre de Ki Ho, et les deux adolescentes se mettent en chemin vers le port. Leur objectif : prendre le premier ferry, au petit matin.
    A ce stade, je ne vous cache pas que j’oscillais vaguement sur ma chaise, la morve me coulant jusqu’au menton, dépensant toute mon énergie à ignorer que je savais, parce que j’avais donc lu le résumé, que Mok Ha n’arriverait pas à Séoul. Je ne savais pas comment, mais il était évident qu’elle allait d’abord finir sur une île déserte, parce que… la série repose sur cela ! Et c’était absolument intolérable en ce moment précis. En fait, je ne voulais plus voir les palmiers du tout. Pour ma propre santé mentale, il fallait absolument que Ki Ho et Moh Ka arrivent à Séoul, soient accueillies à bras ouverts par l’agence artistique de Ran Joo, et sauvées de leur adolescence insoutenable.
    Alors certes, tout cela, c’est du mélodrame. Résolue à faire pleurer dans les chaumières sur le sort tragique de son héroïne et de l’ami de celle-ci, Muindoui Diva fait tout son possible pour rendre les choses aussi dures que possible. Ça passe d’ailleurs par une troisième scène de violence, cette fois entre le père de Moh Ka et Ki Ho, dont je vous passe le détail des circonstances, mais qui se conclut sur la séparation des deux ados. Les ficelles sont grosses comme celles d’un filet de pêche, cela, même noyée dans mon océan d’émotions j’étais capable de le voir. Mais en un sens, c’est aussi louable que Muindoui Diva ne se soit pas juste dit qu’il suffirait de raconter tout cela plus tard, dans des flashbacks balancés au moment le plus opportun ; j’aurais aussi protesté devant cette pratique.
    C’est juste que, punaise, c’était vraiment pas écrit dessus quand j’ai lancé l’épisode sur le mode « allez juste pour me détendre, et après je vais me coucher ».

    Juré, à un moment, Muindoui Diva va devenir un peu plus joyeuse. Comme promis sur les posters. D’ailleurs, j’avais pas menti, vous avez vu : ils sont vraiment colorés et gais.
    Il est cependant vital de noter que ce moment ne va pas réellement être au rendez-vous dans le premier épisode. Non, ne comptez pas trop dessus, car Moh Ka, en plus de ne pas arriver à Séoul et d’échouer sur une île déserte, doit aussi composer avec la mort de sa brute de père. Ce qui évidemment apporte des émotions mêlées. Apparemment on a décidé d’empiler les traumatismes comme des Lego aujourd’hui dans Muindoui Diva.
    Honnêtement, à partir de là, les choses ne peuvent que s’améliorer. Peut-être pas du tout au tout (quoique, le trailer de l’épisode suivant a l’air plus optimiste), mais on voit mal comment ça pourrait être pire. Ce n’est pas un challenge ! Avant de nous laisser aller pleurer sous la douche, Muindoui Diva nous fournit un mystérieux montage des années à venir pour Ki Ho. Et surtout, montre une Moh Ka apaisée, qui a passé 15 années sur son île coupée de tout, et s’y est créé une vie à peu près confortable. En tout cas, libre. Elle y a une petite hutte, plein d’objets de récupération, ses pommes de terre qu’elle fait pousser, les coquillages qu’elle a appris à pêcher… bref, c’est The Blue Lagoon. Sans l’inceste et la nudité infantile.
    On sait là encore que cette vie n’est pas vouée à durer, et qu’à un moment Moh Ka va retourner à la civilisation, mais au moins, pour le moment, elle est apaisée.

    Et c’est bien tout ce que l’on peut espérer vu la situation. La célébrité et l’amour en plus de ça, c’est presque de la gourmandise.
    Bon, pour moi, ça ne fait pas encore 15 ans, mais à ma façon aussi je vis sur une île déserte, alors j’ai bon espoir. Dream Us.

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  • Caso di successo

    29 octobre 2023 à 22:20 • Review vers le futur •

    Tout le monde aime une bonne success story. Un personnage parti de rien, avec une revanche à prendre sur la vie et la société, qui se hisse au plus haut, ça fait rêver. Aux États-Unis, on pense que c’est le propre du rêve américain, mais le thème est universel et la série italienne I leoni di Sicilia (ou The Lions of Sicily de son titre international) en est la dernière preuve en date.

    Trigger warning : violences domestiques, viol.

    Se déroulant en Sicile (…de toute évidence) en 1830, la série s’intéresse à Vincenzo Florio, un homme dont lui aussi la famille a été désargentée. Dans le premier épisode, il atteint la trentaine ainsi qu’une petite fortune qui lui permet de vivre confortablement, mais bien-sûr, ce n’est pas assez. Lorsqu’un baron local, en difficulté financière, lui demande un prêt contre lequel il gage son empire de pêche, Florio y voit l’opportunité d’étendre plus encore son influence dans la région.

    Conté comme une chronique d’une famille, I leoni di Sicilia ne commence, cependant, pas exactement par entrer dans le détail de cette intrigue (bien que sans aucun doute possible ce soit le plan par la suite), et se propose de remonter trente années en arrière. A ce moment-là, les Florio habitent une villa confortable de Bagnara ; les tremblements de terre dévastateurs du début du siècle vont les inciter à déménager.
    C’est Paolo Florio, le père de Vincenzo (alors encore enfant), qui décide que, puisque leur demeure a été ravagée, il n’y a plus rien à espérer de Bagnara, et qu’il est temps pour sa famille d’aller tenter sa chance à Palerme. Son épouse Giuseppina le suit à contrecœur, et son frère cadet Ignazio décide de partir avec lui ; en revanche, leur sœur reste à Bagnara, où leur beau-frère Barbaro, un marin, réside. L’idée est de rouvrir le magasin d’épices qui était autrefois tenu par un cousin de Barbaro, mais après avoir tout quitté pour venir dans la grande ville, les Florio réalisent que le magasin est un taudis à l’abandon, et que la maison qu’on leur avait promis n’est qu’une étable.
    I leoni di Sicilia aime cette histoire de nouveau départ, et l’observe avec une admiration non feinte, quoique pas aveugle pour autant. Grâce à la force de caractère de Paolo, bientôt, le magasin est remis en activité ; Barbaro, qui a des parts dans l’affaire, approvisionne l’établissement en épices et autres produits bruts, tandis que Paolo et Ignazio s’occupent d’organiser le commerce et de vendre les produits en ville. Vincenzo grandit dans cet univers, tandis que progressivement, et malgré les difficultés initiales rencontrées de par leur condition modeste, la famille Florio se remet sur pied.

    Toutefois, n’allez pas croire qu’on est ici devant une fiction sur un commerce, pas du tout. C’est d’une affaire familiale qu’il s’agit, et donc I leoni di Sicilia veut surtout raconter l’histoire de cette famille, de ses évolutions… et de ses relations. Il apparaît en effet très vite qu’Ignazio et Giuseppina, bien que n’en disant jamais un mot, sont profondément éprises. A côté de cela, Paolo est peut-être un homme à la volonté de fer, mais il a aussi un caractère difficile. Il n’a jamais toléré d’avoir tout perdu dans le tremblement de terre, et la façon dont il a été reçu à Palerme, comme un moins que rien, lui a laissé une blessure d’orgueil indélébile. Furieux à l’idée de n’être pas respecté par les personnes les plus influentes de la ville, il transforme sa réussite en une gifle assénée à ce qu’il considère comme des ennemis ; mais son succès, en réalité, n’est jamais assez. Le premier épisode montre la situation financière des Florio s’arranger progressivement, mais le tempérament de Paolo empirer. Et, quand bien même il ne semble pas avoir perçu le lien intense qui unit sa femme et son frère, il devient progressivement plus violent…

    Là, dit comme ça, ça peut faire un peu soapesque. Mais grâce à une réalisation absolument impeccable, et un ton qui tente de ne pas trop sensationnaliser les événements, I leoni di Sicilia accomplit l’impossible : créer une fiction historique à la fois épique et à taille humaine. La série semble attachée à l’âme de plusieurs de ses protagonistes (notamment Ignazio qui prend pas mal de place dans cette introduction, et pourtant c’est pas faute de faire son possible pour s’effacer), et joliment intéressée moins par la réussite financière que morale de ses personnages. Si les décors et les costumes n’étaient pas si magnifiquement délivrés à nos yeux (et bon sang, entre ça et La legge di Lidia Poët, on est gâtées en ce moment), on croirait assister à un humble human drama (ce n’est pas sale).
    Si vous voulez vous spoiler un peu, vous pouvez d’aller aller jeter un œil à l’histoire de la famille Florio, qui, bien qu’étant moins importante maintenant, a réellement existé et a, pendant environ un siècle, été l’une des dynasties marchandes les plus puissantes d’Italie, et résolument de Sicile en particulier. L’avantage c’est que depuis, la famille s’est retrouvée quasiment ruinée, ce qui évite d’avoir l’impression d’assister à l’origin story d’un équivalent transalpin de Bernard Arnault ou de Vincent Bolloré. Amis gauchistes, consommez donc l’escapisme d’I leoni di Sicilia le cœur léger !
    D’ailleurs, si la série dure, on pourrait même assister aussi à la chute des Florio… et je ne vous cache pas qu’à mon âge, c’est la partie que je préfère dans une success story.

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  • Stratégie d’évitement

    28 octobre 2023 à 16:32 • Review vers le futur •

    Devant certaines séries, je m’interroge : son sujet fait-il que je puisse être la personne la meilleure placée pour en parler… ou la pire ? La question semble d’actualité devant Tore, une série suédoise lancée hier par Netflix, à laquelle j’ai jeté un œil par curiosité, et qui s’est avérée toucher un peu trop juste. Et trop près. Sans nécessairement que je m’identifie au personnage (en l’occurrence, dans Tore, ce n’est pas du tout le cas), je reconnais en tout cas certains de ses mécanismes, qui me sont bien familiers. Et si de prime abord on pourrait penser que, du coup, ça me rend la tâche d’en parler plus facile… paradoxalement, c’est aussi ce qui la rend compliquée.
    Dans Tore, le personnage central éponyme essaie d’éviter quelque chose. Pas une personne, pas exactement une situation, mais plus une idée, une notion, une réalité. Pour préserver son ignorance, il est prêt à tout… et dés ce premier épisode, on comprend que l’exercice, en plus d’être futile, a aussi ses limites. Il peut même s’avérer dangereux.

    Jusqu’où êtes-vous prête à aller pour ne pas vous confronter à quelque chose de difficile ?

    Le jour de ses 27 ans, Tore, un jeune homme gay qui vit encore avec son père, apprend qu’il est un peu mis à la porte. Gentillement, hein, notez bien. Mais son père Bosse, qui l’élève seul depuis plusieurs années, trouve qu’à un moment il serait temps que son grand garçon se montre plus indépendant, et entre dans sa vie d’adulte. De l’âge adulte, Tore n’a que l’apparence : il approche effectivement la trentaine, et il a un travail à responsabilité dans une société de pompes funèbres, mais en-dehors de ça, il vit encore comme un adolescent. C’est Bosse qui le réveille tous les matins, lui fait son petit-déjeuner, l’emmène au travail… Tore n’a pas grandi. Au grand dam de sa meilleure amie Linn, il n’a pas non plus de vie sexuelle, et l’on comprend aussi vaguement qu’elle représente le début et la fin de sa vie sociale. Parfois il lui rend visite, ainsi qu’à ses jeunes enfants, et c’est bien tout.
    Notez bien que, si l’entourage de Tore s’inquiète de cette adolescence persistante, le principal intéressé, lui, la vit très bien. Il est content de sa routine, de sa dépendance à son père, de tout. Il est même vexé lorsque Bosse lui suggère que, allez, il a 27 ans, il serait peut-être temps maintenant de euh hein bon. Tore ne semble pas convaincu que ce soit pour son bien (après tout, il est bien, là, dans sa chambre de toujours), et soupçonne même que Bosse se soit trouvé une petite amie, et que ce soit la raison pour laquelle il essaie de sortir son fils de la maison. Agrippé à ce qu’il a toujours connu, Tore ne voit pas d’intérêt à ce que les choses changent.

    …Naturellement, elles vont changer quand même. Et c’est précisément la raison de ce changement que Tore veut à tout prix ignorer. Dans les secondes qui suivent cet événement, le cerveau de Tore, sous les yeux des spectatrices ébahies, va garder le sourire et reprendre la routine comme si de rien n’était. Parce qu’il ne veut rien tant que cela : que rien ne soit. Aucun événement perturbateur, aucun changement, aucune rupture. Le confort du quotidien, pour toujours. Tout l’enjeu de la série est là ; et dans le premier épisode, cela passe, naturellement, par une observation atterrée (et un peu amusée, Tore flirtant par moments avec la dramédie absurde) de toutes les manifestations de cette ignorance obstinée. Tore va poursuivre son existence comme il l’a toujours fait, ignorant avec persistance les changements dont pourtant la totalité de son entourage est parfaitement au courant. Pour qui n’est pas habituée, cela doit sembler ahurissant, sans nul doute, de voir avec quelle faculté il est capable de mentir juste pour préserver les apparences… non pas au profit d’autrui, mais de lui-même. Il lui faut absolument s’assurer de réagir comme il l’aurait fait avant.
    Ce qui est, évidement, tout-à-fait intenable. Et dés cet épisode inaugural, Tore va mettre le nez dedans à son protagoniste : même en déployant tous les efforts du monde, il est impossible d’effacer ce qui s’est passé. Le pire, c’est que Tore lui-même le ressent parfaitement, et qu’il escalade donc, graduellement, l’extrême de sa réaction. Et finalement, voilà ce garçon qui ne sort jamais dans un club gay à se bourrer la gueule au bar…

    Ce que laisse deviner ce premier épisode, pourtant, c’est que Tore n’a pas réellement attendu d’être perturbé par cette notion, cette idée, cette réalité encombrante, pour mettre en place de l’évitement. Sa vie entière est dans l’évitement ! Qu’il s’agisse d’éviter d’entrer véritablement dans l’âge adulte ou de risquer une relation avec un autre homme, Tore s’est arrangé pour mettre de côté tout ce qui lui était inconfortable, plutôt que de s’y confronter. Et si cet événement en particulier le pousse dans des retranchements insoupçonnés, ce n’est que parce qu’il a déjà, en réalité, atteint un stade assez avancé dans ses stratégies d’évitement, et qu’il lui faut donc une dose plus forte.
    Look who’s talking. Avec mon anxiété en phase terminale et mon agoraphobie, on ne peut pas dire que j’aie besoin de beaucoup broder. Il m’a semblé facile de reconnaître en Tore, même si évidemment chez lui ces choses-là sont extrêmes à la fois de par les circonstances et les nécessités de la fiction, certains de mes réflexes. Je crois qu’entre lui et moi, la seule différence majeure, c’est que je ne m’interdis pas d’admettre que les choses déplaisantes existent ; à la place, je pense obsessivement à elles jusqu’à être découragée de tenter d’exister. D’un point de vue de personne « normale », ce genre de nuance doit cependant sembler assez superficielle… J’ai aussi la chance de n’avoir pas une personnalité qui me pousse à utiliser les sensations fortes pour m’anesthésier émotionnellement ; or, dans le premier épisode de Tore, il est assez net qu’une surenchère se met en place, et qu’elle comporte des dangers auxquelles je ne m’expose pas.

    Dans les faits, il reste que je me suis trouvé pas mal de points en commun avec Tore. Le héros de la série qui porte son nom a décidé d’aller contre l’essence-même de l’existence, qui n’est faite que de changements, d’adaptation, de remise en question. Bravement, Tore refuse d’avoir certaines conversations avec lui-même. Moi, j’ai l’impression que c’est universel, certes à un degré moindre, que mais que parfois on est toutes tentées de faire cela, ne serait-ce que temporairement (c’est un peu ce que l’on fait quand on décide de ne pas regarder les infos ou d’aller sur un réseau social précis, en fait !). Mais qui suis-je pour parler ?! Ça se trouve, ce n’est que la preuve de mes propres stratégies d’évitement.
    La seule raison pour laquelle j’ai une longueur d’avance, c’est que même quand je n’en parle pas avec moi-même, au moins, j’écris dessus. La preuve.

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  • Téléthique

    27 octobre 2023 à 21:14 • Série de valeurs •

    Peut-on consommer la télévision, et en particulier la télévision internationale, de façon éthique ?
    On peut mettre beaucoup de choses derrière cette « éthique », alors permettez que je précise ma pensée.

    Cela fait un bout de temps que je regarde des séries de la planète entière, une activité qui s’est démocratisée avec l’arrivée des plateformes de streaming. Ce n’était évidemment pas leur but : la commande de séries originales sur plusieurs territoires, dans plusieurs langues, mises à disposition au-delà de leurs frontières d’origine, relève plutôt de l’impératif de séduire des publics attachés à leur culture télévisuelle riche. Et, dans un nombre croissant de cas, répond aussi à des impératifs légaux. A cela vient s’ajouter la stratégie d’épaississement du catalogue ; des compagnies comme Netflix ont eu tôt fait de comprendre que lancer des séries originales chaque semaine, ça faisait bon teint et donnait l’impression d’une richesse quasi-infinie de possibilités… quand bien même il ne s’agissait d’en promouvoir qu’une poignée et que les autres étaient parfaitement jetables. Et elles l’ont souvent été (adieu 1983, petit ange uchronique parti trop tôt mais tellement d’actualité).
    Alors à peu près tout le monde s’est lancé dans la fiction internationale. Des publics qui avaient été nourris presqu’exclusivement à la série américaine ont découvert des horizons plus variés, et surtout, se sont autorisé à les regarder. Dans le catalogue de leur souscription préférée, tout semblait (illusoirement, certes) à égalité. Et quand le buzz mondial a commencé à se faire entendre autour de séries comme l’espagnole La Casa de Papel ou la sud-coréenne Ojingeo Game, personne n’a plus vraiment trouvé cela trop étrange. Il était acquis que l’on pouvait trouver de bonnes séries à peu près n’importe où…

    Avec l’évolution de ces mentalités, un peu inespérée de mon point de vue lorsqu’on voit où les états d’esprits étaient il y a seulement dix ans, est arrivée une sorte de boulimie. Les jeunes générations, en particulier, consomment de façon absolument indiscriminée des séries norvégiennes (SKAM) comme espagnoles (Élite), et bien-sûr ont joué un rôle majeur dans l’enthousiasme pour les séries sud-coréennes (Jigeum Uri Hakgyoneun). Et c’est formidable. Netflix en est arrivé à un stade où ses séries non-US font parfois de meilleures « audiences » que ses séries US pourtant chichement promues. Mais cet accès soudain, autant que cet enthousiasme tout aussi soudain, n’ont jamais été accompagnés d’une éducation à ce nouveau flux d’images. Les spectatrices n’ont dans leur grande majorité aucune culture télévisuelle relative à ces productions internationales… et, pire, parfois une idée seulement très floue de la culture du pays lui-même. Dans ce contexte, comment bien choisir ses séries ? Surtout à une époque qui (à tort ou à raison, et c’est un autre sujet pour un autre jour) tient à politiser la consommation de la pop-culture dans son ensemble.
    Les séries, comme toute œuvre d’art, transmettent des valeurs, plus ou moins volontairement. Or, de la même façon qu’il peut être difficile parfois de séparer l’art de l’artiste, parfois la question se pose de séparer l’art du pays. Comment pouvons-nous être curieuses des séries du monde tout en gardant conscience des enjeux plus larges qui les entourent ?

    C’est une question que je n’ai jamais résolue, et cela fait pourtant un bout de temps que je me la pose (ce qui me rassure, c’est que je sais ne pas être la seule). C’est par exemple l’une des préoccupations que l’on pouvait sentir sous cet article, publié il y a environ un an et demi alors que la guerre en Ukraine venait d’éclater. Comment regarder, puis parler, de séries russes quand la Russie tente d’envahir un pays ? C’est évidemment une question doublement d’actualité en ce mois d’octobre, pour une région différente de la planète. Il m’est arrivé plusieurs fois ces dernières semaines de tomber sur une série israélienne et sincèrement me demander qu’en faire. La garder pour plus tard ? La regarder et n’en rien dire ? La regarder et en discuter ? Si oui, comment ?
    Dans le fond, avec quelle attitude suis-je la plus confortable ? Avec quelle attitude suis-je la plus en paix avec mes idées politiques ? Attention : bien-sûr, la réponse à ces deux dernières questions n’est pas toujours la même. Alors, bon, on peut discuter du fait que c’est vraiment un « problème de riche », et je suis plutôt d’accord, mais on a toujours parlé de séries dans ces colonnes, donc on est plutôt habituées à avoir des problèmes sympas dans l’ensemble.
    Naturellement, pour certaines spectatrices ce ne sera jamais un cas de conscience. Formidable, continuez à faire ce que vous faites, bons visionnages. Mais pour celles qui, ne serait-ce qu’occasionnellement, se posent la question, le sujet n’en reste pas moins épineux.

    D’autant plus épineux, en fait, qu’on pourrait (devrait ?) ne pas attendre une guerre ou un nettoyage ethnique pour se poser la question. A quel moment le régime philippin est-il si autoritaire que regarder des séries philippines (pour lesquelles, vous le savez, j’ai une grande affection) devient intenable ? Et les séries turques, si populaires à travers la planète, n’ont-elles pas été ouvertement transformées en un enjeu de soft power par le gouvernement d’Erdoğan ?
    Par le passé, on ne se l’est pas toujours collectivement posée, d’ailleurs, cette question ! Quand des atteintes aux Droits humains ont été commises par l’armée américaine en Irak (attention, article incluant des photos de violences, dont sexuelles), je n’ai vu personne stopper son visionnage de Lost ou Veronica Mars, mettons. Et ne me lancez pas sur les implications post-9/11 de séries comme 24. Partant de là, pourquoi devrions-nous soudainement nous préoccuper de consommer aussi éthiquement que possible la télévision d’autres pays ? Parce qu’on y a moins d’attaches ? …Parce que ce sont des pays moins blancs ?
    Et encore, on pourrait aussi discuter des violations du Droit international constatées en France. Vous me direz, au moins, ça, ce serait une raison novatrice de ne pas regarder Master Crimes !

    D’ailleurs, faut-il nécessairement éviter les séries venues de destinations avec lesquelles l’actualité nous met mal à l’aise ? Je ne prêche pas nécessairement pour cela. Dans certains cas c’est même contre-productif.
    Parfois il peut au contraire être intéressant de regarder quelque chose avec méfiance (placer le curseur de cette méfiance, une fois encore, est un exercice d’équilibrisme). Cela m’arrive souvent, parfois à mon corps défendant, devant des séries chinoises, par exemple ; je n’ai aucune intention de les écarter de mon vocabulaire téléphagique ; mais certaines expériences éhontées illustrent bien comment de la distance est impérative face à beaucoup de ces séries. Quand bien même ce ne serait pour des raisons de propagande idéologique, comme c’est de toute évidence le cas dans une série comme l’insupportable Ebola Qian Xian, garder à l’esprit les conditions dans lesquelles ces séries sont produites puis diffusées, en particulier si elles sont le fait de la télévision traditionnelle, n’est pas inutile.

    Si encore il ne s’agissait que de consommer une série d’un pays donné. C’est relativement binaire, comparé à la difficulté de comprendre ce que l’on regarde.
    Le problème se pose en particulier dans le cas de séries historiques, par exemple devant la série Seolganghwa. Lorsqu’il nous manque d’informations de contexte historique, la tâche relève de l’impossible. Je ne sais pas pour vous, mais moi, dans toute ma scolarité sur les bancs de l’école française, on ne m’a pas une seule fois parlé de la politique sud-coréenne dans les années 80. En pleine polémique, comment faire nos choix téléphagiques en connaissance de cause. Et s’il ne s’agissait que de déterminer s’il est « bien », s’il est « moral » de regarder la série… mais comment être certaine d’en saisir les implications, les sous-entendus, quand on n’en possède pas la plupart des références ? Sans parler de séries présentant des cas de révisionnisme insidieux… Or, le révisionnisme, si l’on ignore l’Histoire, on a tout simplement tendance à la prendre pour un fait acquis. Cependant, cela dépasse ce seul genre.
    N’est-ce pas, après tout, inhérent au fonctionnement des séries ? Pendant des décennies, nous avons collectivement absorbé des séries étasuniennes… et décrété qu’il tombait désormais sous le sens qu’une dinde soit cuite pour Thanksgiving, ou qu’un bal de promo se tienne en fin d’année lycéenne. Nous avons, selon les âges télévisuels, parfois appris plus de la conquête de l’Ouest devant The Wild Wild West ou Deadwood, que derrière nos pupitres ou le nez dans nos bouquins de niveau 3e. Parfois, la télévision a révélé des choses tues, et libéré la parole de tout un pays, telle Holocaust dont la diffusion allemande a été un bouleversement national ; nous ne regarderions pas de séries si nous ne croyions pas à leur pouvoir…
    Aujourd’hui, si je me tiens métaphoriquement devant vous à parler de séries du monde entier, c’est bien parce qu’à tort ou à raison, nous considérons qu’il est important d’absorber ce que les fictions nous disent du monde. Mais cette absorption est complexe, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler régulièrement, en l’absence de repères. Alors comment discriminer ce qui doit être absorbé ou non ? Cela semble, dans certaines configurations, tenir de l’impossible.

    Il y a sûrement quelques règles à respecter pour essayer de naviguer au mieux (mais pas sans erreur) toutes ces nuances. Plus ou moins conscientes. J’ai les miennes et vous avez, peut-être, les vôtres. Pour moi, faire de la lecture est un impératif en marge de toute série ; c’est par exemple la raison pour laquelle je n’ai pas encore écrit une seule ligne sur ma série préférée de tout le mois d’octobre, je n’ai pas encore fini ce que j’appelle (en espérant que cela sonnera pour vous comme de l’humour, car je me prends comme tel) « mes devoirs ». Mais tout justement, une autre règle que je suis consiste à me souvenir de ne pas parler de séries (surtout si elles viennent de contrées dont on nous parle si peu, à nous Européennes), sans vous donner des éléments de contexte, ou au moins des liens. Il vous revient de cliquer dessus ou non, cela ne me concerne plus.
    Pour moi on ne peut pas être curieuse téléphagiquement sans être curieuse du monde (…et souvent, vice versa). Mais j’ai l’infini luxe d’avoir beaucoup de temps à consacrer à cette curiosité. Tout le monde ne l’a pas, et quand bien même ce serait le cas, ce ne devrait jamais être une obligation. Parfois, on veut juste apprécier une série, passer un bon moment, tuer le temps même pour certains cas. Et il n’y a rien de mal à cela, c’est juste que cela rend la question d’une consommation mesurée d’autant plus ardue.

    Chaque téléphage, naturellement, discute de cela entre soi et soi. Cela ne regarde personne, en réalité, si vous avez participé à l’engouement soudain (et toujours surprenant à mes yeux) pour la série russe Epidemiya. De la même façon que l’on fait des découvertes pour soi, on procède à des refus pour soi, aussi, comme lorsqu’on décrète qu’on ne consommera aucune étasunienne tant que les syndicats professionnels n’auront pas obtenu satisfaction, et les grèves seront achevées. Cela ne concerne que vous et votre écran (et éventuellement, trèèès éventuellement, avec qui vous partagez cet écran).
    Au final, je n’ai pas plus de réponse en finissant cet article qu’en le commençant. La bonne nouvelle, c’est que je crois aussi que, si la question était vite répondue, elle serait beaucoup moins intéressante, donc bon.

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  • La famille, c’est sacré

    26 octobre 2023 à 23:51 • Review vers le futur •

    Il vous souvient peut-être que, l’an dernier, je vous faisais remarquer combien les communautés voyageuses étaient peu représentées dans la fiction, mais qu’un bruissement de mouvement commençait à se faire dans certaines séries. Parfois en toile de fond (comme dans la belge Baraki qui parle d’une famille dont les ancêtres voyageaient, mais qui vivent de façon sédentaire), parfois un peu plus comme un moteur principal (telle le period drama Luna Park), et souvent à mi-chemin entre les deux (genre la série turque Üç Kuruş). Les représentations, cependant, sont peu voire pas interrogées par ces séries, et c’est dans ce contexte qu’est arrivée, en septembre, une série polonaise de Netflix : Infamia.

    Infamia prend à bras-le-corps les problématiques d’identité collective et individuelle, en suivant une adolescente, Gita, alors qu’elle se trouve à un moment-clé à la fois de sa relation à son héritage, et de sa propre vie. Quels choix faire pour l’avenir quand le patrimoine familial pèse aussi lourd dans la balance ?

    Le mécanisme n’est pas des plus originaux, mais on n’est pas là pour faire dans la surprise. Infamia (ou Infamy de son titre international), comme beaucoup de séries similaires créées pour des groupes différents, s’interroge sur l’équilibre à trouver, si seulement il peut l’être.
    Gita Burano a grandi sur la route, en Europe, avec ses parents Marko et Viola, ainsi que ses adelphes. La famille a finit par s’installer au sein d’une communauté de « gens du voyage », et Gita a pu aller à l’école, où elle a fait des rencontres, noué des amitiés. Seulement voilà : Marko et Viola ont décidé de retourner en Pologne, dans la famille paternelle, dont, pour des raisons auxquelles il n’est fait que des allusions, jusque là elles se sont tenues éloignées. Ce déménagement (comme souvent les déménagements dans les fictions sur des personnages jeunes) est un bouleversement pour Gita ; elle quitte ce qui lui est familier pour retrouver une famille large qui, paradoxalement, lui est devenue étrangère. Qui plus est, ce retour est l’occasion pour Viola d’insister, plus que jamais, sur le respect strict du Romanipen. Comme Gita s’apprête à le découvrir (ou plus vraisemblablement redécouvrir, car elle n’en est pas ignorante : elle a juste grandi dans un cadre qui n’était pas aussi attentif à son respect), ce code informel est très strict quant aux rôles genrés.

    L’arrivée en Pologne, dans la maison de son oncle, où vivent plusieurs générations de sa famille paternelle, est pleine de sentiments mêlés. Gita se sent chez elle, retrouvant avec émotion des membres d’une famille qu’elle a connue, petite, et que soudain elle est touchée de revoir quand quelques kilomètres plus tôt cela ne l’intéressait pas de revenir. Elle est frappée par le vivre ensemble, qui dépasse ce que ses expériences précédentes d’un mode de vie en communauté ont pu lui offrir (par exemple elle et ses adelphes partagent une large chambre avec ses cousins). Elle découvre une maison qui est sans nul doute chargée d’histoire. De l’histoire de sa famille. De son histoire. Et pourtant elle la découvre.
    Dés les premiers jours, pourtant, Gita ressent aussi l’importance du Romanipen dans son existence ; plus que jamais, son attitude, son habillement, ses activités, ses sorties, sont règlementées par un code strict. Sa mère semble plus que jamais attentive à ce que Gita suive les codes traditionnels (en grande partie parce que son comportement sera interprété comme le reflet de son père, déjà peu en odeur de sainteté dans sa propre famille). Les conflits ne se matérialisent pas tout de suite, mais on sent qu’ils ne sont pas loin de germer, quand le premier épisode d’Infamia observe Gita se faufiler hors de la maison pour s’inscrire en douce au lycée voisin…
    Sans aucun doute possible, la collision est inévitable. Pour le moment, elle prend la forme de petits conflits sur une jupe à porter ou le fait de servir les hommes à table. Elle va rapidement s’amplifier, et porter sur des enjeux plus vitaux.

    Il y a, ne vous y trompez pas, quelques moments précieux dans Infamia. Des instants pendant lesquels Gita se réconcilie avec une culture dont elle n’a été qu’à moitié familière pendant longtemps. Des passages pendant lesquels elle s’émerveille de sa capacité à trouver de la liberté malgré les interdits.
    La connivence entre Gita et son père Marko est également un point fort de la série. Marko n’est pas seulement peu intéressé par la stricte adhérence au Romanipen : il est aussi en conflit avec sa propre famille (les deux n’étant pas nécessairement sans lien, cela dit). Avant leur départ pour la Pologne, Gita lui a démontré à quel point prendre la route à nouveau la touchait ; il lui a donné une chance de rester en arrière, de ne pas partir avec la famille, de préserver son indépendance. Gita a fait le choix (et à mesure qu’avance cet épisode, on sent qu’il lui coûtera plus tard) de finalement les suivre, malgré tout. Il le regrette presque, parce qu’il sait (et qu’il nous l’a communiqué, par allusion, très tôt dans l’épisode) quelle vie attend sa fille aînée. Il voit, et nous voyons à travers lui, ce que cette nouvelle vie comporte de risque pour le tempérament indépendant de sa fille. Il est prêt à l’écouter, bien plus que Viola. C’est une très jolie, mais déjà un peu compliquée, relation qu’explore Infamia entre un père et une fille… qui, à partir de maintenant, peut aussi bien se distendre que devenir plus forte.

    Au risque de me répéter, rien dans tout cela ne relève de l’inédit. Infamia ne dépeint, en substance, rien qui n’ait été présenté dans d’autres fictions dans lesquelles une adolescente se trouve en conflit avec ses parents ou grand-parents. Gita commence à développer ses propres envies, ses propres valeurs même, et elles sont incompatibles avec les attentes de générations plus âgées.
    N’est-ce pas le conflit central au cœur d’œuvres comme Inside Out, Everything Everywhere All At Once, ou encore Encanto ? Comme ces films, et comme bien des séries s’inscrivant dans la même démarche, Infamia n’est pas là pour trouver des situations incroyables ou des angles inexplorés par des milliers d’année de fiction, tous médias confondus. Non. Elle veut s’intéresser à ce que ce conflit universel porte, lorsque non seulement on vit un moment de l’adolescence propice à l’opposition face aux figures parentales (ou grand-parentales ? est-ce un mot, seulement ?), mais parce qu’il faut se préoccuper de ce que cette opposition signifie à l’échelle de la famille. On ne fait pas sa crise d’adolescence de la même façon quand on doit aussi s’inquiéter de la survie d’une culture minoritaire, longtemps persécutée, toujours incomprise. On ne peut pas se permettre de tout envoyer valser quand la famille est un socle sur lequel tant repose, y compris tout un style de vie. On ne peut pas juste tout refuser parce que l’on est une personne qui a grandi dans un milieu donné.
    Infamia explore les contradictions, les compromis, et les obstinations, qui se présentent dans ces circonstances. Et le fait, je trouve, avec pas mal de joliesse.

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  • Veuve joyeuse ?

    24 octobre 2023 à 20:11 • Telephage-o-thèque •

    La mort est universelle, mais le deuil est culturel. Selon où l’on a grandi, on ne vivra pas la même tragédie de la même façon ; les jours, les mois, les années qui suivent seront différentes.

    Le premier épisode de la série zambienne Chokolo est l’occasion d’assister à l’intimité pénible d’une famille endeuillée, après que l’un des fils adultes, Andrew, soit décédé. Hélas, le deuil des Senkulo prend un mauvais départ : en plein milieu des funérailles, la police vient arrêter Banji, le jumeau d’Andrew. Accusé d’avoir tué son frère, il est emprisonné sur le champs, et dans l’année qui suit, attend sans grand espoir qu’on trouve un moyen de prouver l’innocence qu’il ne cesse de clamer. Hélas pour lui, l’année qui suit l’enterrement d’Andrew est avant tout placée sous le signe du deuil, et sa famille (qui plus est divisée quant à sa responsabilité dans la mort d’Andrew), n’entame qu’à moitié les démarches, lui recommandant la patience. Pendant ce temps, la veuve d’Andrew, Bukata, se soumet à contrecœur aux obligations qui lui imposent, pendant un an, de se vêtir de noir et de n’avoir aucune activité ni vie sociale.
    Au bout d’un an, toutefois, beaucoup de choses vont changer, le deuil étant considéré comme achevé.

    Les circonstances du décès d’Andrew n’ont que peu d’importance dans le premier épisode de Chokolo (un soap de Zambezi Magic diffusé pendant l’été 2022), qui est bien plus intéressée par les traditions et rites entourant ce décès, et quel impact ils sont sur les membres de la famille Senkulo. On découvre bientôt que ces membres ont des réactions bien moins évidentes qu’il n’y paraît, d’ailleurs.
    Prenez Bukata. Si le deuil est culturel, il est aussi personnel, et cette année de deuil imposé lui donne des sentiments contradictoires. C’est une femme encore jeune, et elle voudrait s’amuser ; mais pendant une année, ses obligations de sobriété l’ont conduite à se glisser furtivement hors de chez elle et à rencontrer ses amies en secret dans des petits bars minables, pour n’être pas prise la main dans le sac. Alors que l’année de veuvage touche à sa fin, elle n’a qu’une hâte : retrouver sa liberté, et conduire sa vie comme elle l’entend, d’autant que pour l’instant elle vit chez les Senkulo. Cela lui donne l’impression d’être observée, alors qu’en personne adulte, elle voudrait être libre de ses mouvements. Qui plus est, son mariage avec Andrew était arrangé ; et même si elle avait de l’affection pour lui, qu’elle l’a sincèrement pleuré, et qu’il lui manque, elle commence aussi à penser à sa vie affective future…
    A la veille de la fin de l’année suivant le décès d’Andrew, elle passe une dernière soirée secrète avec ses amies, avant un retour à la normale. Pense-t-elle.

    Le titre de la série est en effet une menace qui pèse au-dessus de sa tête sans qu’elle ne l’ait encore perçu. Les Senkulo, voyez-vous, suivent certaines traditions anciennes… dont celle du « chokolo« , qui consiste à marier une veuve à un autre homme de la même famille. Selon à qui on le demande, le chokolo est soit une tradition patriarcale qui devrait appartenir au passé, soit un moyen d’assurer à une veuve d’être toujours prise en charge par la famille dans laquelle elle a vécu le temps de son premier mariage. Après la période de chokolo (qui apparemment est une procédure assez longue), Bukata et son fils ne seront donc pas sans ressources… mais cela implique d’épouser un frère ou un cousin d’Andrew. Et, pire que tout : les hommes prétendant au chokolo n’ont aucune obligation de la courtiser… c’est une décision familiale.
    Pendant le premier épisode de Chokolo, Bukata n’a pas la moindre idée de ce qui l’attend. Elle croit réellement qu’au bout d’un an de deuil (ou de comédie de deuil), elle trouvera son indépendance et pourra faire ce que bon lui semble. Mais après les obligations, viennent d’autres obligations.

    Chokolo n’est pas exactement une série sur Bukata ; en tout cas, elle ne s’intéresse que modérément à sa perspective (et elle la juge un peu pour se bourrer la gueule avec les copines, aussi). La série est avant tout un ensemble drama, et, avant toute autre chose, c’est à un drame familial auquel on a affaire ici.
    Le décès d’Andrew a créé des scissions (sa sœur April, par exemple, ne croit pas à l’innocence de Banji, contrairement à leur mère), et cela ne va pas s’arranger maintenant que le chokolo devient une compétition intrafamiliale : il reste 5 hommes adultes célibataires dans la famille Senkulo, et tous, on commence à le comprendre, vont avoir une bonne raison de se porter volontaires pour épouser Bukata.

    Ma scène préférée est précisément un moment qui rassemble tout le monde dans la même pièce ; vers la fin de l’épisode, Bukata célèbre (enfin !) l’aboutissement d’une année de deuil. Les rites sont précis, mais ils sont intimes, conduits sans personne extérieure à la famille que ç’avait été le cas pour les funérailles du début d’épisode. Rassemblées dans le salon, buvant, tapant dans ses main, échangeant des plaisanteries, le clan Senkulo fête très littéralement un anniversaire, même si c’est celui d’un décès : cela fait un an qu’Andrew est parti, et tandis que l’on remercie Bukata pour avoir correctement pris le deuil pendant un an (c’est une marque de respect envers le défunt), chacune à sa façon pense enfin à l’après. Pendant les rires, les moments de flottement, les regards échangés, la remise de cadeaux symboliques, collectivement, les Senkulo s’autorisent à de la joie pour la première fois depuis une année. Les Senkulo sont en vie. La vie continue.
    J’ignorais tout de ce rituel (j’ai vu assez peu de séries africaines sur le deuil, et quand c’est le cas, c’est immédiatement après le décès, comme par exemple dans le premier épisode d’Emoyeni), mais il est joli, à sa manière. Bien que certains aspects des traditions suivies par les Senkulo soient plus contestables (comme la nature du chokolo, qui de toute évidence ne ravit pas la veuve quand elle comprend enfin ce qui l’attend), je dois reconnaître qu’il est séduisant qu’un rite existe pour passer à la suite. Ne pas rester dans la douleur, quand bien même le temps commence à l’estomper. Faire acte de la tristesse ressentie, et vécue pleinement pendant un an (d’autant que les obligations pensant sur une veuve semblent très austères), et puis, en famille, accueillir une embellie. Être reconnaissante des honneurs faits au mort tant aimé, et puis aller de l’avant. Hors April (qui passe toute la fête à tripoter son portable avec un air morne, probablement en partie parce qu’elle en veut à sa famille pour soutenir Banji) et le cousin Kelvin (qui est reçu froidement lorsqu’il pénètre dans le salon, et semble d’ailleurs désapprouver la cérémonie), toutes les membres de cette famille semblent se saisir de cette occasion pour faire le ménage dans leur cœur, plutôt que de laisser la tristesse les envelopper pour longtemps. Je me suis demandé ce à quoi cela peut ressembler, de vivre dans une culture où une fois le deuil fait, tout le monde va de l’avant.

    Peut-être que si j’avais grandi dans une autre culture, je vivrais le deuil plus facilement. Le mariage, c’est moins sûr.

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  • Hirondelles

    23 octobre 2023 à 21:15 • Review vers le futur •

    Printemps 1957. Comme des milliers de personnes avant elles, Leah, Chantrelle et Hosanna font le voyage depuis leur Jamaïque natale en direction du Royaume-Uni. Là-bas les attend le frère des deux premières, Aston, qui vit déjà sur place. Il pourrait potentiellement épouser Hosanna si elles se plaisent, mais elles ne se sont jamais rencontrées auparavant, ce sera la surprise. En fait, ce sera la surprise pour tout le monde, tant rien n’avait préparé les jeunes femmes à la vie en Europe. Chacune arrive avec des objectifs (Leah tente d’échapper à un mari violent, Chantrelle a trouvé un emploi de gouvernante dans une famille blanche et espère plus tard devenir actrice), mais la réalité est différente de ce qu’elles avaient imaginé.

    Trigger warning : violences domestiques.

    Cette année marque les 75 ans de l’arrivée du bateau HMT Empire Windrush, et donc de celle qui a été surnommée la Windrush generation. Je vous disais récemment qu’il était encore assez rare pour une série de s’intéresser à la perspectives d’immigrantes ; ITV nous offre depuis hier cette possibilité avec Three Little Birds.

    Three Little Birds a toutes les apparences d’une… écoutez, je ne vois pas d’autre façon de le décrire que : toutes les apparences d’une série britannique sur les Britanniques. Quand la télévision américaine raconte l’Histoire américaine, on bombe le torse, la musique est épique, et on met des drapeaux partout où c’est possible ; quand la télévision britannique raconte l’Histoire britannique, ça a les apparences d’une fiction wholesome au possible. Pensez Call the Midwife ou The Durrells, vous voyez le genre ? Elles ont un cachet, ces séries-là, un truc qui dit : « je ne vais faire de mal à personne, être regardable par plusieurs générations, et je vais être très simple à comprendre. Avec moi, pas la peine de chercher le sens caché des intrigues ou des métaphores complexes, tout ce qu’il y a à savoir est parfaitement évident et plein de bons sentiments ». Même si par ailleurs, il peut aussi s’y raconter des choses dures.
    Aussi, lorsque commence l’intrigue de Three Little Birds à bord du bateau qui emmène ses trois oiseaux en Grande-Bretagne, et même si l’on se doute qu’une fois sur place tout ne sera pas simple, les choses ont l’air assez idylliques. Leah, Chantrelle et Hosanna sont pleines d’espoir, un peu tiraillées par l’angoisse de ne pas savoir à quoi s’attendre, mais globalement positives. Leah, elle, est un peu plus inquiète que les autres, et l’on comprendra au fil de l’épisode pourquoi : elle a laissé ses trois enfants derrière elle, car elle veut établir une vie (et notamment trouver un emploi) avant de les faire venir. Fille de pasteur, Hosanna se demande un peu si Aston va lui plaire et si elle va lui plaire, mais comme on lui a promis qu’elle pourrait repartir en Jamaïque à tout moment et qu’elle aurait toujours une chaperonne à ses côtés dans l’intervalle, ce n’est qu’à moitié un soucis. Quant à Chantrelle, elle est résolument la plus optimiste des trois, a des rêves de gloire pleins la tête, et surtout, n’a qu’une hâte : adopter le train de vie britannique, dont elle pense qu’il sied mieux à ses attentes en matière de raffinement et de divertissement.

    Sitôt posé le pied à quai, cependant, elles déchantent toutes les trois. Le personnel des douanes est peu accueillant, Aston n’a pas autant d’argent qu’il le prétend (et lui-même est un peu déçu que Hosanna ne soit pas très à son goût), et le trajet jusqu’à la destination de chacune va être long. Pire encore, pour la première nuit qu’elles passent sur le sol britannique, Aston n’a trouvé qu’une petite chambre à partager avec l’un de ses « amis », glauque et, donc, mixte. Hosanna est furieuse, et encore plus ulcérée quand l’ami en question organise une gigantesque fête avec du rock’n’roll.
    Bref, ce n’est pas franchement un bon départ. Et le pire, c’est que rien ne va s’arranger, si bien que moins de 24h après leur arrivée, les trois oiseaux migrateurs se sont disputés et l’une d’elle passe même la nuit en prison pour avoir osé se plaindre à un policier blanc.
    Plus l’épisode de Three Little Birds avance, plus il devient clair que derrière ses airs grand public, la série n’a pas vraiment envie de mâcher ses mots. Son histoire n’est pas celle de trois jeunes immigrées ayant fait contre mauvaise fortune bon cœur, mais celle de trois femmes noires qui se sont pris le racisme en pleine gueule en arrivant. Ce qui ne veut pas dire qu’après ce premier épisode, aucun espoir n’est possible et que l’avenir sera nécessairement tragique ; par contre, il ne s’agit pas de passer rapidement sur la réaction exécrable des Britanniques. Il s’agit de l’étudier, et de la montrer du point de vue des victimes de ce racisme violent, ne donnant aucune chance à qui que ce soit de se trouver des excuses. En fait, dans le premier épisode de Three Little Birds, il n’y a pas de « gentille blanche », ça n’existe tout simplement pas ; et c’est légitime parce que s’il y avait effectivement une blanche qui serait gentille, bah ce serait normal et ce ne serait pas la peine de le montrer. Je ne dis ça pour personne en particulier, hein Ten Pound Poms. Oui, j’ai enfin regardé le premier épisode, et c’est vraiment pas glorieux.
    Ce que la série veut dire, c’est, en des termes clairs, que le racisme rencontré par la génération Windrush n’était pas le fait d’une minorité de Britanniques. Et que quand bien même il l’aurait été, ça a quand même rendu la vie des personnes noires, et notamment des femmes noires, absolument infernale. Le créateur de la série, Lenny Henry, sait de quoi il parle : la série est inspirée par le parcours de sa propre mère, qui a immigré depuis la Jamaïque à la même époque. Accessoirement, il est aussi un acteur noir de la distribution de The Rings of Power. Vous vous souvenez comment ont été reçues les actrices noires de The Ring of Power l’an dernier ? Voilà.

    A ce stade vous l’aurez compris, je ne suis pas nécessairement la meilleure personne pour continuer de vous parler de Three Little Birds. Donc faites-vous une faveur, regardez-la vous-mêmes, et parlez-en autour de vous. C’est curieux comme je n’avais pas beaucoup entendu de Three Little Birds avant son lancement… je ne dois pas être la seule.

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  • Headlines to die for

    22 octobre 2023 à 22:12 • Review vers le futur •

    Dans la presse écrite, c’est la crise. Désormais un journal traditionnel comme le Kilraven Chronicle, distribué exclusivement au format papier et ne traitant que de l’actualité locale d’une petite ville d’à peine 5000 habitants, ne peut plus employer toute une salle de rédaction. Hughie Burns, le rédacteur en chef, annonce donc aux journalistes du Kilraven Chronicle que désormais, au lieu d’être salariées, elles seront payées à l’article publié.

    Trigger warning : tentative de suicide.

    Cela inclut Elvira Clancy, une jeune vingtenaire qui n’a commencé à travailler là que 6 mois plus tôt, et qui est en charge de la rubrique des avis de décès. Si désormais elle n’est payée que lorsque quelqu’un meurt, que va-t-il advenir d’elle ? Ma foi, Obituary a une petite idée.

    Elvira Clancy ne pourrait porter un nom plus approprié ; la jeune femme, qui est née et a toujours vécu dans la petite ville de Kilraven, est en effet obsédée par la mort, et en particulier la mort d’autrui. Peut-être que cela a commencé lorsque sa mère est morte sur la table d’accouchement, peut-être que ce sont des excuses qu’elle se trouve pour justifier sa fascination… En tout cas, c’est l’une des deux seules choses qui donnent un sens à son existence : la mort et l’écriture. Alors rien d’étonnant à ce qu’Elvira estime avoir décroché le métier de ses rêves en rejoignant la gazette de son patelin pour écrire des avis de décès !
    …Un rêve qui s’avère, comme souvent, moins enchanteur qu’espéré. Pendant ses premiers mois, Elvira a découvert que son style littéraire ne satisfaisait pas Hughie, ce qui l’a obligée à retravailler d’arrache-pied ses portraits de personnes décédées. Et maintenant, non seulement leur qualité est en jeu, mais leur quantité aussi ? Sans le savoir, Hughie lui donne ce jour-là, dans son bureau, une idée effrayante sur le ton de la plaisanterie :
    – Comment je vais vivre ?!
    – Je sais pas, peut-être que tu devrais tuer des gens.
    Précisément.

    C’est donc ce que commence à faire Elvira. Pas franchement à reculons : non seulement chaque personne morte lui permet de publier un article, et donc se faire payer, mais en plus, cela lui permet de s’adonner à ses désirs les plus secrets. Sans compter que cela lui donne l’occasion d’améliorer son art (…je parle de sa plume). Pister une proie, déterminer si elle mérite de mourir, décider de comment procéder, tout cela lui apporte une capacité à écrire des profils plus précis, plus fouillés, plus élégants.
    Et puis, soyons honnêtes, ce n’est pas comme si l’idée la révulsait. En fait, par le biais de flashbacks, Elvira nous révèle bientôt que depuis ses 10 ans, lorsqu’elle a tué un cerf pendant que son père Ward lui apprenait à se servir d’un fusil, elle a su qu’elle ne connaîtrait jamais plus grande jouissance que de donner la mort. Bien-sûr, tuer quelqu’un n’est jamais aussi simple que tirer sur une cible au fusil. Tuer les personnes demande de l’intelligence, de l’observation, de la planification… Elvira doit rapidement apprendre à jongler avec tout cela si elle ne veut pas être découverte.
    Obituary commence comme une dramédie morbide, un peu folle. Cela ne va pas durer.

    Il y a une dimension morale dans les meurtres d’Elvira ; comme Dexter Morgan, la jeune femme s’est convaincue qu’elle ne tuerait que des « mauvaises personnes », des gens qui, pense-t-elle, méritent la mort.
    Elle observe les faits et gestes de ses cibles pour confirmer (et parfois, à regret, infirmer) qu’effectivement ses victimes ne méritent pas de vivre, et valent bien les 200 euros que lui rapportent un avis de décès publié. Et qui mérite vraiment de vivre, à Kilraven ? La plupart des gens n’ont même pas envie d’y vivre ! Kilraven est un petit patelin paumé, coincé entre la mer et la campagne, où il ne se passe jamais rien et où l’on se retrouve à passer une vie entière bloquée là. A 25 ans, Elvira aussi se sent limitée par ce que Kilraven représente (pas autant que sa meilleure amie Mal, mais pas loin derrière), et il n’est pas très étonnant qu’elle méprise autant les personnes insignifiantes d’une ville insignifiante… et trouve leurs vies insignifiantes. Tout son dédain pour leurs pathétiques existences s’illustre dans cette phrase saisissante : « Kilraven est comme une foire en hiver. Ses habitantes sont convaincues que si seulement le soleil rayonnait, si son usine rouvrait, si les étrangères partaient, leur vie serait belle à nouveau ». Oui, Elvira a une jolie plume. Et aucune empathie.
    La série va un peu lui forcer la main. Tout en suivant ses premiers pas de tueuse, Obituary garde à l’esprit que son héroïne n’est pas parfaite. C’est une femme encore jeune, qui n’a pas encore appris toutes les leçons de la vie, souvent aveuglée par sa propre intelligence, et incapable de nuance (…en même temps si elle était capable de nuance, elle trouverait un second job au lieu de tuer des gens !). A de nombreuses reprises, Elvira va découvrir que la ville déborde de personnes complexes, et que Kilraven est une vaste toile de relations alambiquées ; même si elle ne le perçoit pas toujours ou pas de prime abord, le patelin qu’elle déteste est en fait bouillonnant d’une humanité nuancée, où tout le monde a une histoire à raconter. Ce qui est bon pour sa plume, moins pour ses meurtres.

    En parallèle de cet étrange parcours initiatique, Obituary nous prépare aussi une intrigue en fil rouge que je n’avais vraiment pas imaginé prendre autant d’importance au début.
    Cinq ans plus tôt, Maria Riedle, une immigrée allemande, est décédée la veille de son retour en Allemagne. Son sac, qui contenait son passeport et son billet d’avion, n’a jamais été retrouvé, non plus que la carabine qui lui a troué le ventre. L’enquête a piétiné pendant un long moment, et se trouve désormais au point mort… mais au moins deux personnes se sont prises de passion pour sa résolution. La première est Hughie Burns, le rédacteur en chef du journal, qui veut absolument découvrir ce qui est arrivé à Maria, à un degré obsessif qui ne saurait être autre que personnel. La seconde est Emerson Stafford, un séduisant journaliste dont les dents rayent le parquet, qui vient d’arriver à Kilraven et a bien l’intention de publier un best-seller sur l’affaire, qui devrait le rendre riche. Dans l’intervalle, il travaille… à la rubrique criminelle du Kilraven Chronicle. S’il devait y avoir un meurtre en ville, il serait donc le premier à enquêter.
    C’est un peu gênant parce que, ma foi, Elvira a immédiatement le béguin pour lui. Pire encore, Mal commence à fréquenter Emerson, ce qui ne fait qu’ajouter à la complexité de la chose.

    En six épisodes, Obituary est pleine de surprises. Elle parvient à mêler toutes sortes de sujets, de tons, de fils conducteurs.
    On peut aussi bien y suivre les pulsions meurtrières d’Elvira, observer l’évolution de ses velléités artistiques, qu’assister à son désespoir à voir son père Ward sombrer dans l’alcool (un phénomène relativement récent, semble-t-il). Ou alors on s’interroge sur l’identité de la personne qui a tué Maria Riedle, un crime qui n’a toujours pas été résolu mais qui reste sensible dans les esprits de cette petite ville où, d’ordinaire, l’on ne tue pas. Ou bien on y suit la vie d’inconnues, qui progressivement se révèlent à Elvira dans toutes leurs contradictions si humaines ; un patchwork étonnant de visages, qui pouvaient sembler anodin au début et deviennent importants à nouveau quelques épisodes plus tard, se révèle au fil des épisodes. Ou encore on y découvre la relation complexe qui unit Elvira et Mal, les deux jeunes femmes n’ayant strictement rien en commun si ce n’est que toutes les deux sont orphelines de mère depuis l’enfance ; leurs différences semblent plus que jamais évidentes, maintenant qu’Emerson est arrivé dans leur vie.
    Tout cela avec un discours complexe sur la vie dans une ville sans issue, la santé mentale, le deuil…

    Quelle série étonnante ! Petite par la durée (sauf si elle trouve une deuxième saison, ce qui n’est pas encore à écarter surtout vu la conclusion de la première), mais grande par l’ambition.
    Obituary fait preuve d’une finesse rare dans ses dynamiques et ses portraits, ne se régale jamais complètement de ce qui allume une flamme dans les yeux de son héroïne, n’hésite pas à questionner ses certitudes. Elle fait preuve à la fois de sévérité et de tendresse dans chaque aspect de son approche. Ce qui au départ me laissait penser que j’allais regarder un équivalent irlandais de la dramédie indienne Hasmukh, a rapidement développé une âme insoupçonnée ; de dramédie macabre, Obituary est devenue un drama sophistiqué.
    Cela faisait longtemps que je n’avais pas été aussi enchantée par une série à base de meurtres. Qui a dit que la presse écrite était à l’agonie ?

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  • Crime of the century

    21 octobre 2023 à 20:21 • Zappeur, Zappeur n'aies pas peur ! •

    Même depuis Mastodon (où la communauté téléphagique française n’a que modérément posé ses valises…), j’ai eu vent du buzz autour de la nouvelle série D’argent et de sang.
    What’s not to love ? C’est une série française bien réalisée, avec un budget confortable et une distribution pas dégueulasse, dotée d’un sujet ancré dans une problématique d’actualité, sous-tendue par une question politique majeure, avec des mécanismes s’inscrivant dans l’engouement actuel pour les séries portant sur des arnaques de grande ampleur, écrite de façon à expliquer de façon pédagogique mais pas rébarbative ses enjeux (ce qui correspond bien à ses origines journalistiques)… sans parler du fait qu’elle a beaucoup d’énergie, que son intrigue se déroule sur une timeline pleine de rebondissements, et qu’avec intelligence elle a même su inclure un peu d’escapisme et de comédie, presque paradoxalement. Tout y est.
    De quoi d’autre peut-on bien rêver ?

    Pour essayer de résumer, D’argent et de sang démarre en octobre 2008, lorsque Simon Weynachter plaide devant l’Assemblée nationale pour la création d’une unité spécialisée dans les crimes financiers internationaux : le Service National de Douane judiciaire. Mis à la tête de ce nouvel organe indépendant qu’il a défendu si passionnément, Weynachter tombe complètement par hasard, avec son équipe, sur des sociétés fictives qui révèlent l’existence d’une gigantesque opération de fraude.
    Dans les faits, la combine est simple : elle repose sur une simple absence de reversement de TVA aux services fiscaux. Toutefois, pour mettre en place cette fraude, ses responsables ont mis en place tout un système consistant à faire ouvrir des comptes bancaires professionnels dans des paradis fiscaux à plusieurs jeunes femmes crédules, en échange d’un voyage et quelques billets. Par des opérations complexes, ces comptes permettent au montant de la TVA d’être déposé offshore avant même que le fisc n’ait la moindre idée des sommes ainsi exfiltrées. D’argent et de sang suit cette opération, à la tête de laquelle on trouve l’exubérant Alain Fitoussi, dit « Fitous », un type parti de rien, originaire de Belleville, qui a passé les dernières années à rebondir d’arnaque en fraude, et son cousin Yankel Aser, dit « Bouli ».

    Le cadre narratif de la série, pourtant, impose le recul.
    En 2017, Weynachter est en effet entendu par des magistrats du TGI de Paris au sujet de l’enquête portant sur cette fraude, et ses retombées. Des retombées dont on nous promet qu’elles ont été sanglantes (et le générique l’a préventivement confirmé), bien que pour le moment leur description se limite à une question financière. Mais n’est-ce pas souvent comme ça ?
    Il n’est donc pas question de simplement suivre la mise en place de la fraude, ou même de suivre l’enquête. Il est impérieux pour D’argent et de sang de nous ramener à l’après, de nous dire, en des termes dénués de toute ambiguïté, que cet argent qui sort par la petite porte, qui est dépensé dans des excès, qui s’affiche de façon détestable dans des scènes qui pourraient nous faire sourire si nous n’y prenions pas garde, cet argent, c’est le nôtre, ç’aurait dû être le nôtre. En pleine crise des subprimes, c’était l’argent dont nous avions besoin. Chaque fois que D’argent et de sang revient à la salle austère dans laquelle Simon Weynachter explique les faits, la série réitère son rappel. Peut-être précisément parce que, ces derniers temps, les séries sur les arnaques et fraudes spectaculaires sont populaires, D’argent et de sang refuse le spectacle d’une opulence joviale, celle incarnée par Fitous, pour bondir dans l’espace et dans le temps, et nous ramener à cette pièce du TGI. Tout y est sérieux, pâle, peut-être un peu ennuyant même. C’est moins drôle que l’impayable Fitous avec ses putes, ses chemises Versace et ses soirées de poker, mais ne vous laissez pas berner. Qui plus est, Fitous n’est que le premier maillon de la chaîne, comme le rappelle le titre de ce premier épisode qui porte son nom ; il y en aura donc d’autres. Ce n’est pas son histoire à lui, il n’est pas votre héros. Rappelez-vous, martèle D’argent et de sang, rappelez-vous toujours que la raison pour laquelle ce personnage s’amuse, c’est qu’il vous a toutes volées, et que c’est grave. Rappelez-vous combien c’est grave.
    Par les temps qui courent, alors que tant de gens encensent les pires personnages pourvus qu’ils soient friqués et larger than life, secouer les spectatrices par les épaules à intervalles réguliers est salvateur.

    Alors, D’argent et de sang n’est pas une série parfaite. Son obsession pour essayer d’humaniser Simon Weynachter, par exemple, on s’en tape un peu… D’ailleurs, au moins dans ce premier épisode, elle apparaît précisément comme une tentative vaine de l’humaniser, plutôt que de lui donner une vraie épaisseur, une complexité nuancée, une dimension humaine. Mais on s’en fout. On s’en fout que Weynachter soit une personne torturée, ou un père inquiet. Dans le fond, qu’est-ce que ça aurait changé s’il avait été un homme heureux ? Le crime aurait été commis tout pareil. C’est tellement pas ce pour quoi on est venues. On peut aussi regretter que D’argent et de sang se préoccupe plus de pognon que de la dimension écologique de la fraude qu’elle décrit. Ce sera peut-être un peu mieux discuté lors d’épisodes ultérieurs, cela dit, mais c’est vrai que ce n’est pas que de l’argent qui nous a été volé, mais notre futur…
    Toutefois, ce qui constitue sa mission principale, son propos central, son objet primordial, ça, c’est bien foutu, ça, D’argent et de sang le maîtrise. Sans aucun doute possible.

    N’est-ce pas le genre de série qu’on veut voir plus souvent ? Le genre de série dont on s’est plaintes pendant des années de ne pas assez voir produite en France ? Le genre de série qu’on sera fières de voir s’exporter (et elle va le faire, c’est certain) ? Précisément. D’argent et de sang est globalement à la hauteur de son buzz, et on voit se dessiner pour elle un avenir en tant que « grande » de la télévision française si le reste de la saison est du même tonneau.

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  • Being human

    21 octobre 2023 à 0:26 • Dorama Chick •

    Dans une chambre d’hôtel, un drame : une femme s’est introduite dans la chambre d’une mère et son fils, un couteau à la main. Le lendemain, la presse fait les gros titres de l’issue de cette tragédie, car c’est le petit garçon de 10 ans qui a poignardé l’intruse, sauvant la vie de sa mère. Toutefois, tombée dans un feu, la femme qui a failli devenir une tueuse est impossible à identifier.
    C’est précisément son identité qui intéresse les enquêteurs Cheng Nuo et Lu Yu Lai. Ils ne travaillent cependant pas pour la police, mais au sein du Sheen Genome Institute, une entité chargée par le gouvernement d’enquêter sur la présence d’humanoïdes génétiquement modifiés.

    …Oh, je ne l’ai pas mentionné ? Ce doit être oubli de ma part : Fang Sheng Ren Jian est une série de science-fiction qui se déroule quelques années dans notre futur, à une époque où les « humanoïdes » (c’est le terme employé par les sous-titres d’iQiyi en tout cas, et celui que je vais donc utiliser dorénavant) sont devenues monnaie courante. Comme l’explique de façon très pédagogique l’introduction du premier épisode, dans le futur, il est devenu possible de créer artificiellement des personnes humaines, à une différence près : leur génétique a été éditée pour intégrer ce qu’on appelle une « obsession initiale », une sorte de prime directive qui les oblige à obéir à la personne pour laquelle elles ont été créées.
    Sauf qu’au moment où commence la série, la commercialisation des humanoïdes a pris une trajectoire bien différente de l’enthousiasme initial des consommatrices pour ce produit. Les gouvernements de la planète ont en effet unanimement décidé d’en interdire la confection et la vente. Plus encore, le marché noir est combattu, et… toutes les humanoïdes en circulation doivent être mises hors service.

    Non mais, j’aimerais qu’on s’arrête un peu là-dessus, si ça ne vous ennuie pas, parce que le premier épisode de Fang Sheng Ren Jian (ou Bionic Life de son titre international) ne le fait pas vraiment.

    Les humanoïdes sont des personnes humaines. Ce ne sont pas des robots, on n’est pas dans Äkta Människor (je cite Äkta Människor en particulier parce que mon site préféré a récemment commencé à proposer des sous-titres de l’adaptation chinoise, et je me tâte… mais n’importe quelle série à base d’androïdes fonctionnerait aussi bien dans ma comparaison). Ce sont des humaines, à un tel point qu’il est absolument impossible de les reconnaître, y compris par un test ADN. De l’aveu-même de la série, le seul moyen de déterminer si une personne est humanoïde, c’est de lui injecter une solution spécifique qui fait changer la couleur de ses yeux. Bon, petit problème, quand même, cette solution spécifique est toxique pour les humaines non-génétiquement modifiées, donc on peut pas injecter tout le monde à tire-larigot. Expression qu’on n’utilise pas assez souvent de nos jours, au passage.
    Fang Sheng Ren Jian nous annonce ça avec un calme olympien que j’ai trouvé particulièrement perturbant. Donc la totalité des gouvernements de la planète se sont dit que, vous savez quoi ? On va tuer des humaines qui n’ont rien fait de mal, juste parce que quelqu’un d’autre les a achetées. On peut juste… pardon, c’est moi, ou ? Je suis la seule à entendre comment ça sonne ? C’est un peu, enfin… non ? Et vous voulez connaître la motivation derrière cela ? Je cite le début d’épisode : « de plus en plus de gens ont commencé à être accro aux fausses émotions apportées par les humanoïdes »… L’attachement extrême des humaines aux humanoïdes dociles, c’est ça le grand danger qu’il fallait absolument combattre par le meurtre de masse ! Je. Non mais, on est d’accord que… pas vrai ?!

    Imperturbable, Fang Sheng Ren Jian trouve cela parfaitement normal dans ce premier épisode où après s’être brièvement demandé si l’intruse était une humanoïde, ce qu’on ne peut plus vérifier maintenant que ses yeux ont brûlé, en quelques secondes on se pose vite une autre question : et si c’était le petit garçon, l’humanoïde ? Il a poignardé une inconnue de deux fois sa taille avec un sang-froid déconcertant, il ne paraît pas spécialement perturbé sur les photos prises le soir de l’incident, et cela collerait avec une obsession initiale conçue pour protéger sa mère. En théorie, ça se tient. Apparemment pas super choqués à l’idée de devoir envoyer un petit garçon de 10 ans à la mort, voilà donc Cheng Nuo et Lu Yu Lai en route pour la scène du crime, afin de vérifier cette théorie. Après avoir étudié l’intérieur de la chambre d’hôtel, les deux partenaires vont interroger la mère chez elle, une femme aisée du nom de Chen Xin Hui, suspectant des motivations cachées lorsqu’elle s’efforce de les empêcher de parler à son fils Yuan.
    J’aime autant vous dire que pendant les dix premières minutes de Fang Sheng Ren Jian, je n’en menais pas large. Derrière ses airs de série policière du futur, la série me semblait atroce. Dans mon crâne défilaient toutes sortes de questions, et en particulier je me demandais si se cachait derrière ce pitch odieux une sorte de métaphore politique sur l’espionnage, ou pire. Les trips de « les personnes dangereuses nous ressemblent et vivent parmi nous, si on les fait disparaitre c’est pour votre bien », vous savez, je me méfie, déjà en général mais particulièrement quand c’est une fiction chinoise qui le dit.

    Fort heureusement, voilà venu le moment où je vous rassure : en réalité, Fang Sheng Ren Jian est bien moins inhumaine qu’il n’y paraît. En fait, plus l’épisode introductif avance, plus il devient certain que la série veut interroger les certitudes du monde sur lequel elle est bâti.
    Les questions soulevées par l’enquête de ce premier épisode sont de la plus grande importance. Et non seulement elles nous apparaissent, mais elles préoccupent l’enquêteur Lu Yu Lai, qui prend la mesure des enjeux si l’enquête se poursuit dans cette direction. De subtiles, ses réactions atterrées au schéma de pensée de Cheng Nuo sont de plus en plus soulignées par la camera comme le scénario. Aussi, il finit par se tourner vers An Qiu, une psychologue avec laquelle il a déjà travaillé par le passé, et à laquelle il demande de l’aide pour interroger le petit Yuan, dont jusqu’à présent personne n’a rien pu tirer. Patiente, empathique et douce, An Qiu est pour Lu Yu Lai une partenaire bien différente de Cheng Nuo ; elle s’inquiète des conséquences des événements sur les personnes impliquées, et tente avec humour et compassion d’aider le petit garçon à s’exprimer. Cela fonctionne pendant un petit moment, qui permet de réorienter l’enquête vers une nouvelle piste…
    En laissant les doutes de Lu Yu Lai s’exprimer, et en faisant de la place pour l’approche humaine d’An Qiu, Fang Sheng Ren Jian commence à révéler qu’elle n’approuve pas tant que ça la finalité de l’enquête. Et un soulagement perceptible s’est fait entendre de mon côté de l’écran…

    Il est fascinant d’assister à la lente révélation des intentions de la série. Fang Sheng Ren Jian semble au départ s’adonner à tous les travers des séries policières. En particulier, la dynamique entre Cheng Nuo et Lu Yu Lai, deux enquêteurs aux perspectives opposées, me faisait craindre l’ennui par-dessus l’horreur : Cheng Nuo est un type distant, un ténébreux qui se déplace en moto, un flic qui n’en fait qu’à sa tête, un rebelle-désagréable-mais-compétent, toi-même tu sais. Par contraste, Lu Yu Lai est affable, il fait preuve de retenue, le genre de gars qui obéit au protocole et aux codes de la société. Cela me semblait cliché. Mais là où la plupart des séries auraient fait passer Cheng Nuo pour un mec hyper cool, Fang Sheng Ren Jian fait progressivement montre de dédain. Lu Yu Lai, puis An Qiu, vont lui reprocher son détachement, et à demi-mots, souligner combien sa capacité à envoyer des humanoïdes au rebut a quelque chose de monstrueux.
    Par cette évolution, Fang Sheng Ren Jian m’a convaincue. Ce qui commençait comme un énième visionnage de série insupportable s’est révélé être une série pleine de nuances, d’aspérités, de complexités reconnues comme telles. Si l’on ajoute à cela les multiples retournements de situation de l’enquête elle-même (même si au bout de 12 minutes très exactement, j’en avais deviné la conclusion, ce n’est pas cela qui compte) et le fil rouge surprenant introduit à la toute fin de ce premier épisode, cela donne une très bonne heure de télévision. Et moi, ça faisait très longtemps que je ne m’étais pas précipitée aussi vite pour récupérer le deuxième épisode d’une série.

    L’ambiance froide, lente et terrassante de la série est une sorte de dalle de béton sous laquelle pousse une fleur têtue, pleine d’incertitudes et d’humanité.
    Que laissera cette enquête derrière elle ? Ne serait-ce pas formidable si plus de séries policières se posaient la question !

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