Relève

20 février 2022 à 21:38

Voilà 15 ans que je sévis dans ces colonnes, et il m’arrive encore des premières fois. Les mots peinent à décrire l’excitation qui a été la mienne quand j’ai découvert (certes un peu tard : l’épisode est en ligne depuis presque 3 ans) que le premier épisode de la série Wurse était disponible avec des sous-titres anglais ! Hélas pas les suivants, pour autant que je puisse en juger.
Pourquoi c’est alléchant ? Eh bien, c’est comme ça que Wurse est devenue ma première série éthiopienne, et je vous propose de faire cette découverte à mes côtés aujourd’hui.

Qu’y a-t-il de plus universel que des questions d’héritage !
Wurse, ou Inheritance de son titre international, qui est également une traduction littérale (…du coup ç’aurait aussi bien pu être Succession !), s’intéresse à Ato Adamu, un homme d’affaires gérant une marque de vêtements. Il a trois enfants adultes : Almi, mère au foyer qui aurait voulu travailler dans la compagnie familiale ; Workney (apparemment aussi surnommé « Goldy »), qui gère un orphelinat et n’a aucune envie d’entrer dans le monde des affaires ; et enfin Makiye, vraisemblablement la plus jeune, qui travaille avec leur père mais dont il est de notoriété publique qu’elle passe plus de temps au spa qu’au bureau.
A ce portrait viennent s’ajouter son épouse Mulu ; Wossen, le bras droit d’Ato Adamu ; Asmamaw, son avocat ; et un jeune homme qui vient d’arriver en ville sur lequel on s’apprête à en apprendre plus, répondant au nom de Tesfalem. Au passage, on ne dira jamais assez combien découvrir des séries venues d’horizons nouveaux est un véritable « first name porn« . Tesfalem, quoi ; j’en ai des papillons dans le ventre exactement comme le premier jour où j’ai entendu le surnom Sihle dans une série sud-africaine.

Ato Adamu et ses proches vivent bien, mais il ne s’agit pas d’une famille multimilliardaire. En fait, la scène qui ouvre la série nous apprend qu’il a contracté des prêts pour procéder à des rénovations de son atelier de confection, et que les travaux se prolongent sans qu’il puisse rembourser ses dettes. Cela l’inquiète, quand bien même Wossen tente de le rassurer.
Même sans connaître le détail de ses finances, personne parmi la prochaine génération ne semble beaucoup s’intéresser à l’entreprise : Workney cherche à tout prix à éviter que son père n’essaie de l’embaucher (ou qu’il ne découvre que l’orphelinat connaît des fins de mois difficiles), et Maki est… bah, ma foi, pas souvent au boulot, comme tout le monde l’a bien remarqué. Quant à Almi, elle est moins intéressée par la compagnie que par le statut dont elle rêve aux côtés de son père, dont clairement elle cherche la validation. De fait, elle est, en dépit de ce qu’elle prétend, totalement obsédée par la réussite de sa sœur, dont elle jalouse la réussite. Il faut dire qu’en dépit de son poil dans la main, Maki vient d’être promue par papounet au poste de Directrice de l’Innovation et du Développement d’affaires, rien de moins. On ne sait pas trop le pourquoi de cette promotion pour le moment, d’ailleurs, parce que même Ato Adamu a bien compris qu’il ne pouvait pas trop compter sur Maki pour travailler dur.
Ces dynamiques établissent que, de façon intéressante, cet héritage qui se profile n’est pas, au moins pour le moment, une question d’ambitions professionnelles ou financières.

Toutefois, je soupçonne le pater familias d’avoir un plan. Lorsque commence Wurse, personne n’a encore parlé d’héritage, mais celui-ci est clairement omniprésent dans l’esprit d’Ato Adamu. Il s’inquiète des rénovations, de leur coût, du prêt qu’elles ont engendré, bien-sûr. Il met aussi ses affaires en ordre avec son avocat, semble-t-il sans raison apparente (Asmamaw le félicite de s’y prendre « aussi tôt »), en essayant d’épargner les dettes à ses futures héritières. Et… eh bien, il a embauché Tesfalem pour travailler avec lui dans l’entreprise familiale, et ce n’est pas uniquement parce qu’il a bon cœur. Clairement, il est en train de mettre des choses en place.
Les choses vont se préciser, toutefois, lorsqu’Ato Adamu fait un malaise et est transporté d’urgence à l’hôpital. Il apparaît en effet que le vieil homme est très malade et que ce n’est pas pour rien qu’il réfléchissait à son héritage. A peine revenu chez lui, il va d’ailleurs accueillir Tesfalem et l’introduire auprès de sa famille, en ne tarissant pas de louanges quant au diplôme de commerce que le jeune homme vient de décrocher. Je ne sais pas si Almi, Workney et Makiye ont tout-à-fait compris ce qui vient de leur être annoncé l’air de rien…

Le premier épisode de Wurse est plutôt bon, même si un peu inégal par moments. Il y a de très bonnes scènes, très réussies… mais il y en a d’autres plus maladroites, voire un peu téléphonées (Ato Adamu fait un malaise pendant qu’il parle héritage avec son avocat, bon…). Deux scènes ont cependant retenu mon attention, et même, m’ont beaucoup excitée sur le moment.
La première introduit le joliment nommé Tesfalem : il arrive vraisemblablement d’un endroit plus pauvre et ça ne fait que deux jours qu’il est en ville. Avec son épouse Weyni, il s’installe dans un appartement flambant neuf dont on apprendra plus tard qu’en fait il a été obtenu grâce à Ato Adamu. Le vieil homme était en effet un ami de longue date de Teshome (ils ont vraiment des super prénoms dans cette famille !), père de Tesfalem. Maintenant que Teshome est décédé, Ato Adamu entend bien prendre soin de son fils, qu’il considère comme un neveu… en tout cas, c’est la version officielle qu’en a Tesfalem. Mais le jeune homme est nerveux face à tous ces changements, sans compter qu’il ignore à quelle sauce il va être mangé dans ce nouvel environnement. En moins de deux minutes dans le salon du jeune homme, Wurse nous établit tout ça, ainsi que la dynamique extrêmement intéressante entre Tesfalem et Weyni. Lorsque son mari démarre au quart de tour, prêt à exprimer sa mauvaise humeur à la première excuse venue, Weyni le recadre immédiatement, dans un mélange de fermeté et de douceur. Sur l’air de « tu vas pas me parler comme ça, et tu vas pas commencer à critiquer d’où nous venons, mais je suis là pour toi tout va bien se passer », ce qui pousse immédiatement son époux à se calmer et s’adoucir. Il y a de tout dans ces 2 minutes d’exposition : une explication de la situation, de quel genre d’homme est Tesfalem, et de quel genre de femme est Weyni ; mais aussi la promesse que, même si elle ne joue pas un rôle énorme dans les dynamiques (d’ailleurs on ne la reverra plus dans l’épisode après ça), elle en joue un dans la vie de son mari, et que leur relation repose sur la communication. Si toutes les scènes d’exposition de toutes les séries du monde ressemblaient à ça, je râlerais tellement moins…
Un peu plus tard, Wurse nous montre ce qui est apparemment une tradition hebdomadaire : le déjeuner familial. Toute l’adelphie retourne en effet dans la maison familiale pour un repas pris ensemble… sauf que, vu les situations tendues des uns et des autres, tout le monde évite soigneusement d’aborder les sujets qui fâchent. Il faut voir le silence, le looong silence, qui s’abat sur la tablée lorsque Maki arrive (…en retard, évidemment) au déjeuner. C’était glacial, mais efficace. Le nombre de choses qui se sont dites pendant ce silence, mon Dieu !

Vu que c’est ma première expérience de la fiction télévisée éthiopienne, évidemment, je suis bien en peine de faire des comparaisons. Mais de ce que j’en vois, Wurse est plutôt réussie, pour un primetime soap sur le sujet aussi classique que les disputes d’héritage. Elle pose les bases d’un ensemble drama où chaque protagoniste a sa place, sans privilégier la perspective de quiconque (par exemple il aurait été facile de tourner la série du point de vue d’Ato Adamu, mais pas du tout). Comme si elle était attentive à entretenir une certaine équité, qui par association d’idées colle incroyablement bien à son sujet.
En outre, j’apprécie que les enjeux financiers soient là, posés très clairement, mais que la série prenne la précaution de dire que ce n’est pas la seule chose qui s’apprête à peser dans la balance. En fait, aucune protagoniste n’est vraiment intéressée par l’entreprise elle-même, dans le fond, ni même la fortune attenante… si ce n’est évidemment l’homme qui se résout, lentement mais sûrement, à devoir léguer son héritage à quelqu’un de méritant. Enième démonstration que c’est moins le sujet d’une série que son traitement qui en fait tout l’intérêt !
Il faut aussi noter que visuellement, Wurse est très solide. J’ai beaucoup aimé sa palette de couleurs, ou la façon dont elle s’arrête, un plan à la fois, sur des détails (comme les mains de Tesfalem enserrant celle d’Ato Adamu dans son lit). Comme pour faire une pause de quelques secondes et réintroduire de l’émotion dans ce qui se déroule. Il y a pas mal de séries, notamment produite en Afrique (un continent où notoirement les budgets des séries sont souvent serrés) qui n’ont pas les moyens de prendre ce temps et ces précautions, et je découvre que Wurse n’en est pas. Il y a quelques problèmes de son (essentiellement dus à une post-production mal calibrée par rapport au reste), mais c’est bien tout. Pour l’essentiel, la série essaie de ne pas rester en surface des choses, quand bien même elle a moins d’une demi-heure pour tout mettre en place, et ces efforts paient.

Si toutes les séries éthiopiennes ressemblent à Wurse, franchement, je vais me maudire de m’y être mise aussi tard. Et maintenant que j’y ai goûté, j’ai bien l’intention d’essayer de le vérifier !


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

2 commentaires

  1. Tiadeets dit :

    Vraiment très cool cette découverte. Je te souhaite de pouvoir découvrir d’autres séries éthiopiennes et d’autres pays dont tu n’as pas encore vu les séries. 😀

    • ladyteruki dit :

      Merci 🙂 C’est pas gagné d’avance, mais je ne désespère pas !
      Pas plus tard que cette semaine j’étais en train de faire ma vaisselle et tout d’un coup je me suis dit : « Tiens, à quoi ça ressemble une série tchadienne » 😛 Wish me luck.

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