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    1 décembre 2021 à 19:15 • Review vers le futur •

    Chaque année je m’étonne un peu que Netflix ne se soit toujours pas saisie de la tradition télévisuelle du Julkalender (…même si je sais très bien que les traditions télévisuelles, Netflix se torche avec), qui consiste à diffuser, comme un calendrier de l’Avent, un épisode de série nordique par jour entre le 1er et le 24 (Jul) ou 25 décembre (Noël). J’ai parlé plusieurs fois de ces séries par le passé (dans cet historique, par exemple), et je leur voue une tendresse sincère. Je trouve la tradition belle, et en plus, elle est parfaitement exportable dans d’autres pays de tradition chrétienne, donc le refus de Netflix à s’y investir m’apparaît comme d’autant plus obtus. Précédemment, Hjem til Jul avait presque réussi à s’y coller, et puis non.
    Cette année, on n’est pas passées très loin non plus : Netflix propose effectivement une série danoise dont le thème évoque Jul/Noël, avec son lot d’enfants, de décorations de Noël, et de… lutins mangeurs de chair ?!
    Ah.

    Oui, bon, Nisser (ou Elves de son titre international) n’est pas exactement le doux Julkalender auquel je m’attendais. D’ailleurs, avec seulement 6 épisodes (sur lesquels je vais légèrement spoiler, soyez prévenue), elle n’est pas un Julkalender du tout. Mais ma foi… close enough, comme vous allez le voir.

    Dans le premier épisode de Nisser, tout commence pourtant gentiment. Josefine (dite « Jose »), ses parents Mads et Charlotte, et son frère aîné Kasper, viennent passer les fêtes de fin d’année sur une petite île isolée de tout, Årmandsø. Tellement isolée qu’il n’y a ni internet, ni même de couverture mobile, et c’est déjà pas mal qu’il y ait l’électricité ! L’idée des parents est que, vu que la famille vit dans le stress de Copenhague toute l’année, ça ne peut pas leur faire de mal de s’éloigner pour les fêtes, au calme, ensemble. Sauf qu’en arrivant, leur voiture percute quelque chose, et malgré les interdictions de ses parents, Josefine décide d’aller secrètement chercher quel genre d’animal a été renversé, pour lui porter secours.
    Sauf que ce ne n’est pas un animal de la forêt comme les autres qu’elle trouve, mais une espèce de petit être étrange. Avec ses grands yeux et ses petits cris effarés, il est adorable ; elle le prend sous son aile et l’installe dans la grange de la maison que loue sa famille.

    Du point de vue de Josefine, Nisser commence comme l’une de ces innombrables fictions dans laquelle une enfant ou jeune adolescente découvre un animal sauvage-mais-mignon, se porte à son secours, et se lie d’amitié avec, malgré les méchantes adultes qui voudraient l’éradiquer ou au moins le garder en captivité. Tous les thèmes habituels sont là, d’autant que la jeune fille ne s’entend pas avec ses parents et qu’elle se trouve dans un endroit inhabituel, qui sont absolument des tropes du genre.
    Pas de chance pour elle, Jose n’a pas lu le scénario de Nisser, et ignore que la réalité est bien autre. Kee-Ko, la créature qu’elle pense protéger des adultes est en réalité un bébé nisse… et son absence a rendu les nisser adultes furax. Les villageoises d’Årmandsø, qui connaissent les risques, ne sont guère plus ravies ; Karen la première, qui est à la tête de la petite communauté rurale vivant sur l’île.
    Mais il est trop tard : la situation est d’ores et déjà hors de tout contrôle.

    Outre la tuerie qui se prépare, ce qu’il y a de plus original dans Nisser, c’est le traitement de ces fameux lutins. Le nisse (une créature authentique du folklore scandinave) est un animal, et à ce titre, il fait partie de la nature. Or, la nature n’est pas intrinsèquement mauvaise, elle n’est d’ailleurs pas bonne non plus, elle est, simplement.
    C’est très parlant qu’Årmandsø, l’île où se déroule l’intrigue, soit une réserve naturelle. Karen veille en particulier à ce que l’équilibre soit préservé ; elle met par exemple un point d’honneur à ne pas couper d’arbres, même quand la famille tente de couper un sapin de Noël ; sans doute l’expérience traumatique vécue lorsqu’une scierie s’était implantée dans les bois aura-t-elle servi de leçon. Elle prend sa mission très au sérieux et supervise les sacrifices bovins que la communauté offre régulièrement aux nisser en échange d’une relative paix. Les lutins se voient en effet offrir régulièrement des animaux vivants qu’ils peuvent dévorer autant qu’ils veulent, pourvu de ne pas sortir du territoire qui leur a été assigné (délimité par des barbelés électrifiés qui entourent l’épaisse forêt d’Årmandsø), et n’attaquent pas d’humaines.
    Dans Nisser, ce qui est dangereux n’a pas nécessairement vocation à être éliminé, il faut simplement trouver un équilibre. Lorsque cet équilibre est menacé, et que la communauté humaine compte sa première victime, la première réaction des habitantes de l’île n’est d’ailleurs pas d’essayer de se débarrasser des nisser. Nisser n’aurait jamais pu être une série étasunienne, au passage, et ça ne tient pas qu’à la créature mythologique.

    A plusieurs reprises, Nisser tente ouvertement de parler de cela : de l’importance de préserver une nature qui nous précède, quand bien même elle serait dangereuse. Respecter la nature, ne pas chercher à tout crin à la posséder, et moins encore la menacer, apprendre des erreurs du passé, n’est pas facultatif : c’est vital pour survivre. Et si l’on trouble la quiétude millénaire des lieux, eh bien, il faut en assumer la responsabilité. La fable écologiste est assez transparente. D’ailleurs c’est intéressant de faire reposer la menace de la nature sur les épaules de la jeune génération qui agit au mépris de la sagesse des anciens, oui voilà, disons que c’est intéressant.
    Manque de chance, Nisser a un peu de mal à concilier ce propos avec les motivations de son héroïne, Josefine. En fait plus la série avance, plus la leçon de morale s’impose aux spectatrices, mais pas à la protagoniste. On peut même carrément dire à la fin de la saison/série qu’elle n’a rien appris de ses erreurs. Convaincue (uniquement par elle-même) qu’elle doit sauver Kee-Ko de l’enfermement dans l’enceinte barbelée, elle passe son temps à essayer de le retrouver, au point d’entrer dans le sanctuaire des nisser et provoquer leur colère en tuant accidentellement l’un des leurs. A partir de là, les elfes s’énervent encore plus, et tentent de la tuer… mais rien à faire, Jose continue d’essayer de sauver Willy. En dépit du bon sens. Pire : la série, qui avait pourtant lourdement insisté sur le besoin de préserver les arbres, les pissenlits, les oiseaux et les elfes tueurs, va faire un volte-face total, et (ça explique le nom) transformer Karen en vilaine méchante. Alors que tout ce qu’elle veut, c’est apaiser les êtres de la forêt avant que tout le monde se fasse zigouiller ! Son discours à Josefine sur ses responsabilités, et donc sur l’acceptation des conséquences de ses actes, tombe du coup complètement à plat. Alors certes, Karen a des méthodes bien à elle pour restaurer l’équilibre, mais euh… du coup c’est quoi la morale de l’histoire ?
    On ne le saura pas parce que, sans vouloir vous spoiler (mais un peu quand même), quand Jose finit par réchapper au massacre, son seul regret est de ne pas pouvoir quitter Årmandsø avec Kee-Ko sous le bras. Ceci dit, on sait pas hein, peut-être qu’en saison 2 elle regrettera pendant une micro-seconde d’avoir causé la mort de plusieurs innocentes dans des souffrances atroces ?

    En regardant le premier épisode, je me suis demandé si Nisser était une série d’épouvante pour la jeunesse. Certains signes le laissent penser : la violence est plus souvent suggérée que montrée, les nisser ne sont pas très effrayants, ainsi bien-sûr que la présence d’une héroïne de 12/13 ans dont la motivation l’emporte. La série passe un temps non-négligeable, en particulier pendant les premiers épisodes, à insister sur les velléités d’indépendance de Jose, qui ne veut qu’une chose, c’est être traitée comme une adulte… mais évidemment quand il faudra assumer ses choix comme une adulte, là elle sera bien contente qu’on se porte à sa rescousse comme une enfant, sans aucune sorte de rançon karmique ni scénaristique pour ses agissements. Le refus clair et net de Nisser de faire payer le prix fort à son héroïne pour le coût humain immense qu’elle a occasionné me semble être la preuve que la série ne voulait pas choquer les spectatrices s’identifiant à elle, et ces spectatrices, pardon, ce ne seront pas des adultes.
    …Le problème c’est que, d’un autre côté, Nisser est quand même une série d’horreur. Un poil plus effrayante qu’Are you afraid of the dark?, quand même. Je vous garantis que vous ne voulez pas mettre des gosses de 7 ou 10 ans devant cette série ! Netflix indique qu’elle est plus indiquée pour les 13 ans et plus (ce qui colle avec l’âge apparent de sa protagoniste), mais euh, bon, ça dépend quel gamine de 13 ans, je pense. Après c’est sûr que si votre marmaille a déjà regardé Ojingeo Game, bon, effectivement, allez-y, mettez-la devant Nisser pendant que j’appelle les services sociaux. Ce n’est pas que la série soit suprêmement sanglante, mais on va quand même y trouver une tête décapitée et surtout, beaucoup de jump scares. Je sais pas pour vous mais je mets pas des mioches devant ce genre de choses. Après, bon, ce sont vos gosses, hein ; au pire si vous les traumatisez vous en ferez d’autres.

    Donc voilà, tonalement, je sais pas trop à qui Nisser pense réellement s’adresser. L’ambition était-elle de jouer sur les ressorts du Julkalender pour délivrer de l’horrifique pour adultes, ou s’agit-il d’une série pour enfants ayant trop regardé Netflix ? On ne sait pas. Pour un jeune public jusqu’au début de l’adolescence, c’est un peu trop dur. Pour un public adolescent ou jeune adulte, ça semblera sûrement un peu risible. Et pour les adultes ça semblera n’avoir aucun bon Dieu de sens.


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  • Pretty Betty

    28 novembre 2021 à 21:48 • Review vers le futur •

    Il est assez rare que les séries sud-africaines nous parviennent.
    Deux explications principales à ce phénomène : d’une part, ces séries sont sud-africaines, et on sait à quel point les diffuseurs de tous poils font mine d’ignorer l’existence de tout le continent dans leurs acquisitions autant que possible. Je ne me permettrais jamais de présumer du pourquoi de la chose, bien entendu… Et d’autre part, historiquement, ces séries sont souvent des soaps. Enfin, bon : là-bas, on dit « soapies ». Il ne s’agit pas de séries de daytime (la plupart du temps, les épisodes originaux sont diffusés entre 18h et 20h30 les soirs de semaine), mais des séries quotidiennes ou semi-quotidiennes tout de même.
    Et si ces soapies ont connu des évolutions de format depuis environ une décennie, notamment avec la création d’un nombre grandissant de telenovelas locales (donc des soaps à durée limitée), ils ont encore, très souvent, la préférence des spectatrices sud-africaines… or, il ne vous aura pas échappé que l’import de séries quotidiennes n’est pas exactement la priorité des diffuseurs européens non plus.
    A cela faut-il encore ajouter le fait que beaucoup de ces soapies sont tournés dans un mélange de plusieurs langues (dont l’anglais et/ou l’afrikaans, l’isiZulu, le setswana, ou encore le xhosa), pour lesquelles je ne suis même pas convaincue que nos amis de chez Dubbing Brothers ou Nice Fellow aient le personnel de traduction nécessaire. Il est vrai que cela conduit parfois des nuances socio-culturelles pas toujours faciles à transcrire dans de simples sous-titres, ou pire, un doublage (un exemple de ces nuances est visible dans la série de Netflix How to Ruin Christmas: The Wedding, et j’en ai parlé il y a quelques mois, si vous êtes curieuse).

    L’accès à ces séries est donc compliqué, l’affaire est entendue. Aussi, lorsque j’ai réalisé que je pouvais regarder le premier épisode du soapie uBettina Wethu, j’ai sauté sur l’occasion.

    Lancée au printemps dernier, uBettina Wethu est une série qui devrait vous en évoquer une autre. Essayez de voir laquelle, mais sans tricher !
    Bettina Sikhakhane est une jeune femme qui ambitionne de s’élever socialement, et tirer sa famille vers le haut, surtout depuis le décès de sa mère qui l’a poussée à s’occuper à elle seule du bien-être de son père et son jeune frère. Pour cela, elle espère décrocher un emploi au sein de la rédaction du prestigieux magazine Nubia, et quitte donc la petite maison où elle a toujours vécu, dans un township de Hammanskraal, pour les gratte-ciel de Johannesburg. « Betty » (je vous aide, là, franchement) n’est pas très jolie, et un peu maladroite, mais elle est pleine de bonnes intentions et intelligente, quand bien même elle n’est pas coutumière de la vie dans une grande ville.
    Et encore moins habituée à la survie dans un panier de crabes comme Nubia !

    Vous l’aurez deviné, uBettina Wethu (« notre Bettina ») n’est nulle autre que la dernière adaptation en date de Yo soy Betty, la fea ; cette dernière, dont la diffusion remonte au siècle dernier (…bon, 1999, mais quand même) est la série colombienne la plus populaire de tous les temps, diffusée et/ou adaptée dans plus d’une centaine de pays.
    C’est pas moi qui le dis, c’est le Guinness des records ! Inde (Jassi Jaissi Koi Nahin), Brésil (Bela, a feia), Allemagne (Verliebt in Berlin, diffusée en France sous le titre Le Destin de Lisa/Le Destin de Bruno), Pologne (BrzydUla), Vietnam (Cô gái xấu xí), Algérie (Timoucha), et bien-sûr USA (Ugly Betty, où pourtant les adaptations de telenovelas en anglais sont plutôt rares)… 20 ans que le format voyage. Il n’y avait qu’une région qui avait été épargnée jusqu’alors, l’Afrique noire, et uBettina Wethu vient donc combler ce manque. Bettina est d’ailleurs la première « Betty » noire, toutes nationalités confondues.

    Ce qui est intéressant dans cette version, c’est que Bettina n’est pas vraiment dépeinte comme laide ou même inélégante pendant la majeure partie de l’épisode. Elle est au contraire très attentive à sa tenue pendant cette introduction, pendant laquelle elle s’apprête à la fois à faire son grand voyage vers JoBurg, et courir un marathon de 3 entretiens avec quelques unes des entreprises les plus en vue de la ville. Tout ça dans la même journée ! Dans la toute première scène de la série, nous la découvrons devant son miroir, dans sa chambre de jeune fille, en train de vérifier que sa coiffure est impeccable avant de prendre la route. Et lorsque, comble de malchance, un pigeon chie plus tard sur l’un de ses accessoires (le malotrus), elle se dépêche de faire un crochet par un magasin de vêtements, pour acheter un foulard de rechange assorti à sa tenue. On est loin du laideron négligé dépeint par certaines des autres versions.
    Ce n’est que sur la fin de l’épisode, lorsqu’elle rencontre un homme qui lui plaît, puis lorsqu’elle entre enfin dans le saint des saint, c’est-à-dire les locaux de Nubia, que la série commence à faire un petit commentaire… Bref, lorsque la série introduit le regard de tiers (et de tiers se considérant comme une élite). Renvoyée à une apparence que pourtant elle pensait soignée, Bettina est un peu blessée, et sûrement pas pour la dernière fois.

    Au juste je ne saurais pas dire si uBettina Wethu adopte une approche totalement différente ; l’intrigue, les personnages, les dynamiques sont pour l’essentiel similaires, au moins pour le moment. Même sur le plan de la beauté, thème cher à la série dans toutes ses incarnations, c’est moins une question de body positivity que d’origine : la série affirme ouvertement qu’il y a un rapport direct entre classe sociale et critères de beauté. Et un rapport entre classe sociale et accession à la beauté, aussi. La beauté est, dans uBettina Wethu comme dans la vie réelle, une construction sociale, qui dépend en grande partie du milieu dans lequel on a grandi et/ou auquel on a été exposé ; là-dessus le premier épisode n’a évidemment pas le temps de s’épancher, mais on en trouve tout de même une amorce explicite.
    D’une façon générale, traiter des différences entre classes sociales est un objet récurrent du soap opera ; les pauvres sont presque toujours dépeintes comme armées de bonnes intentions et nobles de cœur, et les riches comme superficielles et dépravées. On en a la démonstration dans ce premier épisode, via l’introduction de Dingaan Jiyane, un coureur de jupons et menteur invétéré, obsédé par l’argent et le luxe (…et aussi la luxure). Je vous laisse deviner qui va devenir son assistante par la suite.

    Proposée comme une exclusivité de la plateforme Viu (qui n’en finit pas d’investir en Afrique sub-saharienne), mais aussi co-produite avec la télévision publique SABC1, uBettina Wethu a de toute évidence trouvé le succès, malgré sa formule vieille de plus de deux décennies : la telenovela sud-africaine est d’ores et déjà assurée d’obtenir une deuxième saison. Une énième confirmation que l’histoire du vilain petit canard Betty n’en finit pas de séduire le public du monde entier.


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  • Soapie Diaries

    28 novembre 2021 à 21:46 • Série de valeurs •

    Cela faisait un bout de temps que je n’avais pas fait de publications à thème ! Ce dimanche, on va donc se lancer brièvement (deux articles par semaine en novembre oblige) dans ce que l’on appellera les Soapie Diaries, soit deux articles sur des soap operas de divers continents…

    Avant qu’une review ne vienne compléter cette initiative, je me suis dit qu’on allait papoter un moment sur l’aspect théorique : posons donc quelques questions sur la place du soap dans la téléphagie. Parce qu’on n’en parle pas souvent… et c’est un peu le problème.
    Pardon, je vais un peu vite. Reprenons depuis le début.

    Fresh Start

    Si vous avez déjà ouvert un livre ou même un onglet relatif à l’histoire télévisuelle (généralement étasunienne), alors vous savez que le « soap opera » doit son surnom à la lessive. L’explication paraît simple : au moment de la naissance de la radio puis aux débuts de la télévision étasuniennes, les marques de produits ménagers (dont effectivement la lessive) sont parmi les plus actives en matière de sponsoring et de publicité. Vu que c’est par la publicité que la fiction sérielle est née, la contribution de marques comme Procter & Gamble ou Lever Brothers est donc immense.
    Il est bon de noter que c’est une simplification historique : les produits d’entretien ne sont à l’époque absolument pas les seuls à pratiquer de la sorte, et pas que pour les séries quotidiennes de daytime. Alors que, curieusement, personne n’a surnommé les westerns financés par l’industrie du tabac des « tobacco operas » (dommage, je pense que ç’aurait pu prendre). N’empêche, le terme est resté.

    Les marques comme Procter & Gamble et Lever Brothers ont très tôt compris qu’il était dans leur intérêt de viser en particulier le public féminin. Dés les années 30 à la radio, en fait. Pourquoi ? Parce que les mêmes personnes qui, en semaine, restent toute la journée à la maison (soit là où l’on trouve une radio, puis une télévision) sont les personnes qui s’occupent de son entretien, ainsi que des achats pour son entretien. Audience plus ou moins captive, n’ayant pas grand’chose de socialement acceptable dans sa vie quotidienne sinon les tâches domestiques, et dans une certaine mesure, assez isolée, la femme au foyer peut alors regarder « son feuilleton » de façon quotidienne, et tirer du sponsoring toutes les conclusions qui s’imposent lors de ses sorties au supermarché… Une équation parfaite ! La fameuse « ménagère de moins de 50 ans » est née.
    Attention : cela ne signifie pas que, sur le fond, les soaps radiophoniques sont strictement des opérations cyniques de marketing. L’un des plus célèbres soaps américains, Guiding Light, qui a démarré sa diffusion à la radio en 1937 avant de passer sur le petit écran en 1952, a vu le jour parce que sa créatrice, Irna Phillips (ci-contre, et dont je vous proposais un portrait ici), souhaitait s’inspirer des sermons qui l’avaient aidée à traverser une période difficile dans sa jeunesse. A 19 ans, tombée enceinte sans être mariée, elle avait en effet dû accoucher d’un bébé mort-né ; une expérience traumatisante à plusieurs niveaux. Elle voulait apporter à ses auditrices puis spectatrices le même type de réconfort que celui qui l’avait encouragée dans ses études universitaires et, par la suite, dans sa carrière de scénariste. Non mais franchement, à quand le biopic sur Irna Phillips, ça va bien maintenant.

    En-dehors de celles qui les écrivent et de celles qui les regardent, il subsiste une attitude très méprisante vis-à-vis de ces séries lors de leur arrivée sur le petit écran. Ces fictions sont vues comme simplistes, trop portées sur l’émotion, ou encore vulgaires. Le procédé de cliffhanger de fin d’épisode, introduit par Phillips, est également critiqué.
    Pour mémoire, à ce moment-là, la fiction à la télévision est très peu portée sur le feuilletonnant. Les autres genres les plus représentés sont en effet le téléfilm (ou la pièce filmée), la série d’anthologie, la comédie domestique ; à la fin des années 40 est apparu le western, longtemps sous un format purement procédural. A ce moment-là de l’histoire télévisuelle, la fiction sérielle n’est pas une opération de fidélisation à une intrigue, mais plutôt à des personnages (mettons, un couple marié, pour prendre l’exemple de Mary Kay and Johnny) ou même à des marques (la plupart des anthologies portent le nom de leur sponsor ; je vous renvoie là encore à l’histoire de la publicité à la télévision).
    Ce que les soap operas font à ce moment-là, avec des intrigues qui s’étirent au-delà d’un épisode, et des relations interpersonnelles qu’il faut garder en tête pour comprendre tous les tenants et aboutissants, est encore très marginal.

    De ces origines, on peut tirer deux conclusions : d’une part, que le terme de « soap opera » a toujours été un peu péjoratif… et d’autre part, que les femmes ont été les premières téléphages. On leur doit tout ! L’investissement affectif sur la durée, l’attention aux détails, et l’exercice de mémorisation sur le long terme : tout ça, ce sont les spectatrices féminines qui l’ont fait d’abord, de façon de facto exclusive. De nos jours, ça s’appelle simplement prendre une série au sérieux.
    Le terme de soap opera est toujours péjoratif aujourd’hui. Ce qui soulève diverses problématiques.

    Skip

    Pour commencer, le soap opera est un grand absent des discussions sur la télévision.

    Comparé à d’autres formes télévisuelles, c’est même une constante dans son histoire : depuis les premiers critiques de télévision, c’est généralement la télévision de primetime qui a droit à tous les égards. A ses débuts, à part en des termes peu élogieux, le soap n’est pas vraiment traité. Dans leur article de 2015 intitulé « Soap Operas and Artistic Legitimation: The Role of Critical Commentary » (qui étudie plusieurs décennies d’articles dans le New York Times), C. Lee Harrington, Melissa Scardaville, Stephen Lippmann et Denise D. Bielby reviennent sur cette période. Elles parlent d’une légitimité économique et populaire, acquise bien avant d’espérer gagner la moindre légitimité artistique.
    Les raisons de ce désamour de la critique sont multiples, mais l’une d’entre elles et non des moindres est que… le public-cible des soaps est considéré comme peu capable de comprendre, ou même de s’intéresser à des analyses complexes. Du coup à quoi bon s’embêter à donner du caviar aux cochons ?

    Il faudra attendre les années 70 pour que quelque chose change, en grande partie grâce au lancement de supports dédiés à parler du soap opera. Puisqu’il faut tout faire soi-même ! En 1967 est ainsi lancé Daytime TV, un magazine spécialement dédié à l’actualité du soap, qui propose de parler de ses séries, de ses actrices, de ses scénaristes, de son actualité. Le premier numéro (voir sa couverture ci-contre ; cliquer pour agrandir), qui compte environ 80 pages, fait la part belle aux photos, mais propose aussi des articles et des interviews, ce qui pour la première fois permet de laisser penser que celles qui font des soaps ont quelque chose à en dire. La parution de Daytime TV ouvre la porte à plusieurs publications similaires dans les années qui suivent, qui s’accompagne aussi d’une démarche de l’institution du TV Guide, dans laquelle à partir de cette période on commence à trouver des dossiers sur des soaps, jusque là grands absents de ses articles longs. C’est dans cette période d’engouement qu’est né Soap Opera Digest, en 1975 ; ses numéros hebdomadaires (même si aujourd’hui leur tirage a largement diminué) continuent d’être considérés comme une référence.
    La création de ces médias spécialisés crée cependant une distinction de fait : les amatrices de soap operas ne sont pas des spectatrices comme les autres. Elles ont leurs propres canaux d’information, et leur façon de vivre leur passion pour ces séries doit se dérouler à part du reste de la consommation de la télévision.

    Fort heureusement elles n’étaient pas toutes seules. A partir des années 70, on a aussi pu assister à une reconquête féministe du soap opera, en particulier dans le milieu académique. Une partie de cette démarche tenait évidemment aux origines éminemment féminines de ce genre télévisuel (en particulier à la télévision américaine, où l’on trouvait de nombreuses femmes au scénario), mais venait aussi du fait que peu voire pas de littérature à ce sujet avait été publiée précédemment. Des chercheuses féministes ont relevé ce manque, le considérant comme symptomatique.
    La critique Tania Modleski portait par exemple un regard bien spécifique sur ce genre télévisuel ; dans « The Search for Tomorrow in Today’s Soap Operas« , publié en 1979, elle avance notamment que la forme narrative du soap reflète symboliquement la forme de la vie de son coeur de cible. « Soap operas invest exquisite pleasure in the central condition of a woman’s life : waiting — whether for her phone to ring, for the baby to take its nap, or for the family to be reunited shortly after the day’s final soap opera has left its family still struggling against dissolution » (« les soap operas investissent un plaisir exquis dans la condition centrale de la vie d’une femme : attendre — que ce soit que son téléphone sonne, que le bébé fasse sa sieste, ou que la famille soit réunie peu après que le dernier soap opera de la journée ait laissé sa famille se débattre contre la dissolution »). Elle a également théorisé que le soap, souvent écrit par des femmes, diffusé pour des femmes, sponsorisé par des produits marketés pour des femmes, et portant généralement sur des personnages de femmes, remplissait une fonction prescriptive, comme une mère donnant des instructions à sa fille pour l’aider à l’imiter (c’est la notion de « matriarchal soap« ).
    Ce n’est qu’un exemple, je pourrais aussi mentionner des critiques comme Ien Ang (qui a écrit dans les années 80, au pic de la popularité des soaps et primetime soaps), Dorothy Hobson (une Britannique intéressée entre autres par les aspects industriel et économique du soap), ou Lesley Henderson (qui s’est focalisée sur l’impact social du soap opera, principalement britannique)…
    Des regards portés sur le soap qui ne s’avérent pas nécessairement cléments, mais qui permettent de l’étudier avec autant d’intérêt que d’autres genres télévisuels.

    Aujourd’hui encore, qu’il s’agisse de critiques analytiques ou de reviews, en passant par de simples news casting, il est assez difficile de se tenir informée sur un soap opera en particulier, quel qu’il soit, via les canaux pourtant dédiés à la télévision. A part, peut-être, quand un acteur est viré faute d’avoir accepté de se faire vacciner, ou un sujet similaire dans l’air du temps…
    D’ailleurs, aux Etats-Unis, le daytime a sa propre cérémonie de récompenses : on ne mélange pas les torchons et les serviettes. Le soap n’est pas une vraie série.

    Tide

    Pourtant, il y aurait des choses à en dire, sur le soap opera en tant que genre. Notamment sur l’évolution de sa popularité, qui par les temps qui courent est un cas extrêmement intéressant à observer.

    Non content d’être le premier genre télévisuel feuilletonnant, le soap opera a ainsi la spécificité d’être le genre télévisuel le plus contagieux. C’est même assez évident lorsqu’on constate les fluctuations des durées d’épisodes au cours de l’Histoire de la télévision mondiale, directement influencées par la durée de épisodes de soaps américains et leur exportation !
    La propagation du soap a en outre donné naissance à des genres locaux, comme la telenovela en Amérique du Sud ou l’asadora au Japon, qui ont développé leurs propres codes (autant en matière de production que de narration) au fil des décennies. Ainsi la telenovela, contrairement aux soaps anglophones (les soaps britanniques ou australiens ayant généralement absorbé les propriétés des soaps américains), a-t-elle pour caractéristique principale d’avoir une durée précise, et donc une fin. Il peut lui arriver de jouer les prolongations, par exemple en décrochant une nouvelle saison, mais sa vocation n’est pas de durer indéfiniment.

    La telenovela sud-américaine elle-même est devenue une inspiration pour de nombreuses télévisions de la planète. Par exemple sur les écrans de l’URSS, acheter les droits de diffusion de telenovelas constituait une alternative pour acquérir des heures de programmes sans acheter de séries américaines ; cela a inspiré l’industrie télévisuelle locale qui a ensuite investi à son tour dans des telenovelas faites maison. On cite généralement la série brésilienne Escrava Isaura (ci-contre) comme l’une des plus significatives dans cette transformation, de par son succès international, et son impact est encore palpable aujourd’hui dans les pays de l’Est et la Russie.
    Dans le même ordre d’idées, le premier soap opera indien, Hum Log, a été créé après la visite du ministre Vasant Sathe au Mexique en 1982 (je vous racontais cette anecdote par exemple dans cet article sur la télévision indienne).

    Autre spécificité, moins enthousiasmante : aux USA, le soap opera est l’un des rares genres à n’avoir absolument pas profité de la fameuse « Peak TV ».
    Alors qu’on produit plus de séries étasuniennes que jamais dans l’Histoire de la télévision, les soaps se sont trouvés annulés et remplacés (notamment par des talk shows de daytime). Le choc a par exemple été rude lorsque Guiding Light, que j’évoquais plus haut, s’est vue reléguée au banc de touche par CBS en 2009. Une institution de plusieurs milliers d’épisodes qui, depuis des décennies, semblait absolument indéboulonnable !
    La même industrie qui comptait 18 soaps en 1969 n’en a désormais plus que 4 à l’antenne, autant dire des survivantes : General Hospital (depuis 1963, la doyenne), Days of Our Lives (1965), The Young and the Restless (1973) et The Bold and the Beautiful (1987, la cadette). Aucune autre forme télévisuelle ne vit une crise similaire sur le petit écran américain.
    C’est également vrai dans d’autres pays (je vous renvoie là encore à l’article sur les séries hebdomadaires indiennes que je mentionnais plus haut). Après avoir longtemps été la voie royale pour la télévision de nombreux pays du monde, le soap tombe lentement en désuétude dans plusieurs régions de la planète, ou au moins, connaît des mutations. Par exemple en Afrique du Sud, où le soap « ad vitam æternam » à l’américaine a longtemps eu cours, ce sont désormais plutôt des telenovelas qui s’épanouissent sur le petit écran, comme The Wife, lancée ce mois-ci par Showmax et qui a battu le record de vues de la plateforme (surpassant même Game of Thrones en l’espace de 4 jours). Mais The Wife, bien qu’étant conçue et vendue comme une telenovela… est diffusée hebdomadairement.

    Dans de nombreux pays, dont les USA, les soaps modernes sont en effet des primetime soaps hebdomadaires, généralement. Ils n’ont rien de nouveau (comme en témoigne l’enthousiasme planétaire suscité par Dallas dans les années 80), mais ils sont devenus l’alternative au séries quotidiennes de nos aînées. Ces séries peuvent elles aussi jouir d’une belle longévité (par exemple Grey’s Anatomy est à l’antenne depuis quasiment deux décennies), mais la comparaison s’arrête généralement là. Il est très rare que les spectatrices de primetime soaps reçoivent autant de mépris que celles de daytime soaps : il est plus acceptable de regarder ce type de séries, plus proches des standards érigés comme incontournables par les autres genres télévisuels.
    Et il ne faut pas compter sur le streaming pour reprendre la main. En fait, le soap est LE genre télévisuel ignoré par des plateformes de SVOD, s’il en est un. Certes, plusieurs de ces plateformes font l’acquisition telenovelas produites en Amérique du Sud pour épaissir leur catalogue, en revanche il ne leur arrive pas vraiment d’en commander parmi leurs séries originales.
    En un sens, ce n’est pas réellement étonnant, dans la mesure où les plateformes n’ont pas d’impératif de diffusion régulière, et ne sont donc pas confrontées aux enjeux d’une diffusion fidélisatrice comme celle du soap. La plupart des séries de streaming ne sont même diffusées hebdomadairement, alors quotidiennement ?! Mais au-delà de ces considérations, force est de constater que c’est la seule niche de programmation qui n’intéresse pas franchement Netflix, Amazon ou Disney+, entre autres.

    Ou plutôt… pas en l’état. Car à côté de ça, ces mêmes plateformes n’hésitent pas à commander des séries reprenant des ingrédients des telenovelas. Le cas le plus criant est celui de Narcos, directement inspiré par le succès des narconovelas (les telenovelas s’intéressant au trafic de drogues) jusqu’à y faire référence dans son titre… mais avec moins d’épisodes et plus de budget. Et une distribution beaucoup plus masculine, d’ailleurs. On pourrait aussi citer des séries comme La Casa de las Flores, qui là encore emprunte aux codes de la telenovela, mais à raison d’une dizaine à douzaine d’épisodes par saison.
    L’idée qui revient souvent est que le soap a besoin d’être modernisé… ce que personne ne nie (comme tout genre télévisuel il doit évoluer avec son temps), mais qui ne devrait pas nécessairement se traduire par un changement total de son format. Comme d’habitude, pour Netflix et consorts, la modernité signifie passer toute tradition télévisuelle existante sous un rouleau compresseur unifiant.
    Est-ce qu’on en a totalement fini avec le soap opera quotidien ? Pas forcément. Cette année, peacock a tenté quelque chose de neuf : elle a proposé un spin-off pour Days of Our Lives (dont elle offre aussi les épisodes après leur diffusion sur NBC), une mini-série intitulée Days of Our Lives: Beyond Salem. Bien que la saison ne dispose que de 5 épisodes, ceux-ci ont été mis à disposition sur la plateforme à un rythme quotidien (pendant une semaine continue, donc). L’initiative a eu assez de succès pour que d’autres spin-offs soient prévus, même si pour l’instant le premier d’entre eux sera sous la forme d’un film de Noël le mois prochain. L’avantage du rythme de production des soaps, en tout cas, c’est que ce genre de choses peut être mis en travaux assez vite.

    Dash

    Ne pas parler de soaps aujourd’hui, ça veut dire ne pas parler de leur disparition. Mais ça signifie aussi ne pas parler des conséquences de cette disparition.
    On l’a dit : le soap opera est le genre feuilletonnant le plus ancien de l’Histoire de la télévision. Vous savez ce qui s’éteint avec lui ? Le concept-même de longévité.

    Aujourd’hui, une série est courte. Elle a de moins en moins d’épisodes, et elle a de moins en moins de saisons. Animation mise à part (qui n’est pas ma spécialité, ni une comparaison honnête en termes de production), une série américaine a actuellement de la chance si elle dure aussi longtemps que Law & Order SVU, qui en 23 ans vient d’atteindre les 500 épisodes. Et là, on est au max ! NCIS, c’est même pas encore 450 épisodes en 19 saisons, Grey’s Anatomy qu’on citait plus haut n’atteindra les 400 épisodes que si elle est renouvelée pour la saison prochaine… et on a l’impression que ces séries sont déjà des antiquités.
    Le propre d’une série hebdomadaire n’a de toute façon jamais été de durer plusieurs millers d’épisodes à la télévision, mais c’est plus vrai que jamais, alors que les plateformes de streaming tendent à ne commander des séries que pour deux voire trois saisons de 10 épisodes en moyenne.
    A titre de comparaison, le prochain épisode de General Hospital diffusé demain sera le 14 923ème…

    Alors évidemment, une série n’est pas obligée de durer aussi longtemps, ni en termes d’années et ni en termes de nombre d’épisodes. En plus, vu ce que ça coûte bien souvent de faire de la fiction, et le nombre de fictions produites, le modèle serait impossible à tenir.
    C’est juste qu’il y avait une époque, qui est en train de disparaître, pendant laquelle une série pouvait nous suivre sur des années. On la découvrait enfant (par exemple parce qu’une mère ou grand’mère la regardait), on s’y attachait à l’adolescence, on la regardait (parfois plus sporadiquement) à l’âge adulte, et le cycle continuait. Pour une série comme General Hospital, lancée en 1963, il y a environ quatre générations de spectatrices qui l’ont suivie ! Cela ne se produira bientôt plus.
    On ne se transmettra plus des séries (ou alors des séries déjà finies).
    Il y a des téléphages qui pensent que la longévité, l’inscription d’une série dans le temps, la façon dont son suivi s’entremêlent avec des années de notre vie, est pourtant fondatrice de l’art télévisuel. Ces téléphages-là vont avoir besoin de changer de crédo, ou de devenir des nostalgiques, au choix.

    Derrière cette inquiétude il y en a une autre encore plus sournoise : le daytime soap était un vivier de talents incroyable pour la télévision. Un nombre énorme d’actrices y ont fait leurs débuts, y ont trouvé leur premier cachet stable, y ont appris le métier, avant de passer à d’autres genres télévisuels (…et parfois avant d’y revenir, aussi). Si Joey Tribbiani n’avait pas obtenu un rôle dans un soap, il aurait probablement dû continuer à poser dans des campagnes publicitaires pour des traitements contre les maladies vénériennes !
    La liste est longue, mais mentionnons par exemple Mark Hamill (en 1972 et 1973 dans General Hospital), Laurence Fishburn (entre 1973 et 1976 dans One Life to Live), Bryan Cranston (Loving ; de 1983 à 1985), Demi Moore (General Hospital entre 1982 et 1984), Julianne Moore (aucun lien de famille ; The Edge of Night en 1984, puis As the World Turns de 1985 à 1988), Leonardo DiCaprio (un arc de 5 épisodes dans Santa Barbara en 1990, avant même Growing Pains qui est souvent mentionné comme son premier rôle à la télé), Jensen Ackles (entre 1997 et 2000 dans Days of Our Lives), Eva Longoria (1 épisode de General Hospital avant d’embrayer sur The Young and the Restless entre 2001 et 2003), Justin Hartley (Passions entre 2002 et 2006)… Même Morgan Freeman a vécu entre autres de petits rôles dans des soaps pendant les années 80. Vous m’avez bien lue : Dieu était au générique de Ryan’s Hope et Another World ! Au passage, quasiment tous les primetime soaps ont fait leur marché dans la distribution de daytime soaps… l’expérience étant un atout logique quand on passe d’un genre télévisuel à l’autre.
    A quoi ressemblent les carrières des actrices qui, aujourd’hui, ont moins d’opportunités de jouer dans des soaps ? Bien malin qui peut calculer précisément l’impact de la disparition progressive des soaps, bien-sûr. Mais quand on sait que seulement 2% des actrices environ réussissent à vivre de leur métier, et que le modèle de cast pléthorique des daytime soaps est en voie de disparition… ça laisse quand même un arrière-goût amer sur les perspectives de carrière des interprètes de demain.

    Ce genre télévisuel est aussi bien souvent une opportunité d’endosser un même rôle pendant des années. Susan Lucci a incarné Erica Kane dans All My Children pendant 41 ans (ci-contre), et Erika Slezak a joué Victoria Lord pendant 42 ans dans One Life to Live ! Qui peut prétendre à une telle carrière désormais ?
    Encore une fois on peut considérer que c’est enrichissant, pour une actrice, de changer de rôle régulièrement. Admettons qu’interpréter le même personnage pendant des décennies n’est pas notre idéal de créativité artistique, mais on peut difficilement prétendre que toutes les actrices le souhaitent : certaines sont parfaitement ravies d’avoir cette vie professionnelle-là. Dans une industrie comme celle du divertissement, un emploi stable, ce n’est pas un détail, d’ailleurs.
    D’ailleurs pendant longtemps, le soap opera était l’un des rares recoins de l’industrie télévisuelle où les femmes de plus de 40 ans pouvaient avoir un rôle (et le garder) qui sorte des clichés de la grand’mère sénile. En 1997 dans « Cross-cultural Communication and Aging in the United States« , la professeure Hana Noor Al-Deen avait comparé 10 soap operas, ayant au total, à ce moment-là, 328 actrices au générique. Parmi elles, la chercheuse avait comptabilisé 42 protagonistes âgées de plus de 51 ans, légèrement plus que la moyenne des séries de primetime. Les protagonistes avaient souvent le même profil (en règle générale : blanches, d’une classe sociale aisée, chrétienne, sans aucune maladie ou handicap, mariée au moins une fois, avec un travail, etc. bref les caractéristiques de beaucoup de personnages de soaps tous âges confondus), mais avait déterminé que ces représentations étaient très différentes des stéréotypes sur les personnes âgées communément admises dans les autres genres télévisuels ou même la publicité.
    A moins que la télévision de primetime et de streaming ne souhaite investir durablement dans un effort pour changer son approche de protagonistes de cette tranche d’âge, le soap reste l’un des derniers bastions où c’est possible de voir des personnes âgées qui sont des personnes complexes.
    Précisons aussi, puisqu’on est là à papoter, que le soap opera (tout comme une solide proportion de ses spectatrices) est, presque par définition, très conservateur, a minima dans sa forme, et dans une certaine mesure également sur le fond. Du coup, pour certaines actrices, cette industrie est l’une des rares où le travail est compatible avec des valeurs conservatrices. Sa lente disparition pose des questions complémentaires dans le climat actuel… Personnellement je préfère ces séries sur CBS que, pour caricaturer, sur Fox News.

    Il y a donc bien des choses à dire du soap opera, de son histoire et de son (bien incertain) avenir. Encore faut-il les dire.
    Le problème c’est qu’à l’heure actuelle, même après le travail de déconstruction opéré pendant les dernières décennies sur la place du soap dans la production TV, sur ses représentations parfois révolutionnaires (la plupart des « premières fois » de fiction ont eu lieu dans des soaps, comme pour l’avortement), ou sur les habitudes de consommation des premières téléspectatrices (qui, pour l’essentiel, ne sont pas très différentes des nôtres), le soap est encore et toujours le parent pauvre de la télévision. On n’en parle pas, on ne le reviewe pas, on fait comme s’il n’existait pas.

    Qu’on soit bien claires : je ne jette la pierre à personne en particulier.
    C’est un point aveugle de ma propre consommation : je suis capable de parler de soaps en théorie (case in point), mais j’en regarde très peu. Personnellement, mon excuse, c’est que je suis allergique à la romance et que la plupart des soaps sont plein de ces intrigues qui me hérissent le poil, mais bon, ça reste une excuse. Malgré cela, je suis à peu près sûre qu’il y a des soaps ou telenovelas qui pourraient m’intéresser si je les testais, mais souvent je ne regarde même pas leur premier épisode pour voir de quoi ils sont faits. Pire encore, ma seconde excuse c’est que j’ai déjà pas toujours la patience pour finir une série chinoise de 36 épisodes, alors me lancer dans un soap…
    On est toutes comme ça, à un degré ou à un autre, et pour des raisons qui nous sont propres. Et à l’heure où 712 séries démarrent chaque semaine, personne n’est totalement à blâmer, il faut bien faire des choix… mais ces choix ne se font pas dans le néant, non plus.
    C’est pourquoi j’espère que ce petit tour d’horizon nous permettra à toutes de nous interroger sur les raisons qui font qu’on ignore quasi-systématiquement les soap operas lorsque nous faisons nos choix.

    La réalité, c’est qu’il y a un public pour les soaps, comme en témoignent les audiences d’Un si grand soleil ; d’ailleurs en France, Influences mise à part, on voit bien que le genre est en plein boom depuis un peu plus d’une décennie, revigoré par le lancement de Plus Belle la Vie. Ce public, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement très différent de celui qui consomme des primetime soaps (newsflash : quelqu’un peut regarder plusieurs séries très différentes !), on ne s’adresse pas à lui quand on parle de séries. On ne parle pas de ce pan entier de l’industrie qui est en train de vivre ce que, dans un élan euphémique, je vais appeler une importante mutation. Voilà, disons ça comme ça.
    Du coup, pour me faire pardonner, ce soir, je publie aussi une review de pilote portant sur un soap, plus précisément une telenovela sud-africaine. Certes ce n’est qu’une seule review, mais c’est déjà plus que ce que j’ai publié ces derniers mois. Baby steps.


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  • L’eau qui dort

    21 novembre 2021 à 17:29 • Review vers le futur •

    L’un des (nombreux) avantages de l’ère téléphagique faste qui est la nôtre, c’est que même au beau milieu du mois de novembre, il se trouve toujours une chaîne quelque part pour lancer une nouveauté. Cette semaine, cette chaîne, c’était par exemple Canal+ Afrique, qui proposait sa nouvelle série originale, Mami Wata. La branche africaine de la chaîne cryptée a en effet pas mal investi dans la fiction locale ces derniers temps ; on a pu parler par exemple de Sakho & Mangane l’an dernier.
    La série gabonaise Mami Wata démarre sur le petit écran alors qu’elle a fraîchement été primée le mois dernier lors du FESPACO (le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou, qui comme son appellation complète le souligne, propose également une sélection de séries). En effet, elle y a reçu le prix de la deuxième meilleure série, juste derrière la fiction sénégalaise Walabok, une plongée violente dans l’univers du rap réalisée dans un style documentaire.

    Cependant, dans Mami Wata: Le mystère d’Iveza (son nom complet si l’on inclut la tagline), on ne fait pas dans l’hyperréalisme. Sur Canal+ Afrique, on nourrit une affinité pour les séries fantastiques. Après tout, c’était déjà le cas pour Sakho & Mangane, mais aussi la mini-série Manjak plus tôt cet automne ; en outre, c’est également elle qui diffusait Dead Places dans les pays d’Afrique francophone où la chaîne est présente.
    Pourtant le plus curieux est que, malgré cet héritage, Mami Wata m’a surtout évoqué… des polars scandinaves.

    Oliwina est une journaliste émérite, star de sa rédaction, qui revient au Burkina Faso après une semaine de reportage au Mali ; un déplacement pendant lequel elle n’avait aucun contact avec l’extérieur, faute d’accès à une connexion quelconque. A son retour à Ouagadougou, où elle vit et se prépare même à emménager bientôt avec son petit ami, elle découvre que son jeune frère Pao lui a laissé de très nombreux messages sibyllins, forcément restés sans réponse vu les conditions de son déplacement professionnel. Hélas, il est trop tard : quelques heures après son retour chez elle, Oliwina apprend que Pao a disparu. Elle prend alors la décision de retourner au Gabon, dans sa ville natale d’Agouwé… où elle n’a pas mis les pieds depuis une quinzaine d’années.
    Mami Wata, c’est certes l’investigation autour de la disparition mystérieuse de cet adolescent (un garçon, pour une fois ; ça nous change), mais c’est surtout une portrait d’Oliwina, doublé d’une exploration de son histoire familiale compliquée.

    Le premier épisode est en effet ponctué de plusieurs flashbacks nous indiquant que, si aujourd’hui elle se sent inquiète pour son jeune frère, il n’en a pas toujours été ainsi. Enfant, elle n’avait qu’un souhait : se débarrasser de ce bébé bruyant et envahissant dont ses parents (comme à beaucoup d’aînées) lui faisaient porter la responsabilité. Plus l’épisode introductif avance, plus on saisit l’ampleur de la colère de la petite fille… qui explique bien des choses sur son départ pour l’étranger, ainsi que sur le regard que sa famille comme le reste de la ville pose sur elle au moment de son retour.
    Je trouve le sujet absolument fascinant parce que, dans l’ensemble, on ne parle pas vraiment de ce genre de relations entre adelphes dans les séries (et pas vraiment plus ailleurs). Ce ressentiment que, enfant, Oliwina ressentait envers son frère (qui évidemment n’y pouvait rien) parce que ses parents se déchargeaient un peu trop sur elle, je ne réalise que maintenant combien c’est quelque chose qui peine à s’exprimer dans la fiction… et pourtant assez naturel chez des ex-enfants uniques qui ne comprennent pas les besoins spécifiques d’un nourrisson. Cela n’empêche clairement pas Oliwina, une fois adulte, d’éprouver de l’affection et de la peur pour son petit frère aujourd’hui adolescent, mais les choses n’allaient pas de soi au départ. Être une sœur, et plus encore une grande sœur, ça s’apprend. De gré ou de force.
    Surtout dans une famille comme celle d’Oliwina. Mami Wata fait vraiment un travail épatant lorsqu’il s’agit de montrer les dynamiques de cette famille dont, de toute évidence, la jeune femme s’est éloignée autant que possible pendant une décennie et demie. Les relations avec sa mère sont tendues, mais ce n’est rien à côté de son père, un homme politique autoritaire dont elle se méfie (et qui le lui rend bien). Dans cette maison gabonaise où elle n’a plus vraiment sa place depuis qu’elle est partie vivre au loin, la voix d’Oliwina est étouffée quand elle parle de Pao, comme si elle parlait d’un mort… mais en réalité, on comprend que l’étouffement dépasse les circonstances de la disparition de l’adolescent. Ce qui est enterré, c’est le lien familial. Cette vérité prend à la gorge à chaque interaction entre la jeune femme et son père ; je doute qu’il existe quoi que ce soit qui puisse un jour les rapprocher.

    Approfondir l’histoire familiale de ces personnages pendant que se déroulent les recherches pour retrouver Pao suffisait largement à garantir à Mami Wata de trouver sa « double histoire » (ce procédé narratif qui a permis la popularité internationale des polars scandinaves ces 15 à 20 dernières années, et que j’expliquais par exemple ici). La radiographie de cette famille qui n’a jamais réussi à en former une est passionnante, et en moins d’une heure, le premier épisode fait un travail formidable pour en dessiner des contours déjà très précis.
    Pourtant, à ma grande surprise, ce n’est pas le seul discours mis en place par l’exposition de Mami Wata. Un autre sujet pointe son nez, légèrement plus intéressé par des considérations plus larges sur la société gabonaise. Dés ce premier épisode, il apparaît ainsi que plein de monde se désintéresse totalement de Pao, ayant décrété d’office que l’adolescent a fait une simple fugue. Il finira par reparaître, entend-on à quelques reprises comme sous le coup de l’évidence… une évidence qui n’apparaît pas à Oliwina. Celle-ci va passer une bonne partie de l’épisode inaugural à essayer de comprendre pourquoi personne ne se bouge (donnant une tournure plus naturelle à sa propre prise en main de l’enquête), et se heurte non seulement à son père mais aussi… à la police.

    Mami Wata propose plusieurs scènes assez glaçantes pendant lesquelles différentes employées de la police l’envoient purement et simplement chier. Il faut revenir plus tard, le commissariat est fermé. Il faut revenir plus tard, c’est ma pause. Il faut revenir plus tard, on n’a pas le temps (…ou plutôt l’envie). Il faut arrêter de poser des questions, surtout. Même le commissaire va la foutre dehors et jeter sa carte de visite. Il semble parfaitement acquis qu’elle est la seule à s’inquiéter, mais qu’il n’y a aucune raison de le faire. Après tout, plein d’adolescents font des fugues (…la police semble se désintéresser du « pourquoi » autant que du « où », d’ailleurs). Surtout un fils de député, comme Pao, un gamin supposément pourri-gâté qui ne suscite que le mépris. Le premier épisode va vraiment insister sur cette notion que, presque contre-intuitivement, la position de pouvoir du père d’Oliwina n’ouvre pas droit à des privilèges, mais au contraire à du dédain ; en réalité, à Agouwé, personne n’aime sa famille, ce n’est pas qu’elle. La journaliste elle-même, bien que dépitée, n’est pas réellement surprise par ce manque d’entrain ; elle s’attend plus ou moins d’ailleurs à ce que le seul flic qui finit par enfin prendre l’affaire au sérieux soit simplement en train de demander un pot-de-vin…
    Ce qui se dit du système judiciaire au travers de ces échanges est glaçant. Et c’est, là encore, vraiment quelque chose qu’on voit peu dans la fiction. A l’heure où l’on parle de plus en plus de la difficulté à déposer plainte dans certaines affaires, a fortiori pour des femmes (dans le cas de violences physiques et/ou sexuelles par exemple), je trouve étonnamment rare cette façon de présenter une police qui fait défaut. Rare, mais courageuse. Je me demande ce que la série va faire de cet angle à mesure que progresse l’intrigue, une fois qu’il est établi qu’Oliwina va travailler sans l’aide de l’institution policière, avec juste UN flic un peu plus consciencieux que les autres.

    Et par là-dessus, enfin, il me faut dire quelques mots de l’aspect surnaturel de la série. Parce que Mami Wata, décidément très ambitieuse, plante aussi quelques graines qui devraient germer dans les épisodes suivants. Décidément, quel premier épisode dense !
    Le choix qui est fait ici est d’autant plus intrigant que l’aspect fantastique s’impose dés les premières minutes de l’épisode, pour ensuite faire uniquement des apparitions sporadiques et allusives. J’ai pourtant ressenti un frisson véritable, de concert avec Oliwina, lorsque cette dimension s’est présentée à elle dans sa salle de bain en début d’épisode. La sensation ne m’a plus vraiment quittée.
    La récurrence de l’eau comme danger dans Mami Wata fait rapidement son petit effet. Elle commence déjà à s’expliquer en partie, bien-sûr, dont on prend la mesure au gré des flashbacks. L’effet est réussi, parce qu’amené rapidement et ensuite rappelé par petites touches pour perpétuer l’inconfort. Dans cette série, l’eau n’augure de rien de bon, ni pour les vivants ni en ce qui concerne… l’inexplicable. Et pourtant, Agouwé est complètement encerclée par l’eau, que ce soit celle de l’océan ou celle des mangroves ; on ne peut y échapper. Encore moins quand il pleut. Le clapotis des vagues ou le filet d’eau du robinet comme menace, je n’aurais jamais pensé que ça fonctionne autant, et pourtant j’ai commencé à être nerveuse à chaque fois que je voyais de l’eau apparaître. Il me manque sûrement quelques références pour en comprendre tous les tenants et aboutissants (« Mami Wata » est par exemple le surnom donné à Oliwina dans sa ville natale… et je ne suis pas certaine d’avoir exactement compris ce qu’il signifie, même si j’ai mes soupçons), mais reste qu’il est impossible de ne pas se figer quand, soudain, le liquide fait son apparition. Qui sait ce qui se trame sous la surface…
    Est-ce qu’on s’imagine des choses ? Mami Wata fait semblant de cultiver pendant un court temps une légère ambiguïté ; mais qu’on ne s’y trompe pas. Si l’eau est effrayante, c’est qu’il y a une bonne raison. Même si on ne la connaît pas encore totalement, en tout cas on la perçoit.

    Cet épisode introductif de Mami Wata marquait mon tout premier visionnage d’une série gabonaise ; je suis donc bien en peine de vous dire comment elle se situe par rapport au reste de la production nationale (je ne demande qu’à ce qu’on me fournisse des éléments de comparaison !). Certes il semble que le budget soit confortable (les scènes de nuit ont vraiment un éclairage envoûtant), mais pour le reste je ne saurais trop dire. En tout cas, entre les éléments dont je vous ai parlé et ceux que j’ai tus, au cas où il vous viendrait l’envie de découvrir la série (pour l’instant avec les moyens du bord), je suis plus que convaincue. La maîtrise de Mami Wata est évidente même en low resolution, et d’ailleurs sa créatrice Samantha Biffot n’en est pas à son coup d’essai (et même pas à son premier prix au FESPACO).
    C’est le genre de séries pour lesquelles il n’y a aucune raison pour ne pas les importer chez nous, en tout cas aucune raison valable, à plus forte raison parce que Mami Wata était également projetée (même si pas en compétition officielle) lors de CANNESERIES. Les responsables de chaînes n’ont aucune excuse. Je ne veux rien entendre.
    Avec ou sans leur aide, j’espère que je pourrai voir les épisodes suivants, et si possible dans une qualité qui me permette de profiter des splendides scènes de nuit de la série. Même si, bon, dans le même temps… je vais prendre ma prochaine douche avec l’esprit pas très tranquille, ce soir.


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  • Président malgré lui

    20 novembre 2021 à 21:39 • Telephage-o-thèque •

    Est-ce qu’on peut parler d’arte ? Est-ce qu’on peut se poser pendant, disons, 10 minutes, et s’arrêter sur l’extrême perfection de la programmation internationale d’arte en ce moment ? Alors, certes, ce n’est pas nouveau, ça fait des années qu’arte se démène comme le plus beau des diables pour nous offrir des séries venues de quasiment partout, pour nous offrir de réelles alternatives aux clichés éculés de ce que les autres diffuseurs importent souvent par réflexe ou frilosité. Mais quand même, il faut qu’on s’arrête sur ce que la chaîne franco-allemande a accompli ces derniers temps, qui, à mon sens en tout cas, est à ce jour sa meilleure année en séries importées. Et pas que sur son antenne, mais aussi sur sa plateforme, arte.tv, où on trouve un choix ébouriffant de séries sortant des lieux communs.
    Est-ce qu’on peut, je sais pas, prendre une grande inspiration et en lister quelques unes, aucune bonne action ne devant rester impunie. Comme l’islandaise Jarðarförin mín (reviewée il y a quelques semaines), la sud-africaine Hopeville (j’aurais bien voulu qu’elle sorte en DVD celle-là, cela dit, en plus Noël et mon anniversaire arrivent…), l’israélienne BeTipul (à ce stade à considérer comme un absolu classique), l’italienne Anna (quoique j’aie eu la mauvaise idée de la regarder pendant une semaine durant laquelle j’essayais de bosser sur une review de Sweet Tooth…), ou la co-production franco-iranienne Happiness… Est-ce qu’on peut mentionner qu’il s’agit de l’une des rares en France à avoir proposé une série japonaise live action, Saka no Tochu no Ie (sous le titre littéral La maison de la rue en pente) ? Et pas n’importe laquelle : une très bonne série de la chaîne du satellite WOWOW, l’un des plus ambitieux diffuseurs nippons ! Je sais pas si vous réalisez.
    Et puisqu’on est là, à jeter des fleurs, est-ce qu’on peut en profiter pour saluer aussi son sens du détail, genre annoncer clairement quand une série sera retirée de son catalogue, pour que les téléphages s’organisent librement soit pour regarder les épisodes, soit pour les commander en DVD quand le coffret existe ? Qui d’autre a cette délicatesse, par les temps qui courent, pendant que d’autres plateformes font disparaître certains titres de leur catalogue du jour au lendemain comme des yaourts périmés ?

    arte, je suis retombée amoureuse d’elle cette année. Franchement, la seule raison pour laquelle je ne demande pas à cette chaîne de m’épouser, c’est que je m’en voudrais de la garder pour moi seule. Mais le cœur y est, croyez-le.
    Toutefois, qu’on se le dise : cet amour est clairement réciproque. En tout cas je ne vois pas d’autre façon d’interpréter le geste du diffuseur franco-allemand, consistant à proposer depuis cette semaine la comédie politique Sluga Narodu (sous le titre Serviteur du Peuple). Une série ukrainienne, une industrie dont les séries ne nous parviennent quasiment jamais ! Datant de 2015, en plus ! Alors que, entre nous soit dit, l’accès aux séries internationales ayant plus de 5 ans relève très souvent du défi le plus total… Et en plus, Sluga Narodu est sûrement la série ukrainienne la plus importante de toute l’Histoire.
    Et vous voudriez que je ne ressente pas de papillons dans le ventre à l’évocation d’arte ?!

    Le premier épisode de Sluga Narodu commence un matin comme il y en a tant d’autres, dans un immeuble un peu vétuste d’un petit quartier modeste. S’y réveille Vassili Petrovitch Goloborodko, un peu en retard, un professeur d’Histoire divorcé, qui vit chez ses parents ainsi qu’avec sa jeune nièce (forcément, avec un salaire de prof, il faut bien ça…). Sa précipitation matinale est cependant interrompue par une curieuse visite : celle du Président ukrainien, qui débarque ce matin-là dans son salon.
    Ou plutôt : le Président sortant. Car contre toute attente, lors des élections présidentielles, Goloborodko a été élu pour lui succéder. Voilà donc notre fonctionnaire soudainement embarqué dans un périple à travers la capitale pour sa première journée de Président de l’Ukraine !

    Comment en est-il arrivé là ? Eh bien, l’épisode est régulièrement entrecoupé de flashbacks, qui nous l’expliquent : lors d’une conversation avec l’un de ses collègues, Vassili s’est énervé, ignorant être filmé par l’un de ses élèves. Fou de rage suite à un incident ayant interrompu l’un de ses cours au profit de la préparation du scrutin, il déballe tout ce qu’il a sur le cœur : pourquoi sa matière, au lieu d’être vue comme quantité négligeable, devrait être suprêmement importante pour les citoyennes de demain ; combien ce vote ne va rien changer à la réalité quotidienne des Ukrainiennes ; à quel point toutes les personnalités politiques se valent… Vous connaissez la chanson. Sauf que la video, mise en ligne sur internet par l’élève en question, dépasse en quelques jours les 5 millions de vues. Les élèves lancent même une campagne de crowdfunding pour que Vassili puisse déposer sa candidature ! Résultat ? Eh bah résultat, il est maintenant Président. Même si c’est à son corps défendant.

    Difficile de nier le propos qui dirige l’intrigue de Sluga Narodu : il est répété à n’en plus finir, souligné par les diverses étapes de cette journée de folie, dont la série se régale avec un ton pince-sans-rire du plus bel effet. On y oppose en permanence la vie (et l’attitude) humble de Vassili Petrovitch Goloborodko à une culture politique habituée aux passe-droits, au luxe, et aux petits arrangements entre amies. Toute la journée de Vassili se déroule avec, à ses côtés, le Président sortant, qui le guide dans chacun de ses mouvements ; hébété par la situation (on le serait à moins), notre prof ne réagit pas vraiment, et le voilà vite couvert de costumes de haute-couture et de montres hors de prix.
    A le voir embarqué dans cette aventure on commence, au nom du peuple ukrainien, à s’inquiéter : le choc de la journée, couplé aux incroyables facilités octroyées par son nouveau statut, vont-ils faire perdre à Vassili tous ses idéaux ? On obtiendra une réponse avant la fin de l’épisode, qui augure de choses bien savoureuses pour la suite.

    Pour l’instant, arte ne propose que la première saison (sur trois à l’heure actuelle, en plus de deux longs métrages), mais plusieurs raisons peuvent pousser la chaîne à envisager de nous fournir la suite.
    La première, c’est que naturellement, nous sommes nous-mêmes en pleine campagne présidentielle (comment réussir à l’oublier ?), évidemment. Sauf que, même s’il s’agit d’une comédie, sa fonction n’est pas de se moquer vraiment de son héros (contrairement à Hénaut Président par exemple) mais plutôt du système où il se trouve plongé du jour au lendemain. Sluga Narodu n’hésite pas, grâce à des personnages secondaires (qui en réalité sont les premiers à apparaître à l’écran dans ce premier épisode) à souligner combien les intérêts financiers président, et ce n’est pas un jeu de mot, à la vie politique du pays. Quand bien même il est maladroit et hésitant, et qu’il n’est personne, Goloborodko est définitivement du côté des petites gens. Du peuple. Des Riens. La série prend son parti pour dénoncer non pas un cas particulier, mais des mécanismes qui garantissent que quelqu’un comme lui ne pourrait pas se trouver dans cette situation.
    Plus largement, l’autre raison, c’est que Sluga Narodu est l’une des séries ukrainiennes les plus populaires de toute l’histoire télévisuelle : presque 20 millions de spectatrices l’ont suivie à la télévision, et les épisodes, ensuite mis en ligne sur Youtube, ont totalisé plus de 98 millions de vues. C’est également l’une des rares fictions ukrainiennes à avoir obtenu une adaptation étrangère (on en parlait dans ce fun fact en 2017, et il y avait un projet en développement pour FOX aux USA qui n’a finalement pas été commandé), et à avoir débarqué en streaming dans divers pays, via Netflix.

    Ah oui, et euh, aussi, mais c’est probablement juste un détail : son acteur principal est actuellement le Président de l’Ukraine. Pour de vrai.

    Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky, fort du succès de la série qu’il a lui-même produite avec sa société Kvartal 95, a réussi à s’imposer en 2019 dans le scrutin présidentiel. Rien moins que 73,2% des voix au second tour, quand même.
    Bon, pour lui les enjeux étaient différents de son personnage : Zelensky est un homme riche (dont le nom apparaît dans les Pandora Papers…), et il n’a pas eu besoin de crowdsourcing pour payer les frais de 2 millions nécessaires à l’inscription de sa candidature. La diffusion de la 3e saison, juste au moment des élections de 2019, a d’ailleurs suscité la polémique : comment respecter les lois électorales sur l’équité du temps de parole quand l’un des candidats est à la télévision toutes les semaines ? Et même plus : 1+1, la chaîne diffusant Sluga Narodu, proposait également à ce moment-là un documentaire spécial sur Ronald Reagan (l’acteur américain devenu Président), avec comme voix-off celle de… Zelensky. Subtil.

    Un contexte qui, bien-sûr, refroidira les plus idéalistes parmi nous (et sans nul doute parmi les électrices ukrainiennes), qui espéraient sûrement que le conte de fées politique ait une part de vrai.
    C’est toujours un peu le rêve : trouver quelqu’un qui représente les gens d’en-bas au plus haut niveau. Bien d’autres séries, chacune à leur façon, on traité de ce sujet, de la série américaine Designated Survivor et son adaptation sud-coréenne 60 il, Jijungsaengjonja ; c’était aussi, certes tourné différemment, le propos final de Malcolm in the Middle ; on pourrait aussi mentionner la série australienne Total Control, d’autant que sa 2e saison vient de démarrer ; et encore une fois je vous renvoie à Hénaut Président, parce que je l’aime bien cette petite bête (j’aurais bien voulu mettre la main sur son remake italien, Il Candidato). Bref, ce n’est pas la première fois qu’une série nous laisse imaginer ce qu’un candidat « anti-système » pourrait accomplir dans le jeu de quilles politique.
    Il ne faut toutefois pas oublier que, derrière la comédie un peu naïve (en réalité un peu populiste) de Sluga Narodu, il y a une réalité politique toute autre.

    Mais bon, sur un plan strictement téléphagique, combien de fois peut-on regarder une série qui a changé le cours d’une élection ? Pas trop souvent, j’espère.


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  • C’est cruel une ville la nuit

    14 novembre 2021 à 21:14 • Review vers le futur •

    On n’est qu’en novembre et il peut se passer encore plein de bonnes choses (le legal drama Le Code, par exemple ? en tout cas j’y ai placé quelques espoirs), mais je soupçonne avoir trouvé ma série française préférée de 2021. C’est une série originale Canal+ Décalé qui, à ma grande surprise, n’a pas fait tellement de bruit au début de mois lorsqu’elle a été lancée, mais qui est définitivement un bijou : VTC, à bout de course.

    Si vous n’avez pas envie de vous farcir toute ma review de la première saison, alors voici un résumé : tout ce que j’aime dans les thrillers high concept est condensé dans ces 5 épisodes de 15 à 25 minutes chacun. Il y a une ambiance impeccable, une inquiétude qui prend à la gorge, un portrait tremblant d’un personnage aux abois, et un soupçon de discours social. Le parfait cocktail pour se donner environ une heure et demie de frissons réussis !
    Restez quand même pour la review !

    Comme son nom l’indique, VTC, à bout de course se déroule dans le monde des « voitures de transport avec chauffeur » (on pouvait pas appeler la série « Uber, à bout de course« , les avocates de C+ en auraient eu des sueurs froides), et strictement de nuit. UNE nuit, pour être précise, car la série cultive une impression de temps réel (faussée, en réalité, mais ça fonctionne quand même), chaque épisode reprenant où s’est arrêté le précédent, et l’action d’un épisode couvrant une à deux heures de la vie de ses personnages, guère plus.

    Le premier épisode s’ouvre sur une scène comme on en voit encore peu à la télévision française, sur une jeune femme du nom de Nora qui se réveille dans sa voiture, où elle vit. Après un brin de toilette, elle commence à sillonner la capitale pour se faire un peu d’argent avec des courses de nuit. Sa seule préoccupation dans tout cela : sa fille, qui vit avec son ex (ainsi que la nouvelle compagne de celui-ci), et dont elle espère obtenir un jour la garde. Mais pour ça, elle a besoin d’un logement… et donc d’argent.
    Nora est une working poor, et sa seule possession terrestre est sa voiture. Sa vie dépend littéralement de ce véhicule à tous les égards. Enfin, non, elle a aussi un téléphone, et l’exposition de VTC nous démontre à quel point cet outil est vital aussi bien socialement (cela lui permet de parler avec sa fille, ou avec son frère Ben qui est également chauffeur) que professionnellement, puisque c’est ainsi que les courses des VTC sont systématiquement réservées. Sans avoir ni prendre le temps de l’expliciter, la série souligne quand même en creux les ressorts d’une situation économique dramatique : la pauvreté extrême de Nora pourrait encore facilement empirer, si l’un de ces deux outils venait à lui manquer. Ce qui n’est pas peu dire.

    L’événement perturbateur, car dans tout thriller il y en a toujours au moins un, se produit lorsque, pendant une conversation au téléphone avec son frère, elle assiste en direct à l’accident de celui-ci. Utilisant les outils de géolocalisation, elle se précipite dans la rue où il a envoyé sa voiture dans le décor, et a tout juste le temps d’échanger quelques mots alors que les secouristes qu’elle a appelé l’emmènent aux urgences. Ben n’est préoccupé que par une chose pendant tout cet incident/accident : le sac qu’il était en route pour remettre à un client. Nora promet de finir la course pour lui, ignorant les avertissements de son frère qu’elle met sur le compte de l’état de choc.
    Sauf qu’en amenant ledit sac à sa destination, elle se retrouve malgré elle embauchée pour des missions supplémentaires. D’autres sacs. Des courses d’autant plus suspectes qu’un mystère plane autour de tout : ce qui est transporté, par qui, pour qui, et pourquoi.

    Mais à plusieurs centaines d’euros la course, Nora s’imagine mal refuser vu sa situation. Au cours de la saison, l’un de ses mystérieux interlocuteurs lui confessera d’ailleurs que « ce business est florissant grâce à des gens comme vous ». Quelqu’un aux abois. Au début, bien-sûr, les choses se passent bien. Quand bien même elle ne comprend pas les tenants et aboutissants de ce qui lui arrive, l’opportunité est unique. Mais ensuite, les choses se compliquent, et plus Nora en apprend sur le guêpier où elle vient de mettre les pieds, plus tout va empirer… et elle est dans une position vulnérable qui l’empêche de s’en extirper. C’est un cercle vicieux d’une situation personnelle désastreuse dont des personnes peu scrupuleuses et puissantes prennent avantage. Le commentaire social s’écrit tout seul.

    La montée en puissance progressive de la tension dans VTC est vraiment réussie. Il y a très peu de temps morts, et la réalisation comme la narration prennent le soin de ménager des pauses sans vider ces respirations de sens, comme dans les incontournables montages observant à la fois Nora et ses clientes normales (entre deux commandes spéciales, elle a le droit de continuer son travail de VTC habituel). Les unes menant une vie ordinaire tandis que le stress de l’autre ne cesse de grimper…
    VTC a une relation d’amour-haine envers les nuits parisiennes, et capture avec une déconcertante acuité et une toute aussi désarmante beauté des vignettes de la vie de Nora, mais aussi de noctambules de toutes sortes. Les rues de la ville, souvent réduites à des ombres et des lampadaires, défilent de l’autre côté des vitres. Il y a une forme de poésie dans ces plans et ces moments, mais qui ne laisse jamais oublier que Paris n’est pas glamour, et surtout pas la nuit. Paris de nuit, ce sont les gens qui triment pour des revenus de misère, des deals et trafics en tous genres, des crimes étouffés dans l’eau dégueulasse de la Seine. Et en même temps, c’est le quotidien de tout un monde que les Parisiennes et touristes qui vivent le jour ne verront ni comprendront jamais. Pour Nora et celles qui vivent comme elle, c’est tout ce qu’il y a… en tout cas, à part sa fille.

    Il y a assez peu de place dans VTC pour la beauté, cependant. Les épisodes courts s’en assurent, et l’intrigue continue sa fuite en avant sans se vautrer dans le contemplatif. Cependant il faut quand même admettre que c’est de la belle ouvrage, en particulier pour une série majoritairement tournée dans ou autour d’une voiture. D’une façon générale, la profession de taxi/VTC est parfaite pour une série high concept, mais cette variation sait en tirer partie mieux que bien d’autres qui ont choisi, souvent, une articulation plus procédurale, voire anthologique (voir aussi : Suteki na Sen TAXI).
    VTC brille en outre par des dialogues plutôt réussis qui, fait rare pour une série française, sonnent très peu comme étant écrits… mais aussi ne sonnent pas du tout comme improvisés, et sont donc en grande partie épurés des tics de language courants dans ces deux cas. L’interprétation sèche et nerveuse de Golshifteh Farahani n’y est pas pour rien, elle parvient à insuffler beaucoup de colère (plus ou moins rentrée) envers à la fois la situation au sens large, et les événements que son personnage vit cette nuit-là. C’est un beau rôle, et elle le porte bien. Je ne connaissais pas du tout cette actrice mais apparemment c’est une bonne année pour elle, vu qu’elle est aussi au générique de la série américaine Invasion cet automne (que je n’ai pas encore tentée). Après ce que je viens de voir, je ne lui souhaite que du bien.

    Je ne vous révèlerai pas la conclusion de cette saison (oui, saison, pas série : avec un final comme celui-là, il DOIT y avoir une seconde saison), mais je l’ai trouvée étrangement satisfaisante dans son ultime twist. Les quelques plot holes que j’avais relevés pendant les épisodes ont trouvé, peut-être pas une solution parfaite, mais une explication parfaitement tenable, qui ouvre la porte à d’autres pics de tension à venir. VTC est un ovni de par son format, son sujet, son ambition, son ton, ses méthodes. C’est aussi le genre de série que j’imagine sans mal se bonifier avec le temps.
    C’est exactement de ça dont j’avais besoin après m’être farci ces derniers mois des épisodes moins brillants d’autres séries françaises qu’on ne nommera pas, pour la paix des familles. Vous l’ignorez pour le moment, mais c’est de ça dont vous avez besoin aussi. La première saison de VTC, à bout de course mérite amplement l’heure et demie de votre vie que vous allez (je n’en doute pas) lui consacrer, idéalement… de nuit.


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  • Closure

    13 novembre 2021 à 22:48 • Review vers le futur •

    A quoi sert la fiction ? Il n’y a pas qu’une seule réponse ; le divertissement n’en est qu’une parmi tant d’autres.

    La fiction peut offrir par exemple une exploration inoffensive d’émotions tristes, énervantes, injustes, inquiétantes ou incompréhensibles. Ce qui arrive ne nous arrive pas à nous, mais à des protagonistes imaginaires dans des situations imaginaires, que nous voyons sur un écran ; toutefois ce qu’elles traversent se ressent comme bien réel. Dans ce contrat implicite signé avec une fiction, nous pouvons nous servir de la distance offerte par l’imaginaire pour ressentir des choses difficiles, les traiter, et ensuite avoir l’opportunité de les mettre de côté. C’est ainsi que les personnes qui consomment des films d’horreur peuvent ressentir des frissons pendant une heure et demie, puis sortir de la salle de cinéma et aller manger une pizza en rigolant avec des potes. Mais comme justement les amatrices d’horreur vous le diront souvent, il ne s’agit pas forcément de se payer quelques frissons low cost ; le cinéma d’horreur, souvent très métaphorique, explore des peurs ou des préoccupations bien réelles. La fiction horrifique permet de s’y confronter, de les digérer sans être soi-même en danger, et d’avancer voire même de guérir, avec les outils propres à son genre. Comme des monstres, par exemple.

    Trigger warning : harcèlement scolaire, dépression et auto-mutilation, meurtre de masse, PTSD.

    Certaines séries l’ont compris. A cet égard, il est des nations qui s’en tirent mieux que d’autres. On sait que la télévision française rechigne à couvrir des événements traumatisants ; a contrario, la télévision québécoise va au contraire souvent les chercher.
    Il n’y a pas eu beaucoup de massacres de masse sur le sol canadien… et pourtant en 2021, pas moins de deux séries se sont intéressées au sujet. Ce qui laisse à penser que la TV québécoise, au lieu de simplement revenir sur des choses réelles comme le ferait un programme true crime, cherche à accompagner les spectatrices dans une exploration de sujets traumatiques. Ce faisant, ces séries québécoises remplissent l’une des missions de la fiction : nous aider à nous confronter à des émotions complexes, tout en ayant la garantie d’avoir, littéralement et figurativement, un écran entre la réalité et soi.

    Aujourd’hui je m’apprête à vous parler de ces deux séries, dans une double review un peu hors normes. Cela fait, après tout, des mois que je vous promets qu’on parlera de Bête noire… et depuis pls récemment, je veux vraiment vous parler de Chaos aussi. Bien que dans les faits, ces séries soient différentes à plusieurs égards, leur visionnage, toutefois, suscite des réactions assez similaires. Je vous propose donc une review de saison, et une review de pilote, sur ces deux séries qui me semblent indissociables dans leur démarche.

    Lorsque la tragédie frappe, on se demande souvent pourquoi. Comme si faire sens du désespoir annulait les dévastatrices conséquences des événements… Sauf que ce n’est évidemment pas si simple. Bête noire (que certaines d’entre vous ont peut-être découverte à l’occasion de sa projection partielle pendant Séries Mania l’été dernier), c’est une quête, mais pas seulement une quête de vérité.

    C’est l’histoire de Mélanie, une mère de famille dont les deux adolescentes se retrouvent au cœur d’une fusillade, au sein de leur lycée. Le choc est absolu, bien-sûr, à cette nouvelle. Comme les autres parents, elle et son mari se précipitent pour avoir des nouvelles, pour s’assurer que leurs enfants vont bien. Presque pour se rassurer à l’idée que la tragédie, ça arrive aux autres. Retarder le moment où l’impensable s’est déjà produit, en quelque sorte.
    Sauf que dans le premier épisode, Mélanie apprend que, si sa fille Léa a bel et bien survécu, saine et sauve, à la fusillade, ce n’est pas le cas de son fils Jérémy. Mais que le plus terrible dans tout ça… c’est qu’il était celui qui avait procédé à ce terrible massacre, dans son propre lycée. Avant de se donner la mort, il a exécuté six de ses camarades, et en a blessé quatre autres.

    Alors pourquoi ? Il doit y avoir une raison. Si on la trouve, on ne le fera pas revenir, ni lui ni les victimes. Mais rien à faire, il faut comprendre. Pourquoi ? Le sentiment tenaille Mélanie qui, avec l’aide de la légiste et psychitre Éliane Sirois qui suit l’affaire, va tenter (certes pour des raisons différentes) de retracer les événements ayant conduit au pire. Pourquoi ? Il faut une explication à se donner, et aussi, à donner aux autres : à partir du moment où l’information circule qu’il était le tireur, toute la ville se met à détester le jeune homme in absentia, et sa famille qui elle, est bien présente. Pourquoi ? Il est tentant de trouver des responsables, et on ne peut condamner les morts… alors déterminer qui, complice, a participé à la tuerie s’impose comme une quête nécessaire (et la réponse qu’en partie Bête noire apporte nous rappelle que, comme dans la saison 1 de Plan B, la fiction québécoise est aussi en première ligne pour parler masculinité toxique… non sans raison). Pourquoi ? Peut-être que si l’on arrive à répondre à la question, on pourra vivre avec la réalité. Et vu qu’on ne peut plus rien faire ni défaire une fois que la tragédie a frappé…

    Bête noire est une quête de sens. La série nous confronte à ce besoin, et ce qu’il apporte vraiment, qui consiste à chercher pourquoi. Mélanie veut-elle savoir si elle peut s’autoriser à ressentir son deuil ? Etant la mère d’une survivante qui elle-même vit avec le traumatisme de la fusillade, Mélanie cherche-t-elle à savoir ce qui s’est passé au nom de sa fille ? Est-il seulement possible pour elle d’obtenir quoi que ce soit ? Quelle réponse pourrait s’avérer satisfaisante ? Existe-t-il une réponse, seulement…
    Certes, les circonstances sont exceptionnelles. Peu de parents se confronteront un jour à une situation semblable, au Québec ou dans la plupart des autres pays. Cependant, Bête noire fait appel à une peur bien plus partagée, celle que ressentent les parents terrifiées de ne pas comprendre ce qui se passe dans la tête de leur enfant, en particulier à l’adolescence. Celle éprouvée par les parents qui craignent de ne pas connaître leur propre enfant. Mélanie fait l’expérience d’une version extrême de cette peur : son enfant est mort et elle n’a rien vu venir ; cependant il n’est pas nécessaire d’en arriver aussi loin pour comprendre que cette terreur est partagée même quand les circonstances sont moins tragiques. En s’intéressant certes aux causes, mais aussi aux conséquences, Bête noire explore la complexité du traumatisme, dans ce qu’il a de spécifique à la situation mais aussi d’universel lorsqu’on parle de parents aimant leurs enfants.

    De la même façon, Bête noire explore le deuil, et ce deuil si particulier qui est celui que l’on fait de quelqu’un de jeune. Quelqu’un qui, considère-t-on de façon plus ou moins consciente, n’aurait pas dû mourir. Quelqu’un qu’on a vu naître et qui aurait dû nous survivre. Quelqu’un à qui on a donné naissance. Mélanie, et plus largement toute sa famille (son frère, son époux, sa fille, ses beaux-parents…), ont besoin de faire leur deuil.
    Ce deuil leur est refusé par les circonstances, ainsi que par la majeure partie de leur entourage ; il semble inconcevable d’éprouver de la peine à la mort d’un monstre. Car c’est bien comme un monstre qu’il a fini, Jérémy, quand bien même ses dernières heures sont encore impossibles à appréhender. Personne hors cette cellule familiale ne peut vraiment accepter que, tous les autres jours de sa vie avant le dernier, il était un fils, un frère, un neveu… pas un tueur. Pour sa famille, Jérémy aussi est une victime, même si personne ne veut le considérer comme tel à l’extérieur.
    C’est une souffrance supplémentaire pour cette famille que d’être écartée de son propre deuil, de se voir refuser ce qui semble évident pour toute autre famille ayant perdu un enfant, y compris dans les rituels qui d’ordinaire apportent, sinon un réconfort, au moins un semblant de structure lorsque tout semble chavirer.
    Bête noire, ce n’est pas simplement la façon dont Jérémy est traité comme un monstre, c’est aussi une référence au noir d’un deuil impossible.

    Pour une spectatrice française, il est très difficile de se mettre devant le premier épisode de Chaos, une série qui a démarré cet automne au Québec et dont le dernier épisode sera diffusé demain. Je ne saurais que recommander à des personnes personnellement traumatisées par les attentats du Bataclan, si elles venaient à me lire, de faire preuve de prudence face à cette série. Mais c’est aussi, d’une certaine façon, ce qui fait sa valeur.
    Ici pas de fusillade, mais deux explosions meurtrières dans une salle de concert, venant mettre un terme à l’innocence de toutes les personnes présentes : le chanteur, INVO ; son staff qui inclut son frère ; et bien-sûr, les nombreuses jeunes venues assister à ce concert qui devait être inoubliable pour d’autres raisons.

    La protagoniste centrale de la série est Eugénie, une jeune pianiste qui s’est dédiée corps et âme à la musique, et s’apprête à passer une audition capitale pour le reste de sa formation, de sa carrière, de sa vie. Par le plus grand des hasards, elle croise le chemin d’un jeune homme qui l’invite à assister avec lui au concert tant attendu d’INVO, avec une place VIP en plus ! Le concert, qui est l’unique date québécoise concluant la tournée européenne du chanteur, promet d’être une expérience sans pareille, et il se trouve qu’INVO est le chanteur préféré d’Eugénie. La voilà donc dans la salle, ce soir-là, alors qu’elle n’aurait pas du y être, heureuse d’assister à cet événement, heureuse d’être en compagnie d’un type charmant, et heureuse, aussi, parce qu’elle a pris un peu de drogue juste avant.
    Les explosions déchirent l’auditorium au beau milieu du spectacle. L’intrigue reprend 5 jours plus tard.

    Chaos est attentive à s’intéresser avant tout aux répercussions de ces événements traumatisants. Le premier épisode emploie ce léger fast forward de 5 jours pour nous indiquer que ce qui importe, ce n’est pas la situation d’urgence, c’est de faire sens de ce qui s’est passé ce soir-là. Il y a un angle policier dans la série (la mère d’Eugénie est flic, et intervient sur les lieux le soir de la tragédie), comme il y en avait un dans Bête noire, mais il n’a pas la priorité.
    Ce qui compte, c’est d’essayer pour chaque survivante de recoller les morceaux : savoir ce qui est arrivé aux autres, pour savoir ce qui est arrivé à soi. Les souvenirs sont flous, effacés par l’horreur, ou prompts à remonter à la surface de la pire des façons. C’est avec ça que Chaos essaie de composer. Imposant à ses protagonistes, et donc à ses spectatrices, de prendre un peu de recul malgré la douleur, Chaos travaille sur le registre du souvenir, indomptable et imprévisible, plus que celui de l’adrénaline. C’est en soi qu’on trouve le moyen de composer avec une réalité en apparence intolérable, pas par l’action. Pas tout de suite, éventuellement ; les épisodes suivants (que je me garde pour après la diffusion du final) l’aborderont peut-être ?

    Je trouve épatant la confiance que ces séries, et que par extension les diffuseurs québécois, placent dans leurs spectatrices. Elles sont la preuve (et pas la première si vous me demandez mon avis) d’une industrie télévisuelle qui sait traiter son public comme des personnes intelligentes et capables de procéder à l’examen d’émotions complexes.
    Est-ce que ces deux séries sont difficiles à regarder ? Oui, sans hésitation. Et je ne recommande pas à tout le monde de les voir, non plus que toutes les séries qui, de par le monde, empruntent des chemins similaires. Mais le fait est que Bête noire comme Chaos s’attèlent, sous des angles différents, à explorer des choses difficiles et douloureuses. Des choses… écoutez, en France, on dirait qu’elles sont anxiogènes.

    Ah, « anxiogène ». Le terme que l’on entend d’ordinaire résonner comme un reproche : « on veut éviter que la série soit trop anxiogène », « on cherche des sujets pas trop anxiogènes », « on voulait un traitement pas trop anxiogène ». On entend parfois les scénaristes françaises se plaindre de ce terme, ou plus largement de ce qu’il dit de la politique de fiction de tant de chaînes ici : surtout, ne pas susciter trop d’émotions négatives. Ce qui est d’autant plus comique que les chaînes les plus dévouées à ce principe sont aussi celles qui adorent semer la peur au journal de 20 heures et/ou qui passent le plus clair de leur temps à proposer des séries policières où les enquêtes portent rarement sur des licornes et des arcs-en-ciel… Passons ; on n’en est pas à une dissonance cognitive près.
    Le problème c’est que, en voulant à tout prix éviter ce qui est « anxiogène », les séries françaises dans leur immense majorité (il y a, et c’est heureux, quelques vaillantes exceptions, à l’instar d’En thérapie par exemple) finissent par ne parler à personne. Il est encore très, très rare, qu’une série française suscite l’identification, ou trouve une signification émotionnelle qui résonne auprès de ses spectatrices. On trouve des séries réussies, et on en trouve fort heureusement de plus en plus, mais entend-on beaucoup dire qu’une série a pris une importance émotionnelle pour quelqu’un ? Qu’elle a eu une signification personnelle ? Qu’elle a aidé ? Vraiment pas souvent.
    A force d’éviter ce qui est « anxiogène », on s’est mis à éviter ce qui était triste, énervant, injuste, inquiétant ou incompréhensible. On travaille sur la qualité objective ; on se préoccupe encore rarement de l’intime.

    Le problème avec cette notion de série ou sujet « anxiogène », c’est qu’en refusant souvent d’explorer ce qui est triste, énervant, injuste, inquiétant ou incompréhensible, on se refuse d’explorer les façons de vivre avec ce qui est triste, énervant, injuste, inquiétant ou incompréhensible. On se refuse de donner des fictions qui, éventuellement, peuvent aider à aller de l’avant ou même à guérir. S’emparer de sujets comme une fusillade dans un lycée ou une tuerie dans une salle de concert, cela ne fait pas simplement écho à l’actualité ici ou ailleurs : c’est aider, comme les programmes d’information pure ne peuvent pas le faire, à traiter les émotions intenses que ce genre d’événement peut susciter. Quand bien même les maux d’autrui ne sont pas les nôtres, ils nous travaillent… le journal de 20h peut faire peur ; la fiction de 21h peut aider à aller de l’avant.

    Or c’est précisément ce que fournissent Bête noire et Chaos : des opportunités de guérir. Vivre quelque chose de profondément « anxiogène » aux côtés de leurs héroïnes, suivre leur douloureux chemin pour composer avec des émotions complexes, et, au final, peut-être pas tout résoudre (au moins accepter de ne pas tout résoudre), mais au moins aider à avancer. Et c’est d’autant plus louable que la tragédie d’un massacre à grande échelle ne frappe pas souvent au Québec, mais que la télévision canadienne francophone semble pour autant parfaitement préparée à proposer ce cheminement à son public.

    Ressent-on de la tristesse, de l’énervement, de l’injustice, de l’inquiétude ou de l’incompréhension devant Bête noire et Chaos ? Assurément. Et une foule d’autres choses encore.
    Toutefois, chacune à sa façon, ces deux séries signent un pacte avec leurs spectatrices : « quand nous sommes ensemble, rien de grave ne t’arrive ; tu es devant ton écran, et je te raconte des histoires. Tu vas pleurer, tu vas frémir, tu vas douter ; tu y repenseras peut-être plus tard, en te brossant les dents en ressassant une scène particulièrement douloureuse, en écoutant une mélodie jouée au piano, ou en accompagnant tes mômes à l’école. Mais quoi qu’il arrive, je te fais la promesse qu’on va faire le chemin ensemble. Que je vais t’aider à faire sens de tout cela, au moins un peu. Et que tu avanceras dans la vie un peu plus forte, un peu plus apte à contrôler tes émotions, un peu plus apte à comprendre autrui, un peu plus apte à exister dans un monde compliqué ».
    C’est le contrat que nous passons avec une fiction dramatique, non ? Ce ne sont pas des images qui bougent et meublent une heure par semaine de notre temps. Pas forcément.
    Eh bien là, il est parfaitement rempli.

    Plus tôt cette année, j’ai voulu écrire une première fois sur Bête noire. En fait, j’étais tellement motivée que je voulais me lancer dans une rétrospective spéciale sur les séries s’intéressant aux fusillades dans les lycées aux quatre coins de la planète. Je suis revenue sur mon idée lorsque des nouvelles d’une fusillade similaire sont apparues : ce n’était pas le bon moment (c’est pas grave, on ne revoit jamais Klass – Elu Pärast pour rien). Mais l’idée a continué de me turlupiner et depuis, j’ai réalisé qu’il n’y a jamais de bon moment pour être bousculée par une série. Ou bien tous les moments sont bons, au choix.
    Ce mois-ci, alors que le procès sur les attentats du 13 novembre bat son plein et coïncide avec l’anniversaire de ces événements tragiques… est-ce que parler de ces sujets « anxiogènes » c’est faire preuve de mauvais goût ? Ou bien est-ce nous inviter, protégées par la sécurité émotionnelle que procure la fiction, à nous permettre collectivement de composer avec le tragique, puis avancer ? Vous l’aurez compris, j’ai ma petite idée sur la question ; libre à vous d’en avoir une interprétation différente.
    Je trouve simplement que Bête noire et Chaos font le travail salutaire dont la télévision française manque, très souvent, de s’emparer.


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  • De quoi le bonheur sera fait

    7 novembre 2021 à 20:52 • Review vers le futur •

    Faute d’accès, cela faisait des années que je n’avais pas vu une série marocaine ! Depuis 2014, pour être précise ! Alors vous pensez bien que quand je suis tombée sur le premier épisode de Hayat, je n’ai même pas jeté un oeil au résumé, et je me suis ruée dessus.

    Sur le papier, Hayat évoque un peu le point de départ de Shameless (toute nationalité confondue), en cela que son héroïne éponyme est la fille aînée d’une famille pauvre. Elle tente de prendre soin de tout le monde autour d’elle, tout en essayant de progresser dans la vie. La différence étant que, comme le long générique l’indique d’entrée de jeu, le ton sera beaucoup plus tragique ; Hayat est en effet un human drama (ce n’est pas sale) et non une dramédie. Mais, plus important, la série a une attitude bien différent vis-à-vis de la situation.

    Tout le monde aime Hayat. Que pourrait-on ne pas aimer ? La jeune femme pense toujours aux autres plutôt qu’à elle-même. Lorsqu’il y a quelques années, son grand frère a été envoyé en prison (apparemment alors qu’il était innocent, mais le premier épisode s’arrête peu sur le pourquoi du comment), elle a décidé d’arrêter sa scolarité alors qu’elle avait brillamment obtenu son bac, et a commencé à travailler dans une usine pour subvenir aux besoins de sa famille, et depuis lors, continue sans broncher de dédier sa vie à ses proches. Il faut dire que son propre père est un bon à rien, et sa mère, femme au foyer tentant de superviser les autres enfants, a déjà fort à faire à la maison. Il y a Mazouza, qui à son tour vient de passer le baccalauréat ; Karim, qui est encore lycéen mais qui doit commencer à penser à devenir sérieux ; et puis le petit frère (…dont je ne suis pas sûre que le nom ait été prononcé pendant cet épisode), encore un petit garçon.
    Hayat veille donc au bien-être de tout ce petit monde, et assure les revenus de son foyer. Cette capacité de travail et de gentillesse lui assure l’affection de tout le monde, ou presque ; elle peut en outre compter sur le soutien de sa meilleure amie, Mariam. A l’usine, elle vient de décrocher un nouveau contrat de 6 mois (même si l’épisode suggère que son patron, M. Elias, a peut-être des intentions beaucoup moins innocentes) ; dans la rue, tout le monde sourit en la voyant. Lorsque Mazouza décroche le bac (certes sans mention), tout le monde en profite pour saluer combien Hayat est bosseuse ; d’ailleurs c’est aussi elle qui organise la fête qui s’en suit.

    Dans Hayat, les temps sont durs, mais la vie est douce.
    L’héroïne y est entourée de gens qui l’aiment, et qui d’une façon ou d’une autre lui permettent d’affronter les obstacles (ou les rares personnes de mauvaise volonté qu’elle vient à rencontrer, comme sa manager à l’usine). C’est le genre de chronique où les tuiles s’accumulent, mais on y fait face avec la meilleure attitude possible.
    Si la vie est douce, ce n’est d’ailleurs pas par accident. En soi, Hayat n’est pas vraiment malheureuse, même si dés cet épisode introductif, il est aussi très clair qu’elle n’est pas aveugle aux inconvénients de sa situation. Elle a simplement choisi de faire contre mauvaise fortune bon cœur. En un sens, à voir cette exposition, ce qui rend admirable son travail et ses sacrifices, ce n’est pas que Hayat ait fait ces choix, mais que par-dessus ceux-ci, elle ait fait le choix de prendre les choses avec légèreté. Quand bien même la situation s’y prête peu.
    Le premier épisode utilise pour le souligner un intéressant dilemme : Hayat n’a pas de vie amoureuse. C’est quelque chose que je trouvais assez frappant pendant le générique, qui reprend (pendant près de 5 minutes, comme quasiment tous les génériques de séries arabes c’est en effet un générique plutôt long !) des scènes de toute la série, et où ne semblait pas vraiment apparaître de scène avec un enjeu romantique. Eh bien le premier épisode va progressivement l’expliciter : c’est par choix que Hayat a mis cette partie de sa vie de côté. Elle n’en a tout simplement pas le temps  C’est certes une façon de souligner l’ampleur du sacrifice auquel elle consent, mais aussi de lancer une intrigue sur le long terme… Car évidemment, Hayat ne peut tenir ce rôle toute sa vie, aux dépens de son propre bonheur.

    A travers cette chronique, c’est vraiment de cela qu’il s’agit : du bonheur. De celui des autres et du sien. Et de l’équilibre à trouver entre les deux.
    Ce qui est intéressant c’est que, quand bien même tout son entourage loue ses efforts pour aider sa famille pendant une période compliquée, ou tout simplement son attitude, tournant parfois Hayat en conte moral… eh bien tout le monde, pour ces mêmes raisons, veut que l’héroïne éponyme trouve le bonheur. Dans le premier épisode, sa mère évoque le mariage comme horizon possible pour son avenir. De son côté, en apprenant que Hayat est éprise d’un mystérieux jeune homme (dont nous ne connaîtrons pas plus que le nom pour le moment), Mariam encourage son amie à vivre la passion qui est la sienne.
    Est-il possible que Hayat trouve le bonheur, quand bien même cela signifierait consacrer moins de temps et d’énergie aux bonheur de sa famille ? Sa vie peut-elle être ailleurs ? Il y aura certainement des embûches supplémentaires sur son parcours (le cliffhanger de fin d’épisode y fait largement allusion), mais à terme, c’est évidemment ce que l’on souhaite pour la protagoniste de la série qui porte son nom. Quant à savoir quels contours cela pourra prendre, c’est évidemment toute la question.

    Il n’y a, dans Hayat, rien de particulièrement nouveau pour les séries du genre, et ce n’est pas le but. L’essentiel de l’épisode est passé à parler ; pour faire de l’exposition, mais aussi parce que c’est une série sur la vie de tous les jours, et dans la vie de tous les jours, il ne se passe pas vraiment grand’chose. Comme tant de chroniques, Hayat ne s’intéresse pas tant à des actions qu’à leurs répercussions sur les émotions, les choix, bref, la vie intérieure de chacune.
    Vu que MBC5 (une chaîne satellite spécialement créée pour le Maroc, l’Algérie et la Tunisie, appartenant au groupe saoudien MBC) a commandé d’emblée deux saisons de 30 épisodes, il va y en avoir, des choses à ressentir et à se dire, dans l’avenir de Hayat. Pour l’instant, la série n’a commencé qu’en septembre, mais s’il vous prend l’envie de regarder une série douce sur les tracas du quotidien d’une famille modeste, c’est vraiment ma recommandation du moment.


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  • Dieu est humour

    6 novembre 2021 à 20:42 • Review vers le futur •

    Chaque fois que je parle d’une série de l’autre bout de monde qui a fait l’objet de plaintes, notamment de la part d’un public plutôt conservateur et/ou religieux, je trouve irrémédiablement des commentaires (généralement de personnes n’étant pas coutumières des lieux, mais c’est certainement une coïncidence) pour me dire que « ah bah ouais, là-bas ils sont comme ça » (qui est « ils », on ne sait pas, on ne peut que présumer, c’est pratique) et variations sur le même thème. Pour être claire : ces commentaires seront systématiquement supprimés.
    Amies téléphages, pas besoin d’aller « là-bas ». Aujourd’hui je vais prendre une série créée et diffusée à nos portes qui rencontre exactement le même type d’opposition. Et ça me donne l’opportunité, une fois n’est pas coutume, de parler télévision suisse, ce qui se produit trop peu souvent à mon goût.

    Diffusée par la télévision publique RTS, La vie de J.C. est, de toute évidence, tout un programme : il s’agit de reprendre certains des passages les plus célèbres de la vie de Jésus (ainsi que quelques autres !), et de les tourner en une comédie. Lancée à la mi-septembre, la série évoque un peu, dans son intention, les premières saisons de Kaamelott…

    …Et très franchement les comparaisons avec Kaamelott sont inévitables à ce stade, bien au-delà de leur genre ; je n’ai pas du tout été la seule à la faire. Même genre (comédie historique), même format de shortcom que les premières saisons (4 minutes environ), même ton (peut-être légèrement plus improvisé, je dirais, au vu la présence de tics de langage), et même personnage central, investi d’une mission mais entouré d’abruties l’empêchant de la mettre a bien (en soi ce n’est pas très étonnant, Arthur était écrit comme une figure christique).

    Le premier épisode ne semble pas s’offusquer de la frappante ressemblance, et propose une première intrigue qu’on pourrait résumer par : « c’est dur d’être aimés par des cons ». Jésus tente de trouver refuge chez l’apôtre Simon, après avoir été exaspéré par les nombreuses demandes des villageoises. Il faut dire que ça part d’un bon sentiment : tout le monde est impressionnée par le miracle que Jésus a accompli, et réclame plus de miracles ! Sauf que, bien entendu, pas n’importe quels miracles : JC mentionne des maux de hanches, des otites, de la rétention d’eau… Evidemment, le Messie n’est pas là pour ce genre de choses. Et ça l’agace hautement qu’on le prenne pour un vulgaire guérisseur alors qu’il a accompli un miracle dans un but bien différent : leur faire comprendre à la fois qu’il est envoyé par Dieu, et la puissance de celui-ci. Mais rien à faire, les villageoises sont terriblement terre-à-terre. D’ailleurs il s’avère que même Simon a une requête…
    Si les épisodes pour le moment diffusés ressemblent à une série de sketches, ici rien de commun avec, par exemple, ce que la comédie israélienne HaYehudim Baim pouvait accomplir. Dans la comédie suisse, on retrouve bel et bien une unité de lieu et des personnages récurrents, quand bien même les intrigues ne sont pas vraiment feuilletonnantes (pour la défense de La Vie de J.C., le livre original l’était à peine plus). Même sur le ton, on est trèèès loin du mordant de cette série, puisque La Vie de J.C. a surtout envie de se mettre en scène des moments absurdes, et pas vraiment d’offrir une satire religieuse, sociale et encore moins politique.

    Alors du coup, d’où vient la levée de boucliers ? Eh bien demandons aux principales intéressées.

    Vous me dites si vous voyez un thème récurrent (commentaires déposés sur LeMatin.ch)

    Ah oui non mais pardon, c’est ma faute, je pensais qu’on allait avoir un échange argumenté (autre que le recours au whataboutisme).
    On a même pu trouver, il y a quelques jours, de nombreux opprimés… pardon, on me dit dans l’oreillette que c’est une trentaine de membres d’un groupuscule intégriste importé de France vers une nation où le Christianisme est la religion majoritaire… qui ont décidé de manifester à Genève. Voilà qui semble être beaucoup de remue-ménage pour une shortcom qui, pour l’essentiel, est trop brève pour avoir le temps de choquer qui ce soit, et qui, pour être honnête, est tiède.

    Pourtant, je voudrais attirer votre attention sur autre chose. Quelque chose dont on parle assez peu (moi y compris, je le reconnais) dés lors qu’il est question de polémique sur une série : les personnes qui pourraient être offensées sur le principe, mais décident de regarder la série et en tirent un point de départ pour parler de ce qui leur est cher, à leur façon. Par exemple, le professeur Olivier Bauer décortique chaque épisode, non seulement pour son intrigue mais surtout pour sa signification théologique. Ainsi, pour le premier épisode, il écrit sur son blog : « L’épisode reprend un thème classique dans les évangiles, celui du malentendu ». C’est un article court, mais vraiment intéressant !
    En soi, le premier épisode de La Vie de J.C. n’est en effet ni en train de critiquer la religion, ni Dieu, ni même Jésus… mais bien les villageoises qui n’ont rien compris à ce qu’on essaie de leur dire sur Dieu ou la force de la foi… Non, au lieu de regarder la lune, les villageoises persistent à regarder le doigt. Sauf que ce n’est pas ça, être chrétienne, et si J.C. s’offusque, ce n’est pas par défaut de caractère, mais bien le signe qu’il reste fidèle à ses principes et la parole divine de son père, qui ne l’a pas envoyé auprès de l’Humanité pour faire disparaître les furoncles sur le nez. D’ailleurs, dans la Bible aussi, Jésus s’énerve parfois lorsque personne ne comprend son message… et, si c’est relaté dans la Bible, en un sens c’est aussi une part du message, non ?
    En tout cas rien de blasphématoire à mettre en scène, certes par l’absurde (et, je le reconnais bien volontiers, un peu d’obscénité lorsqu’une villageoise demande un miracle pour le pénis de son mari), une situation dans laquelle seul le contenant a été pris en compte par les croyants, et pas le contenu. Oh, attendez, je crois que je viens de parler par parabole…

    Tous les épisodes que j’ai vus pour le moment (la série est en cours de diffusion) ne se valent pas, mais force est de constater qu’il est possible d’en tirer quelque chose de positif, ou au moins de traiter la série comme point de départ pour une discussion théologique (dont je reconnais bien volontiers que ce n’est pas ma spécialité), ou même simplement abstraite. Par exemple, une série comique sur la religion est-elle nécessairement moqueuse de ladite religion ? Une série sur la religion qui n’est pas strictement prosélyte est-elle nécessairement une attaque ?
    En outre, on pourrait s’arrêter sur le fait que cette série est créée par deux Suisses ayant eux-mêmes grandi dans la tradition chrétienne. Pourquoi partir du principe que malgré cet héritage (dont Zep parle d’ailleurs au cours de cette interview), l’approche est nécessairement mal intentionnée ? Contrairement à certains des exemples donnés en commentaires ci-dessus…

    Le problème c’est que, dans ce genre de circonstances, l’attrait de la controverse (couplée à la tentation de parler de la minorité de voix qui s’élèvent) nous empêche de parler de cet aspect plus théorique, qui pourtant pourrait apaiser certains esprits. En tout cas, ceux de bonne foi (sans jeu de mot). Et qui surtout enrichit l’art télévisuel, de sa conception à notre consommation de cet art.
    Après, est-ce à dire que La Vie de J.C. est une immense oeuvre d’art, non. Pour être honnête, elle n’entrera pas dans l’Histoire de la télévision, et tout comme cette controverse, elle sera probablement oubliée dans quelques années (surtout si, a contrario de Kaamelott, elle n’obtient pas de nouvelle saison pour affiner son approche ou ses personnages). La bonne nouvelle c’est qu’une série n’a pas besoin d’être un chef-d’oeuvre intemporel pour mériter d’exister. Surtout qu’à l’ère de la fameuse « Peak TV », ce ne sont pas les autres options qui manquent pour le public.


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  • Effet boule de neige

    31 octobre 2021 à 20:39 • Dorama Chick •

    Historiquement, la télévision japonaise est produite au Japon pour le public japonais. Cela semble être une évidence, mais cela revêt quelques précisions : cette fiction se fait avec très, très peu d’ouverture sur les industries étrangères, dans quelque direction que ce soit. La télévision japonaise s’exporte peu (ce qui rend l’acquisition de Saka no Tochu no Ie par arte d’autant plus exceptionnelle). Elle essaie d’ailleurs très peu de le faire, préférant tout au plus vendre des formats de fictions, mais peu les fictions elles-mêmes (c’est par exemple le cas pour Mother, adaptée dans une poignée de pays dont la France le mois prochain, mais dont l’original est inaccessible pour des spectatrices étrangères). C’est également vrai dans l’autre sens, le Japon comptant parmi les industries télévisuelles où il existe le moins d’adaptations de séries étrangères (bien que cela se soit légèrement débloqué ces dernières années).
    Occasionnellement, il peut y avoir des exceptions à cette production par et pour soi… quand les plateformes de streaming s’en mêlent, et encore. On a pu voir par exemple que Zenra Kantoku avait consenti un effort (quoique modéré) pour plaire aux utilisatrices de Netflix au-delà de l’Archipel… mais, à l’inverse, beaucoup d’originals japonais de Netflix, Hulu ou Amazon Prime ne sortent jamais de la confidentialité de leurs frontières. C’était le cas pour le sitcom Dareka ga, Miteiru par exemple, dont je vous défie d’avoir entendu parler ailleurs que dans ces colonnes.

    Alors quand une série de la télévision linéaire nippone (en l’occurrence Fuji TV) essaie ostensiblement d’adopter des codes d’ordinaire plutôt caractéristiques de la fiction occidentale, je lève un sourcil intrigué, et tente le premier épisode. Ce, quand bien même il s’agit d’une série policière, genre que j’ai décidé d’écarter de la majorité de mes reviews.
    Aujourd’hui, il est temps de faire une exception… et pour plus d’une raison. Il s’avère rapidement qu’AVALANCHE n’est pas une série policière comme les autres. C’est, pour commencer, une série policière avec un propos ouvertement politique… et ça, c’est extrêmement rare quel que soit le pays.

    Pourtant, la série policière est un genre éminemment politique par nature, que ce soit de par son discours, son approche, ou son existence elle-même.
    Dans Law & Order, la procédure révèle les lois : celles qui existent, qui sont parfois imparfaites ou insuffisantes, et même celles qui devraient être ; c’est politique. Dans CSI, on dépeint une police bien équipée et performante, utilisant un raisonnement logique rigoureux, une approche factuelle dénuée de tout biais, et des outils technologiques présentés comme infaillibles ; c’est politique aussi, bien que différemment. Même pas besoin de ne regarder que les grandes franchises américaines : la posture du flic seul contre tous de Section Zéro, les policiers violents qui se serrent les coudes parce qu’il y a pire dans Antidisturbios, et rien que la programmation omniprésence des poulets sur certaines chaînes pendant plusieurs décennies (on ne citera personne, TFHein), tout cela est politique.
    Sauf que de toutes les séries profondément politiques, la série policière est certainement celle qui se présente le plus comme apolitique, et se réfugie derrière l’illusion du consensus. L’air de dire : « bien-sûr que dans notre série policière, les flics ont les meilleures intentions du monde et occupent leur rôle de façon héroïque… Quelle autre série policière voulez-vous que nous fassions ! De toute façon, personne n’aime le crime, n’est-ce pas ? ». Depuis plusieurs décennies, la télévision prétend qu’il n’y a qu’une façon de représenter le travail de la police, et que toute alternative résulte sur le chaos. Souvent sans même se demander si pour commencer il faut représenter le travail de la police.
    AVALANCHE est une réponse indirecte à nombre de ces problématiques.

    De quel genre de série policière parle-t-on ici ? Eh bien… d’une série policière sans la police, pour commencer.
    AVALANCHE, c’est le nom de code d’un groupe de volontaires œuvrant dans l’ombre, un peu comme Anonymous. Certaines d’entre elles travaillent effectivement dans les forces de l’ordre, ou y ont travaillé ; pour d’autres, c’est plus complexe voire carrément pas explicité du tout dans le premier épisode de la série (lancée il y a quelques jours ; pour le moment seul le premier épisode a été sous-titré). Si le groupe semble avoir été constitué depuis quelques temps quand le premier épisode commence, en revanche il se prépare à conduire sa première véritable action, en enquêtant sur une disparition.
    Pas n’importe laquelle : celle d’un entrepreneur, Michiaki Kazama, qui avait décroché l’un des plus grands projets de développement tokyoïte appelé « Tokyo Reverse Project 2030 ». Imaginer la capitale de demain de façon durable et juste était son objectif. L’homme d’affaires a disparu voilà deux semaines, et l’enquête semble piétiner… mais la relève à la tête du Tokyo Reverse Project 2030 est d’ores et déjà assurée par un autre entrepreneur, Yasujiro Muguruma, également une personnalité médiatique. Maintenant, Tokyo Reverse Project 2030 est présenté comme un projet avant tout économique, changeant de philosophie… Muguruma a-t-il une responsabilité dans cette disparition, qui en si peu de temps a tourné à son avantage ? C’est ce qu’AVALANCHE décide de vérifier, et pour cela, il leur faut retrouver Kazama.

    …Sauf qu’AVALANCHE n’est pas qu’une enquête. La série décrit ouvertement les interventions de son groupe secret comme une alternative à une police corrompue. Pas individuellement (…comme le décrivait par exemple Antidisturbios), mais en tant qu’insitution dépendant du pouvoir.
    Parce que si Muguruma a décroché en l’espace de quelques jours la direction du Tokyo Reverse Project 2030, c’est d’abord et avant tout parce qu’il est ami avec le Premier ministre japonais, ainsi qu’avec son secrétaire général adjoint, Mr Ooyama. Celui-ci apparaît dans de nombreuses scènes de ce premier épisode, tantôt sympathisant avec Muguruma, tantôt partageant quelques réflexions avec son assistante Mme Fukumoto. Ce qui conduira par exemple à cet échange :
    – Devons-nous vraiment protéger un Premier ministre comme celui-ci ?
    – Mme Fukumoto, c’est l’inverse. Nous devons le protéger parce qu’il est comme ça. S’il continue à être Premier ministre, c’est ce qui nous bénéficiera le plus.
    Cette pauvre Fukumoto semble perdre son innocence sous nos yeux…

    Mais AVALANCHE, par contre, ne se fait aucune illusion. Le discours de ses membres à un nouvel arrivant (Eisuke Saijou, qui a droit à une introduction « à la Carter » dans ER) est ouvertement opposé à la façon dont les élites s’arrangent entre elles. Et si même les services du Premier ministre sont corrompus, peut-on compter sur la police qui travaille sur ses ordres ? Non, évidemment. La police est une institution profondément politique ! D’où l’existence d’AVALANCHE, qui mène de façon indépendante cette enquête sur la disparition de Kazama en réalisant sans grande surprise que si l’investigation piétine, c’est parce qu’on le veut bien en haut lieu.
    Alors une fois qu’on sait ce qui est arrivé à Kazama, à quoi ressemble l’objectif ? Il n’est évidemment pas question de référer les coupables aux autorités, et il n’est pas non plus question de se faire justice soi-même…
    Eh bien AVALANCHE a trouvé une idée intéressante pour la fin de son épisode, qui nous offre une résolution intéressante, et promet que lorsque les actions du groupe qui porte son nom vont s’étendre à d’autres problématiques (et un fil rouge est d’ores et déjà lancé), il faudra compter sur un acteur de la démocratie nippone jusque là sous-estimé.

    En réitérant, à la fois dans ses dialogues et dans sa structure, l’impossibilité de se fier à la police pour veiller sur la société, AVALANCHE est très différente de la plupart des séries japonaises. Evidemment, les personnages sont fictifs, mais peu importe : pour un drama nippon, ruer autant dans les brancards est quand même assez inédit, et le discours de méfiance envers la police est carrément nouveau. Par certains aspects, AVALANCHE tient plus de Mr. Robot que de n’importe quelle autre série au monde, mais cette parenté n’est que lointaine tant le dorama a des acteurs de la vie politique précis dans le collimateur.
    Et surtout, cette singularité s’accompagne d’un effort visible sur la réalisation (d’ailleurs AVALANCHE est produite, fait encore rare au Japon qui est le pays de la production in-house, par une société indépendante), le jeu de la plupart des acteurs (à part Ayano Gou qui cabotine un peu plus que nécessaire), dans son matériel promotionnel (à plus forte raison parce que les séries japonaises n’ont jamais autant de posters différents), et même la présence d’un générique de début nettement imaginé pour un public international. AVALANCHE assume sa différence, la porte comme un badge de fierté, et la transforme en argument de vente. Or, s’il n’est pas rare de trouver des séries étasuniennes (ou canadiennes, ou à l’occasion britanniques) crées à dessein pour être digestibles à l’export, je n’avais jamais vu ça à un tel degré pour une série japonaise.
    Je suis très curieuse de savoir si cela incitera des diffuseurs étrangers à mettre la main à la poche, en tout cas il ne fait aucun doute dans mon esprit que c’est une partie de l’objectif. Mais du coup, qu’une série policière japonaise clairement politique ambitionne d’être vue hors de son pays, c’est assez unique ; il est quand même assez rare qu’une production espère créer du soft power en critiquant son propre pays…

    Franchement, ce premier épisode n’est pas parfait (il faut par exemple garder un oeil sur le fait que certaines de ses protagonistes appartiennent ou aient appartenu aux forces de l’ordre, et qu’il ne s’agisse pas d’individualiser les problématiques de corruption sur le long terme), mais j’ai rarement été aussi curieuse quant aux intentions d’une série policière créée au Japon. Et très franchement, même en général, ce n’est pas tous les jours qu’on entend ce discours… vraiment, si vous en avez l’occasion et le temps, je recommande de surveiller avec moi ce qu’AVALANCHE peut avoir à dire.


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