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    28 juillet 2023 à 19:19 • Dorama Chick •

    Ces derniers temps, j’ai parlé un peu moins de séries japonaises ; comme souvent, le démarrage d’une nouvelle saison (ici la saison estivale, donc) est l’occasion de me mettre un coup de pied au derche. J’ai quelques brouillons qui traînent dans mes réserves, aussi, mais pour le moment je vous propose de parler d’une série parfaitement dans l’ambiance de l’été, avec Barakamon.
    Il s’agit apparemment de l’adaptation d’un manga, mais comme je ne lis plus de manga, je laisse les expertes en parler en commentaire. Toujours est-il que la série se déroule à Nanatsudake, un petit village situé sur l’une des îles Gotou, tout au sud de l’Archipel nippon. L’endroit est semble-t-il fictif ; dans les îles Gotou, Nanatsudake est en fait un mont, donc pas du tout en bord de mer. Plus dépaysant, ce sera difficile… et c’est d’ailleurs le but.

    Lancée un peu plus tôt ce mois-ci avec le début de la saison d’été, Barakamon suit Seishuu Handa, un jeune calligraphe qui vit à Tokyo. Dans son monde, la calligraphie, c’est un art, et il a décidé dés son plus jeune âge que ce serait sa vocation. Il faut dire qu’il n’est nul autre que le fils de Seimei Handa, un calligraphe réputé qui lui a tout appris quand il était enfant.
    Aujourd’hui âgé de 27 ans, toutefois, Seishuu aspire non plus à l’apprentissage, mais à de la reconnaissance : il a passé le temps d’apprendre, il veut être apprécié par ses pairs. Cette immense blessure d’orgueil est mise à vif en particulier lors d’une cérémonie de récompense ; le plus ironique, c’est que la récompense est attribuée à Seishuu pour l’une de ses oeuvres. Hélas, tout ce qu’il entend, ce sont les ragots d’autres jeunes artistes dans son dos, et surtout, la critique d’un directeur d’exposition. Celui-ci, un homme âgé, expérimenté, et respecté dans le milieu, ne mâche pas ses mots : il se lamente que Seishuu soit si conformiste malgré son âge, et qu’il ne semble même pas essayer de s’élever au-dessus d’un niveau médiocre. Bref, il n’a pas mérité son prix. Bon, ce n’est jamais plaisant à entendre, c’est sûr. Mais voilà qu’en plein milieu de la soirée rassemblant tout le gratin de sa profession, Seishuu fait une scène. Il doit être physiquement maîtrisé, devant tout le monde… y compris son père.
    On apprendra au cours du premier épisode de Barakamon que là c’est l’événement déclencheur du petit voyage de Seishuu à Nanatsudake : son père l’a poliment enjoint à partir loin de Tokyo pour, disons, faire le point. Voilà, disons ça comme ça.

    Cet exil forcé, évidemment, n’est pas une partie de plaisir. Et Seishuu est en plus un citadin dans l’âme. Quand il débarque dans le Sud du pays, il est épaté d’apprendre que le village est à 4h de marche de l’aéroport, et qu’il y a, genre, quatre bus par jours pour faire la navette. Les péripéties pour se rendre à bon port ne vont donc pas spécialement le mettre de bonne humeur… Il est accueilli dans une petite maison traditionnelle qui a été mise à sa disposition, et très vite, il comprend où il a mis les pieds.
    Nanatsudake est le genre d’endroit où les voisines sont constamment à votre porte. Et dans un premier temps, Seishuu trouve ça irritant et envahissant ! En particulier parce que plusieurs jeunes du village considèrent la maison comme leur quartier général, et ont pris l’habitude de s’y introduire quand bon leur chante. C’est vrai en particulier pour la petite Naru, une gamine qui a encore ses dents de lait, et dont il est impossible pour Seishuu de se débarrasser. Mais en fait, tout le village est comme ça, c’est juste que Naru est particulièrement attachante (dans tous les sens du terme). Le premier épisode nous montre pourtant que cette omniprésence a ses bons côtés, comme quand, sans que personne ne les ait prévenues ni ne leur ait demandé, les villageoises se présentent chez Seishuu pour l’aider à emménager (il s’est en effet fait livrer quelques cartons d’affaires… et oui, cela ressemble de plus en plus à un déménagement plutôt que des vacances).

    Seishuu pensait profiter de cette, euh, qu’est-ce qu’on avait dit ? oui, voilà : de cette mise au point pour se consacrer à son art. Mais devant l’impossibilité à déloger les villageoises et en particulier Naru, ses espoirs de travailler sur sa prochaine oeuvre semblent compromis.
    Sauf qu’évidemment, on ne veut pas la déloger. En tant que spectatrices, on sent dés les premières minutes qu’avec sa voix enfantine, sa naïveté à toute épreuve, et son obstination charmante, Naru incarne précisément tout ce dont il a besoin. Et effectivement, les premiers jours à Nanatsudake passent, et pendant que Seishuu insiste sur l’isolement dans lequel il veut travailler son écriture, Naru s’incruste dans la petite maison.

    Barakamon est de toute évidence une série sur la complicité naissante entre le calligraphe et la petite fille. Celle-ci a d’ailleurs plusieurs attributs de la Manic Pixie Dream Girl (heureusement, sans une once de romance ; de ce côté-là je soupçonne l’infirmière de la clinique locale d’être plutôt ce que les scénaristes ont en tête), existant en grande partie pour semer un chaos réparateur dans la vie de Seishuu. Mais il ne s’agit pas que de ça. Dés cet épisode inaugural, on a droit à toute une réflexion autour des thèmes éternels de la création artistique : qu’est-ce que le talent ? Qu’est-ce qui rend l’artiste digne de son art ? Quelle est la somme de travail qui permet d’atteindre l’excellence ? Vaste programme.
    Si Seishuu a un ego plus vaste que l’océan, il est aussi vaguement conscient de devoir sa position sociale, dans son cercle professionnel, à ce que l’on appellera pudiquement « des circonstances ». Il est né d’un calligraphe célèbre, a été formé par lui, et aujourd’hui on ne peut nier que l’influence de son père, au moins indirecte, lui vaut d’avoir été remarqué. S’il était parti de rien, Seishuu aurait-il pu aller aussi loin ? Aurait-il seulement choisi la calligraphie, d’ailleurs ? La question se pose, et en particulier elle se pose à Seishuu, d’une manière forcément déplaisante. C’est bien là toute la raison de son implosion en plein vol pendant la cérémonie de récompense, après tout : entendre de la bouche d’un expert l’expression de ses pires doutes était la pire chose qui puisse lui arriver.
    Arrivé dans la petite maison de Nanatsudake, Seishuu s’est promis de travailler dur pour faire mentir les critiques du directeur d’exposition (et surtout, celles dans sa propre tête). Cependant, en étant réaliste… il existe aussi une possibilité qu’il ne puisse jamais s’élever par-delà la médiocrité. Ce, quels que soient le temps et l’effort qu’il consacre à son art. Ce qui est forcément une pensée insoutenable : qu’il soit bon ou non, il a consacré l’intégralité de sa vie à la calligraphie… Dans ce premier épisode, cette peur de l’échec après avoir tant investi dans la calligraphie se matérialise par un syndrome d’épuisement, qui envoie Seishuu à l’hôpital.
    Les craintes de Seishuu de ne pas produire assez d’efforts vont, par inadvertance, trouver un écho auprès du frère aîné de Naru, Hiroshi. Cet été-là, Hiroshi prépare un examen, mais il n’a pas vraiment la motivation de s’y mettre, et ne produit pas des masses d’effort. Le premier épisode de Barakamon lui offre la possibilité de trouver en Seishuu un exemple de travail acharné… une inspiration inattendue !
    Barakamon accompagne gentillement la quête artistique de Seishuu, et ses répercussions dans son entourage estival. Le ton ici est moins à l’introspection qu’à un conte moral sur ce qu’est le talent, ce qu’est le travail, et… le plaisir que l’on peut tirer de son travail, où que l’on se place sur l’échelle de l’excellence. C’est que les jeunes du villages, elles, trouvent absolument formidable tout ce que fait Seishuu ! Pourquoi lui n’y trouve-t-il aucune satisfaction ? Cette notion de plaisir intervient tardivement dans l’épisode introductif, mais laisse espérer une exploration plus nuancée qu’à l’ordinaire des thèmes très japonais du « travailler dur c’est important ». En tout cas, ça mérite d’être surveillé, même si pour le moment l’épisode ne manque quand même pas de jolies métaphoes sur l’importance de l’effort et du dépassement de soi.

    De Barakamon, ce qu’il y a de plus important à retenir est vraiment que c’est une série estivale qui assume d’être une série estivale ! Cela veut dire beaucoup de légèreté assumée dans les scènes, les dialogues, le jeu des actrices… même si plusieurs de ses thèmes sont moins légers. On n’est pas dans de la grande télévision, mais, très délibérément, dans une petite fiction. Toute petite. A taille humaine.
    Peut-être qu’aucune de ces protagonistes n’accomplira jamais de grandes choses (…ou peut-être qu’elles seront grandes, mais juste pour elle). Cela ne doit pas les empêcher de grandir (littéralement ou métaphoriquement) pour trouver leur place dans le monde.
    Et si cette place est au bord d’un océan d’encre bleue, ma foi, encore mieux.

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  • Third wheels

    26 juillet 2023 à 21:15 • Review vers le futur •

    Ce qui était au départ des paroles en l’air, devient un besoin pressant. Celui de tout plaquer et de partir, n’importe où, peu importe. Celui d’ignorer les hommes et leurs injonctions. Celui de faire quelque chose pour soi, enfin.
    …Toutefois, derrière les gestes symboliques et les décisions prises sur le coup de la frustration, qu’y a-t-il ? Quelle est la destination ? Pour être changée par un road trip, encore faut-il accepter de faire plus que de changer paysage. Et si le voyage est éphémère, encore faut-il employer ce temps au loin pour préparer un après. Pour ne plus faire de la figuration dans sa propre vie.

    Sans prévenir personne, trois générations de femmes prennent la route. Elles s’apprêtent à vivre le plus incroyable road trip de leur vie. Et si vous les laissez vous embarquer avec elles, les héroïnes de Sweet Kaaram Coffee pourraient bien vous changer un peu aussi.
    Amazon Prime a lancé début juillet ce qui est rapidement devenu ma série indienne préférée en 2023, et je me fiche totalement qu’il reste environ une moitié d’année encore. En fait, Sweet Kaaram Coffee va très probablement compter parmi mes séries préférées cette année, toutes nationalités confondues, tant ce voyage émouvant a brillé par sa douceur et sa délicatesse.

    Notre périple trouve son point d’origine au sein d’un foyer dans lequel vivent trois générations.
    Sundari est la matriarche, veuve de son mari depuis un an ; elle a emménagé dans la maison de son fils Rajaratnam à ce moment-là, mais quelque chose est cassé en elle. Elle passe son temps à se morfondre, ce qui n’est guère amélioré par la façon dont Rajaratnam la traite, la cantonnant à sa chambre sans rien à faire ni personne à voir. Kaveri est l’épouse de Rajaratnam, une femme dans la quarantaine qui n’a rien connu si ce n’est l’abnégation d’une vie domestique. Son existence tourne entièrement autour des autres : s’occuper de sa maison, de son mari, de ses deux enfants.
    Bala et Niveditha (dite « Nivi ») ont bien grandi, cependant. Bala travaille et, même s’il vit encore avec les siens, il n’est plus vraiment présent au quotidien. Nivi, elle, est à un moment charnière : sa carrière de joueuse professionnelle de cricket semble très bien partie… mais d’un autre côté, si elle veut se marier avec son petit ami Karthik, il lui faudra probablement abandonner ce sport pour se vouer à une existence plus conventionnelle. Plus féminine. Plus acceptable pour les parents de Karthik.

    La série commence le jour exact de l’anniversaire du décès du mari de Sundari. Une journée triste ou frustrante pour chacune des femmes de la maison, de diverses façons. Au moment du dîner, Rajaratnam et Bala ne semblent même pas les voir ; ne parlons même pas de percevoir la détresse des trois femmes. Elles n’existent pas dans leur propre foyer. Tentant de faire la conversation, Kaveri suggère que la famille prenne des vacances, mais se fait envoyer bouler, les hommes aimant se prétendre trop occupés. Plus par réflexe qu’autre chose, elle réplique que dans ce cas, seules les femmes pourraient partir en vacances. Taxée de ridicule (« vous ne vous en sortiriez jamais seules »), l’idée est également balayée par les hommes…
    …mais elle fait son chemin. Dans les coins d’ombre de la maison, pendant les jours qui suivent, Sundari, Nivi, et même Kaveri à son corps défendant, se retrouvent à faire des messes basses et planifier leur échappée. Le plan paraissait fou, et maintenant il est en train de se concrétiser.
    Finalement, au volant de la vieille voiture turquoise familiale, elles prennent la route alors que la maison est encore endormie.

    Au moment de préparer leur voyage, elles ont convenu de cinq règles essentielles : d’abord, que personne d’autre qu’elles ne connaisse leur plan. Bon, ça a marché (même si Kaveri, trop angoissée à l’idée d’abandonner son foyer, a failli tout faire capoter à la dernière minute), les voilà parties maintenant. Ensuite, que Kaveri et Nivi laissent leur téléphone portable à la maison ! Un seul appel téléphonique sera autorisé chaque jour, forcément passé depuis un téléphone public. Les épisodes suivants révéleront que tout le monde n’a pas nécessairement suivi cette règle… Sur l’insistance de Kaveri, la troisième règle est que personne n’est responsable de personne : chacune doit prendre soin d’elle-même, et aucune n’est subalterne aux autres. On ne part pas en vacances pour répéter les dynamiques du quotidien, après tout. La quatrième règle est en apparence contradictoire : ne jamais abandonner ses camarades de route, quoi qu’il arrive ! Elles partent ensemble, ou elles ne partent pas. Et la cinquième règle… elles en décideront en chemin.
    Armées par ce qu’elles pensent être un plan en béton armé, voilà donc la vieille dame, la femme mariée et la jeune femme sur la route. Elles n’ont pas vraiment de plan, si ce n’est de quitter leur ville de Chennai pour aller… disons, à Goa, peut-être. Probablement Goa. Peu importe, à vrai dire. Juste partir.
    Comme tout le monde le sait, un vrai road trip ne se passe de toute façon jamais comme prévu.

    La mise en place de Sweet Kaaram Coffee n’est pas seulement efficace en diable, elle établit aussi des choses très intéressantes sur ses protagonistes, et sur son ton. Aspirant à de la légèreté, la série superpose des dialogues enlevés, un sens du montage particulièrement aiguisé, et un soundtrack omniprésent, pour nous assurer de ses intentions : on veut nous voir sourire. Que l’aspect dramédique ne vous induise pas en erreur, toutefois : derrière le côté très grand public de sa réalisation, la série a une jolie âme, et une volonté de fer lorsqu’il s’agit de détailler les nuances de ses protagonistes.
    Sundari, par exemple, a peut-être l’air éteinte lorsque nous la rencontrons, mais il s’avère très vite que c’est une femme pleine de vie, d’énergie et d’humour. Sur la route, inspirée par cette liberté nouvelle qu’elle a comme chapardée (osons le dire, elle est celle qui a le plus insisté pour partir), elle se révèle aussi très rapidement avoir un but précis, mais qu’elle ne va pas tout de suite révéler à ses compagnes de voyage. C’est que, Sundari n’est pas qu’une vieille femme, c’est une personne et elle a droit à son jardin secret… Nivi est tout juste sortie de l’adolescence, et parfois elle semble même ne l’avoir pas totalement quittée. Elle est têtue et râleuse, et il n’arrange rien qu’elle se soit lancée dans ce voyage après une dispute avec Karthik. Indépendante et ambitieuse, un peu garçon manqué malgré elle, Niveditha est aussi très chaleureuse et empathique, mais ce ne sont pas des qualités qu’elle dévoile facilement. Et puis, il y a Kaveri. Je vous avoue que je suis totalement tombée amoureuse d’elle ; c’est une femme magnifique mais dont la vie n’a eu de cesse de devenir plus petite. Son monde est minuscule et elle ne voit pas qu’elle y est grande. On pourrait même dire qu’elle n’en fait même pas partie, vu qu’elle fait toujours passer les membres de sa famille avant elle. Il aura fallu la convaincre de sa propre idée pour enfin la voir partir avec les deux autres… et même une fois dans la voiture, elle se sent coupable. Elle craint d’abandonner son mari et son fils. Il faudra à ses deux comparses pas mal d’énergie et de patience pour l’aider à comprendre que même partie en voyage hors de la maison, Kaveri y est encore enfermée. Sa remise en question est la plus douloureuse, mais la plus belle, aussi.
    Pendant ce temps, Rajaratnam, Bala et Karthik, restés à Chennai, se confrontent à l’absence de celles qu’ils tenaient pour acquises. Et découvrent qui ils sont sans les femmes de leur vie.

    Alors qu’initialement, leur plan devait juste faire traverser à nos trois voyageuses l’Inde d’Est en Ouest, le périple de Sweet Kaaram Coffee va finalement leur faire sillonner la quasi-intégralité du pays, faisant escale dans des petits patelins comme des grandes villes, et croisant la route des personnes qu’elles n’auraient jamais rencontré dans leurs circonstances habituelles.
    Comme pour tout bon road trip qui se respecte, l’inattendu est donc aussi du voyage. Les épisodes sont donc émaillés de ces étranges interludes : une demi-journée à un festival de musique, deux jours dans un petit village de campagne, la visite de ruines de temples anciens, une performance de dhrupad… Il ne s’agit pas seulement de lieux, mais aussi de rencontres. Des musiciens, une femme au foyer, des touristes anglophones, des bikers, des chanteurs traditionnels : Sundari, Kaveri et Nivi ne passent pas ce voyage juste entre elles. C’est l’opportunité non seulement de découvrir des ailleurs, mais aussi de découvrir des autres et donc des autrement. D’entrevoir des possibles inimaginables (ou peut-être pas tant que ça), de se confronter à ce qui pourrait être, ou à ce qui ne pourrait absolument pas être mais ce n’est pas grave, l’essentiel c’est d’avoir l’esprit ouvert aux alternatives.
    Dans le même temps que les trois héroïnes se confrontent à autrui, elles sont aussi confrontées à elles-mêmes. Le voyage de Sweet Kaaram Coffee est l’occasion pour Sundari, Kaveri et Nivi de réfléchir à leur existence, aux choix faits et ceux à faire, et à la personne aux côtés de laquelle vivre ces choix.
    C’est que, voyez-vous, il apparaît rapidement que Sweet Kaaram Coffee ne s’intéresse pas aux absolus. Les flashbacks se multiplient, en particulier pour Sundari et Kaveri (remontant jusque dans les années 70 !), retraçant les intersections de leurs existences. Tous ces moments où les choses auraient pu être autres… Or, il ne s’agit pas de les regretter. Pas d’accuser. Juste d’expliquer qui elles sont, et éclairer leurs choix à venir. Car rien n’est fini. Il y a toujours des choix possibles.

    Il n’existe pas qu’une seule façon d’exister.

    Les plus fines lectrices parmi vous auront peut-être remarqué que plusieurs des thèmes de Sweet Kaaram Coffee évoquent ceux d’une autre série asiatique très chère à mon cœur : Dakara Kouya.
    Il y a des différences, et elles ne sont pas anecdotiques (je peux, cependant, difficilement entrer dans les détails sans risquer le spoiler). Toutefois ce que ces séries ont en commun est incroyablement puissant. Toutes les deux parlent de rôles genrés et des choix, historiquement limités, des femmes dans deux sociétés très patriarcales.
    Les conclusions tirées n’en sont pas très éloignées, et pourtant ne conduisent pas aux mêmes devenirs.

    Avec Dakara Kouya, Sweet Kaaram Coffee partage aussi une affection sincère pour ses personnages les plus âgés, leur vécu, et leur participation à la société. Sundari est une protagoniste étonnante, qui semble éteinte dans sa toute première scène, jusqu’à ce qu’on découvre que mille choses s’agitent en elle. Elle est pleine d’humour, mais elle a aussi du chagrin. Bref, ce n’est pas une caricature de vieille dame. Une pièce d’elle lui manque et ce voyage, même si elle n’en dévoile pas le but, est clairement une façon pour elle, si ce n’est de combler le trou noir géant qui a englouti son cœur, au moins de faire la paix avec lui. Ou d’essayer. Mais elle est pleine d’espoir, aussi, et c’est tellement important de voir des personnages âgés avoir de l’espoir. Penser le futur après un certain âge, la fiction ne le montre quasiment jamais ! Sa complicité avec sa petite-fille Nivi est également touchante. Elles m’ont rappelé ma relation à ma propre grand’mère : soudain elles sont parfois comme deux adolescentes, ricanant ensemble ; à l’inverse Nivi peut parfois se reposer sur elle, sur le calme apparent de Sundari. Et puis parfois, elle use de son autorité générationnelle comme elle le peut.
    D’une façon générale, quand elle parle de choix présents, passés et à venir, Sweet Kaaram Coffee n’a pas honte du temps révolu. Elle ne voit pas l’âge comme un fardeau, ni les expériences comme un bagage, et j’ai toujours de la tendresse pour les séries qui fonctionnent sur ce principe. C’est plus rare qu’on ne le croît.
    Cela se ressent aussi avec Kaveri, une femme qui a la quarantaine, peut-être même qu’elle approche la cinquantaine. Elle a la sensation diffuse que ses choix sont derrière elle… et qu’ils n’en ont même pas vraiment été (le mariage avec Rajaratnam était arrangé). Pourtant, dans le même temps, une part d’elle est en paix avec le temps qui passe. C’est un personnage apaisé même dans la tourmente qui est la sienne (en particulier quand elle réfléchit à la nature de sa relation à son mari… ce regard qu’elle a, dans la voiture, réfléchissant aux tenants et aboutissants de ce qui vient de lui apparaître comme sa propre réalité…). La mini-intrigue autour du récital de dhrupad est probablement ce que j’ai aimé le plus pour Kaveri, cette révélation à propos de la musique qui transcende tout ce qu’elle pensait savoir sur elle-même, et qui en même temps se révèle avec un naturel épatant. Mon Dieu, quel personnage !
    Cette capacité à offrir à ses protagonistes à la fois des surprises, et une rassurante confiance en soi qui émane de l’expérience de vie, constitue une grande partie de ce qui m’a fascinée dans Sweet Kaaram Coffee.

    Sweet Kaaram Coffee est tout ce que j’aime en matière de télévision, un vrai human drama (ce n’est pas sale) où priment les émotions et l’intimité des protagonistes, plus que les tours et détours de l’intrigue. Les rebondissements ne sont pas absents de cette saison, mais ils sont, résolument, placés au second plan. L’essentiel, dans cette saison (qui d’ailleurs prépare le terrain pour un potentiel renouvellement), c’est de regarder en soi avec honnêteté et sérénité. Moins révolutionnaire qu’elle n’est bienveillante avec ses protagonistes, Sweet Kaaram Coffee semble croire que l’on peut à la fois changer et rester en accord avec soi-même.
    Peut-être que c’est cela, le bonheur. Pendant quelques heures, ça y ressemblait bien, en tout cas.

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  • Globules blancs

    24 juillet 2023 à 18:07 • Review vers le futur •

    Ce n’est pas tous les jours qu’une nouvelle série médicale démarre en Afrique du Sud. La meilleure preuve en est que pour la chaîne kykNET, la semaine dernière, c’était même la toute première fois que cela se produisait. Hartklop (« battements de cœur ») n’est cependant pas faite par n’importe qui : c’est la société Quizzical Pictures, (déjà derrière quelques unes des séries sud-africaines que j’ai le plus aimées dans ma carrière téléphagique, comme Intersexions) qui a produit la série.

    Cela dit, si vous le voulez bien, revenons un moment sur le diffuseur. Pour vous situer kykNET, il s’agit d’une chaîne du groupe Multichoice (le même groupe qui fait tourner la plateforme panafricaine Showmax) s’adressant spécifiquement au public parlant l’afrikaans… et donc majoritairement un public blanc. Eh oui : rappelons en effet qu’en Afrique du Sud, en l’an de grâce 2023, la télévision est dans les faits encore marquée par une forte… ma foi, le terme approprié est forcément « ségrégation ». Celle-ci est la conséquence directe de questions linguistiques, mais découle aussi indirectement de plusieurs décennies d’Apartheid. L’afrikaans, historiquement, c’est la langue de la colonisation et de tout ce qui s’en suit. Alors, ok, tout n’est pas heureusement pas noir ou blanc, et bien des chaînes sud-africaines ont procédé depuis les années 90 à des tentatives de déségrégation linguistique de leurs grilles. Par exemple, beaucoup de fictions sud-africaines (en particulier à la télévision publique) sont désormais sous-titrées en anglais ; même si tout le monde ne le parle pas en Afrique du Sud, cela permet déjà d’améliorer l’accessibilité pour plusieurs communautés. Des productions multilingues sont également à noter, et ont tendance à se multiplier ces dernières années (on a eu internationalement accès à un exemple avec How to ruin Christmas sur Netflix) pour que tout le monde y trouve un petit peu son compte. Plusieurs diffuseurs ont au contraire essayé de commander des séries spécifiquement tournées dans des langues qui pendant longtemps n’avaient pas eu leur place à la télévision, comme l’isiZulu ou le Xhosa.
    Reste que la division existe encore, malgré tout. Et elle est profondément ancrée, en grande partie parce que ce n’est pas qu’une affaire de télévision. Mais c’est aussi une affaire de télévision. Je sais que je ramène régulièrement cet exemple sur le tapis, mais je le trouve parlant : en Afrique du Sud, le principal magazine télé propose chaque semaine deux éditions, l’une en anglais et l’une en afrikaans, avec des couvertures et des sommaires différents (…le fun fact date de 2017 mais rien n’a changé depuis).

    Et donc, dans tout ça, voilà qu’existe kykNET, l’un des derniers bastions de la télévision sud-africaine dans lesquels les spectatrices de langue afrikaans se sont retranchées, et, ce n’est pas un hasard, où l’on trouve par conséquent quelques unes des séries les plus blanches du pays. Certaines sont si peu intéressées par l’inclusion qu’on pourrait aisément les confondre avec des séries néerlandaises…
    Du coup, je ne reviewe pas les séries de kykNET très souvent, même quand j’y ai accès (je les avais sciemment évitées pendant mon tour d’horizon de Showmax l’an dernier), un peu par principe. Mais bon, là, précisément, il se passe quelque chose d’intéressant. Alors, parlons donc du premier épisode de Hartklop.

    La série se déroule au sein du Beyers Naudé Academic Hospital. Ce state hospital (fictif) de Johannesburg est réputé pour être un excellent établissement universitaire, quand bien même ses moyens financiers sont limités. A leur sortie de l’école de médecine, trois internes rejoignent, chacune dans un service différent, les effectifs de cet hôpital.
    Les docteures Elani Breytenbach et Karima Salie ont fait leurs classes ensemble ; elles sont amies et s’entraident en dépit du fait qu’elles ont été affectées à des services différents (consultations pour la première, urgences pour la seconde). Le docteur Fezile Nodada, qui rejoint le service de chirurgie, est quant à lui originaire de la province la plus pauvre du pays ; il débarque sans rien connaître ni personne… ni, d’ailleurs, la langue. Fezile ne parle pas l’afrikaans, même si fort heureusement il en a une compréhension orale à peu près fonctionnelle ; qui plus est, la plupart de ses collègues comprennent l’anglais. Dans cet hôpital où l’afrikaans constitue la langue par défaut, cela constitue une barrière supplémentaire pour apprendre.
    Le fait que Hartklop soit consciente de cela (c’est-à-dire que la langue dans laquelle la série est tournée s’inscrit dans quelque chose de plus large, qui mérite d’être exploré) est prometteur. Cela ne fait que souligner certaines dynamiques à l’œuvre en silence dans l’introduction de Fezile (sa condition sociale, le fait qu’il soit le seul personnage noir masculin de la série…) tout en mettant en place des conflits possibles. Car pour le moment, cette question linguistique se limite à quelques échanges, mais il y a fort à parier que cela ne s’arrêtera pas là. Je mettrais ma main à couper qu’à un moment ou à un autre, une patiente quelconque va débarquer à l’hôpital, ne parlant pas un traitre mot d’afrikaans. Ne serait-ce que par ce que ça doit nécessairement se produire dans la vie, non ? En tout cas, vous le voyez, la problématique linguistique et donc raciale de kykNET, est ici reconnue et explorée, posant des questions intéressantes à certains moments de l’épisode inaugural.

    Toutefois, ce n’est pas le sujet central de la série. Par de nombreux autres aspects de son intrigue, Hartklop tape allègrement dans plusieurs tropes courants de la fiction médicale, pour les accommoder à sa sauce.
    La question financière y est omniprésente. Le service de consultations que rejoint Elani, notamment, semble souffrir depuis des années de difficultés avec le système électrique, plongeant le service de consultations dans le noir régulièrement. Les coupures d’électricité sont courantes en Afrique du Sud (le phénomène de loadshedding est amplement documenté), mais un établissement hospitalier devrait en être protégé. Sauf qu’ici, le problème est l’infrastructure hospitalière elle-même…
    L’hôpital semble également reposer en grande partie sur des médecins encore en formation. Par exemple, le Beyers Naudé n’emploie qu’un seul consultant en chirurgie capable de réaliser certaines opérations complexes… ce qui évidemment est un problème lorsque deux urgences se présentent simultanément. Dans ce premier épisode, ce cas de conscience va justement se poser, forçant l’apprentie chirurgienne Dr. Jolene Joubert à faire un choix difficile.
    Et puis il y a, bien-sûr, les cas médicaux, la série ayant la bonne idée d’introduire plusieurs facettes de la vie hospitalière via les affectations de ses 3 internes. Par la même occasion, cela autorise Hartklop à présenter des patientes aux besoins très différents, certaines passant par différents services successifs d’ailleurs. Comme pour beaucoup de séries médicales, ces cas sont autant de fenêtres sur la société sud-africaine.

    Hartklop n’a pas nécessairement inventé grand’chose… mais dans le domaine de la série hospitalière, je ne suis pas sûre que ce soit possible d’innover beaucoup. Bon, enfin, ce n’est pas impossible, mais admettez qu’après 712 millions d’épisodes de grandes séries médicales étasuniennes ET locales (genre Hillside, Jozi-H, Durban Gen ou Wounds), ça devient tendu. En fait, je ne suis même pas convaincue que ce soit souhaitable ! Les séries médicales sont avant tout des séries dramatiques basées sur l’émotion, rarement des fictions où le concept importe beaucoup. Il y a une raison pour laquelle, historiquement (et encore à ce jour), le soap opera se mêle bien de médical : on est bien souvent dans le même registre. C’est simplement qu’aux émotions soulevées traditionnellement par le soap, vient s’ajouter régulièrement de l’adrénaline.
    Dans le contexte de la série dramatique, et souvent de la série médicale par extension, les concepts fumeux y sont pour ainsi dire contre-productifs, en fait, tant l’important est de se pencher sur l’intime, qu’il soit émotionnel… ou physique.

    C’est là un moteur majeur des intrigues non-médicales de ce premier épisode de Hartklop, cette confrontation entre deux types d’intimités par le biais de l’univers professionnel.
    En tant qu’internes gérant quelques uns de leurs premiers cas médicaux, Elani, Karima et Fezile sont confrontées aux corps d’autrui. Elani fait d’ailleurs bien savoir que certains actes la dégoûtent, ou qu’elle ne se sent pas à l’aise pour pratiquer certains examens sans la supervision de sa supérieure, la docteure Veronica Pietersen. L’intimité des patientes, c’est aussi poser des questions intrusives, ou… découvrir leurs actions hors de l’hôpital. Devenir médecin, c’est se préparer à cela également.
    Dans un autre registre, le premier épisode de Hartklop pose aussi des questions sur l’intimité des professionnelles elle-même. On découvre que deux docteures entretiennent une relation secrète, par exemple. Mais surtout, les conditions de travail difficiles y sont établies, aussi bien de par la nature stressante de la médecine hospitalière, qu’à cause des spécificités de fonctionnement de l’hôpital public. Or, et c’est logique bien-sûr, ces conditions de travail ont des répercussions sur la vie privée des différentes professionnelles de la série. Qu’il s’agisse de passer plus de temps à l’hôpital qu’avec un époux (et donc de se retrouver à flirter avec un collègue pour tromper l’ennui ou la solitude), ou bien faire face au harcèlement sexuel d’un supérieur… Il y a un impact direct, tout ne peut pas toujours être cloisonné. Toute une intrigue concernant Dr. Pietersen insiste aussi sur le grand écart entre ses responsabilités à l’hôpital (où son expertise est appréciée), et le fait que son mari, dont l’entreprise a fermé à cause de COVID, soit actuellement homme au foyer. L’ego fragile de son époux oblige Pietersen à une humilité impérative à la sauvegarde de son couple, mais qui apparaît comme une conséquence profondément injuste de sa vie professionnelle.
    Bref, il se dit dans Hartklop pas mal de choses intéressantes sur la ligne forcément floue entre le professionnel et l’intime dans le milieu médical, avec toutes les zones troubles que cela entraîne. Dans les interviews précédant le lancement de la série plus tôt cette semaine, sa créatrice Zoë Laband indique d’ailleurs que c’était là son souhait. Elle voulait juxtaposer l’importance de l’exercice quasi-héroïque de la médecine hospitalière publique avec les vies de personnes humaines, donc vulnérables et faillibles. C’est un joli angle d’approche, plus encore parce que Hartklop est sciemment écrite dans un monde qui a connu la crise COVID.

    L’avantage supplémentaire de tout cela, c’est que Hartklop est le genre de série qui devrait ne pas avoir de difficulté à nous parvenir : parler du coût humain lorsque les dépenses de santé publique ne suivent pas, ça a tendance à résonner dans n’importe quel pays.
    Plusieurs séries originales sud-africaines de kykNET ont d’ailleurs réussi à percer internationalement dans un passé récent ! Ce fût le cas du thriller Reyka par exemple, qui outre deux nominations aux Emmy Awards à l’automne dernier, a été diffusée dans plusieurs pays, dont la France (sur Polar+ il me semble). Ou bien de la mini-série anthologique 4 Mure (reviewée dans ces colonnes l’an passé), qui a été vue entre autres en Australie. Dans le fond, il n’est hélas pas illogique que ces séries de kykNET voyagent plus facilement que celles, mettons, de l’audiovisuel public SABC par exemple. On connaît la propension des chaînes, notamment en Europe mais pas seulement, à privilégier les séries auxquelles les spectatrices peuvent « s’identifier ». Le terme, en matière de télévision internationale et notamment africaine, est lourd de sens.
    Parce que, encore une fois, les séries de kykNET, elles sont certes sud-africaines, mais d’abord et avant tout… elles sont blanches.

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  • Dura lex, sed lex

    23 juillet 2023 à 14:36 • Telephage-o-thèque •

    Lidia Poët est une avocate italienne… pour un temps très bref. Sitôt acceptée au Barreau de Turin, elle se voit radiée peu de temps après, le procuratore generale de la ville ayant fait appel de cette qualification. Il faut dire qu’au 19e siècle, la place d’une femme de son rang est au foyer, et, si elle n’en a pas, son unique travail consiste à s’en trouver un. Pas question pour une femme de prendre part à la vie de la cité, donc, et Lidia, qui profitait de son indépendance nouvelle, se voit donc forcée de retourner vivre auprès de son frère, l’avocat Enrico Poët. Qui n’est guère son allié dans les circonstances présentes, tant il juge lui aussi indécent qu’une femme tente d’exercer la profession de prestige dont il tire tant de fierté.

    Fin de l’aventure ? Non, Lidia Poët ne mange pas de ce pain-là ! Résolue à exercer, si ce n’est le Droit, au moins dans le milieu juridique, elle entreprend de travailler comme assistante pour Enrico. Et, dans la foulée, d’élucider quelques affaires !
    Inspirée par la première femme admise au Barreau de Turin, et première femme avocate d’Italie d’ailleurs, La legge di Lidia Poët se passionne pour les affaires autant que pour le sort de son héroïne. Lidia Poët a réellement mais brièvement exercé, et est devenue une figure majeure de l’Histoire féministe italienne. Un angle fascinant pour La legge di Lidia Poët, une série qui oscille ainsi entre le procédural et le feuilletonnant.

    Tout est dans la nuance, dans cette série. D’un côté on a une saison de 6 épisodes, relativement formulaïque, conçue autour d’affaires closes en l’espace d’un épisode. Ses intrigues reposent sur un certain nombre de tropes de la fiction policière (et policière historique en particulier), qui font de La legge di Lidia Poët une œuvre grand public. Ainsi dans chaque épisode, d’une façon ou d’une autre, Lidia prend en charge une affaire, quand bien même elle n’en a plus le droit puisque son titre d’avocate a été révoqué. Passionnée par le sort de ses clientes, elle entreprend de façon informelle de les défendre du mieux qu’elle peut… ce qui inclut, forcément, de découvrir la vérité pour leur bénéfice.
    Seule contre tous (et le masculin, croyez-moi, est ici volontaire !), Lidia est la première et dernière chance de celles qu’elle défend, qui ont toutes en commun de vivre à la marge de la société, et dont l’innocence est par défaut remise en question par la société. Quand bien même Lidia travaille pour son frère, elle lui force généralement la main ou travaille malgré lui, Enrico ayant tendance à penser comme le reste de la haute société turinoise. Pourtant Enrico a toutes les opportunités d’accepter à la fois l’intelligence, l’instinct et le talent de sa propre sœur, mais s’y refuse par sexisme en phase terminale. A charge pour Lidia, du coup, de batailler à la fois pour les personnes qu’elle défend… et pour elle-même.

    On pourrait penser que la misogynie dont elle est systématiquement la cible tournerait au gimmick, mais pas vraiment. De la même façon que Lidia est une femme assurée mais à la présence douce et à l’occasion effacée, La legge di Lidia Poët a de la nuance, voire du paradoxe, à revendre.
    La série nous raconte l’existence complexe d’une héroïne qui tente d’exister, désespérément, dans un monde qui lui est hostile. Le fil rouge de la saison tourne ainsi autour de ses relations à son frère Enrico, sa belle-sœur Teresa, sa nièce Marianna, ainsi que le frère de Teresa, l’électron libre Jacopo, qui est journaliste et lui sert de partenaire de fortune dans certaines de ses investigations. Forcée de vivre avec tout ce petit monde après avoir perdu son indépendance financière, Lidia est confrontée non seulement à ses ambitions (que le monde extérieur lui fait déjà largement payer dés que l’occasion s’en présente), mais aussi à ses choix. Le choix non seulement d’avoir étudié le Droit, mais aussi plus largement d’avoir voulu s’émanciper de l’autorité masculine. Celle de son frère, de son défunt père, ou d’un mari potentiel.
    De par ses explorations des conséquences desdits choix, La legge di Lidia Poët se refuse à une vision purement cosmétique du sexisme rencontré. La série veut remettre en question non seulement leur coût une fois ces décisions prises, mais aussi la douleur que cela représente d’avoir dû faire un choix tout court. Comme dans un appel à l’identification rétroactive de ses spectatrices, La legge di Lidia Poët essaie de faire ressentir la difficulté non pas à se coltiner des petites phrases assassines et des discours dégueulasses sur la place de la femme, mais à être une personne dans une société qui ne vous voit pas comme telle. Dans une ville qui ne vous voit pas comme telle. Dans une famille qui ne vous voit pas comme telle.

    La brûlure ardente suit Lidia partout où elle va. Même quand, au culot, elle parvient à entrer quelque part où elle n’était pas la bienvenue, cela ne la quitte pas. Il n’y a pas vraiment de victoire à s’être introduite dans l’univers des hommes ; il n’y a que l’amertume de savoir qu’on y aurait eu toute sa place si les choses étaient plus justes.
    Or, elles ne le sont pas. Elles semblent ne jamais avoir une chance de l’être.
    Et qui mieux qu’une amoureuse du Droit pour regretter les injustices ?

    Et il est injuste, ce monde, sans doute aucun. Quand on lui rétorque que ce n’est pas la place de la femme que d’occuper la position d’avocate, que ce travail serait déshonorant pour la profession, on oublie de dire à Lidia que, partout autour d’elle, les femmes travaillent. Au fil des épisodes, les ouvrières, les lavandières, les prostituées, les bonnes… toutes travaillent. Ah, quand une profession est jugée dépourvue d’honneur, alors une femme peut l’exercer, ça, ça ne pose pas problème ! C’est occuper une profession d’importance dans la vie de la cité, et par écho, dans la vie des hommes, qui est insupportable.
    Par petites touches insistantes, La legge di Lidia Poët explore l’hypocrisie de cette société italienne qui se raconte des histoires sur les rôles genrés. Ce n’est pas une question de dignité de la femme ; c’est une question de pouvoir. Quand bien même le statut social n’est pas le même, les injustices de ses clientes sont comme les injustices qu’elle-même rencontre : le fait d’hommes puissants.

    « Si même la Justice interdit à une femme ce qui est autorisé aux hommes, comment pouvons-nous l’appeler Justice ? ». Tout en travaillant sur les affaires successives de la série, Lidia prépare un appel de sa radiation du Barreau. Par moments, elle est combattive et écrit son réquisitoire avec énergie ; par d’autres, abattue, elle semble à deux doigts de se résigner. Être un « personnage féminin fort », ça n’est pas exactement ce qui intéresse cette incarnation de Lidia Poët. Elle cherche juste à être. Et elle ne semble avoir personne derrière elle, pour lui apporter de l’aide dans sa démarche, ou ne serait-ce qu’un soutien émotionnel.
    Elle ne peut certainement pas compter sur Enrico, en tout cas. Quant à sa belle-sœur Teresa, une femme conservatrice, voit par exemple d’un mauvais œil le comportement de Lidia (« Si Dieu voulait que tu sois avocat, il ne t’aurait pas faite femme », lui dira-t-elle, m’évoquant accidentellement un dialogue de la première saison de The Great ; ça n’est jamais une mauvaise chose !). Elle craint, en outre, que celle-ci ne déteigne sur Marianna, encore jeune et impressionnable. Cela conduira à quelques frictions… Hélas, dans La legge di Lidia Poët, la sororité n’existe pas. En fait, à sa grande surprise, Lidia Poët trouve le plus grand soutien auprès de deux hommes : son amant Andrea, et… Jacopo, qui s’avère plus progressiste que sa sœur. A ses côtés, elle n’est pas jugée, et il lui vient en aide professionnellement autant qu’il le peut.
    Sur fond de chansons pop (en particulier d’artistes féminines européennes comme Emilie Simon, Sóley, FKA twigs, Christine and the Queens…), la saison chronique l’évolution de toutes ces relations avec beaucoup de finesse, même si évidemment, il m’a fallu souffrir quelques scènes de romance. Je dois admettre que ce ne sont pas les pires qu’il m’ait été donné de subir, cependant.

    Diffusée en février dernier par Netflix, je n’attendais pas grand’chose de La legge di Lidia Poët, et lui avais donc donné une place peu prioritaire sur ma to-watch list. Grave erreur ! Entre les enquêtes plutôt bien troussées (sans virer tout-à-fait au genre policier), la subtile exploration de la condition féminine, la photographie de l’Italie du 19e siècle, et l’interprétation lumineuse de sa protagoniste centrale, la série est très réussie. Elle parvient à tenir un discours plutôt fin à partir d’ingrédients grand public en apparence prévisible. Son succès n’a rien d’accidentel, il est à la mesure de son héroïne : paramétré pour faire ce qu’il lui plaît tout en se pliant à ce qu’attend le public.
    Une deuxième saison a d’ores et déjà été commandée, et est en cours de production. Matilda De Angelis, qui interprète Lidia, est décidément très demandée en ce moment, puisqu’elle sera également dans les prochains mois au générique de Citadel: Diana, le spin-off italien de la franchise internationale Citadel. Dont un jour, si je n’ai rien d’autre à faire, on devra peut-être quand même parler. Après les six épisodes que je viens de voir, je comprends complètement la hype autour d’elle.
    Je serai donc devant la prochaine saison, lorsqu’elle se présentera, d’autant qu’apparemment un nouveau personnage devrait y être introduit…

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  • Get rich or die lying

    22 juillet 2023 à 22:26 • Review vers le futur •

    Qui aurait crû que la ruée vers l’or australienne soit l’occasion d’une comédie féminine ? Même New Gold Mountain (en dépit de ses innombrables qualités) n’aurait pas osé.
    Eh bien la comédie Gold Diggers, ose, elle. Elle ose beaucoup de choses, en fait, à commencer par ses dialogues très modernes, ses protagonistes féminines décontractées, et son univers déjanté. Lancée au début du mois par ABC, la télévision publique, cette comédie suit deux demi-soeurs alors qu’elles débarquent, les mains quasiment vides, dans une boomtown du nom de Dead Horse Gap. Ça envoie du rêve, tout de suite.
    Pourtant c’est précisément ce qui amène les deux jeunes femmes en ville : leurs rêves. Ou, au moins, leurs ambitions.

    Le premier épisode de Gold Diggers, mené à toute allure par deux personnages qui ne savent absolument pas se taire deux secondes, nous embarque donc aux côtés de ces deux jeunes femmes au passé tourmenté mais flou (elles ont peut-être tué quelqu’un à Sydney ? ou au moins l’ont laissé pour mort…). En effet, Gertrude et Marigold Brewer ont décidé qu’elles allaient trouver la fortune dans cette nouvelle bourgade ! Comment ? Bon, ça, c’est un autre problème.
    A la base, elles se sont convaincues que leur amie Franny, qu’elles connaissent depuis le temps passé ensemble « sur les docks », va les aider à rencontrer des chercheurs d’or nouvellement riches. Ou vieux. L’un ou l’autre, du moment qu’ils sont riches. L’un et l’autre est également une option. Toujours est-il qu’elles ont fait tout ce chemin dans ce but. Après tout, être les seules femmes dans ce trou paumé devrait leur donner un avantage certain, non ? Pas de chance, depuis qu’elle s’est installée à Dead Horse Gap, et a mis le grappin sur un riche gentleman qui possède un manoir sur une colline surplombant la ville (le raffiné, très raffiné, si raffiné, trop raffiné ? Percy L’Estrange), Franny a tout changé. A commencer par son identité : celle qui se fait maintenant appeler Francesca affecte un accent français des plus faux, et se pavane dans des robes hors de prix. Vous pensez bien qu’elle ne va rien faire pour révéler à son riche époux sa conditions précédente.

    Mais s’il y a bien quelque chose à savoir sur Gert et Goldie Brewer, c’est qu’elles sont inarrêtables. Sans interrompre une seconde le flot de paroles échangées, probablement même pas pour respirer, elles révisent leur stratégie. L’humour pince-sans-rire des dialogues brille dans ces moments-là, quand Gold Diggers leur donne une opportunité de faire contre très mauvaise fortune bon cœur. C’est en fait la grande leçon à tirer de ce premier épisode : quelle que soit la tonne industrielle de merde qui leur tombe dessus, les sœurs Brewer ne se laisseront pas abattre, et deviseront d’un nouveau plan pour quand même tirer leur épingle du jeu.
    Jusque là, ça semble fonctionner. Le bagout incroyable des deux sœurs (surtout Gert, plus entreprenante) et leur aplomb phénoménal devant les hommes (tout en étant parfaitement conscientes de vivre à une époque peu propice à leur épanouissement et même leur sécurité) va les tirer de tout. Et c’est bien ça qui est hilarant.
    Dans Gold Diggers, on sait bien que 1853 n’était pas particulièrement une chouette époque pour les femmes. Mais justement, on est quand même en 1853 et il est temps que les choses changent ! Fortes de leur conviction qu’elles méritent ce qu’il y a de mieux (quand bien même cette conviction n’est basée sur rien), Gertrude et Marigold vont prendre le monde d’assaut. Ou au moins, trouver un endroit où dormir à Dead Horse Gap, ce sera un bon début.

    La bonne humeur de Gold Diggers est essoufflante, mais communicative ! L’effet anachronique du langage moderne de la série et des décors boueux du 19e siècle fonctionne, et le duo d’héroïnes accapare l’écran comme s’il était un chercheur d’or nouvellement riche. Ou vieux. Voire même carrément les deux. Si vous êtes d’humeur à vous laisser embarquer dans un tourbillon bavard et effronté, avec deux héroïnes culottées, c’est absolument la série pour vous.

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  • Back Door

    21 juillet 2023 à 13:10 • Review vers le futur •

    S’il y a bien quelque chose que des exécutifs de télévision peuvent flairer à des kilomètres à la ronde, c’est l’odeur d’une tendance à exploiter. En l’occurrence, du côté de Max (anciennement HBO Max), il s’agit de 17 500 kilomètres très exactement… distance séparant le Brésil de la Corée du Sud. Il faut dire que le Brésil est le 3e pays au monde où les audiences de séries sud-coréennes importées ont le plus augmenté pendant la pandémie de 2020, et que ce serait bête de se priver. Pour votre culture générale, les deux autres sont la Malaisie et la Thaïlande, plus prévisibles.
    Devant le succès de la Kpop hors de ses frontières natales, il fallait bien qu’à un moment ou à un autre, quelqu’un nous ponde une série sur « une jeune fille qui se retrouve propulsée dans l’univers de la popculture coréenne ». N’importe qui ayant vu Dramaworld, série fonctionnant sur une idée similaire mais surfant cette fois sur l’émergence des Kdramas, pouvait prédire que ça tomberait un jour ou l’autre.

    L’heureuse élue s’intitule Além do Guarda-Roupa (« au-delà de l’armoire »). La plateforme la propose également hors du Brésil sous le titre international de My Magic Closet. A partir de là, tout semble être dit, et on peut se demander ce qu’il y a à ajouter.
    Mais laissez-moi essayer quand même !

    Même s’il est évident qu’un opportunisme féroce est à l’oeuvre derrière la commande de cette série, il est difficile de nier que son développement témoigne d’un sérieux plus rassurant. On n’a pas affaire ici à un simple prétexte. Além do Guarda-Roupa a même plus de mordant que prévu, tant son premier épisode (lancé hier) prend soin d’évoquer les sujets qui fâchent.
    L’héroïne de la série est Carolina (dite « Carol »), une adolescente de 17 ans avec des origines sud-coréennes, qui vit avec sa tante et sa cousine, deux femmes blanches avec lesquelles elle n’a, semble-t-il, rien en commun. Pas de chance, elle en dépend depuis plusieurs années et vit avec elles. Secrètement, Carol caresse le rêve de devenir ballerine, comme sa mère (un cygne devenu ange), mais sa famille a eu une si mauvaise expérience avec la carrière de sa mère, qu’elle est régulièrement découragée de cet objectif jugé irréaliste. En outre, sa tante comme sa cousine ne sont pas juste des réalistes : ce sont des femmes qui voient les affaires comme un objectif en soi. Elles tiennent ensemble un café, pour lequel Carol doit travailler chaque jour après ses cours ; cette somme de travail la met régulièrement en retard à ses cours de danse, qu’elle tente de suivre secrètement. Hélas, les choses ne se passent pas comme prévu au ballet non plus.
    Bref, la vie de Carol n’est pas facile. La jeune fille s’est en plus isolée, ne parlant à personne au lycée.

    C’est là que se loge en grande partie le nerf de la guerre : Carol est la seule personne asiatique qu’elle connaisse, et elle est aussi la seule à n’être pas du tout intéressée par la Kpop. Toute sa classe, que dis-je, toute son école, est obsédée par divers groupes, et en particulier par ACT, un boys band super populaire dont tout le monde s’arrache les produits dérivés. D’ailleurs la tante et la cousine de Carol l’ont bien compris, qui ont transformé leur humble café en un « K-Café » rempli de références au groupe, dans l’espoir d’attirer des jeunes clientes. Au vu de ce premier épisode, ça a l’air de fonctionner… au grands désarroi de Carol.
    C’est très fort, la façon dont le premier épisode d’Além do Guarda-Roupa pose ses références à la Kpop. Parce que c’est vu à travers la perspective de Carol, c’est forcément présenté comme négatif. Il y a l’opportunisme évident de sa famille, qui ne cherche qu’à se faire du pognon sur la popularité soudaine d’un genre (…je ne sais pas à quel point la série est consciente de la mise en abime induite, cela dit, ce sera à vérifier passé le moment de l’exposition). Et puis, il y a ce qu’on ne peut qu’appeler un fétichisme éhonté, de la part de ses camarades de classe et plus généralement toute une classe d’âge. Les trois filles les plus populaires que connaît Carol n’ont de cesse de l’appeler erronément « unnie« , d’essayer de lui parler dans une langue coréenne massacrée et réduite à quelques gimmicks de langage, de lui poser des questions intrusives sur ce qu’elle mange (il est très important de savoir si elle mange du kimchi tous les jours !), et par extension ce qu’elle fait, ce qu’elle sait, ce qu’elle est. En exigeant de Carol qu’elle leur délivre une expérience coréenne stéréotypée, voire même qu’elle devienne leur tutrice en style de vie sud-coréen, elles ne réalisent pas qu’elles l’ont complètement déshumanisée.
    Além do Guarda-Roupa, elle, en est très consciente… et invite par la même occasion ses jeunes spectatrices à prendre conscience de ce qui se joue dans ce racisme qui ne dit pas son nom, mais ne saurait être qualifié autrement.

    Dans le même temps, Além do Guarda-Roupa est une crise d’identité. Lorsque Carol (en voix-off) s’écrire qu’elle déteste tout ce qui est coréen, ou qu’elle réfute les « accusations » d’être coréenne parce qu’elle est née au Brésil, c’est aussi une part de son propre héritage qu’elle nie. Elle n’est, évidemment, pas obligée d’aimer la Kpop ! En revanche il est difficile de ne pas faire le lien entre ses difficultés à se reconnaître comme asiatique dans un monde où tout ce qui évoque ses racines lui est imposé ou nié, et rien entre les deux. Le fait que sa propre famille lui interdise la danse classique au prétexte que cela a ruiné la vie de sa mère (ce qui n’est pas exactement le souvenir qu’en a Carol dans ses flashbacks, qui plus est), que dans le même temps Carol ait du mal à danser comme elle le voudrait, et que la seule référence coréenne dans sa vie soit la Kpop, sont autant d’ingrédients pertinents que la série manie en parallèle, et avec pas mal de finesse. Ce qu’Além do Guarda-Roupa raconte, ce n’est pas que la Kpop devrait être aimée à tout crin par Carol ; en revanche elle prépare le terrain pour que cela l’aide à se réconcilier avec une part d’elle-même. D’une façon ou d’une autre.
    En l’état, Carol ne peut pas être ce qu’elle est. Mais elle refuse aussi d’être autre chose que ce qu’elle est. A 17 ans, c’est proprement intenable ! Surtout quand on se sent seule. Si seule…

    On en oublierait presque ces histoires d’armoire magique, mais je vous rassure, on va y venir. Car au fil de l’épisode, Carol commence à voir apparaître Kyung, la star principale d’ACT, le « all rounder » qui sait tout faire mais qui garde une part de mystère, le danseur infaillible qui, récemment, a justement failli. Il lui apparaît dans sa chambre comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, et Carol, qui a bien assez de soucis comme ça, décide dans un premier temps qu’il s’agit d’une hallucination. Vous vous doutez bien qu’on ne ferait pas toute une série s’il s’agissait réellement d’une hallucination ! Il semblerait que Kyung soit bel et bien en train d’entrer via la porte de la large armoire en bois, tapie dans le fond de sa chambre, dont elle a accidentellement brisé le miroir au début de l’épisode. Sept ans de malheur ? Hasard ou coïncidence, les contrats des artistes de Kpop ont tendance à également durer sept ans…
    Além do Guarda-Roupa garde étonnamment les demi-pointes sur terre, vu le contexte et le synopsis. Entre l’aspect fantastique de son intrigue et le recours à la Kpop comme argument de vente (surtout qu’on y trouve de vraies personnalités sud-coréennes : Kyung est incarné par Woojin ; les autres membres d’ACT sont également incarnés, quoique brièvement dans cet épisode, par d’autres célébrités coréennes), on aurait légitimement pu craindre le pire. Personnellement j’y allais à reculons ! Mais l’ancre émotionnelle de la série est indéniable. Quant à son ton, assez sévère envers la tendance dont elle tire l’essentiel de son attrait, il prouve que le sujet a fait l’objet d’une réflexion loin d’être superficielle.
    Vu qu’il s’agit avant tout d’une série pour le public jeune et/ou ado, auquel il aurait été si facile de servir quelque chose de plus consensuel, on ne peut que saluer l’effort.

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  • Monkey say, monkey do

    20 juillet 2023 à 17:46 • Review vers le futur •

    Parfois il semble que les sitcoms multicamera soient en voie d’extinction… et puis voilà qu’apparaît une série comme C.H.U.E.C.O. (…ça va pas être chiant à taper tout au long de cette review, ça, tiens). Qui, euh, selon le point de vue, remet une pièce dans la machine ou nous rappelle pourquoi elles disparaissent. Proposée par Disney+ produite au Mexique et en Argentine, C.H.U.E.C.O. va en tout cas sûrement donner à toutes celles qui souhaitaient revivre la frénésie des comédies grand public des années 80 précisément ce qu’elles avaient espéré.
    C’est juste que parfois, il faut se méfier des souhaits.

    Cela se sent rien qu’à son synopsis : C.H.U.E.C.O. se déroule dans une famille modeste dont le père, Juan, a du mal à joindre les deux bouts, malgré trois emplois simultanés. Par chance, il hérite d’une fortune qui s’apprête à sauver sa famille de la ruine… mais une clause l’oblige pour cela à accueillir sous son toit C.H.U.E.C.O., un chimpanzé parlant. Naturellement, personne ne doit découvrir son existence !

    C.H.U.E.C.O. est ce qu’on appelle communément une « série familiale », un terme qui signifie qu’elle peut être regardée par des enfants très jeunes… et que leurs parents apprécieront d’avoir une demi-heure de répit dans leur journée, quitte à se mettre devant un épisode bête à manger du foin. Si vous n’appartenez ni à l’un ni à l’autre de ces groupes démographiques, alors une nostalgie sincère pour ALF est la seule motivation qui vous permettra de tolérer la série. Considérez-vous prévenue.
    L’humour n’y est pas très fin, c’est le moins qu’on puisse dire. La famille de Juan a très vite tendance à s’exciter et crier, ce qui rend les émotions certes bruyantes, mais aussi très simples à comprendre. A cela encore faut-il ajouter les rires enregistrés (ainsi que toutes sortes de « oh » et de « ah » pour ponctuer les dialogues), des personnages qui ne sortent surtout pas de leur stéréotype d’attribution, un décor coloré qui ne ressemble absolument pas à une vraie maison, et vous aurez compris qu’on n’est pas devant de la grande télévision. On est devant de la télévision tous publics… et hélas, il y a une différence dans ce cas précis.

    L’intrigue en elle-même est à peine plus complexe que le synopsis. Dans le premier épisode, on apprend donc que Juan est au bord de la ruine depuis que son épouse est décédée (« oooh », s’émeuvent les voix pré-enregistrées du public). C’était elle qui avait les revenus les plus importants du couple, déjà. Et puis, en plus, maintenant, Juan a besoin d’employer Amanda pour faire tourner la barraque et s’occuper des enfants pendant qu’il court d’un boulot à l’autre. Mais même comme ça, il est incapable de payer ses factures depuis plusieurs mois, et il est sur le point de révéler la réalité de la situation à ses enfants Delfina, Martín et Vicente. En réalité, elles ont déjà deviné.
    C’est alors que débarque à point nommé (« ah ! », s’extasient les voix pré-enregistrées du public) l’avocate qui exécute les dernières volontés de l’oncle Gustavo, un scientifique auquel Juan n’a pas parlé depuis quelques décennies, mais dont il représente la seule famille. Titulaire d’au moins deux prix Nobel, Gustavo laisse une fortune de 9 millions de dollars derrière lui. L’avocate annonce à Juan qu’il touchera cet héritage à raison de 30 000 dollars par mois, tant qu’il satisfera trois conditions :
    – accueillir C.H.U.E.C.O. chez lui et le traiter comme un membre de sa famille
    – accepter les inspections régulières d’une agence de protection animale
    – ne jamais, jamais, jamais, révéler le secret de C.H.U.E.C.O.
    …et sans poser plus de questions (voir aussi : 30 000 dollars par mois), Juan accepte. Je vous passe les quelques péripéties qui s’en suivent, lorsqu’il s’avère que non seulement l’animal en question est un chimpanzé, mais surtout C.H.U.E.C.O. peut parler. Il se révèle très cultivé et intelligent, et accessoirement il débarque avec toute une personnalité bien affirmée.
    Après quelques cris d’épouvante de la part de la famille de Juan, C.H.U.E.C.O. finit par expliquer comment il en est venu à parler. C’est que, se sentant seul, l’oncle Gustavo a décidé de manipuler les gènes du chimpanzé, afin qu’il ait le don de la parole comme les humains (C.H.U.E.C.O. signifiant « Chimpancé Utilizado en Experimentos de Comunicación Oral« ). Toutefois, dés qu’il a su parler, C.H.U.E.C.O. lui a fait réaliser que ce miracle coûterait leur sécurité à tous les autres chimpanzés de la planète. Maudit ! Gustavo était tellement préoccupé de savoir s’il pouvait ou non faire parler C.H.U.E.C.O., il ne s’est pas arrêté pour savoir s’il devait le faire parler… D’où le secret : le jour où les capacités uniques de C.H.U.E.C.O. seront connues, son espèce toute entière sera menacée.
    Ce qui serait beaucoup plus simple à réaliser si C.H.U.E.C.O., en plus d’être bavard, n’était pas aussi résolu à expérimenter toutes sortes de choses qui jusque là lui ont été interdites.

    Ce premier épisode de C.H.U.E.C.O. introduit également un Villain Méchant : le professeur Alberto Macarato (« boo », lancent les voix pré-enregistrées du public), partenaire de l’oncle Gustavo dans ses recherches. Il est le seul à savoir que C.H.U.E.C.O. peut parler (même si Juan le nie par crainte de perdre son héritage), et il espère récupérer le singe afin de… on ne sait pas trop. Mais ça ne peut pas être bon. Tout ce qu’on a besoin de savoir, c’est qu’il ne doit surtout pas le récupérer.
    Le décor étant ainsi planté, C.H.U.E.C.O. peut commencer, promettant des parties de cache-cache improbables, des prises de bec entre le singe et Amanda, et même un peu d’émotion. En effet, avant d’être adopté par l’oncle Gustavo, C.H.U.E.C.O. avait grandi dans la jungle, et sa mère a été dévorée par un léopard ; de fait, il est orphelin de mère comme les trois enfants de la famille (« awwww », ne manqueront pas de murmurer les voix pré-enregistrées du public). Juan n’a donc pas le cœur à s’en séparer, même si Macarato lui promet plus d’argent que l’héritage pourrait lui rapporter. Un composant émotionnel étant ainsi introduit, on peut donc s’assurer que la situation rocambolesque avec le chimpanzé parlant de risque pas de changer dans l’immédiat !

    Non, vraiment, C.H.U.E.C.O. n’est pas de la grande télévision. L’avantage c’est qu’à aucun moment elle ne prétend l’être. Et il y a un public pour ce genre de choses, je suppose. C’est juste que je n’en fais pas partie.
    Pour Disney+ et ses incursions toujours plus nombreuses en Amérique du Sud, C.H.U.E.C.O. est pourtant un pari : il s’agit du tout premier sitcom multicam commandé par la plateforme dans la région… Euh, en fait, maintenant qu’on en parle, je ne suis même pas sûre que Disney+ ait commandé de série en multi-camera dans quelque région que ce soit ! Cela fait donc de ce sitcom une exception, et il faudra voir (soit par le renouvellement, soit par la commande d’autres séries similaires) si l’expérimentation s’avère fructueuse pour Disney+. L’avantage pour nous dans l’hémisphère nord est que c’est l’été, période à laquelle on a tendance à être moins regardante sur certains aspects…
    Cela dit, si ça ne tenait qu’à moi, on laisserait les sitcoms des années 80 dans les années 80.

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  • Upcycling

    9 juillet 2023 à 15:37 • Review vers le futur •

    Il est probable que cela vous ait échappé, mais Amazon Prime semble avoir développé un petit intérêt pour les Philippines. Ainsi, le lancement ce mois-ci de Fit Check marque sa 3e série originale venue de l’archipel en l’espace de moins d’un an ! Pour comparaison, Netflix n’a produit qu’une série d’animation, il y a deux ans, et n’y a plus jamais repensé.
    Je n’avais pas réussi à mettre la main sur les deux séries précédentes, la mini-série One Good Day et le thriller Cattleya Killer. Fort heureusement cette fois-ci, les vents des internets ont amené le premier épisode de Fit Check jusqu’à moi.

    Ce qui me rend curieuse, c’est qu’à la base, j’ai beaucoup d’affection pour la fiction philippine. Avec ses maigres (très maigres !) moyens, elle tente de proposer des productions populaires de qualité… alors que la compétition des dramas d’autres pays d’Asie est écrasante. Mais vaillamment, elle essaie des trucs, à son niveau. C’est une télévision qui a des préférences marquées par rapport au reste de la région (pour les superhéros, par exemple), qui a ses traditions (une forme de telenovela ressemblant plus à une parenté sud-américaine qu’aux formats asiatiques dominants), qui a sa propre industrie (essentiellement bâtie autour de deux networks hégémoniques, ABS-CBN et GMA). La télévision philippine a une identité forte, c’est juste l’argent qui manque ; elle me donne de l’espoir et de l’optimisme, dans un monde où les particularité télévisuelles sont si facilement gommées.
    Il me fallait absolument voir Fit Check. Et honnêtement… vous ne vous porteriez pas plus mal à la regarder aussi.

    …Ne serait-ce que pour la bonne raison qu’elle constitue une excellente série pour accompagner votre bingewatch de Glamorous, par exemple (dont on parlait il y a quelques jours). Se déroulant elle aussi dans l’univers de la beauté, elle s’intéresse en revanche plutôt aux vêtements qu’au maquillage.
    L’histoire est celle de Melanie, une jeune femme volontaire et positive qui travaille d’arrache-pied pour devenir styliste, quand bien même ses origines humbles en ont pour le moment décidé autrement. Quand la série commence, elle a pris le relai de son défunt père à la tête de la petite boutique ukay-ukay (le terme local pour friperie, d’où la tagline de la série d’ailleurs, « Confessions of a Ukay Queen »), et reconditionne les vêtements de seconde main qu’elle achète pour en faire des pièces uniques à portée de toutes les bourses. Située dans un quartier populaire, la boutique « Ukay King » connaît un petit succès qui permet à Melanie et sa grand’mère Dulce de survivre.
    Hélas, le bâtiment voisin prend un jour feu, et au grand désespoir de Mélanie, la boutique Ukay King disparaît dans les flammes. La jeune femme n’a eu le temps de sauver que quelques unes de ses créations, et elle n’a désormais plus de source de revenus.

    Ne voulant pas inquiéter Dulce, et atteinte d’un optimisme ahurissant (ah, ça, c’est pas la peste de Girlboss), Melanie se met donc en quête d’un nouveau job… et voilà que se présente l’opportunité de sa vie. Chris Blanco, directeur de la marque de prêt-à-porter SFX, cherche activement à donner un nouveau souffle créatif à sa compagnie, et espère recruter une designer avec laquelle collaborer, qui saura lui apporter une énergie unique. Unique… et approuvée par son père, car Chris Blanco est fils du milliardaire Michael Blanco. Il a des choses à prouver, car Michael Blanco est un homme exigeant. Bien qu’étant entré dans une phase de pré-retraite qui lui permet de se détacher du quotidien de son entreprise, il continue d’avoir le dernier mot dans les décisions prises pour son empire de la mode ; les contingences, en revanche, il les laisse à ses fils.
    …C’est que, l’autre fils, Steve Blanco, a été placé à la tête de TandT (prononcer « T&T »), une marque de prêt-à-porter du même groupe. Steve forme avec sa fiancée, la directrice créative Georgina Da Silva, un power couple imbattable, menant TandT d’une main de fer et ayant tout juste annoncé un partenariat prestigieux avec Michael Leyva. Il y a donc de la concurrence dans dans l’air (même si, dans ce premier épisode, les deux frères ne se calculent pas une seule fois), et du soucis à se faire pour Chris.

    Bon, alors déjà, Melanie, elle a beaucoup d’énergie et apparemment de bonnes idées, mais elle n’a pas les codes. Et donc forcément, dans l’univers de la mode bon chic bon genre, elle ne donne pas l’impression d’avoir sa place. Mais surtout, ce qu’elle ignore, c’est qu’elle a mis les pieds dans un nid de serpents. Elle n’a pas du tout capté qu’il y a une rivalité entre SFX et TandT… qui partagent les mêmes bureaux. Qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
    Georgina, elle, n’en a pas loupé une miette, en revanche. Dés le premier épisode, elle va tenter de saboter le travail de Melanie…

    Je vous accorde que, niveau originalité, effectivement on repassera. A part la surprenante séquence musicale vers la fin de ce premier épisode (…aucune idée si elle est vouée à se reproduire, en plus), Fit Check coche toutes les cases habituelles de la success story partie de rien. Dans la foulée, elle prépare aussi de toute évidence une romance assez convenue, même si pour le moment ça n’est pas une préoccupation des principales intéressées du tout. L’histoire de Melanie est mélodramatique à souhait, mais elle fait montre d’une disposition positive que la série a la bonne idée de montrer comme un choix conscient ; cette nuance, toutefois, ne changera pas l’air de déjà vu.
    Rien n’y fait. Je suis contente de ce premier épisode. Je le trouve charmant et plein d’énergie. L’héroïne est solidement incarnée. La galerie de personnages promet des scènes un peu loufoques qui vont bien avec le contexte absurde de la mode. Quiconque aime les romcoms et/ou les séries sur cet univers devrait être ravie.
    Et surtout, cette co-production (de façon incontournable vu le système philippin, ABS-CBN a en effet participé à la production, même si la diffusion est une exclusivité Amazon Prime) se tient plutôt bien d’un point de vue technique… quand bien même le budget est équivalent à un quart du tiers de la facture traiteur de The Rings of Power. Mais ça, on s’en fiche. La fiction philippine est résolue à défendre sa place dans le panorama international… Et pour une fois (ou plutôt pour la troisième fois), les téléphages du monde entier y ont accès. Pour le moment, ça me suffit.

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  • How to get away with Adultery

    7 juillet 2023 à 19:48 • Review vers le futur •

    Faut croire que Netflix pense que tout le monde est en chaleur en ce moment, parce que quelques semaines après le lancement de Perfil Falso, voilà que la plateforme dégaine un autre thriller sexy, cette fois produit en Afrique du Sud : Fatal Seduction. Tout un programme.
    Cette fois pas d’application de rencontre, mais des histoires de tromperies quand même, et surtout, un crime. De quoi vous tenir en haleine d’une façon ou d’une autre.

    Se déroulant dans des villas somptueuses de la côte, Fatal Seduction a pour héroïne Nandi, une professeure de Droit arrivant vers la quarantaine. Avec son mari Leonard, elle a tenté d’avoir un second enfant (leur fille aînée Zinhle est pourtant déjà à la fin de l’adolescence) quelques mois plus tôt. Cela s’est hélas soldé par une fausse-couche qui a déstabilisé Nandi émotionnellement, mais son couple s’en est également trouvé ébranlé. Lorsque démarre la série, elle s’apprête à retourner travailler après une pause, de son plein gré. Leonard, lui, n’est pas opposé à retenter d’avoir un bébé, mais semble considérer qu’il lui faut choisir : soit procréer, soit travailler. Et vu qu’il ne la touche plus… Nandi, qui ne peut plus rester immobile dans sa douleur, a décidé de retourner dispenser ses cours de Droit criminel, malgré les cauchemars qui émaillent encore ses nuits.
    Le weekend avant la reprise de ses cours, Nandi organise une virée avec sa meilleure amie Brenda, une célibataire insouciante qui possède une villa en bord de plage. L’occasion est parfaite, puisque de toute façon Leonard a prévu de travailler tout le weekend, comme le rappellent les messages incessants de son assistante Ameera.
    Sauf que le weekend entre filles tourne à la rencontre : Nandi est abordée par Jacob, un homme plus jeune qu’elle… avec lequel elle finit par passer la nuit.

    Fatal Seduction met en place tout cela, non sans émailler cette exposition de petites scènes suggestives, pas très choquantes, mais dont le côté souvent gratuit ne trompe personne (une même séquence qui se retrouve deux fois, une scène imaginaire, etc.). Pour être complètement honnête, des séries sud-africaines aussi émoustillées, je n’en connais pas beaucoup. Cela doit sûrement exister, et le sexe n’est d’ailleurs pas totalement absent des séries sud-africaines, mais il est quand même assez rare qu’elles donnent dans ce qui, ici, pour donner des références nord-américaines, serait en gros du Skinemax.
    Mais surtout, l’épisode procède à toute cette exposition sur la base d’une structure assez paresseuse, puisque dans la première scène nous avons appris qu’un cadavre avait été retrouvé. On ne nous révèlera évidemment pas de qui il s’agit (c’est pour la fin d’épisode) et encore moins comment cela s’est produit (ce sera vraisemblablement le job de la série), mais ce cadre narratif tend à inspirer une autre référence, How to get away with Murder. Les histoires adultères de Nandi avec Jacob, et (ce n’est pas un spoiler, l’épisode initial n’en fait aucun mystère) de Leonard avec Ameera ne sont pas là que pour nous raconter un drame de mœurs. Se posent toutes sortes de questions, certaines sûrement liées au décès de cet épisode, d’autres probablement pas. C’est ce qui fait de Fatal Seduction un petit thriller un peu plus intéressant que sur le papier.

    De fait, si l’une ou l’autre de ces références vous intéresse, Fatal Seduction est pour vous.
    Et à vrai dire… elle est très probablement avec vous en tête. Qu’on ne s’y trompe pas : son ambiance vaguement érotique, son thriller aux airs confortables de déjà vu, son contexte estival… vous savez en quelle saison on est, en ce moment, en Afrique du Sud ? Pas en été. Cette série, elle est peut-être produit dans un pays dont vous consommez peu de fictions, mais elle est résolument produite pour être consommable par vous. En-dehors de la question linguistique (on trouve passagèrement des répliques en isiZulu et en xhosa pour ponctuer les dialogues majoritairement en anglais), l’illusion est parfaite.
    Alors écoutez, pourquoi bouder son plaisir ?

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  • Allégorie du silo

    2 juillet 2023 à 22:32 • Review vers le futur •

    Mon visionnage de la première saison de Silo aura été… ambivalent. Oui, voilà, disons ça.
    Après un très solide premier épisode, pas fantastique mais néanmoins solide, puis un deuxième épisode intrigant mais en demi-teinte, j’ai commencé à perdre un peu la foi, et j’avoue qu’essayer de la retrouver au fil de la saison a été une lutte avec moi-même. Tentée à plusieurs reprises d’abandonner, j’ai finalement achevé cette première saison la nuit dernière. La seconde est déjà commandée par Apple TV+, ce qui est bon signe. D’ailleurs décidemment entre For All Mankind, See, Invasion, Foundation, Severance, Hello Tomorrow! et Silo, la plateforme est très en jambes côté science-fiction !
    A l’issue de ce visionnage, je suis… bon, pas ravie, mais ça n’est pas la débâcle. Juste frustrée. Plusieurs points me posent problème, et pour autant, d’autres ont (clairement à dessein) stimulé mon imagination. C’est à la fois agréable et agaçant quand ça se produit. C’est quand même plus simple quand tout est soit bon, soit mauvais !

    Trigger warning : violences reproductives, suicideS.

    Alors tentons donc d’en parler, de cette première saison. Peut-être m’apporterez-vous une perspective différente. D’ailleurs, j’ai un peu le sentiment que Silo, entre autres choses, appelle à cela : des perspectives différentes.
    A noter qu’une partie de cette review inclut des spoilers, mais ils seront dûment précédés d’un avertissement ; le reste devrait pouvoir être lu en toute quiétude.

    Silo commence, et ça n’aura pas échappé aux spectatrices ayant vu Ascension (reviewée il y a quelques années juste ici), de façon assez familière pour une série de science-fiction, a priori dystopique.

    On y présente une société humaine vivant intégralement dans un gigantesque silo (ci-après « le Silo ») comptant 144 niveaux différents, qui abritent, mais aussi nourrissent et administrent, 10 000 personnes. Cela fait au moins 140 ans que l’existence de ces gens ressemble à cela ; un incident ayant eu lieu 140 ans plus tôt (« the Rebellion« ) a en effet effacé toute l’Histoire ayant précédé ces événements.
    De prime abord, le Silo ressemble à un plan qui a très bien tourné. Si la vie est limitée spatialement, et a des conséquences en matière de gestion des ressources par exemple (le recyclage y est vu comme une extrême nécessité), le premier épisode nous montre une vie plutôt confortable. On n’y manque ni d’eau, ni de nourriture ; aucun rationnement n’est à dénoter notamment à cause des larges fermes installées dans les « Mids« , les étages du milieu où l’on trouve des terres cultivables ainsi que des élevages. En fait on n’y manque tellement de rien qu’on découvrira au fil de la série qu’il n’est pas impossible d’avoir un animal de compagnie ! L’organisation du Silo repose sur l’idée que toute personne travaille et donc contribue à l’équilibre de la société ; techniquement il n’y a donc pas de laissées pour compte, même si, bon, il y a encore des gens avec un certain privilège de classe (qui vivent « Up Top« , dans les étages du haut) et d’autres avec des métiers physiques et/ou mal considérés (les groupes sociaux de « Deep Down« , les étages du bas). Mais même comme ça il n’y a pas exactement de misère, et tout le monde semble manger à sa faim.
    En fait, c’est une société qui malgré ses règles de vie strictes (éditée dans « the Pact« , son texte de loi) est dans l’ensemble assez libre. Personne n’est forcé de vivre dans le Silo, après tout : quiconque le demande sera autorisée à sortir ; il lui sera demandé de nettoyer l’unique capteur externe qui filme la surface, et qui s’encrasse avec les ans ; même à cela, personne n’est toutefois obligé. Avec un bémol important : l’air à la surface semble irrespirable, et jusque là toutes les personnes sorties pour « nettoyer » sont décédées sous les yeux du public. Toujours après avoir nettoyé le capteur extérieur.

    En-dehors de ça, le microcosme du Silo obéit principalement à deux règles fondamentales : ne jamais instaurer d’outils d’automatisation de la montée/descente de l’immense escalier central du Silo, qui est le seul moyen de traverser les étages ; et une limitation technologique, notamment en matière de miniaturisation et plus largement d’informatique. Ces deux tabous principaux sont en fait l’expression d’une interdiction plus importante, mais généralement tue : les objets issus de la civilisation avant la Rebellion, et avant le Silo, même, sont interdits. Cela étant, il s’échangent à l’occasion sous le manteau, sous l’appellation de reliques.
    Comme le dit le Pact, en des termes parfois repris comme des psaumes : « We do not know why we are here. We do not know who built the Silo. We do not know why everything outside the Silo is as it is. We do not know when it will be safe to go outside. We only know that day is not this day« . Ce n’est jamais le bon jour pour penser au-delà du Silo.

    Il y a, toutefois, quelque chose de dérangeant dans ce monde cloisonné, et il se perçoit dés le premier épisode au travers des expériences d’un couple, l’ingénieure en informatique Allison Becker et son mari le Shérif Holston Becker. Car qui dit espace limité, dit contrôle des naissances.
    En un certain sens, cela tombe sous l’évidence vu la situation. Les couples reconnus (l’équivalent du mariage aux yeux du Pact) se voient délivrer au compte-goutte des autorisations de procréer, les implants contraceptifs des femmes sont alors retirés pour un an ; si une grossesse ne se produit pas dans le temps imparti, ils sont ensuite réimplantés. Certains dialogues suggèrent que ce procédé conduit à 250 naissances par an pour la population fixe de 10 000 humaines. Ces mesures sont généralement comprises et acceptées par la population, et vous me direz, forcément, depuis 140 ans elle n’a rien connu d’autre ! Et puis dans l’ensemble, la société semble juste et fonctionnelle… mais le démarrage de l’intrigue de Silo pose la question.

    Une société fonctionnelle peut-elle vraiment être juste ?

    Le premier épisode de Silo fait, il faut le dire, un travail spectaculaire pour installer tout cela, ou en tout cas une grande partie de ces ingrédients quitte à détailler certains aspects par la suite. En matière de world building, c’est de la belle ouvrage, il n’y a pas grand’chose à redire. Le problème inverse d’Ascension, honnêtement. Tout au plus interrogera-t-on certains points évoqués furtivement dans les dialogues mais n’appartenant pas (au moins pour le moment) au focus de la série. Par exemple, la première saison de Silo évoque régulièrement des mines… mais ça creuse depuis 140 ans et ça n’est toujours pas sorti du Silo ? Comment n’est-on pas tombées à court de minerai exploitable, depuis le temps ? Un peu surprenant mais admettons. Et puis effectivement, ce n’est pas le sujet. Ou pas encore.
    En particulier, la série est attentive à décrire non pas l’organisation pratique, mais plutôt administrative et politique du Silo. Cette hiérarchie, représentée par ce gigantesque escalier en spirale central, se matérialise par le bureau de la maire Jahns, secondée par le bureau du Shérif Becker. Leur pouvoir est partagé avec « Judicial« , dirigé par l’autoritaire juge Meadows, à la tête de la branche juridique qui possède ses propres forces de sécurité, et « IT« , supervisée par l’humble fonctionnaire Bernard Holland et qui est le domaine de la collecte, l’organisation et le traitement des données.

    Lorsque commence la série, Allison Becker vient de recevoir l’autorisation de se faire retirer son implant contraceptif pour la troisième fois ; avec son mari le shérif Holston Becker, c’est leur dernière chance d’avoir un enfant vu leurs âges.
    Le premier épisode déroule non sans maestria l’année de leur vie passée à tenter de concevoir cet enfant, hélas sans y parvenir ; Silo passe un temps infini à détailler (comme un nombre grandissant de séries, l’avez-vous remarqué ?) les hauts et les bas de ce parcours de fertilité. Au bout d’un an, mais en réalité plutôt trois ans si on compte les tentatives précédentes, la santé mentale d’Allison est sur les rotules ; elle s’est même tournée vers l’aide moins médicale, et à la limite de l’ésotérique, de Gloria, une vieille femme qui fait de l’accompagnement officieux en fertilité. C’est d’elle qu’est venu le doute : et si en réalité, ce n’était pas un accident ? Et si quelqu’un, en haut lieu, ne voulait pas qu’Allison ait un enfant ?
    Il faut dire qu’Allison est une personne curieuse, posant beaucoup de questions qui gênent un peu à IT. Pire encore, pendant cette année éreintante, elle est aussi entrée dans l’orbite de George Wilkins, un informaticien de Deep Down qui lui a fait découvrir une surprenante relique : un disque dur plein à craquer de videos d’avant. Elle le sait, parce qu’elle l’a aidé à en craquer les mesures de protection pour accéder au contenu… et l’a donc vu.
    A la fin de l’épisode introductif, Allison semble totalement paranoïaque. Cependant, elle démontre à son mari qu’elle l’est pour une bonne raison, en extirpant d’elle-même un implant contraceptif… qui ne lui a donc pas été retiré par le médecin comme on lui avait fait croire. A la suite de quoi elle demande à sortir du Silo, ce qui lui est évidemment accordé. C’est dans le Pact.
    Comme toutes celles qui sont sorties avant elle, elle meurt devant la camera du capteur en surface, laissant son mari dévasté. Dans l’épisode qui suit, Silo chronique comment il tente de faire son deuil, commence à se poser des questions, et… finalement demande à sortir également. Pour mourir devant le capteur à son tour.

    Alors déjà, une chose est claire et va le rester : Silo ne ressent aucune forme d’hésitation à tuer ses personnages. Cela va continuer de se produire avec une certaine régularité, quand bien même les protagonistes concernées peuvent être influentes voire instrumentales dans la vie du Silo. Ou incarnées par des interprètes célèbres. Et cela, avec assez peu de flashbacks pour les représenter à l’écran une fois décédées, d’ailleurs. Constamment remplacées par une galerie de nouveaux visages, les vies se succèdent dans Silo… Cela retranscrit une impression de continuité assez fidèle à la logique utilitariste de la vie dans ce Silo : tout le monde y a sa place, mais pas plus. Une fois une personne disparue, la vie continue. La vie au sens large du Silo en dépend.
    …D’ailleurs cette idée que les habitantes du Silo sont l’équivalent de cellules dans son organisme est prégnante jusque dans le générique, qui accumule les parallèles entre la structure brutaliste limite cyberpunk et les images superposées d’un corps humain (pilier central qui devient une colonne vertébrale, escaliers qui ressemble à une hélice d’ADN, flux de passantes qui évoque un flux sanguin…). C’est saisissant, presque horrifique, et ça m’a conduite à élaborer des théories qui, pour le moment du moins, ne sont pas avérées ; cela dit ça ne les invalide pas nécessairement pour la suite, on verra. Reparlons-en en saison 2.

    D’autres de mes théories, en revanche, se sont révélées exactes à la toute fin de la saison. En particulier celle que j’avais formulée dés la fin du deuxième épisode… ce qui est un peu frustrant.
    C’est que, ayant tué les deux héroïnes de ses deux premiers épisodes, Silo finit par s’intéresser à Juliette Nichols. Cette ingénieure en mécanique vit à Deep Down, mais est originellement issue des Mids, et va donc se voir promue Up Top, endossant le rôle de Shérif à la mort de Holston Becker. Faire mourir les deux actrices noires majeures de la série, pour céder la place à une héroïne blanche… the optics aren’t great, Silo.

    Forcée de s’adapter à la vie Up Top, mais aussi à la hiérarchie gouvernementale, Juliette n’a accepté que pour une raison : elle veut connaître la vérité sur la mort de George Wilkins, qui était son amant, leur union ayant été tenue secrète au lieu d’être reconnue légalement. Cette investigation va la conduire à poser des questions gênantes. C’est d’autant plus vrai que George était un passionné de reliques, et qu’il en avait d’ailleurs collectionné un bon paquet. Juliette en porte une à son poignet, certes autorisée légalement (c’est une vieille montre qu’elle a réparée après que George la lui ait offerte), mais qui éveille tout de même les soupçons. La nostalgie des jours passés, ce n’est pas très Silo.

    Au fil de cette enquête, qui est moins policière qu’elle n’est intime (et franchement tant mieux, parce que virer au cop show ça m’aurait bien cassé les pieds, et oui je fais encore allusion ici à Ascension) ou politique, Silo soulève des choses très intéressantes. Peut-être trop.

    Il faut dire qu’elle est captivée par l’aspect conspirationniste de son intrigue. C’était inévitable vu l’atmosphère dystopique, je pense. « They » (« on ») revient dans le discours de nombreuses protagonistes pour interroger la volonté d’une main invisible, mais toute puissante, dans la vie des habitantes du Silo. Qui a tué qui ? Pourquoi ? Car il apparaît très vite qu’il ne s’agit pas de meurtre crapuleux, mais que ces morts successives au sein du Silo, avant même de parler de celles qui ont lieu devant le capteur à la surface, ont une raison d’être imbriquée dans la raison d’être du Silo lui-même.
    A mesure que se révèlent les « méchants » de la série, Silo tient tout un discours sur la façon dont l’organisation de cette société n’a rien d’accidentel ni de démocratique. Que le modèle d’élections municipales ne vous trompe pas : dans le Silo, le peuple n’a pas son mot à dire ou juste de façon superficielle ; « on » pense pour lui. « On » décide de tout pour lui, du plus prosaïque (qui habite dans quel logement ?) au plus abstrait (pour quelle raison sommes-nous ici ?). Tout le volet de la saison touchant de près ou de loin aux reliques montre à quel point la chasse idéologique aux objets légués, à l’Histoire, et à la curiosité intellectuelle, est capitale dans le maintien du Silo. La plupart du temps, cet équilibre est maintenu sans violence visible. Mais quand c’est nécessaire, « on » considère que la survie du Silo dépend du maintien de cette main-mise, et on n’hésite pas à employer la force. Contrôler le peuple, c’est contrôler ce à quoi il croit avant tout, cela évite d’avoir les mains pleines de sang.
    Silo se fascine pour cette histoire d’ingénierie sociale pervertie. Parfois aux dépens du reste. Pas toujours, heureusement.

    Attention après l’image, je commence à évoquer quelques spoilers mineurs. D’autres spoilers plus graves viendront quelques paragraphes plus loin.

    Au fil de ses recherches, Juliette soulève le point qui, déjà, avait été à l’origine du problème des Becker : le Silo fonctionne sur des bases profondément eugénistes. Le fait que ce soit majoritairement accepté ne le rend pas nécessairement acceptable !

    Ce qui est un peu surprenant, surtout si l’on considère ce que fait la science-fiction d’ordinaire avec ce type d’intrigues, c’est que pour Silo, cet eugénisme est, paradoxalement, plus socio-politique qu’autre chose.
    Pour une société vivant avec un pool génétique fermé, c’est étonnant. Cette dimension n’est jamais évoquée sous l’angle biologique par qui que ce soit (et d’ailleurs les unions sont entièrement libres, contrairement aux mariages arrangés d’Ascension). Il ne semble y avoir aucune crainte de consanguinité. On apprendra qu’il n’y a même pas de sélection génétique dans l’attribution des autorisations d’enfanter. Par exemple Paul Billings, le second de Juliette au bureau du Shérif, est ainsi atteint d’un mal appelé « Syndrome », et s’il le garde secret c’est pour des raisons strictement professionnelles. C’est également la curiosité historique et donc politique d’Allison Becker qui est sanctionnée (ainsi que des Flamekeepers, un groupe dont on découvre l’existence au fil de la saison) par des choix eugénistes. Ou encore, après qu’Allison ait découvert dans le premier épisode qu’il peut arriver qu’on fasse croire à des couples qu’il leur est autorisé de procréer, tout en le rendant physiquement impossible, se pose aussi la question du pourquoi. Comme le fait remarquer Juliette, pourquoi mentir aux gens et leur faire croire que leur reproduction est autorisée mais échoue… plutôt que de simplement ne pas leur donner l’agrément ? Quelle perversion silencieuse à se défausser même de cette responsabilité-là, et blâmer le corps de ces femmes, quand en réalité on décide du destin de familles entières à leur place !
    Il y a donc tout un angle mort, un peu surprenant, en matière de réflexion sur les enjeux de cet eugénisme. On joue strictement l’angle conspirationniste (« on » manipule la natalité). Et pourtant… cette société profondément eugéniste se retrouve par des moyens détournés dans d’autres aspects, presque comme accidentellement.

    Bien que les choses ne soient pas corrélées explicitement par l’intrigue, cette société est bel et bien dirigée par des principes validistes : la peur du Syndrome, qui conduit à un déclassement social ; ou encore le recours aux internements forcés pour raisons politiques, en sont des exemples. Rien que la vie dans le Silo est conditionnée par la capacité à le traverser, ses 144 étages demandant une journée de marche à quelqu’un en bonne santé pour aller du premier au dernier étage, et vice versa. Ce qui limite d’autant la mobilité sociale…
    Dans Silo, cependant, l’exploration de l’angle médical est presque toujours écartée. A la place, la médecine est strictement une branche exécutive de Judicial (sans vraiment beaucoup en discuter, étonnamment). Par curiosité téléphagique autant que personnelle, j’aurais aimé que la série explore cet aspect, mais elle avait beaucoup d’autres choses à examiner.

    On trouve ainsi un autre thème fascinant dans les différentes intrigues de la série : l’idée d’un confinement dans le confinement. Plusieurs protagonistes secondaires de Silo vivent en effet un enfermement supplémentaire ; là où les 10 000 humaines du Silo n’en sont jamais sorties (ou alors pour mourir dehors, à peine quelques mètres plus loin), plusieurs sont les personnages qui s’enferment encore plus dans leurs quartiers. Mentionnons par exemple Regina, l’ex de George, qui vit calfeutrée dans son appartement avec son chat, se faisant délivrer des plateaux à manger. Il y a aussi Gloria, la conseillère en fertilité qui se retrouve internée en cours de saison. Et puis bien-sûr, Martha Walker, figure maternelle pour Juliette, qui a passé les 25 dernières années dans son atelier, incapable d’en franchir la porte (représentation de l’agoraphobie ? on dirait bien !). Ce sont des protagonistes, bon, déjà, féminines… intéressant ! Mais surtout des protagonistes vivant de toute évidence à la marge, ce qui paradoxalement leur confère une capacité à voir ce qui est invisible aux autres. Humainement, politiquement, historiquement… ce sont des femmes qui savent lire au-delà de leur propre destinée ; qui l’ont interrompue, en un sens, pour préserver ce qu’elles savent. Enfermées dans des petits espaces, leur vue est large, et perçante. Salvatrice.

    Dans ce monde vivant déjà en vase clos, on trouve aussi l’idée (certes courante en matière de dystopie) de milieux sociaux qui ne se mélangent pas : Up Top, les Mids et Down Deep restent des mondes également refermés sur eux-mêmes. On y méprise les autres groupes allègrement. Cet enfermement est à la fois une question de classe, et une question d’espace, une barrière physique invisible représentée par les immenses escaliers du Silo. L’ascension (ha !) sociale est quasi-inexistante. On le voit avec la maire Jahns, qui n’a pas changé d’étage depuis des années, faute d’être capable à son âge d’entreprendre le voyage. Les deux problématiques sont imbriquées dans la conception-même du Silo, et dans son fonctionnement utilitariste.
    Cet enfermement non pas dans le Silo, mais dans des sous-groupes du Silo, explique d’ailleurs pas mal le taux de suicide. Il se manifeste par des demandes à sortir du Silo… soit par un geste désespéré, par-dessus une rambarde de ses immenses escaliers. Mais la vie du Silo continue.
    Tant de douleurs sont infligées au nom du bien commun…

    Attention : les spoilers sur la fin de la saison commencent après la prochaine image.

    En un sens, ce qui rend Juliette différente, ce n’est pas tant d’être la première à apprendre la vérité. Pour beaucoup de choses, elle ne l’est d’ailleurs pas, mais devient simplement la dépositaire d’un savoir entretenu par ses aînées enfermées. Non, ce qui la distingue, c’est d’être une voyageuse. On parle de quelqu’un qui dés ses 13 ans a entrepris de quitter un milieu plutôt confortable (elle est fille de gynécologue obstétrique dans les Mids) partir pour Mechanical (la section technique de Down Deep). Lorsque la série s’intéresse à elle à partir de l’épisode 3, elle part pour Up Top à la faveur d’une promotion inattendue, qui d’ailleurs laisse tout le monde circonspect au moins temporairement. On ne manquera pas de le lui faire remarquer.
    Ce qui rend Juliette différente, ce n’est pas ce qu’elle sait, c’est sa capacité à n’avoir pas peur de sortir de ce à quoi elle devrait être limitée.

    De ce point de vue là, et de beaucoup d’autres, la conclusion de la première saison de Silo est tout-à-fait logique : il était assez évident que Juliette allait être la première personne à survivre à une sortie du Silo. Et, encore une fois, c’est plutôt prévisible lorsqu’on prête attention à la réalisation de l’épisode 2. Le cliffhanger, cependant, est plus surprenant… et représente une large part de ma frustration.
    « We do not know why we are here. We do not know who built the Silo. We do not know why everything outside the Silo is as it is. We do not know when it will be safe to go outside. We only know that day is not this day« .
    …et à la fin de la saison, on ne le sait toujours pas ! On n’a répondu à absolument aucune de ces questions ! Peut-être parce que ces mots ouvrent la série dans le monologue introductif du shérif Becker lisant le Pact, je m’imaginais que, bon, on n’aurait certainement pas toutes les clés, mais l’intrigue progresserait dans ce sens. On gagnerait quelque chose. Des miettes, au moins.
    Le premier épisode le suggérait. Le second, un peu déroutant, le suggérait quand même. Le troisième ? Plus du tout. A partir de là, la saison a tout un ventre mou pendant lequel les conspirations, les quêtes de vérité individuelles (qui a tué qui et pourquoi et qui est impliqué et comment), ainsi que les intrigues secondaires voire tertiaires, occupent tout l’espace confiné du Silo. Pour finalement nous délivrer une conclusion qui répond à ces questions par… un status quo ! Ce qu’on nous dit être le monde en-dehors du Silo est effectivement le monde en-dehors du Silo ! Pour moi qui me disais, vu que je ne reconnaissais aucune constellation, que le Silo n’était peut-être même pas sur Terre, je suis tombée de haut par cette révélation qui n’en est pas vraiment une ; je m’attendais vraiment à un twist plus impressionnant.
    La seule question à laquelle Silo répond dans son season finale, tentant de provoquer la surprise… c’est la question à propos de laquelle elle nous avait volontairement induites en erreur.

    C’est frustrant. Alors certes, cette révélation, cette confirmation devrais-je dire, que le monde est effectivement dévasté arrive juste avant le twist final du cliffhanger. Et en l’occurrence, je n’avais pas imaginé qu’il pouvait y avoir plus d’un silo ; je m’imaginais au mieux d’autres humaines, hors du Silo. Là, clairement, il y en a des dizaines.
    Soyons claires : en matière de perspectives d’avenir, ça peut être intéressant : si la série le veut, elle peut très bien ne pas du tout utiliser notre Silo connu pour tout ou partie des intrigues futures (la saison 2 étant déjà commandée). Mais les questions subsistent. Elles s’accumulent, même. Pourquoi ces silos ? Ont-ils tous le même fonctionnement (on pensera à Fallout ou ARK: Survival Evolved) ? Leur Histoire enregistrée est-elle uniformément limitée à 140 ans, ou la Rebellion est-elle un événement qui n’a eu lieu que dans notre Silo ? Dans quelle mesure est-ce une expérimentation, une forme d’ingénierie sociale encore plus large, et dans quelle mesure le destin de ce silo a-t-il évolué de façon unique et organique ? On ne sait pas. On ne sait rien. On sait juste que du coup, l’idée que tous les moyens sont bons pour assurer la sécurité des « 10 000 uniques survivantes » du Silo est rendue caduque en l’espace d’un seul plan, puisqu’il en reste sûrement bien plus (en admettant que les autres silos soient toujours fonctionnels).
    A part ça, on en sait autant qu’au début de la série. Vous admettrez qu’on ne regarde pas 10 épisodes pour ne rien apprendre.

    Un peu à contrecœur, j’ai l’impression d’avoir perdu du temps. Un peu, seulement, parce que comme j’ai eu laaargement l’occasion de le démontrer, Silo n’est pas une mauvaise série. Elle prend la mise en place de son univers au sérieux (hein Ascension ?), elle prend ses personnages au sérieux, elle prend plusieurs de ses thèmes au sérieux. Cela étant, pour une série reposant en grande partie sur un mystère et une mythologie brumeuse, on est un peu sur du Lost pour le moment.
    Cette phase de piétinement n’a aucune raison de subsister en saison 2 ; mais si ce devait être le cas, je serais d’autant plus sévère.

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