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  • L’unité dans l’honnêteté

    5 décembre 2023 à 20:28 • Telephage-o-thèque •

    « Our people believed in a dream once. They’ve been living a nightmare ever since. »

    Dans ces colonnes, la tradition veut qu’en décembre j’essaie de poster des reviews restées de longs mois en brouillon, avant la fin de l’année. Généralement, les brouillons qui n’ont pas cette chance sont enterrés à jamais. Sauf qu’en 2022, il y a eu beaucoup de brouillons inachevés ; et l’un d’entre eux portait sur la première saison d’une série qui, à tous les égards, était exceptionnelle. The Republic était la seule série dont j’ai pu voir une saison complète pendant ma période d’essai de Showmax, et c’était aussi… une de mes séries préférées vues en 2022. Du coup, c’était un peu con de ne pas vous en avoir parlé.
    Initialement lancée pendant l’été 2019 sur les écrans sud-africains par Mzansi Magic, The Republic mélange le drame politique et le thriller d’action, tout en s’appuyant intensément sur l’Histoire politique de l’Afrique du Sud. Et propose, au passage, quelques épatantes prestations d’une distribution à laquelle on offre une réalisation impeccable, ce qui ne gâche rien.

    Trigger warning : tentative de viol.

    Mais pardon : avant de multiplier les compliments, je ferais mieux de vous expliquer de quoi il retourne.

    Lufuno Mulaudzi n’est que la 5e Présidente démocratiquement élue de l’Afrique du Sud ; ancienne militante révolutionnaire investie dans les activités du MK, elle aspire depuis son entrée en fonction récente à apporter de la Justice à un pays qui en a bien besoin. En tout cas c’est sa ligne publique.
    D’autant que le prédécesseur de la Présidente Mulaudzi est lui-même dans une position difficile quand commence The Republic : l’ex-Président Hendrik Zondo a été démis de ses fonctions à mi-mandat, lorsqu’a éclaté un gigantesque scandale politico-financier. Au terme d’un long procès, l’accusant de détournement de fonds publics, de corruption, d’extorsion et d’avoir utilisé la violence pour parvenir à ses fins (on s’excuse du peu), il attend maintenant son verdict. En particulier, les accusations portent sur la disparition de 1,2 milliards de rands (autour de 60 millions d’euros) qui étaient prévus pour le Tshwane Development Corridor, une zone d’extrême pauvreté qui inclut le township de Soshanguve (ou « Sosha »). Avec cet argent devaient être fournis, enfin, des services essentiels, comme l’eau courante, des routes, des écoles publiques… rien de tout cela n’a eu lieu. Zondo est accusé d’avoir empoché, ou permis à d’autres dans son cercle d’empocher, cet argent dont tant de communautés avaient plus que besoin. Je suis sûre que la ressemblance entre « Zondo » et « Zuma » est purement fortuite, naturellement.

    Sur l’affaire, le pays est partagé. Peut-être que Zondo était pourri. Mais peut-être aussi que ce procès est purement politique, et qu’il est innocent. Qui peut dire ? Et du coup, qui peut prédire quelle sera la décision du juge… Celle-ci doit être rendue dans le premier épisode de The Republic.
    La Présidente Mulaudzi pense que c’est également le bon jour pour se déplacer dans le township de Soshanguve. En effet, elle veut adresser ses excuses au nom de l’État (quand bien même le scandale date d’avant son entrée en fonction), ainsi que s’engager à procéder à plusieurs des travaux promis. En tout cas, dans la mesure du possible… vu que le milliard et quelque n’est bien-sûr jamais réapparu.
    Accompagnée par sa porte-parole Bridget Ranaka, Mulaudzi sait qu’elle se rend dans un endroit dangereux à un moment dangereux. Elle ignore toutefois à quel point : ce matin-là, un groupe appelé les Dogs of Soshanguve (parce que « si on nous traite comme des chiens, on va se comporter comme des chiens ») s’agite dans le township. Affublés de masques canins, ou de bandanas sur lesquels figurent des crocs, ils attendent l’arrivée de la Présidente… pour la kidnapper.

    Il y a une nette inspiration de 24 dans The Republic, à commencer par l’utilisation d’un personnage, Thabang Ranaka, qui assure la plupart des scènes d’action en s’infiltrant dans les ruelles sinueuses du township arme au poing.
    S’il se lance à la recherche de la Présidente, c’est presque par accident, en tout cas pas par fibre patriotique : la conseillère en communication Bridget est son épouse, au moins tant qu’il n’a pas signé les papiers de divorce qu’elle lui a tendus dans le premier épisode. Dans tous les cas, elle est aussi la mère de sa fille unique, Dineo. Sa raison essentielle pour prendre autant de risques est donc sa famille.
    Mais au-delà, Thabang est aussi un personnage embarqué dans une partie des imbroglios politiques de la série : il était l’ancien agent de sécurité de Zondo, ce qui lui a permis de palper un peu d’argent en accomplissant pour lui quelques bases besognes (les actes de violence, c’était apparemment lui). Il a obtenu une amnistie en fournissant des informations sur l’ancien Président lors de son procès, mais cela lui a coûté son job, son logement (il est retourné vivre avec Gladys, sa mère âgée, dans le township où il a grandi… devinez de quel township il s’agit), et son mariage donc. Thabang n’est pas un personnage fondamentalement moral, mais il se soigne ; pendant que les autorités hésitent à agir, lui, il entre dans le feu de l’action, mais avec une connaissance d’enjeux plus large que simplement la captivité de sa femme. Et avec un réseau : il connaît des membres de l’équipe de sécurité de la Présidente, il connaît des membres de l’entourage de l’ancien Président Zondo, et il connaît le township. Il a un point de vue inédit sur ce qui se passe, somme de ses identités souvent contradictoires.
    A ma grande surprise, Warren Masemola campe un Thabang émouvant (les rares scènes avec sa pour-le-moment-encore-épouse Bridget et leur fille Dineo sont d’une tendresse bouleversante, dans cette série à forte adrénaline). C’est un grand gaillard à la voix profonde, mais au regard abimé, à la conscience pas propre, avec un véritable désir de protéger ce qui lui est cher. Et surtout, animé par le besoin de se racheter envers sa communauté ET son pays, deux entités en apparence irréconciliables, surtout ce jour-là.
    Cela n’ajoute que plus d’émotion que Masemola ait tourné ses scènes d’action dans le township où il a grandi.

    De toute façon, je n’irais pas jusqu’à dire que Thabang Ranaka est le point focal de la série, cependant. The Republic réussit à créer toutes sortes de ramifications, et se révèle être un très efficace ensemble drama. On en apprend ainsi beaucoup sur la Présidente Mulaudzi (notamment sur son passé parmi les freedom fighters), on se place du point de vue des Dogs pour étudier leurs convictions profondes (on va pas être déçues), on découvre ce qui a motivé la séparation initiée par Bridget Ranaka (c’est plus compliqué que ça en a l’air), on suit comment dans l’urgence du moment le Deputy President (l’équivalent de vice-Président) Ndlovu prend ses décisions, on étudie les réactions du camps de Zondo… The Republic emploie clairement ce kidnapping comme un révélateur de choses qui se trament depuis un certain temps pour chacune, quasiment une suite logique de leurs actions précédentes plutôt que comme un évènement nouveau et choquant.
    Elle pousse, aussi, ses personnages à l’introspection, et notamment l’introspection politique. Et ça, je ne l’imaginais pas franchement d’une série avec autant d’armes à feu au mètre carré !
    La Présidente aura par exemple ce formidable monologue, conséquence d’une épiphanie tardive : « I wronged this community when I gave them empty promises. I followed in the same footesteps of the leaders that came before me. They went out there telling communities that things would change, made promises and failed to deliver on the promises they made for the elections. I’m not different from them. I asked this community to believe in me. I asked them to have faith that things would change. I asked them to remain patient until we better their lives. How could I ask that of them when they’d be ween waiting their whole lives ? How can they not be impatient ? Hope is nothing without action. Hope is action. Hope is service delivery. Hope goes hand in hand with practice. I failed quite a bit on that last part« . Ce sont les aveux et les excuses qu’a besoin d’entendre un pays lésé par sa classe politique. The Republic les délivre… parce qu’il s’agit aussi d’une accusation.

    Mais ça, c’est parce que The Republic ne veut pas juste nous donner des frissons, et ne lâche pas son intrigue politique pour céder aux sirènes de l’action à rebondissements (et pourtant, croyez-moi, elle n’en manque pas). Après le verdict du procès Zondo, la série expose combien la société est divisée : décision politique, ou, enfin, décision juste ? En fait, il n’y a pas de vérité possible dans un pays qui croit si peu à la Justice.
    Plus que les destinées individuelles de tous ses personnages, The Republic veut que ce kidnapping pousse le pays à s’interroger sur ce qui se trame depuis un certain temps en Afrique du Sud. La série n’est pas là pour imaginer « et si ? », elle est là pour affirmer : « et voilà ». Et voilà ce qui se produit dans un pays dont la démocratie est fragile. Voilà ce qui se produit dans un pays gangréné par la corruption. Voilà ce qui se produit dans un pays avec une forte fracture sociale. Vous me dites si vous la connaissez…
    The Republic ne laisse aucune place possible au doute dans sa façon de raconter une histoire qui s’inscrit dans la continuité de l’Histoire : l’Apartheid et la lutte contre celui-ci, la fin officielle de la ségrégation, les évolutions de la politique sud-africaine… En un sens, The Republic ferait un visionnage complémentaire parfait pour Queen Sono, avec laquelle elle partage un grand nombre de thèmes. Dommage que les deux séries soient vouées à ne jamais être mises à disposition sur la même plateforme. J’aime aussi à penser que la série ivoirienne Aphasie, dont je n’ai malheureusement jamais réussi à voir plus qu’un trailer, a des points commun avec The Republic ; ne partent-elles pas toutes les deux de l’enlèvement d’une Présidente africaine ?

    Quels que soient les ressemblances que je trouve avec d’autres séries, je me dois de souligner que ce qu’exécute The Republic dans sa première saison est parfaitement unique.

    Il y a beaucoup de désillusion dans The Republic. Sur l’état du pays, et sur la démocratie en général. A-t-elle été dévoyée de son but ? Si oui, par qui ?
    Les MK de jadis, pourtant dévouées à la cause, sont devenues les éminences d’aujourd’hui, et c’est, hélas, une preuve que le problème est plus profond et complexe que le racisme. The Republic en vient à la conclusion naturelle que ce n’est pas qu’une question d’Apartheid, mais aussi une question de pouvoir et donc d’argent. Que les élites sont ravies d’utiliser la démocratie pour maintenir le peuple dans la pauvreté… mais que cela ne fait que nourrir le désespoir et donc la violence.
    The Republic n’a pas de solution magique à cette spirale.
    C’est un questionnement post-Apartheid entre personnes noires que The Republic présente (il n’y a qu’un personnage blanc dans toute la série, brièvement, qui apparaît dans le dernier épisode ; le traitement de cet Afrikaner est sans équivoque). La série n’est intéressée que par la perspective des noirs sur l’ère post-coloniale, en cela que reprendre le pouvoir aux forces colonisatrices n’a pas résolu tous les problèmes, bien-sûr, ce serait trop simple. The Republic insiste sur le fait qu’il y ait encore des efforts à produire post-Struggle. Que peut-être, juste peut-être, se libérer est un processus qui n’est pas fini. Qui ne finit jamais ?
    Et du coup, cela remet pas mal en perspective l’héroïsme de Thabang (ou même des autres protagonistes bien intentionnées de ce thriller) qui ne sauvera pas l’Afrique du Sud, car par définition, on n’améliore pas la démocratie l’arme au poing. Mais on peut au moins lui offrir un avenir, dont elle puisse se saisir pour améliorer les choses.

    A l’occasion, The Republic dresse des parallèles subtils mais dérangeants entre la mentalité de Thabang (« tous les moyens sont bons ») et celle de Zondo (… »tous les moyens sont bons »). Le premier n’est-il pas l’ancien employé du second ? Jusqu’à sa récente repentance, Thabang n’était pas un « gentil ». Et quand bien même. Comment espérer se débarrasser de la corruption si même les « gentils » partagent cette façon de voir ? Alors certes, elle est héritée de l’Apartheid, et The Republic est douloureusement consciente de la nécessité de survivre qui a modelé cette perception de la réalité. Mais encore une fois, il faut bien s’extirper de cela pour régler les problèmes profonds du pays.
    Dans le même ordre d’idée, la série questionne les bonnes intentions de sa Présidente, convaincue de ses valeurs nobles mais qui va se prendre en pleine gueule ses propres imperfections. Alors qu’elle est convaincue d’avoir tant sacrifié pour le pays lorsqu’elle faisait partie des MK, un protagoniste lui balancera : « Everything we did ? What did you do ? You’re not Winnie Mandela. You’re not Adelaide. What did you do ? […] None of us is good, Lufuno. No one is a good person. Not me, not you, not…? Ooooh, you think you’re good ! You think you’re a good person. You think you’re the best President !« . Une scène absolument glaçante.
    Dans The Republic, se définir par sa bonté d’âme, c’est stérile. Si vous pensez qu’au fond de votre cœur vous êtes sincère, ça ne change pas la face du monde, et certainement pas l’état de la nation.

    Malgré son intrigue de série d’action, The Republic prend plusieurs fois le temps d’explorer certains thèmes pourtant assez éloignés, en surface, de son intrigue principale. Elle surprend par exemple à interroger, sans fausse pudeur, comment les forces libératrices de jadis sont devenues la tête de proue de la corruption d’aujourd’hui. Pas seulement par des mécanismes de pouvoir, mais aussi parce que, la lutte pour la décolonisation a ses mécanismes psychologiques. La période de Struggle a laissé sa marque sur ceux et celles qui l’ont menée ; The Republic offre un discours rare sur cela. Il y a notamment un dialogue entre deux anciennes recrues du bras armé de l’ANC qui est fascinant de sincérité mêlée à du cynisme :
    – To be honest, the Struggle robbed us of our youth.
    – Yes, it took something from each and every one of us. But most people in this country still don’t understand where we’ve come from and how hard it’s been. We were ready to die at any minute.
    – That’s why we’re taking all the money now, and influencing whoever we can so we can hold onto it. I mean, to us, it will never be permanent.
    Comment voulez-vous que ces gens-là, qui depuis longtemps n’ont plus rien à perdre, dirigent le pays avec hauteur et dignité ? Pour The Republic, ce n’est même pas que le pouvoir a corrompu les anciennes grandes figures de la lutte contre l’Apartheid : leur conception du monde a logiquement conduit à une corruption-même de l’idée de démocratie. Encore une fois, les idées démocratiques et la lutte armée sont profondément incompatibles ; le rôle de ces soldates du MK n’était pas, n’aurait jamais dû être, de prendre le pouvoir. Mais ça a été le cas, et, bien-sûr, les nouvelles élites noires ont donc reproduit ce que faisaient les élites blanches ; si ce thème est loin d’être absent d’autres séries sud-africaines (ou même de séries équivalentes ailleurs en Afrique noire), The Republic est très différente dans sa façon de le disséquer en parlant de la phase d’après, celle qui vient quand on veut plus de progrès, et pas juste dresser un constat désolé sur le progrès insuffisamment accompli. The Republic m’a fait penser aux Gen Z ; là où les Millennials étaient réputées remettre en question la société léguée par les Boomers (ne sommes-nous pas la « Generation Why ? »), aujourd’hui les Gen Z remettent en question l’insuffisance politique des Millennials, leur pessimisme stérile et leur cynisme vain. Eh bien, The Republic, c’est un peu le même dynamique quelque part… mais bien-sûr à propos de la question très spécifique de la libération de l’Afrique du Sud.

    The Republic
    offre même, et personnellement je n’avais jamais vu ça de toutes mes explorations sud-africaines, des témoignages brefs mais cinglants sur la condition des femmes ayant participé à la lutte pour l’émancipation. Des mentions brèves à la violence sexuelle au sein des rangs du MK, aux commentaires sans merci sur les rôles genrés attendus même par les fameux « libérateurs », The Republic ne mâche pas ses mots : « You know how you men are in this movement. You see us as equals only when we’re working. Only when we’re soldiers. After that, you expect us to be women. Things that must just bend to your every whim. Objects« . Tout est sans fard dans The Republic, il n’y a pas d’ambivalence. Aucun sujet n’est hors-limites. En l’espace de 13 épisodes, la première saison n’accepte de rien laisser de côté, même si dans son intrigue haletante, cela pourrait sembler superflu. C’est aussi la première série sud-africaine que je vois à parler d’avortement, et elle le fait plutôt bien.
    Que ne fait pas, que ne dit pas The Republic ? Quand je pense que je l’avais démarrée en pensant regarder un thriller d’action !

    Au fil des années, je commence à avoir vu pas un nombre de séries produites un peu partout sur la planète (ces colonnes en témoignent, les tags en particulier). Peu m’ont laissée avec cette impression d’être honorée. Honorée d’avoir eu accès, honorée d’avoir été mise dans la confidence, honorée d’avoir assisté à quelque chose de magistral. Honorée d’avoir regardé de la grande télévision. L’intelligence aiguë de The Republic, son absence de concession, sa radiographie sévère des maux qui frappe son pays… tout dans cette série est, juste…
    …juste…!
    …Argh ! Ça fait plus d’un an et je ne sais pas toujours pas comment finir cette phrase, sinon en poussant un grand soupir amoureux.

    Je ne pourrai certainement jamais voir la saison 2 de The Republic, et c’est quelque chose qu’il m’a fallu du temps pour digérer quand mon accès à Showmax s’est achevé, pour être honnête. Et en même temps, je ne suis pas sûre qu’il soit possible de faire mieux, en matière de mélange de genres, de mélange de tons, et de mélange de sujets.
    Du coup, je suis consciente que vous parler d’une série hors d’accès (comme je vous le disais il y a deux mois, Showmax n’est plus disponible en Europe) de la sorte, ce peut être frustrant. J’aurais dû en parler l’an dernier. J’aurais dû en parler avant que Showmax ne ferme ses accès à l’Europe. J’aurais dû vous le dire quand vous aviez une chance. Je suis désolée. J’ai merdé.
    Mais je voulais aussi dire tout ce que j’avais aimé d’elle, et que vous le sachiez : cette série existe. Et elle est grande. Puissions-nous un jour apprécier aisément les grandes séries africaines comme nous le faisons pour d’autres.

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  • Girl Power !

    4 décembre 2023 à 18:37 • Review vers le futur •

    Au juste, je ne sais pas s’il y a des personnes jeunes qui me lisent, mais cette review leur parlera sans doute assez peu ! Lancée ce weekend, la série australienne Paper Dolls nous ramène en effet au tournant des années 2000, pour parler d’un groupe formé suite à une émission de télé-réalité. Bien que portant sur un groupe fictif, Harlow, la série s’appuie sur la trajectoire de Bardot, un groupe australien qui a vu le jour suite à la première saison de Popstars.
    A défaut d’avoir en France une série sur les L5…

    Trigger warning : tentative de suicide, peut-être violences sexuelles.

    L’intrigue de Paper Dolls ne trompe personne, et d’ailleurs, dés la commande de la série au printemps 2022, le network 10 avait été assez clair quant à l’inspiration de cette histoire. Les abonnées de Paramount+, qui proposera la série à l’international, seront cependant moins susceptibles de comprendre certaines des références.
    Tout cela est fort joli, mais que reste-t-il lorsqu’on enlève la nostalgie d’un groupe musical que vous n’avez probablement pas connu ?

    En 1999, l’émission PopRush donne des espoirs à des milliers de jeunes filles venues de toute l’Australie afin de former un groupe féminin promis à la gloire. Cinq d’entre elles finissent par être sélectionnées : Charlie, Annabel, Jade, Tori et Lillian. Paper Dolls commence alors que les membres de Harlow ont été annoncées, qu’elles ont enregistré leur premier single (« Monster »), mais qu’elles n’ont pas encore joué leur première prestation publique, prévue devant un parterre de fans dans un centre commercial.
    Or, deux jours avant le concert, Tori est accusée d’avoir volé de l’argent à l’une de ses consœurs. Margot, la manager, et Roger, l’exécutif du label, décident de la virer… et de la remplacer avant la première performance de Harlow. Izzy, une ancienne enfant star sous contrat avec le label mais inactive depuis 3 ans, est alors engagée pour prendre la relève au pied levé.

    Tournée principalement du point de vue d’Izzy, Paper Dolls n’est pas exactement glamour. Pour commencer, Izzy elle-même n’est pas exactement une héroïne qu’on trouve dans une série où tout est idéalisé. La série insiste au contraire sur ses insécurités, son impulsivité, sa colère, et surtout, son anxiété. La raison pour laquelle, voilà 3 ans, elle a été mise sur le banc de touche par sa maison de disques, n’est pas explicitée, ou du moins pas complètement. Cependant, au fil de cet épisode inaugural, on nous révèlera qu’elle a fait une tentative de suicide par le passé, et qu’elle est depuis plutôt instable. Est-ce la seule explication ? Rien n’est moins sûr : Izzy inspire une forme de peur, et a une réputation de folle dangereuse (pas mal de références sont faites à des couteaux…) qui semble dépasser cela. Mais peut-être est-ce le poids, aussi, des mentalités de fin du 20e siècle, qui interprètent ses problèmes de santé mentale ainsi ? Pour le moment, c’est un peu flou.
    Ce qui en en revanche l’est moins, c’est qu’Izzy n’est effectivement pas la personne la plus fiable au monde. Si elle n’était pas une chanteuse incroyable, et déjà sous contrat, sans parler du fait qu’elle s’est présentée (sans le savoir) pile au bon moment, elle n’aurait jamais été engagée pour remplacer Tori au sein de Harlow. Paper Dolls montre dés ce premier épisode qu’elle est parfaitement consciente de cela, et du fait qu’elle est, dans le fond, tout-à-fait jetable. Elle l’a déjà été, après tout. Ses collègues de Harlow, fraîchement arrivées dans l’industrie et encore pleines d’illusions alors qu’elles n’ont pas vraiment fait leurs débuts, sont en revanche ignorantes de la façon dont le monde de la musique peut les consommer et les jeter.
    Izzy se sent donc en-dehors du groupe pour de multiples raisons : son arrivée tardive et soudaine, sa réputation, sa propre santé mentale, et la nature impitoyable du monde dans lequel elle évolue.

    Il semblerait cependant, même si là encore ce n’est pas encore très explicite pour le moment, que Paper Dolls ambitionne de parler d’un peu plus que des choses habituelles sur le show business. Ce que tente d’introduire Paper Dolls, c’est l’idée d’exploitation. Les chanteuses de Harlow sont exploitées : leur chanson, leur look, leur emploi du temps, leur quotidien (qui est filmé pour les besoins de l’émission dans la maison où on les a fait emménager), tout est décidé pour elles afin d’être rentables pour le label.
    Mais l’exploitation pourrait bien aller au-delà.
    Une conversation de cet épisode inaugural évoque ainsi, brièvement, les revenus extrêmement minimes du groupe. Ainsi, chaque membre touche apparemment 20 dollars australiens par jour… même pour 1999, ça ne fait pas lourd. Mais surtout, une scène semble faire allusion à quelque chose qui se serait passé entre Izzy et Roger. Si je ne suis pas trop nulle en maths, et que j’ai bien compris cette scène, cela implique qu’Izzy a peut-être vécu, avant son hiatus imposé, des violences de la part de Roger… en tant que mineure. Il est très possible que ce soit en fait l’explication à sa santé mentale, du coup. Au stade du premier épisode, beaucoup de choses sont encore laissées à l’appréciation des spectatrices…
    …mais cela rejoint les articles que je lis sur Paper Dolls, une série basée en partie sur l’expérience de Belinda Chapple, l’une des membres à l’origine de Bardot, et qui a publié ses mémoires cette année, justement. Intitulées « The Girl in the Band« , ces pages énumèrent les expériences moins glorieuses qu’il n’y paraît de jeunes femmes exploitées avant d’être éjectées par le star system. Chapple est, d’ailleurs, l’une des productrices exécutives de cette série, qui bénéficie d’une distribution et d’une équipe d’écriture de production et de réalisation presque complètement féminines. Paper Dolls, avant tout, veut être le projet télévisuel qui éduque sur les abus de jadis pour éclairer les choix d’aujourd’hui, un avertissement qu’on se passe de femme en femme en plus d’un rétablissement, autant que faire se peut, des injustices passées. Et qui à l’époque pre-#MeToo, étaient si volontiers tues.
    A ce stade, l’avertissement d’usage sur les coïncidences fortuites avec la réalité apparaît plus comme une protection juridique que jamais…

    Tant mieux. On n’a pas besoin de nostalgie des années Y2K. Et on n’a pas besoin d’une énième série sur l’ascension vers la gloire de jeunes femmes à qui l’univers sourit.
    Ça, ce sont les histoires que racontaient ceux qui voulaient, précisément, exploiter plus de jeunes femmes.

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  • Compromission

    3 décembre 2023 à 18:44 • Telephage-o-thèque •

    Il y a une poésie secrète cachée dans les sites permettant le téléchargement de séries. Si-si.
    Outre le suivi de l’actualité, on y voit souvent apparaître des séries (avec leur sous-titrages) comme au milieu de nulle part, sans explication si ce n’est celle que nous y trouvons. Qui s’est donné la peine de créer ces fichiers, et pourquoi ? Pourquoi ces séries-là ? Pourquoi maintenant ?

    C’est la question que je me suis posée lorsqu’un de mes sites préférés, deux séries tchèques sont apparues exactement au même moment. Aucune des deux n’est d’une actualité immédiate ; elles n’ont pas été proposées dans des territoires anglophones par les mêmes diffuseurs, ni au même moment ; rien, à première vue, justifie qu’elles soient soudainement mises à disposition l’une si près de l’autre. Rien, si ce n’est… leur thème, peut-être.

    Bohéma, initialement lancée en 2017 (dont je vais discuter ici du premier épisode), et Herec, qui date de 2020 (dont je vous propose la review complète), ont l’étonnant point commun de s’intéresser toutes les deux au rôle des artistes dans les affaires politiques du pays, en particulier au moment où les choses tournent au plus mal. Elles ne portent certainement pas sur la même période historique, mais elles portent un regard similaire…

    Bohéma est en équilibre entre deux époques. Pendant l’été 1968, le scénariste Arnošt Žák se décide à écrire ses mémoires, très exactement le lendemain du début de l’invasion de son pays. Cela sert de cadre narratif à la série, dont l’essentiel de l’action se déroule en réalité dans les souvenirs du jeune Arnošt, en 1938, lorsqu’il commençait à peine à frayer avec le milieu du cinéma tchèque en pleine crise des Sudètes. Le parallèle glaçant entre l’arrivée de l’armée soviétique et la main-mise croissante de l’Allemagne nazie, à 30 années d’intervalle, n’a évidemment pas échappé à Arnošt, et motive vraisemblablement l’écriture de son autobiographie.

    En 1938, Arnošt Žák est encore étudiant, mais il s’est épris de Lili Králová, une jeune actrice qui, en dépit de ses expériences positives au cinéma, clame qu’elle ne souhaite pas devenir actrice. Elle a néanmoins décroché un rôle mineur dans un film des studios Barrandov, l’occasion de se lier avec plusieurs des figures majeures du cinéma des années 30, comme les acteurs Zdeněk Štěpánek et Vlasta Burian. Eux-mêmes ne manquent pas de préoccupations, alors que leur statut respectif de grand acteur dramatique et de comédien de génie leur confèrent un rôle politique. Dans le premier épisode, Štěpánek est ainsi forcé par le Président Beneš de lire pour la radio nationale l’annonce de la signature des accords de Munich ; Burian, de son côté, est rapidement courtisé par les Nazis. Apparemment la série prend quelques libertés avec le rôle de Štěpánek dans cette lecture, dont rien n’indique qu’elle ait été faite sous la contrainte, mais passons.

    En se focalisant les années de jeunesse de son héros, mais en regardant bien au-delà de son simple sort (Bohéma n’en fait d’ailleurs pas le narrateur de la série, paradoxalement), cet épisode introductif est la chronique d’une normalité qui change. Le premier épisode de Bohéma est intitulé « Snad to nebude tak hrozné » : en espérant que ce ne soit pas si terrible… C’est la réaction plus ou moins consciente de plusieurs personnes dans le microcosme du cinéma tchèque, alors que les Allemands prennent la main sur l’industrie cinématographique. Peut-être qu’on peut continuer comme avant… Peut-être qu’en fermant les yeux sur ce qui ne va pas on peut continuer comme avant… Peut-être qu’on peut survivre ?
    Chaque employée des studios va envisager de faire des compromis avec ses idéaux, au nom d’un statut, d’un emploi, tout simplement d’un instinct de survie. Enfin, à moins d’être un gros fasciste comme l’un des réalisateurs, trop content d’avoir enfin une excuse pour mettre les Juifs à la porte des studios.

    Il n’y a pas de naïveté dans ce premier épisode, et je doute qu’elle se déclare dans les épisodes suivants : Bohéma montre comment, par exemple, la persécution des homosexuels permet de faire chanter le producteur le plus influent de Barrandov, et de le forcer à « coopérer ». Comment la question financière, aussi, joue son rôle : lorsque les Nazis promettent de financer les studios plus que jamais, et que les entrées dans les salles obscures explosent parce que le public a plus besoin que jamais d’escapisme, les perspectives de s’enrichir sont plus alléchantes que celles de rester moral. Il est vraisemblable que les épisodes suivants se pencheront sur d’autres aspects, comme la propagande.
    En mettant sur la table la question de la survie mais aussi de la collaboration, Bohéma pose des questions difficiles sur la place de l’art, et surtout des artistes. Quelle est leur responsabilité, certes vis-à-vis d’elles-mêmes, mais aussi vis-à-vis de leur public, lorsque tout va mal ? Lorsque tout bascule et que le pays vit dans la peur croissante, quel pouvoir ont les artistes ? Ce débat, chacune l’aura à voix basse avec elle-même ; mais aussi, parfois, à voix haute, avec des collègues, comme lorsque l’un des exécutifs s’étranglera de dépit :
    – Pourquoi vous êtes tous en train de vous porter volontaire pour vous vendre aux Allemands ? Qu’est-ce que c’est, sinon de la couardise ?
    – Je ne sais pas si c’est de la couardise que de continuer la vie normalement quand tout autour de nous est en flammes.

    Peut-être que c’est vrai. Ou peut-être que ce sont les histoires que se racontent les conteurs d’histoire pour s’exonérer de leur collaboration avec l’extrême droite.

    Trigger warning : viol.

    Stanislav « Standa » Láník joue dans des pièces communistes flirtant avec la propagande, au Divadlo pracujících (littéralement « le théâtre des travailleurs »), un théâtre dirigé par Ladislav Dolezal, dont la fille Eva, également comédienne, est éprise de Stanislav. Pour être honnête, il ne croit qu’à moitié à ce qu’il raconte, mais il est très bon acteur et remporte un certain succès.
    Hélas, alors que l’année 1953 s’apprête à démarrer, jouer dans des pièces ne paie pas les factures. Le jeune homme, qui vit avec sa grand’mère et sa sœur Anezka, a en outre un bagage supplémentaire : dans cette République tchécoslovaque communiste, leurs parents sont, même après leur mort, considérées comme des traitres. Cela leur vaut d’être régulièrement écartées des boulots les plus porteurs par les cadres du Parti, qui décident de la vie de tout le monde et notamment de qui peut décrocher quel emploi. Voilà donc Stanislav qui se retrouve à rejoindre l’équipe de maintenance de l’université de Prague pour faire vivre son foyer.

    Herec est principalement intéressée par le sort de Stanislav, et à travers lui, celui de sa famille. Traitée comme une bande de parias, détestée par les communistes les plus dédiés (comme Štěpánský qui, dans leur immeuble, les harcèle et va décider dans ce premier épisode de les faire expulser), la famille Láník galère. Les choses ne vont guère s’arranger lorsque, au cours du premier épisode, la grand’mère décède et que les deux jeunes adultes se retrouvent seules dans l’appartement.
    Pourtant, Stanislav semble plein d’espoir. Il travaille dur à l’université, à plus forte raison parce qu’il a réussi à approcher un professeur de mathématiques, Dr. Hel, membre influent du Parti lui aussi de par les projets scientifiques sur lesquels il travaille en-dehors de ses heures de cours. En faisant montre d’enthousiasme et de passion pour les mathématiques, Stanislav parvient à se faire remarquer par lui, et le Dr Hel entreprend de lui donner des cours particuliers…

    …Cela peut sembler surprenant, puisque son but était plutôt de devenir acteur que scientifique. Mais Herec nous embarque, malgré les contradictions, aux côtés de ce jeune homme aux airs de grand naïf, qui semble obsédé par la possibilité de réussir malgré les cartes qu’il a en main.
    La clé de sa personnalité, toutefois, ne nous sera vraiment délivrée par la série qu’au terme du premier épisode, dans un retournement de situation que je m’en voudrais de vous dévoiler, mais qui insiste sur la question de l’ambition. Stanislav est un héros plus complexe qu’il n’y paraît, ça c’est sûr ; son talent pour déclamer des textes de grands auteurs n’a d’égal que celui qu’il a pour l’improvisation, et il n’hésite pas à se servir de ses talents pour parvenir à ses fins.

    Tandis qu’il écume les théâtres de Prague en quête de gloire, Stanislav se retrouve au coeur d’une autre forme de collaboration. Dans la Tchécoslovaquie totalitaire des années 50, la peur règne. Quelques Tchèques parviennent à passer la frontière au péril de leur vie, mais la plupart de la population en regardant derrière son épaule, de peur d’être dénoncée par une voisine, une collègue, une amante, et de finir arrêtée puis torturée. Les accusations de trahison ne sont pas rares, et la sentence est la peine de mort… du moins, pour les personnes qui ne sont pas purement et simplement disparues. Dans Herec, avec la pauvreté rampante, la vie est dure, mais elle est rendue plus dure encore par le climat de terreur et de suspicion permanentes.
    Herec est un conte cynique sur ce qu’il signifie d’être un artiste dans un monde où il est difficile de survivre ; une histoire de compromis avec soi-même. Son traitement de cette problématique est très différent de Bohéma, mais sur un plan thématique, on reste dans le même voisinnage, étudiant aussi bien les concessions individuelles que l’attrait du pouvoir pour l’art. « Pendant longtemps, on ne m’a pas cru au QG quand je disais que le théâtre appartient à l’armée autant qu’un tank ou un avion », soufflera un militaire sur le ton de la confidence amusée, presque fier d’avoir eu le nez creux en plaçant sous sa tutelle le plus grand théâtre de la ville…

    Herec a autre chose en commun avec Bohéma, un sujet qu’elle détaille plus encore : celui de la persécution des hommes gay par les autorités. Non pas exactement par homophobie, mais parce que les lois homophobes (l’intrigue principale de l’une comme de l’autre se déroule avant la légalisation des rapports homosexuels) permettent d’avoir des munitions contre ces hommes lorsque c’est utile ; un Kompromat bien spécifique, donc. Dans son étrange état d’innocence perverse, l’arriviste Stanislav n’a pas vraiment pris conscience des tenants et aboutissants de tout cela. Mais ne pas comprendre la portée de ses actes ne les excuse en rien.
    Avec seulement trois épisodes (mais chacun durant au minimum 1h10), Herec est une étonnante mini-série, glaçante, sombre, et pleine d’aspérités morales. Violente, aussi. J’ai un peu moins accroché au troisième épisode, qui m’a semblé s’écarter un peu du propos d’origine, mais un peu seulement, donc ça va. Reste que Herec est une fiction réussie et terrifiante. Réussie parce que terrifiante ? Terrifiante parce que réussie…

    Dans le fond, je me dis que c’est probablement cela, l’explication à l’apparition de ces deux séries tchèques, à quelques minutes d’écart, sur le même site de téléchargement. Il y a quelqu’un que certaines de ces problématiques, ou toutes, travaillent ; et qui a voulu partager cela.
    Soit ça, soit les deux séries ont une actrice en commun.

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  • Y a-t-il une âme qui priera pour moi loin de New Nottingham ?

    2 décembre 2023 à 17:30 • Review vers le futur •

    Cet automne, Global lançait au Canada la série Robyn Hood, dont les esprits les plus affûtés parmi vous auront détecté qu’il s’agit d’une référence à Robin Hood, soit Robin des Bois. Bien vu.

    Il s’agit en effet d’une transposition du personnage de folklore anglais au 21e siècle, dans laquelle les « Joyeux Compagnons » sont un groupe de jeunes racisées à la tête de laquelle on trouve Robyn, une rappeuse et militante qui vit à New Nottingham. Dans la série, elle habite dans les tours Sherwood, à l’angle de Sherwood street et Forest street. Ce quartier populaire est sévèrement réprimé par la police et notamment la shériffe de New Nottingham, qui agit principalement au nom d’intérêts privés, en particulier Monarch, la compagnie immobilière d’un certain John Prince (dont les bureaux sont basés sur Castle parkway). Heureusement, avec ses amies et complices, Robyn peut élaborer un plan d’action depuis Lionheart Hall, le centre communautaire de son quartier.
    Voilà. Et tout est comme ça, supposé susciter un « I see what you did there » permanent.

    Robyn Hood souffre d’un mal assez tragique : une bonne idée avec rien derrière.
    C’est le genre de série qui se pitche bien : « what if Robin Hood, but hood ? ». Sur le papier c’est accrocheur, surtout pour des diffuseurs canadiens qui savent très bien qu’on va leur reprocher l’infinie blanchité de leurs grilles (à raison), et qui veulent prétendre faire un effort sans faire le travail de réflexion qui va avec. Or, le problème, c’est qu’après, eh bien, il faut exécuter cette idée super révolutionnaire. Et c’est là que le parpaing de la réalité entre en scène, avec d’autant plus de force que la tartelette aux fraises de la fiction est basée sur une histoire que tout le monde connaît. A quoi sert cette litanie de métaphores à peine voilées dans un épisode d’exposition, quand la plupart des spectatrices connaissent déjà tout ce qu’il y a à savoir, ou presque, de la situation ? A rien, désolée de ruiner le suspense. C’est lourd et redondant.

    Il n’y a hélas pas grand’chose à attendre du « ou presque ». Il y a des choses que Robyn Hood, quand même, apporte de personnel à cette histoire plusieurs fois centenaire. Par exemple, John Prince a un fils, Chet, qui est un fils à papa riche mais qui se prend pour une racaille et un tombeur. Robyn a une petite sœur encore au lycée, et une mère qui est elle-même militante aussi ; son sort funeste sera ce qui motive Robyn à se battre contre Prince pour sauver le quartier de Sherwood, dont quelques minutes auparavant elle se moquait éperdument. Ou encore, il y a le triangle amoureux entre Robyn, son amour de jeunesse Little John tout juste revenu de l’armée, et l’avocate Marian Fitzwalter qui travaille pro bono pour les pauvres (car évidemment Robyn n’a pas simplement été gender swapped, elle est aussi bisexuelle). Sauf que chacun de ces ingrédients ne fait qu’alourdir encore le propos de la série au lieu de lui donner de la substance.
    Les efforts désespérés de Robyn Hood pour avoir l’air d’être dans l’air du temps sont risibles. La façon dont parlent les personnages trahit son manque d’authenticité (au mieux, les protagonistes qui gravitent autour de Robyn s’expriment en memes…), les personnages méchants sont outrancièrement méchants (les flics lancent des « on est sur une propriété privée ici, on peut vous faire ce qu’on veut » une matraque à la main, John Prince parle ouvertement de faire tuer quelqu’un dans un appel téléphonique à la shériffe…), les gimmicks se succèdent (Friar Tuck est devenu un transhumaniste qui croit un jour pouvoir uploader sa conscience sur internet).
    On ne peut rien prendre au sérieux tant la série n’a pas une once de subtilité, comme si elle voulait absolument affirmer aussi haut et fort que possible qu’elle est dans le coup. Ce qui, comme chacune sait, est le moyen le plus sûr de s’afficher comme étant has been.

    Et puis, il faut parler de la forme de Robyn Hood, aussi. La série a été créée par le réalisateur « Director X » (non, ce n’est pas un alias d’Elongated Muskrat), qui est passé derrière la camera de quelques épisodes d’October Faction ou The Imperfects, mais qui est pour l’essentiel un réalisateur de clips musicaux. J’aimerais vous dire que ça se sent, mais même pas.
    A tout prendre, la réalisation de Robyn Hood m’évoque plutôt ce que j’associe au style des séries d’action qui pullulaient dans les années 90 : un peu ridicule, un peu cheap, un peu idiot, mais pensant pouvoir camoufler ces défauts sous de la musique bruyante, quelques néons, et des références djeunz. Hasard ou coïncidence, la télévision canadienne était bien placée pour produire, co-produire ou simplement accueillir le tournage de ces séries à l’époque, et vraiment il est difficile d’ignorer la filiation ici.

    Le pire ? Director X n’assume même pas vraiment la série qu’il a créée :

    Director X says the show wasn’t written with any race in mind. Instead, they simply cast who felt right for the role.  “It’s an all-Black show but it’s not about being Black,” he says. “We have a social commentary built in — it’s rich versus poor … we have gay characters and Black characters and all this stuff. But it’s not what Robyn Hood is about. They just exist in this world, like we all exist in the normal world… It’s essentially a superhero show.”

    Qu’est-ce c’est que ce charabia ? Mais mec, si tu veux monter une adaptation de Robin des Bois avec des personnes marginalisées de nos jours, bien-sûr qu’il y a des protagonistes noires et/ou gay et/ou « all this stuff » qui vont s’y trouver. Ya pas de honte à admettre que c’est la population qui appartient le plus souvent aux classes les plus modestes et opprimées de la société, et que tu l’a remarqué. Tu peux pas à la fois vouloir t’attaquer aux problèmes de notre monde, et en même temps prétendre que tu n’y as mis aucune intention particulière, genre c’est juste bien tombé.
    En même temps, ça reflète bien le niveau de la série, avec une compréhension de surface de nombre de ses enjeux…

    Et pourtant, je voulais quand même vous glisser un mot sur Robyn Hood avant que l’année ne finisse et qu’on ne l’oublie définitivement (car on va l’oublier définitivement, c’est certain). Parce que si son exécution est un échec (je pense n’avoir laissé aucune forme de suspense à ce sujet !), son existence elle-même, par contre, dit quelque chose. Elle dit que Global est un diffuseur sans scrupules, certes. Elle dit que Director X doit être tenu à distance de séries dignes de ce nom à l’avenir, aussi. Mais elle dit surtout que si une chaîne a pensé que ce truc, ce truc-là en particulier, avait une chance de faire des audiences décentes auprès d’un public jeune et « urbain », c’est qu’il se passe résolument quelque chose. Les spectatrices notamment Gen Z sont en demande de séries politisées, et les décideurs le savent. Ils ne savent juste pas forcément quoi en faire.
    L’échec de Robyn Hood, au-delà de sa dégaine de « how do you do, fellow kids« , n’est pas d’être politique : c’est de ne pas aller loin dans son analyse politique. De ne pas vraiment exorciser les démons de son époque, de sa société, de sa cible. De ne pas comprendre que pour un public qui connaît la pauvreté et la violence, il y a un besoin de reconnaissance par la fiction qui ne peut être superficiel.
    L’échec de Robyn Hood n’est pas son sujet, mais que celui-ci ait été placé entre des mains pas assez subversives. C’est plutôt bon signe, en un sens.

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  • Jul comes but once a year

    1 décembre 2023 à 11:49 • Telephage-o-thèque •

    Anna-Karin et Vilgot ont créé dans leur laboratoire le premier trou noir artificiel ; ensemble, elles espèrent que cette avancée scientifique majeure résoudra la crise énergétique de la planète, et avec elle le changement climatique. Rien que ça. Le couple est prêt à célébrer à la fois sa victoire sur leur principal concurrent, Ernst, et à la fois leur accomplissement professionnel et moral. Potentiellement dans cet ordre… mais qui va vérifier leurs intentions ? Non loin de leur laboratoire, dans un manoir transformé en HVB, vit Mira, une orpheline  qui n’aime pas Jul. Et c’est pas de chance pour elle, parce qu’on est le 1er décembre : le compte à rebours pour les fêtes de fin d’année a commencé. A sa décharge, il faut dire que cette année, Jul sera particulièrement pénible pour elle, vu qu’elle s’apprête à être adoptée. C’est donc la dernière fois qu’elle vit cette célébration avec Galad, un adolescent plus âgé qui est son frère de cœur dans cette HVB.
    Pendant que Mira vit cette crise sans précédent, sans que personne ou presque ne s’en aperçoive, une avarie déplace le trou noir depuis le laboratoire d’Anna-Karin et Vilgot juuusque dans le grenier du vieux manoir… et ouvre un portail vers l’année 1920 ! C’est à cette époque que vit Rakel, qui se prépare elle aussi à fêter Jul, mais très différemment. Sa famille habite dans un fabuleux manoir (c’est évidemment le même), et elle semble tout avoir pour être heureuse. Le problème, c’est que Rakel trouve sa vie ennuyeuse, et ne rêve rien tant que de devenir une artiste ; un rêve qui semble hors d’atteinte à bien des égards.

    Joyeux premier jour de décembre ! Pour inaugurer votre calendrier de l’Avent, je vous propose aujourd’hui un article en deux temps, avec d’abord une review, et ensuite… vous verrez.
    Prêtes à découvrir à mes côtés un Julkalender dont je n’avais encore pas parlé ? Alors direction pour la Suède, avec le premier épisode de Mirakel, une série initialement diffusée par SVT pour le calendrier de l’Avent 2020. Le titre de la série, naturellement, est un jeu de mots compilant les prénoms des deux héroïnes, en plus de signifier « miracle ».

    Comme dans quasiment toutes les séries en son genre, Mirakel est préoccupée par l’esprit de Jul, c’est-à-dire par la perspective de se mettre dans une disposition festive pour les fêtes hivernales. C’est la même chose que l’esprit de Noël chez nous, juste plus au Nord : la saison se prête à la joie, mais hélas, tout le monde n’a pas accès à cette joie. L’enjeu de la série est d’apporter cette joie : il faut sauver Jul ! En l’occurrence, Mira a le cœur lourd ; Rakel souffre d’un profond ennui. Pour aucune des deux préadolescentes (je lis qu’apparemment les protagonistes sont âgées de 12 ans), le temps n’est vraiment aux célébrations. Chacune ressent des frustrations qui sont compréhensibles, mais qui prennent, forcément, un tour différent lorsque l’intrigue de Mirakel se met en place.
    C’est que, le couloir temporel établi par le trou noir artificiel n’est pas exactement un passage comme un autre : c’est le moyen par lequel les deux héroïnes vont se retrouver dans une situation d’échange de corps. Voilà donc Rakel propulsée en 2020, dans une vie bien moins confortable et choyée que celle qu’elle connaît ; de son côté, précipitée en 1920, Mira a également des leçons à apprendre de son expérience au sein d’une famille, chose qu’elle n’a jamais connue.
    Cette fois, il faudra donc sauver Jul doublement ! Évidemment, les épisodes de Mirakel ne durant qu’un quart d’heure environ, l’épisode introductif de la série n’a pas le temps de détailler tout cela. Mais c’est en filigrane ce qui se dessine de la comparaison entre la vie de ses deux protagonistes, rendue encore plus saisissante par le fait que les deux jeunes filles vivent dans le même manoir ; même si au fil des décennies il a, naturellement, évolué. Si le principe de Mirakel est assez simple (les séries du Julkalender sont rarement dans l’innovation, ce n’est pas le rôle de cette institution télévisuelle), ce premier épisode pose des bases intéressantes d’un point de vue thématique. Non seulement il y a cet échange, qui promet d’apprendre les deux filles à réviser leurs priorités, mais la série a une autre intention.

    C’est que, n’oublions pas comment les choses ont commencé : par une solution mirakuleuse aux problèmes de 2020. Enfin, un des problèmes, en tout cas (…c’était une année chargée). Les deux scientifiques qui ont inventé un trou noir (et mes quelques lectures me disent que leur rôle futur dans la série ne se limite pas à cela, d’ailleurs) le font précisément parce qu’il y a une crise, une urgence, une catastrophe imminente. Il faut, bien-sûr, sauver la Terre. C’est donc un troisième sauvetage qui se trame dans le fond de l’intrigue, moins individuel.
    Les séries pour la jeunesse sont l’un des rares genres télévisuels à avoir passé plusieurs décennies à marteler l’urgence écologique sur tous les tons : science-fiction, drama, comédie, action et aventures… Si dans la plupart des séries créées pour des publics plus âgés, l’environnement et le climat ne sont que rarement des préoccupations (pire, les personnages intéressés par la nature et/ou le véganisme ont tendance à y passer pour des illuminés), les séries pour les enfants et les préadolescentes se sont longtemps chargées de dépeindre l’importance de préserver la planète de diverses façons. Cette consistance, hélas, n’a pas franchement été suivie d’effets (c’est à vous faire douter du pouvoir supposé de la télévision), mais elle prend régulièrement de nouvelles formes. Avec Mirakel, c’est une fois de plus le cas : la toile de fond de l’intrigue de cette série imaginée spécialement pour les fêtes, c’est un peu la fin du monde, et ce n’est pas franchement fictif. En fait, dans Mirakel, on a atteint le stade où c’est trouver une solution scientifique/magique à la crise qui relève de l’imaginaire.
    Pour enfoncer le clou, Mirakel prend le temps d’insister sur les motivations d’Anna-Karin et Vilgot (qui ont des comptes à régler avec Ernst, certes, mais espèrent aussi que Greta Thunberg va leur être reconnaissante !). Plus subtilement, la série s’attache aussi à des choses moins manifestes… comme montrer le fameux manoir en 1920 et en 2020 à l’occasion de brefs plans, sans insister sur la comparaison ou au moins pas pour le moment. Or, en 1920, le 1er décembre montre une demeure couverte par la neige, quand l’herbe est encore plutôt verte pour le 1er décembre 2020.

    Les séries pour la jeunesse diffusées à l’occasion du Julkalender ont longtemps reflété les préoccupations de leur public-cible. Divorce, déménagement, maladie… les tragédies qui touchent les enfants sont le moteur des intrigues de ces séries hivernales. Cette fois, je ne peux pas m’empêcher de penser que c’est un peu différent : si l’on peut réconcilier une famille déchirée, se faire de nouvelles amies dans une nouvelle ville, ou guérir d’une maladie, je ne sais pas trop ce que Mirakel pense résoudre en moins de 24 jours. Mais vous pouvez le vérifier par vous-même : les épisodes sont disponibles (dans une excellent qualité, et sous-titrés) sur Dailymotion.

    …Je ne vous abandonne pas avant d’avoir procédé à un petit « point Julkalender », histoire de parler non pas de ce qu’il s’est passé en 2020, mais de ce que les enfants scandinaves pourront voir à la télévision en ce mois de décembre.

    Côté Suède, SVT lance aujourd’hui Trolltider – Legenden om Bergatrollet, une série originale… ou presque. Il s’agit en effet d’un reboot de Trolltider, un Julkalender initialement diffusée en 1979. L’intrigue se base sur une légende qui veut que le dangereux Bergatrollet (« troll de la montagne ») a jadis été enfermé par quatre peuples : les humaines, les trolls, les fées et les sorcières. Ces efforts conjoints sont cependant menacés lorsque l’ambre dans laquelle le Bergatrollet était scellé par un sort est trouvée par un humain, qui brise l’enchantement. Saga, une jeune fille humaine, et Love, un jeune troll, font équipe pour empêcher le troll de la montagne de tout détruire. Gageons que le tandem trouvera une solution en 24 jours tout pile.
    Regarder le trailer de ce Julkalender après avoir jeté un œil aux épisodes de la série originale (presque tous disponibles sur Youtube, mais hélas sans sous-titres) aide à prendre la mesure du fossé générationnel entre les deux fictions. Pourtant diffusées dans les mêmes conditions à raison d’un épisode par jour, et à destination du même public, par le même groupe audiovisuel public… on voit combien les moyens mis en œuvre ont largement changé au fil des décennies. C’est toujours un peu édifiant de revenir sur les vieux Julkalender de la télévision scandinave (les rediffusions, très courantes, de beaucoup de ces séries, devraient en théorie rendre le choc un peu moins rude), mais on a très peu souvent l’occasion de faire la comparaison entre une série et son remake moderne, tant les Julkalender font si peu souvent l’objet d’une nouvelle adaptation. Mais là, le grand écart au niveau notamment du ton est visible. Ce doit être plutôt chouette d’être une gamine en 2023 et d’être prise au sérieux en tant que téléphage avec des exigences de qualité ! Mais ça explique aussi, très certainement, pourquoi le Julkalender autrefois produit sans difficulté est aujourd’hui un enjeu financier qui peut peser lourd dans le budget des chaînes scandinaves du 21e siècle…
    D’ailleurs ça ne donne que plus de piquant au projet de SVT pour décembre 2024, la série Snödrömmar, qui pour la première fois dans l’histoire de la télévision de l’Avent mettra en scène une famille Saami. Il sera question de comprendre pourquoi la neige a disparu (on a toutes une petite idée de la réponse, je le crains) pendant des vacances en montagne. Plutôt cool que ce type d’effort d’inclusivité se déroule à un moment où les séries pour la jeunesse bénéficient de moyens aussi léchés.

    En parlant de budget, en ce mois de décembre NRK propose [enfin] la deuxième saison de Snøfall. Pour celles d’entre vous qui roupillaient à l’époque, rappelons que Snøfall est un projet d’envergure inédite dans le monde des séries de l’Avent. En 2012, NRK avait promis qu’au lieu de lancer une mini-série dont l’intrigue serait bouclée au bout d’un mois, elle allait lancer une série en 2016 qui aurait plusieurs saisons ; une nouvelle saison était prévue tous les quatre ans jusqu’en 2030… mais ça, c’était avant COVID, bien-sûr. Depuis, NRK a dû réviser sa copie, et la deuxième saison de Snøfall débarque donc aujourd’hui seulement. Je vous rassure, pour toutes les petites Norvégiennes qui étaient trop jeunes pour s’en souvenir, NRK a pris soin de rediffuser la première saison l’hiver dernier ! Et hop, d’une pierre deux coups.
    C’est que justement, ce projet titanesque a nécessité de remettre un peu les choses en perspective pour la chaîne publique norvégienne : entre deux saisons de l’ambitieuse Snøfall (et ses saisons à 50 millions de couronnes environ), il n’est désormais plus possible pour elle de financer autant de séries originales. Alors les rediffusions, c’est devenu plus que de la nostalgie : de la gestion de budget. Cela ne signifie pas que Snøfall est désormais le seul Julekalender original de NRK (il y en a eu en 2020 et 2021, d’ailleurs bougez pas, on y revient), mais pour l’essentiel, le but de la chaîne n’est plus de produire des fictions de l’Avent originales tous les ans si elle veut voir aboutir son projet. En tout cas, la première saison a été bien accueillie (elle a même reçu un Gullruten), et l’opération semble pour le moment, si ce n’est rentable, au moins à l’équilibre (ça aide bien que des chaînes comme DR1 au Danemark, SVT1 en Suède, ou Das Erste en Allemagne, aient acquis les droits de diffusion pour alléger l’investissement). Après ça, rendez-vous en 2027 pour la saison 3, je suppose ? S’il ne se passe pas une autre pandémie mondiale, bien-sûr.

    Chez TV2, on a décidé d’excaver la série/émission Asbjørns Julekalender, une comédie dont la première saison remonte à décembre 2015, sauf qu’à l’origine c’était un programme de TV Norge. Le format (que j’ai déjà tenté d’expliquer ici) est un peu hybride : le présentateur, qui est le comédien Espen Eckbo, incarne un personnage fictif, mais il reçoit des personnalités bien réelles et boit avec elles.

    Et puisqu’on parle de diffusions de séries norvégiennes, au Danemark, DR a décidé que cette année, les enfants regarderaient la série norvégienne Kristianias magiska tivoliteater. Diffusée en 2021 par NRK, donc.
    L’histoire se déroule au début du 20e siècle et suit Luka, un petit garçon pauvre, qui vit dans le quartier (aujourd’hui disparu) de Christiania Tivoli, réputé pour sa vie festive et/ou nocturne. Alors qu’il est pourchassé par des brigands, il trouve refuge dans un étrange cirque. Cependant, ce refuge pourrait être de courte durée : une riche femme, Erle Butenschøn, menace de le faire disparaître… Il faut donc sauver à la fois Jul et le cirque !
    Dotée d’un budget à faire pâlir la pourtant déjà exorbitante Snøfall (82 millions de couronnes cette fois, où s’arrêtera la folie ?), Kristianias magiska tivoliteater a bien besoin de rentabiliser avec des diffusions hors de ses frontières. L’an dernier, c’était la Suède et la Finlande qui diffusaient la série ; c’est donc le tour du Danemark maintenant. Avec cette pratique consistant désormais à diffuser une série originale tous les deux ans, et donc à opter soit pour une rediffusion soit pour une série équivalente étrangère dans l’intervalle, DR aussi tente de budgéter différemment pour les mois de décembre. Devant le trailer, on a du mal à imaginer que les jeunes spectatrices se sentent perdantes au change. Il faut cependant noter que les expérimentations norvégiennes de DR pour le Julekalender ont, les fois précédentes, conduit à des audiences décevantes : en 2017, la diffusion de la sus-mentionnée Snøfall avait conduit à faire les pires audiences de la décennie pour une série de l’Avent sur la chaîne danoise. DR espère donc que la sauce va prendre cette fois ; au pire, l’an prochain elle proposera… une nouvelle saison de Tidsrejsen ! La série de 2014 compte parmi les plus grands succès de son histoire, et ça, au moins, c’est du solide. Décidément ça devient une tendance de renouveler les séries de l’Avent…

    TV2, qui n’est pas astreinte à la même sobriété budgétaire, peut en revanche se payer des séries originales chaque année. Pour ce mois de décembre 2023, elle a misé sur Valdes Jul ; comme son nom le suggère, la série a pour personnage central un jeune garçon du nom de Valde, qui a grandi à la campagne. Hélas, juste avant les fêtes de fin d’année, il apprend que sa famille a entrepris de mettre en ventre leur ferme. Avec sa petite sœur Rita, Valde décide de comprendre les raisons de cette décision, et en chemin va révéler un secret familial sur les environs de leur ferme, au cœur de la forêt où on leur a toujours interdit de jouer. Lancées sur la piste de la personne qui garde la forêt avec l’aide de Tala, une créature magique qui peut se transformer en louve, les adelphes vont donc partir dans une aventure pleine de mystère qui les poussera à restaurer les relations entre les humaines et les créatures magiques de la forêt.
    Il y a vraisemblablement de la fable écologique là-dessous aussi. Outre son contexte rural assez inédit pour ce genre de série, Valdes Jul a l’ambition de parler de nature et de son importance dans la vie des humaines. Bon, pas au point de faire une croix sur les produits dérivés : comme souvent pour les séries de l’Avent modernes, Valdes Jul vient avec sa ribambelle de calendriers, de peluches, de décorations de sapin, de gants et de chaussettes bien chaudes, d’emballages cadeau ou encore de… cartes à collectionner. What year is this ? Nan mais promis, on aime très fort les arbres, tout ça.
    Allez, on se consolera en se disant qu’au moins c’est pas des NFT. Non parce que, hein. On se sait.

    De son côté, DR2 offre une rediffusion de Rytteriets Jul, une série initialement proposée en 2016. Il s’agit plutôt d’une fiction pour les adultes, proposant de satiriser le stress des fêtes de fin d’année.

    DR Ramasjang, la chaîne pour la jeunesse, se charge quant à elle de diffuser les épisodes de En hederlig jul med Knyckertz, une comédie que SVT avait produite voilà deux ans pour le public suédois. Honnêtement, j’aime bien le sujet : la série, qui se déroule dans une sorte d’univers parallèle sans technologie, tourne autour du jeune Ture Knyckertz et de sa famille, où tout le monde est criminelle. Mais genre, criminelle de dessin animé, rien de grave, hein ? Grosse vibe Rapetout dans le trailer, d’ailleurs. Toujours est-il que le plus grand souhait de Ture pour les fêtes de fin d’année est de les fêter de façon… honnête. Pas facile quand les parents confondent amour et criminalité, et que même sa petite soeur est déjà une génie du crime. Malgré tout, quand le joyau légendaire d’une décoration de sapin disparaît, il se met en quête de la vérité, et se lance dans une enquête informelle…

    Qui n’a-t-on pas encore mentionné ? Ah : la Finlande, bien-sûr. Comme souvent, elle détient le record de brièveté avec son Joulukalenteri de 10 minutes quotidiennes seulement, Talvipihan joulu. C’est l’histoire pas très drôle d’un zoo dont l’avenir semble menacé ; il n’y a plus que 7 animaux entre ses murs, ainsi qu’un humain, Onni, qui veut tout faire pour sauver le zoo. Aidé par une jeune fille qui vit à proximité, Ilona, il va tout faire pour éviter la faillite et que ses animaux ne soient saisis. Talvipihan joulu est l’une des rares séries qui vise un public familial (donc incluant les plus jeunes) sans intégrer d’éléments fantastiques. L’équipe de la série insiste d’ailleurs beaucoup sur l’intrigue réaliste (même si le méchant marchand est, forcément, un peu caricatural, nous promet-on), et a été filmée près de lieu où les animaux habitent, pour les perturber par le tournage le moins possible. Les articles dans la presse finlandaise n’en finissent pas d’ajouter des touches de mignoncité à l’affaire ; par exemple l’actrice jouant Ilona aurait apparemment emménagé sur place après avoir été ravie par l’environnement du lieu de tournage.
    Alors certes, l’histoire ne casse pas trois pattes à un canard, mais vous admettrez que vu le contexte ce serait malvenu.

    Pour finir, voyons du côté d’internet, car oui, la SVOD scandinave est à maintenant inclure dans cette institution télévisuelle. La plateforme discovery+ a décidé de piocher dans le catalogue de vieilles séries auquel elle a accès, pour sortir des cartons Jul i Blodfjell, une comédie initialement diffusée par TV Norge en 2017, et dotée d’une deuxième saison datant de 2019.
    Inspirée par l’univers de l’horreur et l’épouvante, la série verse régulièrement dans la parodie en reprenant à son compte des scènes de films et séries célèbres. Un coup d’oeil sur discovery+ semble indiquer que c’est la 2e saison qui a été mise en ligne, donc celle qui ne se déroule pas dans un hôpital psychiatrique désaffecté, mais dans un chalet de montagne isolé de tout. Pas tellement plus rassurant ! Pour l’anecdote, c’est précisément la saison qui avait été présentée à CANNESERIES dans la catégorie des formats courts (bah oui, les séries Julekalender sont souvent des séries d’un quart d’heure) pendant l’édition de 2020.

    Enfin, sur la plateforme nordique Viaplay, les choses sont un peu différentes : la plateforme fait revenir non pas une série, mais trois ! Det Store Eksperiment (Suède), Det Store Eksperimentet (Danemark) et Det Stora Experimentet (Norvège) sont en fait trois versions de la même série initialement lancée en 2016, et qui reviennent chacune pour une 3e saison. Vu que le concept est le même, seul la distribution change d’un pays à l’autre, disons pour simplifier qu’il s’agit d’une série d’aventure dans laquelle chaque épisode présente des énigmes et puzzles qui ne peuvent être résolues que grâce à des connaissances en sciences ou mathématiques. Deux enfants, pris au piège, vont donc les résoudre avec l’aide d’un adulte. Malgré les apparences, il ne s’agit pas ici d’une émission de jeu, mais vraiment d’une fiction, même s’il y a une valeur pédagogique évidente. On est ici dans une forme d’edutainment assez originale, à plus forte raison parce que la série est donc produite en trois versions différentes pour les publics principaux de la plateforme (les abonnées finlandaises et islandaises devront se contenter de produits traduits, par contre). C’est une idée plutôt cool, et en plus, ça a l’air de voler des parts de marché aux diffuseurs linéaires, ce qui reste la raison de vivre essentielle de la SVOD, pas vrai ?

    J’ai bien conscience que parler de ces séries de décembre ne vous donnera pas nécessairement accès à elles (ni ne vous permettra de retomber en enfance…). C’est l’une des grandes tragédies des séries de l’Avent produites dans les pays nordiques : on a chez nous l’air d’être complètement désintéressées par leur importation, alors qu’en théorie, rien ne l’empêche. Je crois me rappeler qu’il y a quelques années, arte avait proposé Pagten, mais je ne crois pas que ç’ait été en quotidienne selon le format pourtant inscrit dans la structure de la série. Allez comprendre. Une opportunité manquée également par les plateformes de streaming internationales comme Netflix ou Amazon Prime Video, qui n’ont jamais vraiment tenté de répliquer une recette pourtant populaire depuis les années 60 (il faut dire que malgré leurs calendriers de sorties chargés, elles se sont montrées peu intéressées par des expérimentations en quotidienne).
    Malgré tout, j’espère que ce tour d’horizon vous aura vendu un peu de rêve en ce premier jour de décembre…

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  • Take Five Onze

    30 novembre 2023 à 20:21 • Take Five •

    Oui bonjour, c’est l’avant-dernier Take Five de l’année. Savourez-les bien, je n’ai pas encore décidé du sort de cette rubrique inaugurée début 2023 ! Pour cette nouvelle fournée de « pilotes » qui n’ont pas trouvé leur place dans des reviews individuelles, on trouve vraiment de tout, y compris des séries dont j’espère pouvoir reparler à l’avenir si j’en trouve le temps. Mais, vous le savez, le mois de décembre est en général assez chargé dans ces colonnes (du moins, quand tout va bien !), alors je ne vous fais pas de promesse…

    BLACK FAMILIA (2023)

    C’est pas super bien joué, c’est pas super bien filmé, c’est pas super bien écrit. Mais quelque part là-dessous se cache un revenge drama qui ne manque pas d’idées, paradoxalement. Tout part de la mort de Riria Shindou, une adolescente promise à de grandes choses qui venait d’obtenir son tout premier rôle en tant qu’actrice. Sa carrière débutait à peine, mais elle faisait la fierté de sa famille : sa grande soeur Sana, qui se destine à devenir journaliste ; son oncle Yuuma, un informaticien en recherche d’emploi ; son père Kousuke, coiffeur-maquilleur dans un bar à hôtesses ; et sa mère Kazuha, une femme au foyer dévouée. Ce soir-là, les Shindou avaient prévu une soirée au restaurant pour célébrer les débuts de Riria, avant de recevoir un appel paniqué de celle-ci ; réussissant à grand’peine à comprendre qu’elle est, en pleine nuit, encore dans les murs de son lycée, tout le monde se précipite sur place… pour la voir chuter depuis le toit du bâtiment. Très vite, la police décide qu’il s’agit d’un suicide et boucle l’affaire. Mais les Shindou ne peuvent accepter cela : Riria était pleine de vie et pleine de projets ! Cette conclusion leur est inconcevable.
    Jusque là, BLACK FAMILIA pourrait à peu près se faire passer pour un drame familial, mais ce n’est pas du tout son intention. Il s’agit d’un thriller, et une fois n’est pas coutume, ce n’est pas une membre de la famille mais le clan Shindou tout entier qui se met en quête de vérité. L’idée ? La famille ne peut compter que sur elle-même, et chaque membre endosse donc une nouvelle identité qui permette de se rapprocher de l’objectif. Quant à l’objectif en question, c’est certainement ce qu’il y a de plus intéressant dans BLACK FAMILIA, la série mêlant le monde politique à celui du divertissement, semblant s’orienter vers une satire des petits arrangements de la classe aisée et de la classe dirigeante (et dans le cas qui nous préoccupe, c’est carrément de la même famille qu’il s’agit). C’est un aspect intéressant, à plus forte raison parce qu’à la base les Shindou sont vraiment des gens parfaitement quelconques, d’une certaine naïveté vis-à-vis de ce genre de choses, et que la mort de Riria est une sorte d’éveil politique indirect sur ce qui gangrène notre monde.
    Avec tout ça, si BLACK FAMILIA n’était pas tournée au kilomètre et pleine de scènes super cliché, ça vaudrait vraiment le coup de la regarder. En l’état, je pense que si je n’avais rien d’autre à voir, je pourrais justifier de lui dédier quelques heures… mais qui de nos jours n’a rien d’autre à voir ?!

    Builders (2023)

    Petite comédie sans prétention, mais alors vraiment aucune, Builders se déroule dans une salle de sport éponyme, et suit plusieurs des habituées et employées. Ce n’est pas exactement ce que j’appellerais de l’humour de haut vol, et ce premier épisode a même des moments de flottement assez embarrassants pendant lesquels le scénario n’a pas l’air bien certain de savoir où se trouve la blague. Et c’est le premier épisode ! Faut espérer que la série se trouve, plutôt qu’elle n’empire… mais je vous l’avoue, je ne suis que pessimisme à son sujet.
    Builders démarre alors que Mandar, qui est plus ou moins le personnage central, est mis face à un ultimatum par son patron, qui est également son beau-frère. Mandar travaille à Builders, mais s’il est relativement musclé, en revanche il est complètement abruti ; en outre il a fait acheter des équipements neufs dont il a promis qu’ils seraient un argument de vente, et pour le moment il ne s’est rien passé. Son beau-frère lui annonce donc que, si avant la fin du mois, il n’a pas vendu au moins 5 abonnements annuels, il perdra son job. Mandar se confie à ses meilleures potes, le célibataire chronique Kaameshwar et l’actrice ratée Parul, mais chacune a des préoccupations plus importantes. Kaameshwar, en particulier, se lamente qu’en dépit de son excellent boulot dans une banque et de ses résultats décents à la salle, il n’ait encore jamais réussi à approcher une femme. Fort heureusement, il a un plan : trouver une adhérente de Builders qui soit grosse, l’encourager pendant qu’elle perd du poids… et quand elle sera mince, il est convaincu qu’elle lui tombera dans les bras par reconnaissance de l’avoir aimée « pour elle-même ». Ce plan grossophobe vous est proposé par Builders.
    Et bien-sûr, qui entre à la salle ce jour-là ? Une femme grosse, Vishakha. Entre Mandar qui veut absolument lui vendre un abonnement (avec des équipements neufs qui ne fonctionnent pas), Kaameshwar qui veut lui montrer qu’il est body positive pour la charmer (or on sait bien qu’il ne l’est pas), et Parul qui passe son temps à l’espionner pour ses potes (pas d’intrigue en propre, donc)… elle va passer une journée assez pénible à la salle de gym. Et c’est sans compter sur « Uncle », un vieux type qui traine à Builders parce qu’il n’a pas d’autre moyen d’avoir une vie sociale, qui va également semer le chaos. Builders a l’air convaincue que tout cela est drôle ; que les blagues téléphonées, les clins d’œil à la grossophobie-mais-si-je-reconnais-que-c’est-de-la-grossophobie-alors-ça-va, les personnages stupides, et le décor étroit, ça fait une comédie. Je m’estime heureuse qu’au moins il n’y ait pas de rires enregistrés, vous me direz. J’ai passé tout l’épisode à supplier Vishakha de quitter la série, mais non, hélas pour elle, je la vois sur le poster promotionnel. C’est terrible parce qu’en plus de tout le reste, elle est le seul personnage à ne pas se couvrir de ridicule tout en étant réellement drôle, comme si elle s’était trompée de série. Moi en tout cas, j’ai fait une grave erreur.

    Estonia (2023)

    Estonia revient sur le naufrage du navire de croisière du même nom en 1994, le troisième accident maritime le plus coûteux en vies humaines de l’Histoire.
    Pourtant, pas de série-catastrophe à la Titanic ici : bien qu’étant la série la plus chère de l’histoire de la télévision finlandaise (mais co-produite avec la Suède, l’Estonie, et la Belgique pour alléger un peu la facture), Estonia s’attache avant tout à parler de l’après, et passe très peu de temps sur le naufrage lui-même. En fait, c’en est même perturbant, tant on en voit peu ; cet épisode introductif passe si rapidement dans les conséquences du naufrage qu’on en est comme en état de choc, de la même façon que les familles de victimes. Perturbées par l’aspect soudain et incompréhensible des faits (le discours officiel passe de « il y a eu un accident » à « on va essayer d’en sauver le plus possible mais on n’est pas optimistes » en très peu de temps…), elles réalisent progressivement la gravité de l’événement. Pendant ce temps, les unités de sauvetage s’affairent en mer, de nuit, sous une pluie glaciale. Mais dés le lendemain, les questions commencent à se poser : sur les raisons de l’accident, bien-sûr, mais aussi sur la façon dont les secours sont intervenus.
    Je ne vous cache pas que le premier épisode d’Estonia est dur, moralement. Ce qui est presque paradoxal vu la façon très digne choisie pour présenter l’accident, sans voyeurisme. L’impression de chaos se mêle à un grand sentiment d’impuissance de la part des protagonistes (un plongeur secouriste, une pasteure assistant les familles…). Et puis, faire quelque chose, c’est quand même en faire trop peu, devant l’ampleur de la tragédie ; l’épisode inaugural suit le principe de « look for the helpers« , mais ça ne signifie pas nécessairement que cela donne beaucoup d’espoir. Toutefois, cela ne devrait pas durer : la série semble attachée à une narration linéaire, et la fin de son épisode a, déjà, pris une orientation politique (et internationale), en suivant le comité d’enquête trinational. Les questions devraient se poser dans des termes différents maintenant que le plus dur est passé… mais je vous avoue qu’après m’avoir bien plombé le moral, cet épisode m’a un peu coupé l’envie de regarder la suite.

    Le futur est à nous (2022)

    A intervalles plus ou moins réguliers, la chaîne Youtube de Canal+ Afrique a l’excellentissime idée de mettre en ligne le premier épisode de l’une de ses séries, généralement plusieurs mois après son lancement d’origine. Je ne sais pas qui il faut remercie pour cette idée, et c’est pas tous les jours que j’ai de l’appréciation pour Canal+, alors profitez-en. Admettons-le bien volontiers : regarder ces épisodes n’est pas pour tout le monde. On court le risque d’apprécier une série dont on ne verra jamais la suite, et ça peut être frustrant. Mais pour moi qui consomme des centaines de pilotes par an juste par curiosité, c’est une expérience délicieuse parce que ces séries ne nous arrivent presque jamais autrement. Surtout en n’ayant accès aucune chaîne du groupe… Ce mois-ci Canal+ Afrique s’est fendu de TROIS épisodes, pour changer, de sa série Le futur est à nous. Il s’agit de sa toute première fiction quotidienne, initialement lancée à l’automne 2022. Et il faut reconnaître que le titre de la série sonne un peu « Ici tout nous appartient« … ce qui n’est pas exactement un hasard, le créateur de la série est Olivier Szulzynger, scénariste français pour Plus belle la vie et Un si grand soleil (et pour répondre à votre question : bien-sûr qu’il l’est). La série dispose aussi d’une équipe d’écriture locale, quand même.
    La série démarre alors qu’Aby, son mary Henri et son fils adolescent Milel, se rendent en Côte d’Ivoire pour l’anniversaire de Henri. Il s’agit du pays natal de celui-ci, qui n’y a pas mis les pieds depuis des années et s’est installé au Sénégal, dont Aby est originaire et où elle est journaliste. Ce voyage longtemps réclamé par Milel, toutefois, a mis son époux à cran : il redoute de revenir dans le pays où se trouve sa famille, avec laquelle Henri a coupé les ponts car elle serait dangereuse… sans plus s’étendre sur les détails. En outre, Henri partage un anniversaire avec son frère jumeau, Paul, rendant cette journée d’autant plus sensible. De son côté, Paul dirige un hôtel luxueux et mène la grande vie avec son épouse Imane et leur fille adolescente Ada, et s’occupe de sa mère âgée, Adjoua. Celle-ci est toujours attristée (et encore plus en cette date anniversaire) du départ de son fils Henri des années plus tôt, dont elle est sans nouvelle.
    L’intrigue de ce premier épisode n’en est qu’à moitié une : on est dans le temps du soap, les impératifs y sont différents quand il y a un autre épisode dés le lendemain. Ainsi, Le futur est à nous prend le temps pour son exposition, insistant à la fois sur l’absence de réponse claire quant au danger présent (les scènes avec Paul ne laissent rien imaginer de dangereux de sa part, et Adjoua est une mère au coeur brisé), et sur les dynamiques familiales de ces deux bouts de famille qui ne sont pas entrés en contact depuis des années. Nul doute que cela changera à l’avenir ! L’épisode se conclut par un cliffhanger qui laisse augurer de choses, qui, je le disais, relèvent plus du mystère que de l’intrigue interpersonnelle. Dans Le futur est à nous, le soap a des airs de thrillers, et ça fonctionne plutôt bien. En outre je trouve les interprètes des deux épouses (Aby et Imane) vraiment convaincantes.

    Wasawes (2020)

    Amal vient d’enterrer son mari, Hasan, décédé la veille dans un accident de voiture. Elle est en outre préoccupée par les répercussions de cette tragédie sur ses deux filles Sawsan et Waad, sans parler de tous les préparatifs alors que les proches de la famille s’apprêtent à venir défiler pour faire part de leurs condoléances. N’importe qui serait bouleversée et stressée à sa place. Mais peut-être que dans le cas présent, les choses sortent plus de l’ordinaire qu’il n’y paraît… Amal commence à entendre des sons étranges dans sa maison, elle reçoit un appel silencieux du téléphone de son mari, et tout cela se mélange à la foule de souvenirs qui l’envahit, au point qu’elle commence à douter de sa sanité.
    Dans Wasawes, le deuil emprunte les codes de l’horreur et de la série fantastique, tout en conduisant un huis clos étouffant (la quasi-totalité de l’épisode se déroule dans la maison d’Amal, et en tout cas toujours dans des espaces fermés). Mais pas question de surnaturel ici : le seul fantôme de la série est celui du passé, et ce n’est qu’en découvrant ce que cachait Hassan qu’Amal va pouvoir démêler le mystère qui entoure la mort de son mari. Et peut-être, juste peut-être, pouvoir le laisser partir. Wasawes (diffusée internationalement par Netflix sous le titre Whispers) fait des choix intéressants pour une série qui semble avoir été filmée avec de sérieuses contraintes ; si ce n’est budgétaires, alors potentiellement celles de COVID. Ca donne un résultat étouffant à souhait, d’autant que le premier épisode fait le choix de suivre Amal, quelqu’un d’assez nerveux et qui part au quart de tour lorsque quelque chose la chiffone, alors un deuil, vous pensez bien… Cependant, la série est construite pour que chaque épisode adopte la perspective d’une protagoniste différente, toujours une femme apparemment. Cela promet une intéressante étude de personnages féminins ! Pour je ne sais quelle raison, je n’avais pas vu Wasawes à l’époque de sa sortie, et je dois dire que j’ai bien envie de me mettre un peu de temps de côté pour finir la saison si je le peux. Mais avec la fin d’année, c’est un peu tendu, et le timing pue un peu ; alors pour être sûre de ne pas la laisser oublier, la voici au moins ajoutée à un Take Five.

    C’est tout pour mon mois de novembre… mais maintenant c’est à votre tour : qu’avez-vous regardé ? Je veux TOUT savoir !

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  • Attendre, c’est tout

    29 novembre 2023 à 21:03 • Telephage-o-thèque •

    « Faut juste attendre, alors ? »

    Il est des genres, des tons, des traitements, que la télévision française ne sait tout simplement pas faire. Ou plus. Ce n’est pas nécessairement que les scénaristes françaises soient incapables : elles ne sont pas plus bêtes qu’ailleurs ! C’est surtout que les chaînes de télévision ont décrété que le public n’accrocherait jamais à ces séries… et que ça ne valait donc pas le coup de les commander. A quoi bon tenter le sort, quand il suffit de sortir une nouvelle série policière ?
    Avec les années et la persévérance, j’ai réglé plusieurs de mes difficultés avec la fiction française. Vous avez été témoin de ce parcours, de ces tentatives, de ces réconciliations. On n’est pas éduquées à aimer notre télévision, et à ma grande surprise, cet apprentissage a été plus compliqué que de tomber sous le charme de la télévision de nombreux autres pays. Aujourd’hui, on est en de relatifs bons termes (même si on a aussi nos mauvais jours). Mais une difficulté qui persiste, et que je pardonne encore à grand-peine, est le rejet de la chronique, de l’étude de personnages, du drame humain (ce n’est pas sale).
    C’est pourtant pas trop demander. Pas d’intrigue camouflée derrière une enquête. Pas de thriller haletant pour révéler des secrets odieux. Pas d’effets de manche soapesques pour s’assurer d’une petite poussée d’adrénaline. Juste s’intéresser à des protagonistes et les suivre pendant un moment. C’est ça, fondamentalement, qui me rend heureuse en télévision ; et je ne comprends pas qu’en France on parte du principe que ça relève de l’impossible à la télévision (quand en plus ça se fait au cinéma). Les spectatrices françaises aussi ne sont pas plus bêtes qu’ailleurs. Je le prends pour une insulte à notre intelligence émotionnelle collective.

    La bonne nouvelle, c’est qu’une fois de temps en temps, très rarement mais quand même, je retrouve espoir. Tout va bien est l’une de ces circonstances rares, mais précieuses.

    Rose a neuf ans, et une leucémie. Une leucémie rare qui lui a été diagnostiquée avant que ne commence la série. Tout va bien commence alors que, justement, tout ne va pas bien, et que la famille de Rose compose avec la greffe de moelle osseuse qui doit bientôt lui être administrée. Ses parents, Marion et Stéphane, s’organisent autant que possible pour jongler entre les rendez-vous à l’hôpital et la garde de la petite sœur de Rose, Léonie, qui continue d’exister pendant ce temps-là, têtue. Mais la famille est bien plus large que ça encore : il faut aussi y ajouter Anne, la grand’mère ; Pascal, le grand-père ; Vincent, l’oncle ; et Claire, la tante. Celle-ci est elle-même en couple avec Antonio, qui se débat dans un divorce avec son ex Caroline autour de la garde de leur fille unique, Lou, 9 ans elle aussi. Ne vous en faites pas, l’arbre généalogique de la série, bien que plein de branches, est très facile à cerner une fois qu’on est devant.
    Tout va bien est, pour l’essentiel, un ensemble drama ; mais la série semble régulièrement privilégier un petit peu la perspective de Claire (peut-être à cause du statut de Virginie Efira, peut-être d’autre chose…). Claire est très investie dans la maladie de sa nièce, faisant quasiment office de troisième parent pendant les mésaventures hospitalières de Rose. Elle a mis sa vie en pause pour être présente pendant cette passe difficile. Ce qui est d’autant plus intéressant de sa part qu’elle ne s’imagine pas avoir d’enfant, et que même avec sa belle-fille Lou, la relation reste tendue et maladroite. Mais la contradiction, on ne connaît que ça, dans cette famille.

    « Tout va bien » est également le titre du livre écrit par Anne, la matriarche de la famille, qui croit fermement à l’attitude positive comme façon de résoudre toutes les crises et qui a fait carrière en parlant de positivité et de résilience. Cette façon de voir le monde la pousse, souvent, à une forme d’aveuglement voire de déni forcené qui peut irriter ses proches, mais pour elle, ça fonctionne depuis des décennies en tout cas. Une approche qui pourrait bien être ébranlée, toutefois, par les événements que traverse cette famille étendue ! Ou par d’autres événements, par exemple professionnels. Son optimisme à toute épreuve survivra-t-il à celle-ci ? Anne est convaincue d’avoir la clé, en tout cas.
    Ce qui irrite profondément Claire, laquelle trouve cet état d’esprit irréaliste. Elle préfère s’inquiéter, elle pense que c’est pragmatique. C’est une grande anxieuse qui tente de guetter et mémoriser chaque détail, et qui retient son souffle depuis l’annonce du diagnostic de Rose avec un sentiment perpétuel de malheur imminent. Paradoxalement, ce fonctionnement lui pourrit l’existence alors qu’elle a l’impression que c’est le seul moyen pour elle de surmonter l’insurmontable. Est-ce que tout le monde s’identifie profondément à Claire, ou bien ça dit quelque chose de moi ?! J’ai eu quelques sueurs froides d’inquiétude parfois devant le miroir que me renvoyait mon écran pendant Tout va bien…
    Sa sœur Marion est tout son contraire. Elle traverse la série comme en état de choc permanent. Avec sa petite voix et ses grands yeux hagards, Marion donne l’impression à la fois d’avoir réalisé l’ampleur du cauchemar, et de n’avoir pas calculé qu’il se passait quelque chose de grave. Ses réactions sont impulsives, animales. Son désir de déni, perpétuellement empêché par la réalité de la vie à l’hôpital et les obligations familiales, est ce qui la tient en vie. Elle a cessé de communiquer avec autrui, au point d’utiliser une nouvelle rencontre pour en dire moins encore. Marion est dans la quête désespérée du contrôle, surtout ; plus les choses lui échappent, plus elle tente de maintenir de l’ordre dans sa vie.
    Tout va bien s’interroge sur les attitudes de chaque membre de la famille pendant les mois difficiles que chronique la série. Certaines membres plus que d’autres, admettons-le (Stéphane, par exemple, est un peu en retrait ; d’une façon générale la série a ses favorites, et ce sont souvent des protagonistes féminines). Toujours est-il que son but est de confronter les principes de chacune. Et d’ailleurs, je n’avais pas trop réalisé avant de regarder Tout va bien, mais c’est devenu rare, les séries qui s’interrogent sur les différences de philosophie, voire de spiritualité, plutôt que sur les différences strictement politiques. Dans cette famille très parisienne, toutes les membres vivent dans le même monde… mais n’y vivent pas de la même façon. C’est intéressant de les voir coexister alors qu’elles n’ont rien en commun dans cette expérience commune. Les voir débattre et ne pas se comprendre, comme si leur réponse au traumatisme devait être celle de tout le monde. Comme si on ne pouvait faire sens du monde que si tout l’univers se pliait à notre fonctionnement.
    De ce qui arrive à Rose, chacune va ressortir changée, et pourtant toujours obstinément elle-même. Il n’y a pas de transformation radicale à attendre, d’aucun personnage. Il n’y a pas de leçon, pas de conclusion. La vie ne fonctionne pas comme ça. En fait, dans Tout va bien, la vie, c’est beaucoup attendre. Il n’y a pas vraiment d’autre choix, quand on n’a aucune maîtrise de la maladie. Alors la vie, c’est ce qu’on fait pendant qu’on attend. C’est injuste d’attendre. Mais, comme le dirait Claire, la vie est injuste, de toute façon.

    La série progresse selon le crédo « Quand un enfant est malade, c’est toute la famille qui est malade », mais s’éloigne régulièrement de l’hôpital pour englober toujours plus d’aspects. Les jours s’égrènent, la maladie évolue, les émotions deviennent plus complexes, et Tout va bien laisse ses personnages faire. Cela donne une collection de jolis moments, captés dans un équilibre improbable entre l’atrocité et la grâce. Face au pire, à l’inconcevable, à l’absurde, aucune réaction ne va être tout-à-fait rationnelle. Aucune réaction ne saurait l’être, de toute façon.
    Devant Tout va bien, j’ai eu le sentiment d’obtenir ce que j’attends d’une véritable série dramatique : se focaliser sur l’exploration des sentiments, plutôt que celle des situations. Ne pas chercher à créer des conflits, ou des révélations, ou des retournements de situation (même s’il y en a un peu aussi, mais presque de façon superflue). S’intéresser à ces gens, et c’est tout. Fouiller leur âme, les forcer à l’introspection (parfois en entendant des vérités qu’elles n’avaient pas envie d’entendre), les observer se débattre avec leurs contradictions. De mon côté, apprendre qui sont ces protagonistes, les regarder nous dévoiler pudiquement leurs défauts autant que leurs qualités, savoir reconnaître en elles des émotions subtiles au bout de quelques épisodes, les aimer malgré tout (et malgré elles).
    C’est ça, qui fait battre mon cœur en télévision. Je vis pour ce genre de série. La sève dramatique qui en découle est pure, addictive, belle.

    Tout va bien produit tout ça, sans jamais juger ses personnages (au point que c’est parfois un peu irritant en ce qui concerne Anne, dont on aimerait parfois bien que quelque chose lui rabatte un peu le caquet… mais encore une fois, peut-être que c’est seulement moi). La série se caractérise par des dialogues se voulant aussi authentiques que possible, et d’une manière générale elle y parvient plutôt bien. Bonne surprise : elle n’a pas non plus peur des silences, parfois chargés d’émotion, et que la série ne tente pas à tout crin d’expliciter comme si nous étions trop stupides pour en percevoir les nuances. Il y a des plans dans Tout va bien qui ont suscité en moi des sanglots soudains et violents, plus que certains dialogues sur la maladie (ou autre) ou que certaines évolutions de l’état de Rose. On se surprend à trouver mille heure d’émotion dans un regard d’une seconde dans un miroir. La distribution principale est lumineuse (Virginie Efira mais aussi Sara Giraudeau offrent une masterclass à plein temps), mais il y a des personnages secondaires voire tertiaires qui sont incarnées par au moins autant de brio ; je pense notamment à la psy jouée par Nina Meurisse.
    Tout va bien est sacrément bien faite… et les moyens y sont mis (comme en témoigne entre autres le 5e épisode).

    Faut arrêter de s’excuser de faire de la série dramatique. Déjà que ça n’arrive pas souvent, punaise. Mais s’abriter derrière des termes de « comédie dramatique » (bah, désolée de vous le dire, mais dans un drama on chiale pas à longueur d’épisode ! C’est comme dans la vie, ya des respirations et des rires qui s’intercalent) comme le fait Disney+ dans son matériel promotionnel, ou de « feelgood » comme j’ai pu le voir ailleurs, par peur de déranger, ça m’irrite. Faudrait surtout pas bouleverser le public, vous comprenez. Eh bah non, moi je comprends pas. Si les gens veulent pas regarder une histoire où les choses sont un peu plus difficiles que la moyenne, il y a du choix par ailleurs, ce ne sont pas les options qui manquent. On devrait assumer de regarder des choses sincères, émouvantes, dérangeantes et cathartiques. On devrait assumer de les faire et de les diffuser, aussi.
    La fiction, ça sert aussi à ça. Pas juste à se changer les idées, mais aussi à s’interroger sur nos émotions, nos réactions, nos choix. Se mettre face à des choses difficiles, dans le contexte sécurisé de la fiction, et ressentir des choses qui ne nous arrivent pas mais nous parlent de nous. C’est une jolie ambition que de s’adresser à l’âme des gens.
    Et vous voyez, quand c’est bien fait, une saison de 8 épisodes seulement, eh bah c’est pas assez. S’il est possible de se lier à cette famille en si peu de temps, imaginez le genre de lien qu’on pourrait tisser sur des années ! Quand tout va bien, pourquoi s’arrêter là ? Donc moi, j’attends.

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  • Food has no gender

    28 novembre 2023 à 13:37 • Review vers le futur •

    Comme absolument tous les restaurants de fiction, le Hain est menacé. Son chef, l’ambitieux Christopher « Chico » Guevarra, a voulu un restaurant à son image : exigeant. Cela rebd l’expérience dinatoire au Hain raffinée, mais aussi, parfois, décevante vu le manque de flexibilité du chef. Pas très étonnant que sur un plan financier, ce soit difficilement tenable, même si cela n’empêche en rien la cuisine du Hain de sortir quelques uns des plats les plus inventifs et réussis de la ville. Chef Chico s’est en outre mis en tête de figurer cette année sur une liste appelée « Asia’s Best of the Best », qui recense les plus grands restaurants du continent ; le Hain a disparu de cette liste voilà 5 ans, et Chico a une revanche à prendre.
    Cela fait beaucoup de défis à relever d’un coup, aussi pas étonnant qu’un soir, en rentrant d’une énième soirée mouvementée au Hain, Chico s’endorme au volant et rentre dans le décor.

    Pendant qu’il est dans le coma, il faut donc prendre la relève. D’où Replacing Chef Chico.

    Même si Chef Chico est à la tête du Hain, ce n’est pas lui le héros de la série philippine du jour, mais sa sous-cheffe, Ella. Jusqu’à l’accident, Ella prend très au sérieux sa mission de seconder Chico : c’est vrai en cuisine… et c’est vrai loin des fourneaux, dans la façon dont elle tente de prendre soin celui qu’elle aime en secret. Enfin, pas si secret parce que l’hôtesse du restaurant, Wena, l’a par exemple remarqué (rien ne reste jamais secret bien longtemps quand on passe tant d’heures à travailler ensemble), et pousse d’ailleurs Ella afin que celle-ci fasse le premier pas pour concrétiser enfin avec Chico. Mais notre héroïne ne veut rien faire tant que l’homme qu’elle aime a une petite amie… même s’il leur arrive d’avoir des échanges de regards qui tendent à signifier que peut-être, juste peut-être, Chico en pince aussi pour elle.
    Alors forcément, lorsque cet homme auquel elle consacre tant a un accident qui le plonge dans le coma, et qu’elle est toute désignée pour assurer l’intérim, Ella ressent des choses compliquées. Et s’il n’y avait que Chico à se préoccuper, mais non ! Il y a aussi le fait que, ayant toujours vécu dans l’ombre de cet homme qu’elle admire tant, elle n’est pas certaine d’avoir la compétence nécessaire pour diriger la cuisine du Hain. Il se pourrait même que certains des autres cuistots du restaurant soient de cet avis, et espèrent que ce sera un chef beaucoup plus expérimenté, Carlon, qui remplacera plutôt Chico.

    Replacing Chef Chico commence comme une charmante romance culinaire. Mais si vous pensez que c’est ce qu’elle va continuer d’être, vous êtes, comme moi, tombées dans le panneau ! En huit épisodes extrêmement fins, la série philippine va au contraire évoluer de façon très surprenante. Si vous voulez découvrir par vous-même comment, ceci est votre dernière chance d’aller vous laisser étonner par la série ; ça prend 4h30 de votre temps et vous allez supplier que ça ne s’arrête jamais.
    …Mais si vous avez encore besoin d’être convaincue avant d’aller y jeter un œil, permettez que je vous chante ses louanges ! On est fin novembre, et Replacing Chef Chico est gentillement venue se placer parmi mes séries favorites de l’année, alors autant vous dire que les compliments vous exhortant à donner sa chance à la série ne vont pas manquer, zallez pas être déçue.

    D’abord, soyons claires, Ella a des sentiments pour le fameux Chef Chico, et le premier épisode emprunte le langage des romcoms, mais il est visible pour tout le monde sauf l’héroïne que son crush est un connard de première. Je mets au défi quiconque regarde ce premier épisode de trouver une seule raison valable pour qu’Ella soit éprise de lui. Il hurle sans arrêt, il insulte tout le monde, il pique des colères pour un rien, il casse des trucs quand il est pas content, il est attaché à son putain de couteau fétiche jusqu’à l’absurde, il se montre excessivement psychorigide sur sa façon d’honorer les commandes de sa clientèle… et en plus il a le culot de prétendre que c’est un problème de stress, plutôt que d’attitude. Au privé aussi, Chico est un enfoiré patenté. Mais ça, Ella ne le perçoit pas vraiment. Ou plutôt, elle l’excuse. Il dit que c’est le stress, et elle le prend au mot, faisant tout pour l’apaiser et se plier à ses caprices afin de lui rendre la vie plus douce.

    Bref, sans employer ces termes, Replacing Chef Chico met absolument en place une relation abusive, qui certes frappe toute la cuisine du Hain, mais touche plus durement Ella à cause de son implication émotionnelle envers Chico et son poste de sous-cheffe. A partir de là, la série va ensuite interroger cette dynamique. C’est d’ailleurs intéressant que les séries culinaires de la planète commence à lentement décortiquer l’atmosphère délétère des cuisines gastronomiques (on peut aussi citer Aftertaste, bien qu’avec un traitement différent), il en faut plus des comme ça.
    Une fois son supérieur mis sur la touche par l’accident de voiture, Replacing Chef Chico offre une lecture intéressante de son absence : la cuisine du Hain prend progressivement vie ! Par nécessité mais aussi par choix, Ella va introduire des changements qui démontrent, outre sa propre compétence, que la toxicité en cuisine n’est pas une fatalité. Il n’est pas nécessaire d’être une brute caractérielle et égocentrique pour réussir ! Limite au contraire.

    Plus la série avance, et plus il apparaît à Ella que, s’il est effectivement difficile d’être cheffe d’un grand restaurant (plus encore un restaurant au bord du précipice), Chico est un manchild de la pire espèce. Ses humeurs n’ont rien de viril ou d’imposant, c’est juste un enfant capricieux. Une impression renforcée par le fait qu’il ne possède pas le Hain : ce sont ses parents qui en sont techniquement les propriétaires. D’où le fait que le consultant engagé pour améliorer la performance du Hain (…ou le faire fermer) soit en réalité payé par la mère de Chico, surnommée « VLG ». Je n’ai pas compris de quoi c’était l’acronyme, désolée.

    Ah oui, parce qu’il y a un consultant, Raymond. Ne croyez pas un instant le matériel promotionnel de la série, qui pourrait suggérer qu’il existe un triangle amoureux dans Replacing Chef Chico : dés l’apparition de Raymond, on comprend qu’il n’y a qu’un enjeu amoureux, et que c’est lui, sans aucun doute possible. Naturellement, la situation est un peu compliquée, et puis Ella est en train de détricoter les fils de sa semi-relation avec Chico, donc les choses avancent doucement.
    Mais la série est très intentionnelle à ce sujet, et ça fait un bien fou. Il n’y a pas de quiproquos qui ne font que retarder l’inévitable, pas de querelles artificielles, pas d’hésitations qui n’ont pas de sens. Ella et Raymond sentent qu’elles gravitent l’une vers l’autre, sans faux semblant. C’est une romance adulte, et le fait que l’héroïne soit interprétée par une actrice qui approche de la quarantaine n’y est sûrement pas pour rien. Vous savez combien la romance a tendance à m’horripiler, si vous me lisez ne serait-ce qu’un peu ; eh bien devant Replacing Chef Chico, je me suis fait la réflexion que c’était ça, ma romance idéale. Pas de prétexte, pas de pitreries, pas de mièvrerie. Et c’était quand même joli. Grosse ambiance « so it IS possible ! » avec des étoiles dans les yeux, pour tout vous dire.

    De toute façon, et heureusement pour moi, ce n’est pas l’essentiel du propos de Replacing Chef Chico. La série est trop intéressée par ce qu’elle dit du parcours de son héroïne.

    Au fil de la saison, Ella se révèle à elle-même. Alors qu’au début elle n’existait que dans l’ombre d’un patron qu’elle révérait comme un génie voire un dieu, une fois qu’elle se retrouve en charge de faire l’intérim, elle doit s’affirmer. Bien obligée. Il y a des questions sous-jacentes féministes derrière ce parcours ; la série est émaillée, surtout pendant sa première moitié, de petites répliques sexistes glissées l’air de rien sur l’incompétence des femmes (en cuisine… mais pas seulement), de petites blagues, de petit regards en coin, surtout dans un établissement entièrement masculin (à l’exception de Wena l’hôtesse et de Ditas qui fait la plonge). Replacing Chef Chico reconnaît que le climat n’est pas favorable à Ella, que ce n’est pas une question de trait de personnalité si jusque là elle a manqué de confiance en elle et a préféré investir dans un homme ; la série admet volontiers que s’affirmer dans ce contexte est un double enjeu. L’évolution de l’héroïne est capitale dans les intrigues professionnelles sur le sort du Hain, mais aussi personnelles, dans la façon dont Ella est mise face à ses sentiments.

    Replacing Chef Chico est un parcours initiatique, et c’est rare, d’ailleurs, qu’une série offre l’opportunité de mûrir à une héroïne de cet âge. Les apprentissages professionnels sont d’ordinaire réservées aux très jeunes femmes (entrée dans la vingtaine, ou vingtaine, grand maximum). Or, Replacing Chef Chico est l’histoire d’une femme qui a un peu de maturité, et qui a, à défaut d’avoir de la confiance en elle, au moins la clarté de reconnaître ce qui lui manque et de travailler activement sur elle-même.
    Au passage, je ne connaissais Allessandra de Rossi que de nom, et elle est juste spectaculaire. Elle insuffle à Ella une intelligence émotionnelle incroyable, une douceur posée, et une capacité d’introspection qui donnent une dimension folle à la série qui repose sur ses épaules. Tout ça alors que celle-ci brille pourtant par sa brièveté, vu les épisodes d’une demi-heure et la saison plutôt courte ! Le sens du détail et de l’authenticité de l’actrice souligne d’autant mieux le propos de la série sur le besoin pour le staff du Hain, et par extension le monde culinaire, d’être en phase avec autrui, à l’écoute et réactif en même temps, de prendre en compte la critique, sans ego.

    Malgré cette durée compacte, Replacing Chef Chico n’a pas encore dévoilé toutes ses qualités, croyez-moi. Car il s’avère qu’outre l’intrigue feuilletonnante concernant Ella, Raymond, le staff du Hain, et dans une moindre mesure, cette enflure de Chico, la série a trouvé le moyen d’inclure des intrigues secondaires à chaque épisode, portant sur les différentes clientes du restaurant.

    Et ces invitées offrent de magnifiques « B storylines ». Elles sont sans coup d’éclat, et pour la plupart, sans retournement de situation ni révélation. Elles sont aussi, et c’est plus surprenant, très peu liées à ce qui se passe en cuisine ; le lien principal étant, bien-sûr, que les protagonistes de la série préparent les plats qui seront consommés par ces personnages éphémères. En-dehors de ça, leurs histoires sont à considérer comme des chroniques, des tranches de vie passagère, un human drama (ce n’est pas sale) qui tiendrait dans quelques minutes d’épisode à peine. Elles ont aussi, si l’on y regarde de plus près, deux thèmes communs : l’amour… et la capacité à lâcher prise. De façon presque, j’ai bien dit presque, imperceptible, et en tout cas certainement imperceptible pour Ella qui a bien d’autres choses à penser, Replacing Chef Chico raconte comment on peut aimer et laisser partir ce que l’on aime. Une leçon qu’Ella est en train d’appliquer, après tout.
    Cet aspect, livré avec tant de retenue qu’on peut difficilement accuser Replacing Chef Chico de vouloir nous faire la leçon, donne lieu à des histoires absolument merveilleuses et touchantes, sans mélodrame excessif. Je vais délivrer ce qui pour moi l’un des meilleurs compliments possibles en vous affirmant que j’ai ressenti devant ces intrigues secondaires de Replacing Chef Chico des émotions aussi intenses que devant l’une de mes séries préférées de la planète, la Japonaise Shinya Shokudou. A la différence que le restaurant de minuit n’a qu’un seul chef ; là où Replacing Chef Chico se paie le luxe de parfois mêler certaines employées aux intrigues secondaires, permettant d’épaissir ces personnages avec délicatesse (Wena mérite d’être couverte d’amour jusqu’à la fin des temps ; son interprète Yesh Burce est d’ailleurs impressionnante elle aussi).

    Ne croyez pas que j’en oublie l’essentiel : comme toute série culinaire qui se respecte, Replacing Chef Chico brille aussi par ses petits plats ! Et en particulier, par son art de réinventer la gastronomie philippine, qui est toujours au coeur des commandes passées par les clientes du Hain.
    D’ailleurs, c’est ce qui a fini de me convaincre que Replacing Chef Chico n’est absolument pas écrite pour un public international (la romance m’avait déjà bien mise sur la voie : une romcom qui aurait voulu séduire un public large aurait probablement emprunté le codes de la romcom sud-coréenne). La série ne s’embarrasse pas de briefer sur ses plats et ses références, comme le font d’ordinaire les fictions qui ont fermement l’intention d’être vues par-delà leurs frontières. Bien que montrées à l’écran dans au moins une scène par épisode (on est un food drama qui se respecte, ici !), les recettes ne sont pas épelées comme à un public étranger… par contre les ingrédients sont régulièrement expliqués comme à un public familier, en insistant sur la façon dont ils sont sourcés. L’équipe du Hain (et donc de Replacing Chef Chico) glisse presque systématiquement une mention de la provenance locale des produits, ou de l’histoire derrière une ferme ou une coopérative. J’ai eu un peu de mal à le vérifier (la série évite les noms propres, ça n’aide pas), mais je soupçonne que ces histoires soient réelles, d’ailleurs. Si elles ne le sont pas, je m’interroge sur la raison de leur précision.

    En outre, les plats de Replacing Chef Chico révèlent des choses sur ses personnages qui les commandent, sans toutefois en faire des révélations, et sans jugement (« That’s why we don’t judge people based on their social media. Actually that’s why we don’t judge people at all« , dira à un moment Ella). Encore une fois, c’est très Shinya Shokudou comme attitude ; même s’il faut reconnaître que la série philippine, contrairement à ma référence nippone, ne traite pas du tout du même public. Du fait du standing du restaurant, la clientèle du Hain est constituée de personnes aisées, loin des populations marginales nocturnes de Tokyo.
    C’est très difficile de départager les plats et donc les histoires montrées par la série ! Je voudrais vous dire que je les ai toutes préférées… Mais, en réalité, si je suis honnête avec moi-même, je suis hantée par les deux assiettes d’adobo dans le 3e épisode, et par la scène avec les cigarettes qui suit. Au passage, le naturel avec lequel Replacing Chef Chico fait fumer tout le monde est assez déroutant, on n’a plus trop l’habitude de séries où fumer n’est pas négativement connoté.

     
    Netflix semble enfin avoir compris (avec un train de retard sur Amazon Prime Video) qu’il y avait du potentiel dans les Philippines. Ça fait des années que je me tue à vous le dire : la télévision philippine est pleine d’âme, il ne lui manque souvent que le budget.
    Aussi, quand les grandes plateformes signent les chèques, il se passe souvent de bonnes voire très bonnes choses, et c’est le cas avec Replacing Chef Chico. Dans l’idéal, c’est à ça que l’internationalisation des plateformes de SVOD était supposée servir à mes yeux : permettre le financement de séries dans des pays qui n’ont pas toujours les moyens de leurs ambitions (surtout qu’une série philippine aux moyens très confortables sera toujours moins chère qu’une série américaine bas de gamme) grâce à des investissements rentables à différents endroits de la planète. The dream of streaming is alive in the Philippines. C’est juste tragique que ça se passe en queue de comète, lorsque l’ère de la Peak TV commence à fermer plus de portes qu’elle n’en ouvrait jusqu’encore assez récemment.

    Je ne pourrais pas être plus claire. Si vous êtes encore là à me lire, au lieu de regarder Replacing Chef Chico, je ne peux rien de plus.

    D’ordinaire j’essaie d’éviter les impératifs en matière de télévision : dire qu’une série DOIT être vue à tout prix a tendance à me faire ricaner. Personne ne DOIT regarder aucune série, et je crois l’avoir pas mal répété au fil des ans : rien de pire que le peer pressure en téléphagie. C’est souvent contre-productif, de toute façon. Mais là, je me dois quand même d’insister. Vous allez passer à côté de quelque chose si vous ne le faites pas. Et vu l’investissement minime en temps, ça serait vraiment bête de ne pas donner sa chance à Replacing Chef Chico. Du fond du coeur, je vous dis ça pour votre bien.
    J’ai essayé de vous donner toutes les cartes que je pouvais avec amour (mais il vous reste aussi beaucoup de choses à découvrir !). Maintenant, je vous laisse faire vos propres choix. Loving and letting go : j’ai appris ma leçon.

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  • Kudüs syndrome

    26 novembre 2023 à 19:25 • Review vers le futur •

    Bon. Ahem. Voilà. Alors. Le sujet du jour va être un peu… disons que j’ai connu des reviews moins sensibles. Je m’y aventure avec d’autant plus d’hésitations que ce type de fiction n’est pas ma spécialité, ce qui n’aide en rien. Mais j’ai remarqué que c’est précisément le genre de série dont, si je ne vous en parle pas, à peu près personne d’autre ne va le faire, alors tentons le coup. J’en profite pour avertir qu’en général, ici, il n’y a pas trop de problèmes dans les commentaires ; mais je serai particulièrement attentive dans le cas présent à ce que ça continue d’être le cas, notamment dans l’éventualité de l’arrivée d’un public non-habitué de ces colonnes. Alors je compte sur tout le monde pour bien se tenir ! C’est comment, vous la sentez bien la frilosité, là, ou…?
    Allez, on est parties. Advienne que pourra.

    Ce mois-ci, la chaîne publique turque TRT1 a lancé une nouvelle série. Jusque là, ça va… Une série historique. Certes, pourquoi pas, c’est on brand pour elle après tout… Une série historique sur la conquête de Jérusalem.
    Oui, eh bah, j’avais prévenu !

    Pour sa défense, le timing de la diffusion de Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi joue de malchance : ça fait depuis août 2021 que la série est en développement, dans le cadre d’une co-production entre des sociétés turque et pakistanaise ; le tournage a quant a lui démarré l’année d’après. Vous me direz, Jérusalem était déjà un sujet épineux en 2021 ou 2022, mais certainement pas autant que depuis le mois dernier. D’ailleurs, je donnerais cher pour avoir assisté aux réunions qui ont précédé le lancement de la série cet automne, dans les bureaux de TRT.
    Bref, Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi a pour ambition première de retracer la vie de Selahaddin Eyyubi (chez nous, on dit Saladin, mais je vais dans la review qui suit employer les noms et graphies turques, à des fins de simplification), premier sultan d’Égypte et de Syrie au 12e siècle. Sauf que, vous l’aurez compris, de la longue carrière militaire de notre homme, c’est en particulier la reprise de Jérusalem pendant la deuxième croisade qui forme l’objet de la série. Enfin, ça va de soi, la série parle de la reprise d’Al-Quds, le nom arabe de la ville… ou Kudüs en turc, donc.

    Deux hommes ont eu un fils le même jour.
    Le premier de ces hommes est l’émir Nureddin Zengi, régnant sur ce qui sera un jour la Syrie ; l’autre est Necmeddin Eyyub, un soldat kurde fuyant Tikrit. Le premier attend la naissance de son premier enfant paisiblement dans sa demeure ; tandis que l’autre, en fuite après avoir été évincé de sa ville natale, cherche à rejoindre les terres zengides au plus vite, quand son épouse commence le travail sur la route. Dans la panique, Necmeddin envoie ses deux jeunes fils aînés avec son frère Shirkuh, dans l’espoir de les mettre à l’abri, pendant qu’il dresse une tente de fortune pour abriter autant que possible la naissance de son troisième enfant. Malgré des conditions rudimentaires, celui-ci, appelé Yusuf, nait sans encombre. En revanche, l’épouse et le nouveau-né de Zengi décèdent ce jour-là, malgré tout leur confort.
    Accablé, le pieux Zengi pense que le rêve qu’il caresse, c’est-à-dire que sa dynastie reprenne un jour Kudüs, vient de s’effondrer, mais son conseiller lui rappelle que ce rêve peut encore se réaliser, à condition d’être ouvert à d’autres possibilités qu’un héritage strictement biologique. C’est à ce moment qu’arrive Shirkuh, qui lui explique les circonstances de la famille Eyyub, pourchassée et demandant refuge. Cela ne saurait être un hasard ; Zengi décide de sauver cette famille séance tenante… Mais, en échange de leur sécurité, il demande que lui soit remis Yusuf. Il l’élèvera comme un fils pour qu’il prenne un jour sa relève, non seulement à la tête de l’émirat zengide mais aussi dans la lutte pour Kudüs, et dans la création d’une future nation musulmane unifiée autour de la ville sainte. Malgré leur déchirement, les parents de Yusuf remettent donc le nouveau-né à leur bienfaiteur dans le secret le plus complet, et se préparent à enterrer son fils biologique comme s’il était le leur en échange. Plein d’espoir, Zengi renomme l’enfant Selahaddin, et le prépare à accomplir son Destin.
    Ainsi donc, deux hommes ont perdu un fils le même jour.

    Il y a une dimension quasiment messianique dans la façon dont Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi introduit son personnage central. Les décisions aussi bien de Nureddin Zengi que de Fatma, la mère du nourrisson, sont dictées par des rêves prophétiques (forcément prophétiques) qui augurent de grandes choses pour celui qui deviendra plus tard Selahaddin. Ces rêves, pourtant, le concernent moins qu’il ne concernent Dieu : c’est en son nom que l’on fait les choix les plus cruciaux de cette introduction. Rien ne saurait, naturellement, être plus important. En mettant l’accent sur la perte tragique d’une famille et le sacrifice d’une autre, Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi choisit de donner de la noblesse supplémentaire à ce but religieux. Des parents capables de souffrir tant au nom de leur Dieu, c’est tragiquement beau, bien-sûr.
    …C’est autre chose que les Croisés que nous avons vu dans la scène d’ouverture de la série, montrant un Pape au regard mauvais exhorter des Francs à prendre les armes pour aller conquérir des terres lointaines. Il n’y a pas d’équivalence possible dans la façon dont sont présentées les deux motivations (pourtant toutes deux religieuses), d’autant qu’il n’y a pas d’humanisation faite, ni du Pape, ni des Croisés. Ceux-ci, anonymes sous leur heaume, n’ont souvent même pas de visage ni de nom… La façon de présenter cette guerre de religions n’est pas très éloignée de ce qu’a pu produire, certes pour une époque différente, la série de corsaires Barbaroslar. Et bien-sûr il ne faut pas oublier que c’est en grande partie le succès international de la fresque historique Diriliş: Ertuğrul qui a présidé à la création de Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi (les décors sont quand même moins jolis ici, même si quelques plans consentent un effort).

    Tout ça pour dire : on a ici une série qui ne fait rien de très novateur dans son portrait d’une culture puissante mais assiégée ; c’est un trope particulièrement populaire dans la fiction turque, et il y a une raison à cela… Mais l’intrigue de ce premier épisode, bien-sûr, ne s’arrête pas là.

    Comment le pourrait-elle ? Comme toute bonne série turque de primetime qui se respecte, Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi possède des épisodes de 3h (…pub non incluse), après tout. Je suis bien consciente de perdre systématiquement votre intérêt chaque fois que je fais ce rappel. Toutefois, il faut reconnaître que dans le cas présent, peut-être à cause de la co-production avec le Pakistan, ou peut-être à cause de la raison d’être de la série elle-même (et croyez-moi, on y revient dans un moment), l’épisode inaugural de Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi est facilement découpable en trois petits épisodes d’une heure environ. La structure de cet épisode s’y prête particulièrement bien… à croire que les producteurs savent ce qu’ils font !
    Le premier tiers de l’épisode introductif est donc consacré aux origines de la naissance de notre héros, que je viens d’énoncer ; le second, lui, nous rappelle à l’ordre : la raison pour laquelle Selahaddin est une figure historique est parce qu’il s’est dressé contre les Croisés. N’est-ce pas ce à quoi il était destiné, après tout ?

    Une fois Selahaddin devenu adulte, croyant dur comme fer être l’héritier de Nureddin Zengi, le voilà donc qui prend la tête d’un groupe armé pour aller libérer Kudüs, tandis que son père devient sultan et règne à Şam. Dans ce premier épisode, le jeune homme se rend dans la ville sainte, et constate combien celle-ci est affaiblie.
    Sous le règne de Baudouin, la cité s’est enfoncée dans la pauvreté, la saleté et la violence. Les Francs ont la main-mise sur la majeure partie de la région (je vous encourage à aller jeter un œil, sinon à toute la page, au moins aux cartes que propose Wikipedia à ce sujet), mais à quel prix ! Et ça ne les empêche nullement de s’inquiéter d’une contre-invasion. Cela les rend vulnérables, et ils le savent très bien. Pire encore, voilà que débarque à Kudüs un Templier du nom de Gabriel, sanguinaire et sans merci. Là où les hommes de Baudouin font montre d’une certaine tolérance (bien que relative) envers les différents groupes religieux vivant dans la cité, Gabriel n’a aucune pitié pour les infidèles, et en plus, ne répond qu’aux ordres du Pape. Il est venu remettre un peu d’ordre à Kudüs et par extension dans les territoires alentours, et par ordre je veux bien-sûr parler de mort et de désolation.
    Sa première mission ? Se saisir d’Aşkelon en Palestine, qui, si les Chrétiens la possèdent, rendra plus difficile la reprise de Kudüs. Qui pour l’en empêcher, après tout ? Comme Gabriel aime à le faire remarquer, la communauté musulmane du Levant est divisée en petits Etats (émirats, sultanats, etc.), et tant que ce sera le cas, personne ne sera suffisamment fort pour s’élever contre les Croisés. En l’occurrence, au moment où commence la série, Aşkelon est sur les terres ennemies de Nureddin Zengi…

    Il est intéressant de noter que la cible de l’ire de Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi est vraiment les colons francs. La série est très claire sur l’oppression subie par les Musulmanes, mais aussi par les Juives, qui sont malmenées par les Chrétiens (grosses vibes à la Aziz, par moments). La persécution religieuse devient encore plus flagrante une fois Gabriel entré dans la cité, et décidé à soit détruire, soit convert-… non, vous savez quoi, même pas ; juste détruire. Il y a même une scène dans laquelle Selahaddin défend un Juif menacé par un Croisé, histoire de bien insister sur les dynamiques.
    Cela ne fait que renforcer le propos de la série, qui est que moralement, le héros est un homme juste, qui veut défendre les innocentes et reprendre une ville que son peuple a dirigée pendant des siècles, dans ce qui est présenté comme une harmonie entre les cultures. Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi a beau être une série d’action avec pas mal de morts brutales, elle se positionne quand même comme une lutte du Bien contre le Mal. Notre héros est donc attaché à des valeurs aussi humanistes que possible pour l’époque ; il envisage la reprise de Kudüs comme un retour à la Paix et à la Justice. Même sans parler le turc, on entend bien les majuscules dans les propos de Selahaddin, je vous assure.
    Hélas pour lui, son père a depuis calmé ses propres ardeurs, et soutient moins le projet qu’auparavant. En devenant sultan, il a pris plus de responsabilités, et se montre désormais réticent à prendre des risques pour reconquérir Kudüs au péril de son Etat actuel. Il tente d’entretenir des relations diplomatiques (certes tendues) avec Baudouin, et se tient autant que possible à l’écart de conflits. Aussi, lorsque son fils Selahaddin lui rapporte que les Croisés vont tenter de se saisir d’Aşkelon, son premier réflexe est de ne pas s’en mêler, surtout si rester inactif pourrait calmer les tensions avec les Francs. Vous pensez bien que Selahaddin ne va pas lui obéïr.

    C’est alors que démarre le dernier tiers de cet épisode introductif : la prise d’Aşkelon.
    La petite ville côtière est abandonnée à son triste sort par tout le monde dans la région, et la famille de l’émir à la tête de la ville réalise bientôt que les chances de tenir les murs sont mince. Cela enrage particulièrement Süreyya, leur fille, qui un peu plus tôt dans l’épisode s’est glissée derrière les murailles de Kudüs pour tenter d’assassiner Gabriel, et qui, après avoir échoué, fulmine de voir sa ville sur le point de tomber aux mains des Francs. Elle se méfie naturellement des Zengi, que sa famille considère comme ennemie ; mais elle ne peut pas longtemps refuser l’aide que vient apporter Selahaddin (je vous avais prévenues, il n’allait pas obéïr).
    Si Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi possède des scènes d’action dans les deux premiers tiers de son épisode inaugural, ce n’est rien au regard du caractère épique de la bataille d’Aşkelon ! Tout le budget de l’épisode a vraisemblablement été investi dans les explosions de la ville, dans la longue scène du débarquement sur la plage, ou encore dans la bataille navale au large du port d’Aşkelon. A sa décharge, rappelons qu’à ce stade il est autour de 23h pour les spectatrices turques, et que c’est plus facile de s’investir dans des scènes à forte adrénaline que dans des enjeux trop subtils !
    La série en profite aussi pour ramener sur le tapis certains aspects moins politiques ou religieux de son intrigue, et plus intimes, comme le fait que le secret du premier acte s’apprête à refaire surface… Et, naturellement, la fière Süreyya s’avère être une femme parfaite pour Selahaddin, vu son talent pour le combat (et aussi le fait qu’il n’y a quasiment pas d’autre personnage féminin, d’où d’ailleurs le masculin récurrent de cette review). L’enjeu amoureux est préparé sans faire grand mystère des intentions de la série à ce sujet.

    S’il y a bien une chose qu’on ne peut pas enlever à Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi, c’est que c’est une affaire rondement menée. L’efficacité est au rendez-vous (parfaitement, on peut être efficace en 3h), et chaque volet de cet épisode inaugural a ses thèmes et son ton propres. Au point qu’on en oublierait presque que la vocation de la série n’est pas que de produire une oeuvre à grand spectacle, mais bien de parler de parler d’une grande figure non seulement du monde arabe, mais du monde musulman en particulier.
    Et d’en parler avec ce qui peut difficilement être interprété comme autre chose qu’une mission politico-religieuse. Pour citer l’un de ses producteurs : « Cette série est non seulement pour les Musulmanes ou pour les populations pakistainaise et turque, mais aussi pour montrer au monde qu’il y a eu un dirigeant musulman dont les opposants appréciaient aussi le courage, la justice, le courage et l’équité« . Vous comprenez mieux maintenant le pourquoi d’une co-production internationale, ou le découpage potentiel en plus petits épisodes pour une diffusion ailleurs que sur TRT1. D’ailleurs ça explique peut-être aussi la présence d’un personnage secondaire noir ; il a même une réplique à un moment de l’épisode ! C’est pas tous les jours qu’on voit ça, dans les séries turques.
    Plus qu’aucune autre série turque avant elle (et elles voyagent déjà pas mal !), Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi est supposée voyager. C’est son but. Elle a été créée pour raconter non seulement ce bout d’Histoire, mais l’histoire que le monde musulman doit retenir de ce bout d’Histoire. Cela signifie très certainement qu’elle ne voyagera pas partout (encore une fois, on imagine mal une série comme elle être achetée par une chaîne française !), mais là où elle ira, croyez-bien que la vente, si ce n’est l’achat de ses droits, prendront un sens particulier.
    Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi s’inscrit dans ce qui est devenu l’une des caractéristiques de la fiction historique turque : depuis le succès mondial de Muhtesem Yüzyil, ces fictions représentent un soft power qui est ouvertement encouragé par le gouvernement d’Erdoğan. En l’occurrence, la production de Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi elle-même est appuyée par le pouvoir : ses immenses studios de 240 acres (si je sais compter, ça fait autour de 970 000m²), dans lesquels plusieurs villes du Levant ont été reconstituées, devaient apparemment être inaugurés par Recep Tayyip Erdoğan et Imran Khan en mars 2022 (ça ne s’est finalement pas fait parce que… bah, mars 2022). Vous en connaissez beaucoup, vous, des séries capables de faire se déplacer les leaders de deux pays ?
    Encore une fois, l’efficacité de cette fiction ne doit pas nous faire oublier la plus rudimentaire des précautions critiques lorsqu’il s’agit de fiction internationale, et notamment historique, vu le contexte. On a eu cette conversation mille fois.

    Et puis… si Kudüs Fatihi Selahaddin Eyyubi semble prendre garde à ne pas se montrer trop anhistorique (et c’est heureux pour une série qui se targue d’avoir engagé plusieurs spécialiste en Histoire), que les opportunités de récupération pour le conflit israélo-palestinien moderne sont limitées ; en revanche on ne peut ignorer qu’une partie de sa réception sera nécessairement teintée par le nettoyage ethnique qui a actuellement lieu en Palestine.
    Cela rend, je le disais, son sujet d’autant plus sensible en ce moment ; et ça devrait être le cas pour encore un bout de temps, vu qu’un total de 3 saisons est d’ores et déjà prévu.

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  • Non-dits

    25 novembre 2023 à 16:14 • Review vers le futur •

    Lorsqu’elle avait 15 ans, Stella aurait dû passer le meilleur été de sa vie. Partie avec sa meilleure amie Amina pour un camp d’entrainement de handball au bord de la mer, l’adolescente était supposée revenir avec plein de bons souvenirs, et au pire quelques coups de soleil.
    Le jeune assistant de son coach en a décidé autrement.

    Trigger warning : viol d’une mineure.

    Le jeune homme est encore sur elle quand quelqu’un les surprend. Elle est immédiatement renvoyée du camp d’été, incapable d’expliquer ce qui s’est passé jusqu’à ce que son père, furieux, vienne la chercher. C’est dans la voiture qu’elle explique alors, d’une petite voix, qu’elle n’était pas consentante.
    Après lui avoir fait confirmer une fois, et une seule, qu’elle est certaine de ce qu’elle avance, son père décide immédiatement d’entreprendre les démarches pour la faire examiner. En revanche, sa mère (une avocate de formation) se montre plus retenue. Les preuves ne sont pas assez accablantes. Elle passe le témoignage de Stella en revue, et estime qu’il serait difficile d’obtenir une condamnation avec si peu d’éléments. Est-ce vraiment la peine de se lancer dans une procédure quand cela ne fera que rendre la vie de tout le monde misérable, pour un résultat plus qu’incertain ? Finalement, les parents de Stella décident de ne pas poursuivre l’assistant du coach, et de se focaliser sur la guérison de Stella.
    Quatre années passent.

    Accrochez-vous, la série suédoise En helt vanlig familj (…très en forme sur les sujets pas marrants, la télévision suédoise, ce mois-ci !) n’en est qu’à l’introduction.

    L’intrigue ne commence vraiment que le jour de l’anniversaire de Stella, 4 ans après ces faits. La jeune fille s’est reconstruite et semble plutôt équilibrée, même si bien-sûr, les choses ne sont pas forcément aussi simples qu’elles peuvent le paraître.
    En l’espace de 4 ans, Stella a fini le lycée, a raté une partie de ses examens et a donc commencé à travailler, pendant que sa meilleure amie Amina poursuit ses études. Cela commence à créer, lentement mais sûrement, un petit fossé entre elles. Sa scolarité a aussi eu un impact sur sa relation avec Ulrika, sa mère, une femme ambitieuse et éduquée qui est déçue de la voie qu’emprunte sa fille. Elles ne se parlent plus vraiment, et il est difficile de ne pas y voir, malgré tout, une conséquence de la façon dont Ulrika a géré ce qui s’est passé au moment du viol de sa fille. Dans une certaine mesure, cet été a aussi transformé la relation entre Stella et Adam, son père. Il est plus protecteur, sans doute à l’excès. Pasteur dans une église proche (ce qui est sûrement aussi un facteur, bien que la série ne pense à le mentionner que très tard dans l’épisode introductif !), il a plus de temps pour suivre chaque fait et geste de sa fille, et Stella semble s’entendre mieux avec lui, même s’il l’étouffe un peu de temps à autres.
    Bref, si la vie semble avoir pris une tournure normale, les événements passés influencent grandement les dynamiques de cette famille.

    Sauf que c’est un non-dit total. L’épisode inaugural a fait abstraction de tout « l’après » du viol, sur la reconstruction de Stella, sur les distensions qui se sont créées ; d’autres séries (la plupart, en fait) en auraient au contraire fait leur objet. Quand nous la retrouvons, 4 ans plus tard, la famille n’en parle plus. Même quand des décisions sont prises en partie à cause de ce qui semble être lié au viol, personne ne le verbalise ; ainsi, Stella a pour projet de mettre de l’argent de côté pour faire un grand voyage l’année de ses 20 ans, mais Adam et Ulrika y sont réticentes, et ne contribuent pas à sa cagnotte. Comment ignorer les mécanismes à l’œuvre dans ce refus ? Eh bien, ma foi, tout le monde les ignore quand même, faisant mine de ne pas avoir perçu le rapport entre le viol de Stella dans un camp d’été, et un départ seule pour l’étranger.
    A voir le premier épisode d’En helt vanlig familj, il apparaît que la série veuille explorer ce moment pourtant marquant et ses retombées, en quelque sorte par l’absence. En reprenant l’intrigue 4 ans plus tard, et en créant son véritable incident perturbateur à ce moment-là.

    Le soir de son anniversaire, se sentant déçue par ses parents et abandonnée par Amina, Stella monte dans la voiture d’un inconnu séduisant, croisé dans un club. Dans sa décapotable, il l’emmène de l’autre côté du pont, au Danemark, à une exposition de peinture, avant d’aller faire la fête toute la nuit. Au petit matin, celui qui dit s’appeler Chris la ramène dans la maison de ses parents, en Suède. Elle semble avoir passé une délicieuse soirée. Elle lui dit au revoir avant de rentrer sur la pointe des pieds. Quelques semaines passent, encore.
    Mais à ce stade, on devrait savoir que le plus important dans En helt vanlig familj tient dans ce qu’elle ne dit pas.

    Après ce nouveau fast forward, le corps de Chris est retrouvé dans un parc à proximité. Stella est arrêtée comme étant la principale suspecte pour son meurtre. L’intrigue peut alors vraiment commencer…

    Les choix faits par En helt vanlig familj pour ce premier épisode sont vraiment intéressants. Ce qu’elle montre et ce qu’elle suggère forment une façon intéressante de nouer des cordes narratives sans en avoir l’air. Contrairement à la plupart des thrillers, elle ne le fait pas en essayant de préparer une surprise, plutôt comme une série qui veut explorer la sève dramatique de ces silences et ces implicites.
    Pour explorer cela, En helt vanlig familj s’est en outre trouvé une structure intéressante : l’épisode introductif est divisé en trois parties (je suppose que ce sera le cas des suivants aussi). Pas exactement en trois actes propres et équivalents, taillés pour la publicité, à l’américaine ; mais trois segments qui suivent chacun un membre différent de la famille. Ainsi le premier acte est, bien-sûr, celui de Stella : nous vivons son viol avec elle (je vous renvoie aux avertissements ad hoc), puis l’anniversaire de ses 19 ans. C’est une très longue partie de l’épisode, malgré la césure de quatre années, et la camera est attentive à guetter ses expressions (surtout en l’absence totale, et plus que bienvenue, de voix-off !) quand, devenue une jeune adulte, ses préoccupations semblent à la fois extrêmement banales et délicatement complexes. C’est presque par surprise que l’épisode finit par changer de point de vue, après que la moitié de sa durée se soit déjà écoulée. On passe un tout petit peu de temps avec Adam avant d’opérer, à nouveau, un changement de point de vue pour suivre Ulrika. Leurs points de vue éclairent la relation de ce couple, devenue tendue, mais elle a aussi le mérite de créer de nouveaux silences ! On ne sait de nouveau pas ce que Stella fait pendant que nous nous interrogeons sur la psyché de ses parents…
    En établissant les règles de son jeu de perspectives (notamment le fait que la série ne nous montrera pas toujours ce qu’a fait un personnage pendant que nous en suivions un autre ; mais qu’elle se réserve aussi ce droit), En helt vanlig familj met des mécanismes en place à la fois efficaces et subtils.

    A condition d’avoir l’estomac solide pour encaisser ce sur quoi repose en grande partie l’intrigue d’En helt vanlig familj, ce peut être un thriller dramatique extrêmement satisfaisant sur le long terme. La série a compris que les inconnues créent du suspense, mais est beaucoup plus intéressée par ce que l’équation ainsi établie dit de ses personnages.
    Pour une série de Netflix (mise en ligne sans cérémonie avec une brouette d’autres nouveautés), le résultat est étrangement raffiné ; d’ordinaire c’est le genre de proposition que j’attends de Viaplay, dont comme vous le savez je ne pense que du bien. En soi, c’est déjà un plaisir que d’être surprise de cette façon, ainsi qu’un rappel important qu’il peut se passer de bonnes choses partout.

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