La bonne victime

16 avril 2016 à 12:00

Incrédule, une jeune femme ouvre la porte d’entrée d’une maison, avant de commencer à courir, les yeux rivés au-delà de son épaule. Lorsqu’elle trouve une cabine téléphonique, elle contacte immédiatement les secours : elle est Ivy Moxam, et elle a été kidnappée voilà 13 ans.

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On va être clairs : j’avais TRÈS envie de voir Thirteen. On a tous « nos » sujets, les thèmes qui nous intéressent d’emblée parce qu’ils nous parlent, intimement, et répondent de façon littérale ou métaphorique à des choses qui nous tourmentent intérieurement ; aussi, lorsque ces sujets sont le point de départ d’une série, on ne sait pas résister à l’impérieuse nécessité d’y jeter un œil. Voire deux. Trois si on le pouvait. Thirteen était dans ce cas (et j’ai eu énormément de mal à me tenir à distance du premier épisode de The Family, pour des raisons semblables) et je pensais sincèrement expérimenter ce mélange étrange de satisfaction et de douleur qui résulte généralement du visionnage de quelque chose de furieusement personnel. Au lieu de ça, j’ai été décontenancée, voire… révulsée.

Thirteen passe l’essentiel de son temps avec son héroïne Ivy, qui à juste titre est au centre de la série. Mais au lieu d’entrer dans sa psyché et nous faire partager vraiment ce qu’elle vit, le premier épisode semble insister à se borner à une observation de bête curieuse. Ivy ouvre des yeux ronds et un regard errant sur ce qui l’entoure, les gens qui jalonnent son retour aussi bien au sein de la police que de sa famille ; elle se passe maladroitement la main dans les cheveux, elle se défait du toucher d’un homme, ou au contraire elle se laisse manipuler comme une poupée de chiffons. De ces éléments, la série nous laisse tirer nos conclusions : oh, elle doit être perdue, elle doit redécouvrir des choses, elle doit avoir peur, elle doit être traumatisée. Mais Thirteen ne donne pas à Ivy l’occasion de décrire ce qu’elle ressent, la série la prive de parole. Je n’aurais jamais pensé dire ça un jour, mais une voix-off n’aurait pas été superflue pour comprendre ce que ressent ce personnage auquel aucun spectateur ne peut vraiment s’identifier, de par la rareté de son parcours. Nous sommes supposés l’observer la comprendre sans avoir aucune clé pour le faire.
Une observation, qui plus est, loin d’être neutre : Thirteen a décidé très tôt que la parole d’Ivy Moxam ne devait jamais être prise pour argent comptant, et influence en permanence notre regard sur elle. En lui retirant le droit d’exprimer clairement ce qui se passe dans sa tête, le premier épisode la laisse émettre quelques phrases simplistes, parfois même sibyllines. Nous en retirons du sens, mais ce sens est influencé par celui que lui donnent ses interlocuteurs, en particulier la police qui d’emblée, ne croit pas Ivy. D’abord, on ne croit pas qu’elle soit Ivy Moxam (ce qui me semble une méfiance naturelle, certes). Ensuite, on jette le doute sur sa description des faits. Pour finir, comme elle ne semble pas coopérer suffisamment, ne pas être assez docile, on finit par utiliser cela contre elle pour cultiver des soupçons sur sa bonne foi en général.

Thirteen n’est, au vu de son premier épisode, ni une série sur une victime de crimes atroces, ni une série sur la reconstruction de cette victime après 13 années où son identité est restée en stase. C’est une série qui prend les apparences de ce type de drame humain, certes, mais seulement pour finalement essayer de créer un thriller. C’est très déplaisant à mes yeux (et c’est également ce qui fait qu’au bout d’un épisode, j’ai baissé les bras devant The Family) parce qu’à aucun moment on ne laisse une chance à la victime d’expliquer la complexité de ce qu’elle vit, et que chaque nuance est au contraire exploitée comme une contradiction potentielle. Et je suis désolée, mais je ne me satisfais pas d’un personnage d’enquêtrice qui lance subitement une référence au syndrome de Stockholm comme si elle comprenait de quoi elle parle, alors que ses actions et sa suspicion permanente d’Ivy prouvent au contraire qu’elle ne prend pas en compte les phénomènes psychologiques en apparence paradoxaux qui peuvent se jouer après une captivité aussi longue.

Et tant qu’Ivy n’a pas l’occasion de poser des mots sur ces choses, ce ressenti, ces décisions en apparence illogiques, nous restons avec les seules interprétations qu’en font les flics et les membres de son entourage proche. Je ne doute pas qu’à des fins dramatiques, ce soit très pratique ; mais je trouve que c’est le genre de facilité qui ne fait rien pour le sujet choisi. A quoi bon s’engager dans une voie telle que celle-là si c’est pour pondre un thriller simpliste où la victime est constamment suspectée de ne pas être assez transparente ? Et finalement, cette absence de transparence passe pour une menace voilée quand à la fin de l’épisode il apparaît qu’une autre victime a été enlevée et que, si Ivy n’est pas plus « franche », les sévices subis par cette nouvelle victime seront plus ou moins de sa faute pour n’avoir pas aidé la police mieux et plus tôt… Implicitement, Ivy Moxam est forcément coupable de quelque chose. De n’avoir pas été en classe 13 ans plus tôt. De ne pas s’être libérée de son ravisseur plus tôt. De vouloir renouer immédiatement des liens avec ses amis d’antan. De ne pas rester comme une pauvre chose dans sa chambre à attendre qu’on l’utilise pour résoudre l’enquête de sa propre disparition, ou de la disparition d’une autre.

Ivy Moxam est en vie, et c’est une bonne nouvelle, mais c’en serait une meilleure si elle arrêtait d’être une humaine complexe avec des réactions imprévisibles et des envies qui lui sont propres. Dans Thirteen, je n’arrivais pas toujours à discerner qui traitait Ivy Moxam comme une chose plutôt que comme une personne. Vous comprenez ma profonde sensation de malaise devant la série…

Note : Thirteen sera projetée une seconde fois pendant le festival Séries Mania, le dimanche 24 avril à 17h30. L’occasion idéale de fonder votre propre opinion si vous avez raté la séance de cet après-midi.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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