Do you know where your children are ?

24 avril 2021 à 22:17

En voulant introduire mon sujet du jour, je suis allée regarder mes articles précédents expliquant ce que représente le Ramadan sur les télévisions du monde musulman, et je me suis aperçue qu’ils dataient un peu, à plusieurs égards. Celui-ci, qui pour autant que je puisse me souvenir est le plus complet sur la question grâce à son épais encadré, ne mentionne même pas la SVOD !

Il faudra y remédier, mais hélas je m’y suis prise un peu tard pour réaliser cela : le Ramadan 2021 a déjà commencé, plus tôt ce mois-ci. Alors pour essayer de me faire un peu pardonner, souffrez que je parle de Viu.
Viu, c’est cette plateforme de streaming originaire de Hong Kong qui a eu la brillante idée de s’implanter partout où les grosses plateformes américaines avait tardé à investir. Présente, et plus que présente : active ! dans l’Asie du sud-est, elle s’est vite étendue à d’autres territoires, notamment le MENA. Gros dossier, le MENA, parce que Netflix, Amazon, et autres grosses plateformes internationales ont pas mal négligé la région jusque très récemment, alors qu’il y a un marché énorme. Et que ce marché devient même colossal au moment du Ramadan ; dans cette région, la concurrence de Viu, ce n’est pas Netflix (même si ses souscriptions augmentent pendant la période), c’est plutôt des plateformes locales comme Shahid.
Ce qui est intéressant, au-delà du modèle de croissance choisi par Viu en devançant systématiquement ses plus gros concurrents sur des marchés porteurs mais encore peu investis, c’est l’impact de la SVOD sur les modes de consommation des mosalsalat. Le rituel qui a pendant des décennies consisté à se réunir en famille devant la télévision au moment de l’iftar (créant ainsi un primetime dépendant année après année du coucher du soleil, avec ce que ça implique pour les annonceurs) est totalement remis en question par les modes de consommation du streaming, où les séries sont à disposition à longueur de journée, et généralement consommées en plus petit comité voire en solo, chacun sur son écran ou presque. Et c’est sans parler de la question des particularités nationales (de facto gommées par l’accès à un catalogue international), des effets de censure et/ou auto-censure, de la question sensible des budgets de production…
A quoi ressemble le streaming de Ramadan ? C’est encore une question jeune (no pun intended), et une transition en cours. Mais Viu, parce qu’elle investit particulièrement dans le MENA, a des débuts de réponse à nous fournir.

Viu lance depuis plusieurs années maintenant des originals pour cette région (Ana Sherry dot com en est un exemple), ainsi que des productions qu’elle acquiert et présente simplement comme des exclusives, et vous savez combien j’aime qu’une plateforme soit transparente sur ce genre de choses. Des séries sortent à longueur d’année, et j’aimerais bien mettre la main sur une version sous-titrée de sa série fantastique Wadi Al-Jinn par exemple, qui a débuté en février et vient de s’achever (elle a l’air démente !). Mais ce qui nous préoccupe particulièrement aujourd’hui, c’est que ce sont aussi pas moins de 9 séries originales que Viu a prévues de diffuser pendant la période du Ramadan.
Et, ce qui est intéressant, c’est que la plupart respectent le format de la télévision traditionnelle qui consiste à proposer un épisode par jour pendant ce mois sacré (au lieu de faire du dumping de saisons complètes).

Welad Nas est l’une d’entre elles ; une exclusive, parce que la série a aussi été vendue à certaines chaînes du satellite dans plusieurs territoires où Viu n’est pas encore présente.
Sur les photos de promo, ça ne paie pas de mine, et je vous avoue que sur cette base seule je n’aurais sûrement pas cherché à aller plus loin. Par contre, sur le papier l’histoire semblait assez intéressante, ou en tout cas riche en potentiel… et son générique a fini de me convaincre que j’avais fait le bon choix en tentant le premier épisode. Gloire en soit rendue, d’ailleurs, à Viu, qui a l’excellente idée de sous-titrer ce générique (qui l’air de rien fait quasiment 4 minutes !), dont les paroles sont à la fois vagues et saisissantes. »We lose some things when we win them« , par exemple, va me hanter pendant un moment.

Welad Nas s’ouvre in media res sur le tonneau impressionnant que fait un bus scolaire en plein milieu d’une route en apparence déserte, mais n’y passe que quelques secondes pour ensuite suivre les commentaires d’éditorialistes à la télévision, choquées. La tragédie semble agiter tout le pays, et alors que la lumière n’est pas encore totalement faite sur les circonstances de l’accident, les médias se focalisent sur le malheur des enfants à bord du véhicule, et se font l’écho du désespoir de leurs familles. Et puis, moins d’une minute plus tard, l’épisode s’inquiète déjà d’un retour de 18 heures avant le moment de l’accident.
Quelles montagnes russes. Et pourtant Welad Nas a déjà dit beaucoup de son intention. Ce n’est pas le pourquoi de l’accident qui interroge le plus les commentateurs sur le petit écran, et à travers eux toute l’Egypte ; ce qui s’exprime avant tout, c’est un discours qui pourrait aussi bien être tenu par les parents. Un discours d’incompréhension et de douleur, principalement. Et d’ailleurs vous noterez que ce sont les parents qui figurent sur le matériel promotionnel, pas leurs enfants.
C’est en grande partie vrai du reste de l’épisode. Si les enfants en question apparaissent pendant quelques scènes, ce sont surtout les parents qui sont au centre de l’attention. Sur chaque famille, cet épisode introductif va ouvrir des fenêtres pour à la fois capturer leur quotidien et mettre en place les situations.

Toutes ces familles sont aisées, et ont un ou plusieurs enfants qui vont à l’école privée NMIS, un cadre prestigieux et sélectif, principalement en raison des frais de scolarité et ce qu’ils impliquent sur la fréquentation de l’établissement. Chaque matin, des bus viennent chercher les élèves devant leur domicile, et les emmènent en classe avant de les ramener après le déjeuner.
Pourtant malgré leurs moyens financiers similaires, ces familles vivent très différemment. Certaines sont soudées, certaines se fissurent, d’autres sont déjà en pleine implosion quand commence l’épisode. Il y a un aspect chronique très marqué, et qui à mon avis, même après l’accident, va persister ; les personnages mènent des vies en apparence ordinaires (on nous montre des dîners en famille ou entre amis et des petits-déjeuners pris à la hâte, des discussions devant la télé ou à table…) et les préoccupations des adultes sont diverses (leur couple, leur famille, leur métier…).

Mais parce qu’on sait qu’il va se produire cet accident, tout prend une signification différente, comme un pressentiment que la tragédie va agir comme un révélateur de certains choses déjà à l’oeuvre pendant l’exposition. Ce père qui a découvert quelque chose sur sa fille et lui a confisqué son téléphone ; cette mère qui n’arrive plus à parler à son fils ; ce père qui néglige son jeune fils ; cette mère qui semble attentive à ce que font ses enfants… On sait que ces situations en surface classiques ne sont rien d’autre que des conflits qui ne vont qu’éclater de plus belle lorsque le quotidien va être retourné comme et par le bus.

Le premier épisode de Welad Nas ne nous dit pas tout, mais il fait bien son boulot de premier épisode en nous disant juste assez. En laissant les adultes glisser dans leurs conversations des craintes qui tordent les boyaux de tous les parents, sur l’éducation et sur la société, et comment toutes les deux ont un impact parfois imprévisible sur leurs rejetons. C’est cette imprévisibilité qui, bien-sûr, est le problème. Avec un leitmotiv particulier sur l’impact de l’argent (qui permet beaucoup mais pousse à ne pas toujours se préoccuper de ce qui compte vraiment), et une question à laquelle, sans nul doute, le reste de la série va offrir des réponses déplaisantes : à quel point connaissons-nous nos enfants ?
Je n’en ai pas personnellement, mais Welad Nas m’a fait de l’effet, et j’imagine ce que ce doit être pour le public de la série. Et ça doit faire d’autant plus froid dans le dos de se retrouver à regarder des séries comme celle-ci en SVOD alors que les enfants, à deux pas ou dans une autre pièce, regardent peut-être autre chose sur un autre écran.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Je ne connaissais pas Viu jusqu’à récemment quand je suis vraiment rentrée dans une consommation assez importante de dramas avec certains dramas qui ne sont dispo que sur Viu. (D’ailleurs je sais que certaines de leurs séries au moins sont dispo avec des sous-titres en anglais sur la plateforme, mais c’est juste que c’est géobloqué. J’ai un VPN, si c’est le cas et tu veux qu’on se cale un visionnage commun où je te partage mon écran, ça serait avec plaisir.)

    • ladyteruki dit :

      Merci pour la proposition 🙂 j’aurais dû me mettre aux VPN il y a des lustres, honnêtement. Je sais que même avec le geoblocage, il est possible de regarder le premier épisode de plusieurs séries parmi leurs plus « anciennes » (j’ai vu par exemple ceux de séries originales comme Zodiac ou Keluarga Baha Don), et généralement le 2e aussi (ce qu’en général je n’ai pas fait parce que regarder un pilote, ça va, mais quand tu regardes plus d’un épisode en sachant que tu n’auras pas accès à la fin, c’est plus frustrant déjà), et ils ont de bons trucs en général. C’est vraiment une plateforme qui gagne à être connue.

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