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  • Mystères de Paris

    31 décembre 2020 à 20:32 • Telephage-o-thèque •

    « Vrai ? Faux ? L’important est que la légende existe. Le monde moderne a autant besoin de rêves que de certitudes ».

    Je parie que vous aviez oublié ! Au début de l’année, je vous avais promis de regarder l’une des fictions évoquées dans le documentaire La saga des feuilletons et des séries, et mon dévolu s’est jeté sur Belphégor ou le fantôme du Louvre. Un classique absolu de la télévision française, tout naturellement ! Il était grand temps que je m’y mette (…oui, je vous avais laissé un indice dans ma review du documentaire).

    Belphégor est une série mystérieuse, à bien des égards. D’abord parce qu’elle est, fondamentalement, un thriller : la question est posée très tôt de découvrir qui (ou quoi) peut bien être Belphégor, cette figure sombre qui hante les couloirs du musée du Louvre. Tous les personnages sont fascinés par cette question, quoique pour des motifs variables. Mais pour moi c’était aussi un mystère au sens où je n’en savais, en fait, pas grand’chose. En-dehors de quelques lectures générales, je ne savais pas précisément de quoi la série parlait, de son ton ou quoi que ce soit d’autre.
    Il est important de noter que c’est le cas pour beaucoup de séries anciennes, qui, parce qu’elles font moins souvent l’objet de reviews détaillées récentes (et/ou que les reviews de jadis sont moins accessibles pour les téléphages modernes, au choix), ont cette sorte d’aura, renforcée par leur réputation de faire partie du patrimoine télévisuel. On sait que telle ou telle série est importante, mais on ne sait pas forcément en quoi. Comme si on se passait le mot de génération en génération, mais qu’une partie de la légende se perdait.
    Tout était à découvrir dans ce visionnage de Belphégor. Imaginez ça : une série de 1965 pour laquelle, en dépit des décennies, je n’avais jamais souffert du moindre spoiler, ou presque (ce n’est que sur la fin que j’ai réalisé qu’en fait j’avais été spoilée par mon père quand j’étais petite, mais j’avais totalement oublié, le temps aidant).
    Du coup je vais m’efforcer de vous faire ce même cadeau.


    Je crois que ce que j’apprécie le plus dans Belphégor, c’est que la série comprend quelque chose d’essentiel pour la fiction dramatique : son but est avant tout d’étudier les personnages, leurs tourments et leurs motivations. Les retournements de situation inhérents à l’intrigue sont, et doivent rester, secondaires. Créer du suspense n’a pas de sens s’il s’agit uniquement de poser des questions et essayer de donner des frissons en avant de fournir les réponses. En revanche, rien n’a plus de valeur que d’observer comment les protagonistes se confrontent à ces mêmes questions, et trouvent leurs propres réponses ou au moins se positionnent quant aux réponses qu’ils trouvent.
    Eh bien précisément, dans Belphégor, le mystère qui se cache derrière le fantôme du Louvre permet d’explorer comment chaque personne touchée de près ou de loin par cette affaire s’y trouve absorbée, et y transfère ses propres fantasmes et préoccupations.
    « Il n’y a de mystérieux dans cette affaire que le pouvoir qu’elle a de faire délirer les meilleures cervelles », dira l’un d’entre eux à un moment. Non parce que la nature de Belphégor est prévisible, mais bien parce que chaque protagoniste trouve dans ce mystère l’occasion d’exprimer quelque chose d’intime, et donc en un sens d’un peu fou.

    C’est par exemple le cas d’André Bellegarde, qu’on pourrait considérer comme le héros, au moins dans un premier temps. C’est un étudiant en physique-chimie venu de la Province et qui a priori n’a pas grand rapport avec le Louvre, mais il fait connaissance, dans le premier épisode, avec un vieillard fasciné par l’étrange. Je n’ai pas retenu son nom, alors surnommons-le Renard Mulder. Renard est un personnage totalement secondaire, qui est principalement là pour lancer l’intrigue, mais ce qu’il fait est central dans l’univers de Belphégor : il collectionne les coupures de presse relatant des faits étranges et inexpliqués. Il en a une armoire pleine, et pour lui, il n’existe pas de coïncidence… Renard pense que le monde est mystérieux, et que c’est simplement la preuve que notre compréhension en est limitée. André, entendant cela, voit sa curiosité piquée ! Or, Renard Mulder décède peu de temps après… à l’heure exacte à laquelle Belphégor a tué un gardien du Louvre. Coïncidence ? Non, André ne croît plus aux coïncidences, et il se met donc en quête d’une meilleure compréhension du mystère du Louvre.
    Cette démarche n’est pas seulement celle d’André. Beaucoup des personnages qui vont par la suite nous être présentés sont tous fascinés par Belphégor, sans nécessairement que ce soit très rationnel. Plusieurs démontrent une passion pour la collection de données (sous diverses formes : les coupures de presse de Renard Mulder, mais aussi des documents anciens). Il y a une soif de connaissance dans Belphégor, et d’un type de connaissance qui reflète une curiosité du monde et de sa complexité, plutôt que de connaissances « formelles », telles qu’on peut les apprendre dans les livres ou sur les bancs de l’université. Par moments, ces personnages sonnent comme étrangement actuels, d’ailleurs, tant leur discours évoque les thèses conspirationnistes d’aujourd’hui, mais Belphégor présente cela plus comme une curiosité qui englobe l’étrange, que comme un déni de réalité.

    Ecoutez, si vous cherchez du rationnel dans Belphégor, de toute façon vous êtes mal tombés ! Ce n’est pas le genre de la maison. En témoignent certaines articulations du récit, pour lesquelles les spectateurs sont grandement incités à suspendre leur incrédulité… plutôt que d’essayer de comprendre comment tel personnage a tiré telle conclusion ou, parfois, comment deux protagonistes en sont venus à se rencontrer. Non vraiment, faites comme eux, n’essayez pas trop de vous arrêter sur les détails, et contentez-vous de ce que Belphégor suscite de plus intangible.

    L’ambiance de la série est d’ailleurs propice à cela. La série, qui est filmée en noir et blanc… comporte en fait beaucoup plus de noir que de blanc ! Une grande majorité des scènes sont (ou semblent, je ne suis vraiment pas experte) tournées de nuit, ou au moins en intérieur où la lumière reste étouffante. Belphégor affectionne les choses opaques, les plans où l’on distingue à peine ce qui se passe, les ombres qui se faufilent dans le noir. Moins il y a d’éclairages, plus la série s’en donne à cœur joie.
    A certains moments, on ne sait pas vraiment ce qu’on regarde, on se fie aux sons (et encore), mais encore une fois, ce n’est pas le but du jeu que d’obtenir une vision nette des choses. Après tout, c’est de là que vient l’angoisse, et Belphégor se veut terrifiante. Evidemment en 2020, l’effet est différent, parce que tant de séries autrement plus explicitement effrayantes nous sont passées devant les yeux, mais dans une certaine mesure, ça se sent encore. Et même, cela s’apprécie.

    Pourtant, cela va aussi au-delà. A travers les portraits qui se juxtaposent (car Belphégor est éminemment une série-chorale), il se dit aussi des choses précieuses. Sur la nature humaine, l’identité, et dans une moindre mesure l’amour. Les personnages de la série sont bavards et aiment converser sur tous les tons de ce qu’ils ont à l’esprit, et qui concerne souvent moins le fantôme du Louvre que leurs préoccupations existentielles. Ca devient parfois très, très abstrait !
    Toutefois, la série porte également sur des soucis plus actuels… enfin, actuels pour les années 60. En un sens, Belphégor est une série de l’âge atomique ; en soi ce n’est pas surprenant vu son époque, mais sur le papier son thème en semblait à mille lieues. Pourtant, c’en est assez glaçant. Dans une série qui (en théorie) n’a rien à voir avec la course atomique, l’énergie et en particulier la bombe nucléaire sont mentionnées à plusieurs reprises, représentant le danger suprême, l’angoisse qui sous-tend les actions de plusieurs des personnages. Cela ne peut venir du matériau d’origine : le roman dont est issu Belphégor date de 1927 (et d’ailleurs une partie des tenants et aboutissants en a été changée). Ce spectre, si j’ose, plane au-dessus des têtes quand bien même les forces en présence ont peu à voir avec lui.
    Et puis sans même parler de thèmes, il faut reconnaître à Belphégor un don pour écrire de belles interactions. Les personnages, même quand les faits les opposent, se retrouvent régulièrement à deviser de leurs pensées les plus intimes avec des étrangers. Dans ces scènes-là, les plans simples et l’absence (ou quasi-absence) de musique donne aux échanges quelque chose de furieusement beau, à l’instar des discussions entre le commissaire Ménardier (sûrement l’un de mes personnages favoris, d’ailleurs) et cette chère Lady Hodwin. Dans ces moments-là, il y a une tendresse incroyable qui émane des répliques, quand bien même cette tendresse est éphémère et devra s’effacer devant la tournure des événements. A ce titre, les deux premiers épisodes sont sûrement mes favoris, parce qu’on y trouve si peu d’action que ces scènes sont absolument partout.
    Car oui ! Il y a de l’action dans Belphégor ! Surtout dans les deux derniers épisodes, une fois que beaucoup de révélations (mais pas toutes) ont été faites. Je ne sais pas, au juste, pourquoi cela m’a surprise. Peut-être parce que ses deux premiers épisodes étaient un peu plus bavards. Peut-être parce que j’ai des représentations erronnées des séries des années 60. Peut-être autre chose…

    En fait, Belphégor n’était pas du tout la série à laquelle je m’attendais. Au juste, je ne saurais pas bien décrire la série que j’avais imaginée à sa place, mais il n’en reste pas moins que j’ai été surprise à de nombreuses reprises. Ne serait-ce que par son manque d’attachement pour son mystère : oui, l’identité de Belphégor n’est effectivement révélée qu’à la toute fin… mais à peu près toutes les autres informations nous sont délivrées à mi-parcours ! C’est dire si vraiment, le thriller n’était pas sa préoccupation fondamentale. Et vu qu’à moi, ce genre d’approche convient bien, j’étais d’autant mieux disposée à souffrir les errances amoureuses d’André… qui comme vous le savez sont rarement l’angle qui me fascine le plus dans une fiction.
    Oh, oh ! Et je ne vous ai pas parlé de l’aspect carte postale ! Des dizaines de lieux de Paris et sa région figurent dans la série. Et en fait, je me suis aussi aperçue que je n’avais pas vu beaucoup de séries françaises des années 60 et, tenez-vous bien, j’ai dû googler certaines pratiques culturelles ! Genre le rideau noir devant l’immeuble de Renard Mulder lorsque les pompes funèbres viennent, ça j’avoue je savais pas que ça se faisait en France.
    Vous l’aurez compris, il y aurait encore fort à dire. Hélas pour moi quand j’ai regardé la série, je n’ai pas pris de notes, et me voilà à essayer de rassembler mes pensées avant la fin de l’année.
    Il faudra donc que vous ne comptiez que sur vous-mêmes (si ce n’est déjà fait) pour regarder Belphégor à votre tour, et vous pencher sur le mystère du Louvre…


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  • Queen

    31 décembre 2020 à 20:29 • Review vers le futur •

    Plus tôt ce mois-ci, un thread a pas mal circulé sur Twitter, dans lequel le coming out transgenre non-binaire était reçu avec bienveillance par deux personnes âgées. C’était en grande partie grâce à des choses qu’ils avaient vu dans Plus belle la vie que les deux grands-parents concernés avaient compris comment s’adresser positivement et avec bienveillance à une personne trans. En lisant cela, pas mal de personnes (moi y compris) se sont émerveillées du pouvoir de la télévision. Une fois de plus. Voilà ce que la représentation de communautés variées permet ! C’est toujours émouvant de se rappeler qu’un divertissement peut avoir un tel impact sur la vie des gens.
    Cette année, il y a une série espagnole qui a pris cette mission très au sérieux. Je veux bien-sûr parler de Veneno.


    A l’origine, Veneno est une série originale de la plateforme Atresplayer. Elle doit son nom à Atresmedia, l’un des plus grands groupes audiovisuels d’Espagne, lequel possède entre autres la chaîne Antena3 (où les deux premiers épisodes de la série ont été diffusés en guise de lancement, d’ailleurs).
    Atresplayer s’est montrée particulièrement attachée à lancer régulièrement des séries originales depuis environ un an, certes (déjà 8 séries différentes, certaines ayant deux saisons déjà), mais aussi dans une certaine mesure à la « diversité » représentée dans celles-ci. C’est dicté par des motivations commerciales, évidemment, mais les résultats n’en sont pas moins là. On lui doit par exemple depuis février cette année la série #Luimelia, un spin-off du soap Amar es para siempre, détaillant la romance entre deux de ses personnages lesbiens, mais transposée à diverses époques ! La 2e saison a été proposée cet été, et la 3e est d’ores et déjà prévue pour l’an prochain sous le titre #Luimelia ’77.

    La raison pour laquelle je voulais absolument voir Veneno, c’est que la série est, à ma connaissance, la toute première au monde à être non pas une oeuvre de fiction sur la transidentité, mais un biopic d’une personnalité transgenre ayant réellement existé. Peut-être que j’ai loupé quelque chose et auquel cas je m’en excuse (d’ailleurs si vous avez un exemple d’un autre biopic de personnalité de transgenre, filez-moi le titre de la série en commentaire, gardez pas ça pour vous !).
    Et d’une personnalité qui s’est faite connaître grâce à la télévision, par-dessus le marché. La Veneno est en effet le surnom de Cristina Ortiz, qui dans les années 90 est devenue la première femme trans à apparaître régulièrement dans les médias mainstream espagnols. Ceci n’est pas un détail, car ce point est absolument capital dans la façon dont Veneno est écrite.

    Dans la série et afin de retracer plusieurs décennies de son existence, La Veneno est incarnée par trois actrices différentes, et toutes les trois sont des femmes trans également (on ne devrait pas à avoir à le souligner, mais oui,  le boulot a bien été fait de ce côté-là). Ainsi la comédienne Jedet incarne-t-elle Ortiz lorsqu’elle était une jeune adulte au début de sa transition ; de son côté, Daniela Santiago est la Veneno que le grand public espagnol a découverte sur le petit écran, et Isabel Torres endosse le rôle sur la fin de sa vie.
    Les créateurs de la série ont également mis un point d’honneur à systématiquement embaucher des interprète trans pour chaque rôle de personnage trans de la série, du plus important au plus mineur, et il y en a pas mal au bout du compte, surtout si l’on inclut l’entourage de La Veneno à plusieurs époques qui est également joué par plusieurs actrices (comme par exemple Paca la Piraña). On n’est pas Transparent ici.

    Le premier épisode de Veneno s’ouvre sur un avertissement qui semble résumer toute la démarche de la série, et toute sa tendresse aussi. Une grande partie de son matériel est en effet puisé dans les mémoires de Cristina Ortiz, intitulées ¡Digo! Ni Puta ni Santa. Las Memorias de la Veneno ; il s’agit d’une biographie écrite par l’une de ses proches, la journaliste Valeria Vegas (Ortiz n’ayant jamais su lire et écrire).

    « Etant le fruit de souvenirs, cette histoire contient un peu de réalité et un peu de fiction.
    Et, comme dans toutes les histoires de fiction, elle possède quelque chose de profondément vrai »

    Veneno ne prétend donc pas relater des faits d’une vérité absolue (comme tout biopic, en fait, sauf que c’est assumé). C’est en fait toute sa force. Tout dans le cadre narratif du premier épisode renvoie au sentiment d’admiration et de respect qu’inspire la vie de Cristina Ortiz.
    A l’instar de sa biographie littéraire, ce n’est pas elle qui raconte son histoire aux spectateurs de la série ; au contraire, le portrait est dessiné à travers le regard de celles (et ceux, dans une moindre mesure) qui ont pu la rencontrer, et voir leur vie changer grâce à Ortiz.
    Cela commence dés l’une des toutes premières scènes, dans un salon d’une famille parmi tant d’autres ; un enfant se relève en pleine nuit et assiste, clandestinement, à une émission de télévision que regardent ses parents (en fait le programme Esta noche cruzamos el Mississippi, diffusé en 1995 et 1997), et dans lequel La Veneno s’exprime à l’écran. Même si jamais ses yeux n’ont vu quelqu’un comme elle avant, quelque chose résonne profondément dans cette expérience de télévision pour l’enfant en question.

    C’est précisément cela, que Veneno tente de capturer. La façon dont l’arrivée de Cristina Ortiz à la télévision a tout changé. Sa façon de se vêtir et de se comporter, mais aussi et surtout son expérience et son franc-parler, ont modifié les attitudes. Peut-être pas les attitudes de tout le monde, mais de suffisamment de personnes pour que ce soit significatif.
    Et pour capturer cet impact, le premier épisode commence d’emblée par nous présenter deux timelines : celle de 1996, et celle de 2006.

    En 1996, notre héroïne est Faela Sainz, une journaliste cis de Telecinco qui travaille pour Esta noche cruzamos el Mississippi, ou du moins qui y travaillait avant son congé maternité. Elle essaie de remettre les pieds à l’étrier, mais constate qu’elle a été remplacée par une autre journaliste, plus jeune et plus jolie, et se sent donc obligée de rivaliser avec elle à son retour. Pour cela elle décide d’aller filmer dans le quartier madrilène de Lavapiés, célèbre alors autant pour sa prostitution que pour sa criminalité. Son but ? Essayer d’obtenir quelques images des pratiques les plus étranges qu’il soit possible de filmer, malgré le danger. C’est que, voyez-vous, Esta noche cruzamos el Mississippi est un programme de late night qui fait dans une forme de journalisme social racoleur (ainsi, presque paradoxalement, que dans l’humour), du coup, plus c’est choquant et/ou sexy, plus ça intéresse la rédaction. Quand après quelques péripéties Faela et son cameraman se retrouvent à Lavapiés, ils tombent par le plus grand des hasards sur La Veneno. C’est grâce à cette rencontre (bien que dans des circonstances complexes) qu’Ortiz va apparaître pour la première fois à la télévision.
    En 2006, Veneno présente les choses de façon très différente. La perspective est celle de deux jeunes adultes qui se lancent sur la piste de La Veneno, dont la présence mythique à Valence a été remarquée par l’une d’entre elles, Amparo, tout-à-fait par hasard. A ce moment-là, l’aura d’Ortiz est différente, car sa célébrité est un fait avéré mais elle n’est plus autant présente dans les médias ; par fascination, les deux camarades tentent de dénicher son adresse et la rencontrer. Mais il se passe aussi des choses bien plus subtiles dans cette intrigue, puisque l’une des protagonistes est une jeune femme trans qui n’a pas encore fait son coming out (Amparo ne le sait pas elle-même, bien qu’elles soient parties à la recherche de La Veneno ensemble). Le premier épisode de Veneno prend mille précautions à la façon dont elle introduit son personnage, et à ne même pas prononcer son deadname (elle va se choisir un nom à la fin de l’épisode), de façon à n’avoir jamais à la mégenrer tout en décrivant le tout début de son processus de transition, quand il n’est encore qu’un secret. La scène de rencontre avec La Veneno va d’ailleurs être d’une grande puissance, celle-ci identifiant en un coup d’oeil une baby trans qui est venue à elle comme on va en pèlerinage. Je ne vous en dis pas plus parce que c’est vraiment fait de façon magnifique et vous laisse apprécier les choses, d’autant que le pay-off est en plus à la hauteur de ces efforts, cette protagoniste étant loin d’être mineure dans notre biographie.

    Tout dans Veneno est un immense hommage à la force d’inspiration qu’a pu être Cristina Ortiz. Comment elle a brisé les tabous, certes, mais surtout comment elle a ouvert la voie à la communauté LGBT et surtout T en Espagne pour des décennies. Sa façon d’assumer pleinement les différentes phases de son existence, y compris la prostitution ou, plus tard, la prison (chose sur laquelle je présume mais sans le garantir pour le moment que la série s’étendra, l’heure venue) est la preuve qu’elle n’est pas parfaite, au moins pas d’après certains standards, mais qu’elle a été elle-même (presque) sans concession, et que d’autres peuvent le faire aussi, à sa suite.
    La déférence avec laquelle Veneno présente son héroïne, impérieuse, impressionnante, impossible à ne pas admirer, témoigne de toute l’affection de la série pour Cristina Ortiz. Les scènes dans lesquelles elle apparaît pour la première fois aux autres personnages mettent en valeur une majesté qui décrit moins son physique que cette fameuse aura qui l’entoure. C’est de charisme qu’il est question ici, et même de rendre justice à une personnalité toute entière.
    Une affection qui en soi n’est pas surprenante, puisque les créateurs, auteurs et producteurs exécutifs de la série sont Javier Calvo et Javier Ambrossi, alias « los Javis », un couple gay qui travaille ensemble depuis quelques années (on leur devait déjà la série Paquita Salas en 2016), et qui très clairement s’identifient à cet enfant regardant Ortiz à la télévision.
    Tout dans ce premier épisode (et a priori dans le reste de la série) est une lettre d’amour à une personnalité, et à travers elle à une communauté, qui a en commun d’avoir connu certains instants de grâce et certains moments difficiles, exactement comme La Veneno. Et si la série semble vénérer son idole, elle est aussi plutôt objective (et promet de l’être de plus en plus) quant aux aspérités de sa personnalité, sur ses doutes, sur une expérience qui, bien qu’elle s’en soit montrée fière, n’a pas toujours été facile ; La Veneno est humaine, et c’est de façon très délibérée que la série nous présente cette humanité comme sublime, mais pas irréprochable.
    Personne n’est parfait, nous dit explicitement Veneno, pas même Ortiz… mais bon sang, que de bien pouvons-nous faire autour de nous en étant honnête avec soi-même et les autres.

    Veneno était sûrement la série dont on avait le plus besoin en 2020.


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  • Succulent

    26 décembre 2020 à 9:31 • Review vers le futur •

    Ce n’est pas tous les ans qu’on peut fêter Noël avec une série sud-africaine. C’était même ma réaction de départ lorsque j’ai appris, en septembre dernier, que Netflix avait inclus une mini-série produite en Afrique dans sa programmation des fêtes.
    En fait, à ma connaissance (certes imparfaite étant donné le nombre de pays concernés et la documentation parfois sporadique sur certains d’entre eux), c’est même une première : on ne produit pas vraiment de série pour des fêtes de fin d’année sur ce continent. Ce n’est pas une tradition, pas même dans les pays à majorité chrétienne, et les standards de production ne s’y prêtent pas franchement de toute façon. Des films, parfois. Des séries, jamais.

    Pourtant la voilà, cette mini-série. Elle existe, indubitablement. Elle s’appelle How to Ruin Christmas: The Wedding ; je m’apprête à vous en faire une review de saison, pardon pour le jeu de mots. Et je me dois de vous dire d’entrée de jeu que je suis révoltée. Ulcérée. Prête à prendre les armes.
    Au nom du ciel, qui n’a commandé que TROIS épisodes ?!


    Pourtant les premières minutes de How to Ruin Christmas: The Wedding m’avaient fait une impression bien différente. L’épisode inaugural démarre avec une intrigue digne de n’importe quelle romcom (et je suis peu friande de romcoms).
    Boitumelo Sello, dite « Tumi », revient dans sa famille à Johannesburg, à l’occasion du mariage de sa sœur Beauty à un homme du nom de Sibusiso (ou Sbu). L’évènement se tient dans le cadre prestigieux du Four Seasons de Joburg, pendant 3 jours pile au moment de Noël. Les circonstances sont exceptionnelles, et ce mariage est bien la seule raison pour laquelle Tumi, qui vit à Cape Town, a pu imaginer venir passer les fêtes en famille, tant elle est le mouton à cinq pattes du clan Sello (elle se voit plus comme une rebelle, voire un esprit libre et incompris). Seul son ami de toujours Khaya, qui vient la chercher à l’aéroport et qui est son +1 pour la cérémonie, semble la comprendre.
    Toutefois, tandis que les préparatifs du mariage font rage, et que dans la dernière ligne droite les familles Sello et Twala commencent à se déchirer, Tumi est confrontée à la réalité : son passif avec Khaya ne rend pas leur amitié aussi platonique que la jeune femme aime à le penser.

    L’introduction de l’intrigue comme des personnages semble au départ remplir le cahier des charges d’un film gentillet mais pas très complexe, dans lequel on imagine aisément qu’en environ une heure et demie, peut-être deux heures maximum, Tumi va se lancer dans une valse-hésitation avec Khaya, vouée à se conclure idylliquement une fois que les inévitables rebondissements autour du mariage seront réglés.
    Mais How to Ruin Christmas: The Wedding n’est pas un film romcom. C’est une série en trois épisodes de 42 à 53 minutes qui, quand bien même elle a de la romance et de l’humour à proposer, garde dans sa manche quelques étonnantes surprises dramatiques. Son ton va progressivement basculer, et son intrigue prendre des chemins de traverse, rendant le résultat un peu plus inattendu que je ne le prévoyais. Cela ne veut pas dire que la série est totalement imprévisible (bien que je me garderai bien de vous confirmer en quoi elle a effectivement répondu à certaines de mes prédictions !). Limite au contraire, elle connaît ses classiques. Mais parce que cette courte saison a quand même un peu plus de temps qu’un long métrage, le temps « supplémentaire » est mis à contribution pour s’offrir des nuances intéressantes, s’attacher à ne pas se cantonner au superficiel, et délivrer, au bout du compte, des moments très douloureux. A tout prendre, quitte à dresser des comparaisons, How to Ruin Christmas: The Wedding s’avère flirter plutôt avec certains des thèmes de Zeit der Geheimnisse, figurez-vous !

    Au lieu de parler simplement d’amour (celui de Beauty et Sbu ou celui, qu’on devine naissant mais laborieux, de Tumi et Khaya, par exemple), How to Ruin Christmas: The Wedding utilise son mariage de conte de fées pour parler de la façon dont l’amour peut blesser.
    Ainsi, au lieu de se révéler accessoire, ou pire, sous la forme d’un prétexte, la relation entre Tumi et sa sœur Beauty devient un point majeur de l’intrigue, révélant des plaies jamais vraiment cicatrisées, et donnant lieu à quelques confrontations difficiles. Initialement prête à donner à Tumi le bénéfice du doute (elle en a fait sa demoiselle d’honneur, après tout, au détriment de sa véritable meilleure amie Thando), Beauty réalise progressivement qu’elle ne peut pas compter sur sa frangine ; pire, Tumi est totalement capable de détruire sa relation avec Sbu. En fait s’il y a bien quelque chose qui se dessine à mesure que progresse la saison, c’est que Tumi est experte en sabotage, y compris le sien, mais pas exclusivement. Ses airs anti-conformistes ne sont qu’une illusion, et elle détruit en réalité tout ce qu’elle touche, faute d’accepter de se remettre en question. Les retournements de situations comiques ou romanesques de l’intrigue passent alors au second plan, et How to Ruin Christmas: The Wedding prend son titre très au sérieux… posant la question de savoir si un happy ending est réellement envisageable au final. La relation entre Beauty et Sbu peut-elle être sauvée ? Et celle entre Beauty et Tumi, carrément ? A-t-on en fait atteint le point où au lieu d’une union, on va assister à des séparations entre tous les membres de ces deux familles ?

    En plus de cet axe, que les trois épisodes détaillent avec parfois une honnêteté à la brutalité surprenante, How to Ruin Christmas: The Wedding s’attache à raconter d’autres histoires de relations en danger. L’amour est cruel, y compris quand il lie (ou est supposé lier) une mère et sa fille, un couple marié de longue date, un autre qui tente de faire un enfant, et ainsi de suite.
    Les non-dits s’accumulent, et les personnages se sentent incapable d’éprouver pour leurs proches confiance, joie et amour. Tout devient conflit. Le ressentiment a construit une digue au fil du temps. Naturellement, après avoir établi cela, la série oblige tout ce petit monde à se parler, à se confronter et même à risquer de se perdre, avant d’envisager une éventuelle réconciliation. En tout cas, pendant ce mariage de trois jours, la série interdit à ses personnages de continuer de prétendre que tout va bien. Les événements (en grande partie par la faute de Tumi) déclenchent des réactions en chaîne qui poussent les protagonistes à se dire ce qui a longtemps été tu. Dans le monde de How to Ruin Christmas: The Wedding, on ne construit rien si on n’est pas prêt à tout se dire… aux autres mais aussi à soi-même.
    Il ne s’agit pas de mécanismes foncièrement nouveaux, mais ils fonctionnent. Et dans le tourbillon de ce mariage glamour, on s’émeut sincèrement devant cette obligation à la franchise, parce qu’au-delà des retournements de situation, des quelques situations plutôt drôles, et de l’aspect romantique, on nous parle de remise en question et d’abandon tout à la fois.


    Ce qui en revanche est unique, c’est la façon dont How to Ruin Christmas: The Wedding, la culture et la langue viennent apporter des dimensions supplémentaires à ces intrigues, et à leur signification.

    Revenons au mariage lui-même. Il doit en effet unir d’une part Beauty Sello, une jeune femme d’extraction modeste, qui n’a pas connu son père, élevée par sa mère (et ses tantes et oncle) ; et d’autre part Sbu Twala, le fils d’un ministre du gouvernement et conseiller de la plus haute importance, issu d’une famille richissime et influente. Ce pourrait être le conte de fée parfait, mais personne parmi les Twala ne laisse les Sello oublier qui est supérieur à qui.
    La mère de Sbu est par exemple une odieuse snob pour qui rien n’est trop beau (ni trop cher), et qui considère Beauty comme une croqueuse de diamants ne méritant pas son fils. Le ministre Twala se présente quant à lui au Four Seasons, où se déroulent les noces, avec pour préoccupation principale voire unique de laisser les cameras capturer l’importance sociale de cet événement mondain, symbole de sa réussite et nouvelle occasion de se mettre en avant. Le couple, qui ne s’adresse quasiment plus la parole, est dans une quête permanente de statut, dont ils ne manquent pourtant pas. Ils s’expriment en isiZulu et en anglais, et n’éprouvent que du mépris pour l’autre moitié de la famille présente pour le mariage. C’est que, les Sello ont leurs traditions, comme par exemple préparer un curry de mouton soi-même (oui, les femmes de la famille Sello vont bel et bien entreprendre de faire leur curry elles-mêmes dans les cuisines de l’hôtel de luxe, quand bien même il y a un traiteur hors de prix à la cérémonie !), leur origines humbles, et leur langue, le setswana. C’est une famille où les malentendus ne manquent pas (par exemple Tumi a été éduquée par feue sa grand’mère, ainsi que ses tantes dont elle est plus proche, mais pas par sa mère ; celle-ci n’a incarné son rôle maternel qu’à la naissance de Beauty) mais où le principal est le respect des traditions et des membres de la famille. Par quelque miracle, Beauty et Sbu ont réussi à tomber amoureux malgré ces énormes différences, mais elles apparaissent à présent et plus que jamais comme d’immenses obstacles à la tenue des noces, et donc symboliquement, au mariage tout entier de nos deux tourteraux.
    Globalement, ce sont les Twala qui ont pris la main dans l’organisation de la cérémonie. Du choix de l’hôtel (…et le règlement de ses factures) aux différentes robes prévues pour Beauty aux étapes successives des festivités, le mariage largement occidentalisé. Il transparaît que pour eux, être riche et important, c’est se comporter comme un blanc. Les humbles Sello n’ont pas trop leur mot à dire sur tout cela, mais vu que la dot a déjà été réglée, c’est trop tard pour s’imposer… toutefois, quand on sait que les deux familles n’utilisent même pas le même mot pour qualifier cette dot (lobola pour les uns, mahadi pour les autres), on comprend que les différences ne vont pas se gommer si facilement.

    Chaque fois que la série rappelle à ses protagonistes à plus de bon sens et d’authenticité, va s’opérer une transformation : les Twala et les Sello vont embrasser la diversité de leurs cultures, au lieu de les opposer, et mettre de côté les signes extérieurs de richesse occidentalisés pour privilégier un retour aux sources plus traditionnellement africain. Lorsque finit la série, il n’y a jamais eu autant d’habits, de chants, de langues africaines dans un même plan ; les familles se parlent chacune dans leur langue au lieu de se forcer à communiquer en anglais. Le melting pot sud-africain (pays qui compte 12 langues officielles, et de multiples autres plus ou moins courantes, après tout) a repris la main.
    Symboliquement c’est magnifique de voir tout cela se manifester sans qu’à aucun moment, la série ne cherche à prêcher quoi que ce soit. C’est traité comme une conséquence naturelle de ce que ces personnages ont fait pendant trois épisodes, soit accepter qui ils sont, et accepter qui sont ceux qui les entourent, pour mieux s’aimer dans tous les sens du terme. Tout simplement glorieux.

    Il n’est donc pas étonnant que j’aie complètement craqué : How to Ruin Christmas: The Wedding est ce qu’on fait de mieux en la matière. Sa façon de mélanger les codes de la romcom et de la fiction de Noël (même si très franchement, ça ne se sent vraiment que sur la fin que la série se déroule le 25 décembre) est délicieuse, et son attachement à dépeindre des relations réellement en danger de rupture, puis de forcer les personnages à se montrer authentiquement à leurs proches, est touchante. A cela encore faut-il ajouter les costumes (il y a des robes à se damner dans cette série), le décor idyllique (la série a été tournée en plein confinement intégral, pendant 3 semaines, dans un hôtel de luxe), la réalisation ou encore les dialogues. Tout est excellent dans cette production dont les standards ont visiblement été très élevés. Je suis, en outre, totalement tombée amoureuse de Busi Lurayi, qui brille dans tous les registres avec son incarnation de Tumi.
    Ce n’est pas très étonnant quand on sait qui est derrière la série, pourtant. Les co-créateurs Katleho et Rethabile Ramaphakela sont un frère et une sœur qui ont démarré comme interprètes et sont désormais auteurs et producteurs de fictions sud-africaines plébiscitées par le public. Un troisième adelphe, Tshepo Ramaphakela, est en outre producteur exécutif de How to Ruin Christmas: The Wedding. (ils n’en sont pas à leur coup d’essai : tous les trois sont à la tête de Burnt Onion Productions, et leur première série My Perfect Family date déjà de 2015). Cela explique sûrement la façon dont les rapports de fratrie sont si bien étoffés au fil des trois épisodes !
    J’en veux néanmoins beaucoup aux Ramaphakela parce que, eh bien justement, leur série ne compte que trois épisodes. Plus le temps passait plus je me disais que je ne voulais pas me séparer de ces personnages que je n’avais aucun mal à adorer, et que j’ai eu tant plaisir à voir s’étoffer. Fort heureusement, les Ramaphakela ont tout prévu : How to Ruin Christmas: The Wedding s’achève sur un cliffhanger qui devrait inciter Netflix à renouveler la série. C’est tout le mal que je nous souhaite collectivement ; franchement, après l’année qu’on vient de passer, on mérite d’en conserver l’une des rares choses positives.


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  • Newborn moms

    24 décembre 2020 à 19:32 • Dorama Chick •

    L’une des raisons pour lesquelles je voulais absolument essayer, en ce mois de décembre (bon, ça a tourné comme ça a tourné, mais l’idée était là), de finir autant de brouillons commencés en 2020 que possible, c’est qu’il y a des séries qui méritaient vraiment d’être couvertes de louanges dans une review propre, plutôt que d’être mentionnées vite fait dans un bilan quelconque ou, pire, en passant comme référence dans une review ultérieure. A plus forte raison parce que l’un de mes coups de cœur cette année était une série sud-coréenne, et si vous me connaissez, vous n’êtes pas sans savoir que peu de séries de ce pays parviennent à me charmer.

    Eh bien Sanhoojoriwon (ou Birthcare Center de son titre international) l’a fait, et sur un sujet auquel on peut difficilement m’accuser d’être sensible en règle générale : la maternité. La série se déroule en effet dans un centre d’accompagnement post-natal pour mères fortunées, qui y débarquent pour un séjour de quelques semaines avec leur nouveau-né.
    J’ai beaucoup de choses à en dire, alors installez-vous confortablement – avec un donut doré sous les fesses au besoin.


    Je n’étais pas familière avec la notion de « birthcare center » ; je laisse à des parents qui me liraient l’occasion de me dire si un équivalent existe dans nos contrées. Dans tous les cas, le phénomène est très marqué par les questions de classe. Après tout, il n’est clairement pas donné à tout le monde de se retrouver dans un établissement de convalescence à mi-chemin entre l’hôtel et le centre de thalassothérapie après l’accouchement, avec une équipe de soin spécialisée, des éducatrices pour accompagner et former les parents, et un programme entièrement axé autour d’une récupération rapide. C’est une bonne idée, cependant. Irréelle, mais une bonne idée.
    Evidemment ça ne me surprend pas que dans le monde de Sanhoojoriwon (et probablement tous les autres) ce soit le genre de choses uniquement accessible pour des femmes riches. Toutefois, contrairement à certaines séries qui parlent de pratiques accessibles uniquement à 1% de la population et n’inspirent que du dégoût (voir aussi : SKY Castle), ou pire, purement escapistes, ici le contexte permet d’écarter les questions les plus prosaïques pour vraiment s’interroger sur la maternité et TOUT ce qu’elle signifie intimement.

    Trigger warning : parcours d’infertilité, violences obstétricales, mort peri-natale.

    Le premier épisode donne d’emblée le ton, même s’il est résolument différent des 7 épisodes qui lui font suite.
    Hyun Jin Oh, une femme d’affaires à la carrière fulgurante, est la plus jeune personne à avoir jamais accédé à un poste à responsabilités au sein d’une entreprise comme la société de cosmétiques Olively. Et en plus elle est une femme ! A priori elle a tout pour elle, donc, d’autant qu’elle se découvre enceinte de son premier enfant et qu’elle a un mari attachant et attentif, Do Yoon. Et puis ce bébé, c’est un miracle ! Alors qu’ils pensaient ne pas pouvoir concevoir d’enfant naturellement, surtout à son âge, voilà que ce petit bout de chou est en route… Que demander de plus ? Ma foi, c’est peut-être ça le problème. Pour Hyun Jin, tout semblait toujours sous contrôle, et chaque ingrédient de sa vie était le résultat d’efforts qui portaient leurs fruits. Rien ne l’avait préparée à l’imprévisibilité de la grossesse, et plus particulièrement à son accouchement.
    Sanhoojoriwon signe un premier épisode épatant où Hyun Jin découvre la réalité de l’accouchement où son corps lui échappe, à commencer par le moment où elle perd les eaux en pleine négociation d’un contrat important. A partir de là plus rien ne lui appartient vraiment, ni son corps ni rien d’autre. Rien ne lui sera épargné, non plus, et du coup, à vous non plus. L’accouchement de Hyun Jin est un cauchemar, en partie parce qu’elle ne s’est pas forcément préparée à certaines choses, mais surtout parce que les mythes autour de la naissance sont profondément nocifs pour les personnes qui accouchent. Et que, osons le dire, son sentiment d’être traitée comme de la viande et non comme une personne n’est pas infondé : le personnel de l’hôpital fait preuve d’automatismes extrêmement violents par moments. Tout le soutien de Do Yoon n’y suffira pas, et Hyun Jin vit le « plus beau jour de sa vie » comme une horreur absolue. Et le problème c’est qu’il ne s’agit que du début, parce qu’ensuite, en partie à cause du choc qu’elle vient de vivre, elle ne ressent pas d’amour maternel pour son enfant.
    Fort heureusement le couple a tout prévu en amont, et, sitôt sortie de l’hôpital, voilà Hyun Jin en route avec son bébé pour Serenity, le fameux centre post-partum, pour tenter de récupérer. A Serenity le bien-nommé, tout semble construit pour apaiser Hyun Jin. Les grandes suites où les parents peuvent dormir au calme, la cour intérieure du bâtiment avec son jardin d’hiver, la salle d’allaitement et ses amples canapés, le restaurant réservé aux mamans où un chef étoilé prépare des repas sur mesure, les équipes de nourrices menées d’une main ferme par la directrice du centre, l’immense nurserie où les bébés sont filmés 24/7 pour que les parents puissent les voir à tout moment… et bien-sûr toutes les autres mères, jeunes, radieuses, épanouies, conversant autour de tasse de thés fumantes.
    Hyun Jin veut croire qu’elle va enfin trouver le calme ici. Bien entendu elle se trompe.

    D’abord parce que, on l’a dit, Hyun Jin ne s’est pas vraiment préparée à tout. Avec le recul, elle a peut-être manqué de s’investir dans l’aspect documentation de la grossesse, et beaucoup de choses ne lui apparaissent qu’au fur et à mesure (elle va prendre ce challenge à bras le corps plutôt vite, cependant, et appliquer sa capacité de travail à sa vie de mère pour compenser. Sanhoojoriwon ne traite pas cela comme un véritable défaut personnel de sa part, plus comme un parcours).
    Mais surtout, parce que la vie à Serenity, c’est la vie en communauté. Avec des mères qui ont pour l’essentiel la vingtaine, ont parfois déjà eu des enfants, et ont un comportement grégaire dont Hyun Jin se sent exclue parce que son parcours maternel, et son parcours de vie dans son ensemble, est très différent. En outre Serenity a aussi une politique très claire d’encouragement (si ce n’est d’obligation) à l’allaitement, et qu’il s’avère très vite que Hyun Jin n’arrive pas à allaiter son bébé, ne faisant qu’ajouter au sentiment d’échec.

    Très vite, Hyun Jin fait la rencontre des autres mères qui séjournent à Serenity en même temps qu’elle. Elle apprend, déjà, qu’on appelle toujours une mère par le nom de son enfant, ou plutôt le nom de son fœtus. En effet, en Corée du Sud, pendant la grossesse et jusqu’à l’enregistrement de l’enfant à l’état civil plusieurs semaines après sa naissance, un bébé porte un nom temporaire ; le bébé de Hyun Jin et Do Yoon s’appelle ainsi Ddak Pul, soit « tube de colle » (écoutez c’est pas moi qui écrit la série hein). Hyun Jin s’appelle donc Maman de Ddak Pul entre les murs de Serenity.
    Parmi les mères, elle découvre entre autres Maman de Sarang, qui a déjà eu des jumeaux qu’elle a allaités pendant deux ans (le summum !) et a signé pour un troisième fils ; à Serenity, elle semble toujours tout faire parfaitement, élégamment, et avec expertise, alors qu’elle a facilement 15 ans de moins que Hyun Jin Maman de Ddak Pul. Le contraste ne rend les choses que plus difficiles, d’autant que très vite, par son attitude, Maman de Ddak Pul se met Maman de Sarang à dos. Et s’il y a une chose qu’il ne faut pas faire, y compris dans un centre de maternité, c’est bien se mettre à dos une Mean Girl. Même si elle a des airs des madone. SURTOUT si elle a des airs de madone. Un registre, il faut le noter, sur lequel le matériel promotionnel et le début de la série jouent beaucoup esthétiquement, faisant référence à l’art et aux images classiques de la maternité régulièrement, chaque fois qu’est représentée la mère idéale.

    Ce qui est pourtant magique avec Sanhoojoriwon, c’est que la série établit rapidement que Maman de Sarang n’est pas parfaite non plus. Car en réalité, les deux femmes se sont rencontrées fugacement à l’hôpital quelques heures auparavant, quand la vessie de Maman de Sarang s’est vidée dans l’ascenseur qu’elles partageaient toutes les deux. Evidemment il est impossible de le lui faire admettre dans les circonstances de Serenity, mais cela est l’indice, si besoin était, que la série a plus de nuance qu’il n’y paraît. Ce n’est ainsi pas seulement à Maman de Ddak Pul que certaines choses échappent. La maternité n’épargne personne. Il faudra que chacune apprenne à son rythme. Même celles qui pensent tout savoir.
    Les nuances se dessinent, progressivement, autour de personnages initialement introduits de façon un peu caricaturale : Maman de Sarang et son auréole de mère parfaite (Ha Sun Park est ma nouvelle idole, j’ai envie d’embrasser la terre que foule ses pieds, j’adore son interprétation), Roo Da et son refus des conventions sociales attachées à la maternité (qui n’est pas le simple effet d’une rebellion de surface), la directrice de l’établissement et ses règles rigides (et parfois maltraitantes sans le vouloir), même l’assistante de puériculture qui a l’étrange manie de parler à la place des bébés (et qui obtient une exploration surprise de son background)… Il n’y a pas que l’héroïne : toutes les femmes de la série vont apprendre à relativiser leurs certitudes, composer avec les événements, s’adapter tout en redéfinissant les contours de leur identité, à la faveur des changements qui interviennent. Contrairement à tant de séries (et ce que je décriais dans cet article sur la paternité), dans Sanhoojoriwon, la maternité s’apprend. Rien ne va de soi, et c’est ce dont les meilleures séries dramatiques sont faites ! Le character development de ces femmes est magnifique, parce que la série leur refuse toute binarité. Je ne suis pas mère, mais j’imagine que ça doit faire du bien de voir ces portraits quand on en est une, à plus forte raison dans une société où être une bonne mère vient avec des attentes très précises et codifiées comme la nôtre.

    Des séries sur la maternité, il commence à y en avoir quelques unes de par le monde (j’en ai listé plusieurs dans mon intro de review pour Saka no Tochu no Ie, par exemple). Mais l’intention de celle-ci est ouvertement d’affronter sans détourner le regard tout dans le moindre détail, au risque, parfois, d’être extrêmement explicite. Je ne suis pas en mesure de le garantir, mais je crois fermement que Sanhoojoriwon est la toute première série sud-coréenne à parler de… pardon je m’exprime mal : la toute première série sud-coréenne à MONTRER un lavement du colon. Après je peux me tromper, mais au pire il y a aussi tout le reste : l’épilation pubienne par une infirmière, les multiples touchers vaginaux, l’expression abdominale, et plus tard, les fuites urinaires, et plus tard, une mastite avec pus. Avec une précision importante : c’est fait de telle façon que la série trouve toujours le moyen de montrer aussi bien la fonction physiologique (bien que parfois de façon légèrement détournée, j’y reviens dans un instant), que le rapport des femmes concernées à l’incident en question. En quelque sorte, Sanhoojoriwon fait le choix de dire les réalités souvent tues ou euphémisées, mais sans en faire purement des questions médicales, replaçant les personnes au centre des événements.
    Alors même qu’elles semblent perdre toute dignité, la série la leur rend d’une autre façon.

    Plus qu’une fiction dramatique, Sanhoojoriwon ambitionne aussi de porter un travail d’accompagnement, pour ne pas dire pédagogique. A plusieurs reprises, la série affiche des explications de certains termes gynécologiques ou pédiatriques à l’écran ; les débats sur le bien-fondé de l’allaitement ou du lait maternel en poudre sont amplement menés par des personnages aux points de vue divers ; les mommy wars sont abordées pour mieux étaler les différents choix de vie qui s’ouvrent devant les nouvelles mères ; les mythes sont déconstruits, les pièges mis à nus. Toute la saison est jalonnée de moments pendant lesquels le scénario ne veut pas qu’émouvoir, et prend très au sérieux les messages qui sont envoyés aux spectatrices.
    C’est même parfois un peu déroutant, si l’on considère que la série a pour sponsors… des marques d’aliments pour nourrissons. Outre les bandeaux réguliers, pendant les épisodes, apparaissant pour faire l’éloge de lait de chèvre en poudre ou autres produits bio pour bébés, on trouve même du product placement à au moins deux reprises. On n’aura hélas pas le temps de parler aujourd’hui de la longue et merveilleuse histoire du product placement dans les séries sud-coréennes (heureusement, je l’ai fait une première fois il y a quelques années !), mais force est de constater qu’en dépit de la présence de ces options sponsorisées, Sanhoojoriwon tente de présenter à ses spectatrices toutes les options, et pas juste celles qui sont rémunérées, quant à l’allaitement, sa conclusion étant que chaque mère doit trouver ce qui lui convient, ce qui est compatible avec son identité, ses aspirations, ses représentations.


    Ceci n’est pas un publireportage.

    Chose qui, et c’est vraiment important de le noter, s’étend aussi aux pères ; Do Yoon en particulier apprend, lui aussi, certes dans une moindre mesure, la paternité, avec ses traquenards et ses petites victoires. La série montre qu’il est investi, mais imparfait lui aussi. De la même façon, son soutien est important, mais ne résout pas tout. Il doit apprendre à s’effacer pendant une période charnière de la vie de son épouse et son enfant, admettre qu’il n’a pas toutes les réponses (quand bien même, pris de zèle, il a assisté aux classes d’accouchement seul quand Hyun Jin était occupée par son travail). Mais qu’il en possède quelques unes quand même, et qu’il peut contribuer. Qu’il le doit, en fait. A condition de comprendre que les changements les plus drastiques, sur tous les plans, ce n’est pas lui qui les vit. Le personnage est écrit de façon à ce que ce soit l’évidence pour lui que de faire preuve d’empathie, mais il traverse tout de même des interrogations précieuses, prouvant que Sanhoojoriwon a cherché un équilibre bien précis dans sa construction des dynamiques de couple.


    Rien ne me destinait à tomber amoureuse d’une série comme celle-là, et pourtant, dés sa première scène, j’ai su.
    Hyun Jin y apparaît sur une barque, guidée par La Mort, traversant les eaux du Styx ou assimilé. D’abord silencieuse (sur fond d’une musique que n’aurait pas renié Jim Dooley pour Pushing Daisies), Hyun Jin contemple la perspective d’être morte pendant son accouchement. Silencieux, La Mort l’écoute alors qu’elle prend la mesure de ce qui vient de se passer, de ce qu’elle a laissé derrière elle, de tous les efforts qui aujourd’hui semblent avoir été menés pour rien. Qui, peut-être, sont la raison pour laquelle elle a failli, même. Touché par ses confessions, La Mort commence à tenter de la consoler, et lui prête même un mouchoir… que notre héroïne finit par refuser de lui rendre, avant de le passer par-dessus bord et rejoindre la rive, pour se réveiller en salle de travail. Une scène qui va par la suite prendre encore plus de sens, mais qui, par sa douce dinguerie, son emprunt à l’imaginaire, et son sens de la métaphore, ouvre le bal à de nombreuses autres séquences poétiques, référencées, intrigantes, et/ou astucieuses. Que ce soit la bromance de Do Yoon, le duel entre Maman de Sarang et Maman de Ddak Pul, ou les emprunts angoissants au registre de l’horreur, les ruptures de rythmes et de style sont constantes ; elles participent à l’humour de la série.
    Car je ne l’ai pas dit encore, mais Sanhoojoriwon est TRES drôle ! Et entre nous soit dit, on en a bien besoin, parce que sinon ce serait vraiment du lourd étant donnés les thèmes et approches choisis par la série. Il y a, évidemment, des moments de grande tendresse (la mère de Hyun Jin à la maternité…), qui sont presque systématiquement compensés par des moments délirants (Hyun Jin dansant sur du Bellini sans ressentir la moindre émotion de joie à la naissance de son fils). Les efforts d’inventivité ne sont pas les seuls responsables de l’humour de la série cependant ; il faut aussi noter les excellents dialogues, le rythme du montage, les mouvements de camera, un sens magnifique de la mise en images… et un cast du tonnerre. Sanhoojoriwon s’est donné les moyens, tous les moyens, de divertir et d’émouvoir sans que l’un l’autre ne s’annulent mais au contraire se complètent. C’est un peu la méthode Mary Poppins, sauf que ces morceaux de sucre aident le lait maternel à couler.

    Surtout, rien n’est gratuit. Quand Sanhoojoriwon joue des codes du film d’horreur, d’action ou de romance, c’est toujours avec derrière la tête une idée bien précise : celle de parler des réalités que la série a décidé d’aborder sans faux-semblants. C’est un peu paradoxal à première vue, mais ça marche.
    Par exemple l’intrigue la plus mystérieuse (et qui franchement, n’est même pas beaucoup développée pendant les premiers épisodes), qui repose sur les mécanismes du thriller, finit par avoir un pay-off extrêmement émouvant, dans lequel un personnage mineur se révèle avoir été au centre de sa propre intrigue pendant tout ce temps. Que les ingrédients qui la composent à l’origine paraissent être une enfilade de clichés finit, en réalité, par être une désarmante façon de nous mettre face à une réalité qu’aucune des mères, qu’elle soit modèle ou cancre, de Serenity, n’avait osé nous mettre devant les yeux. Dire que l’avant-dernier épisode de la série est virtuose, après alors que les graines ont été plantées de façon inégale (et c’est la façon la plus diplomatique que j’ai trouvé de le décrire) dans les épisodes précédents, est plus pour moi la preuve de la grandeur de la série, que de ses tentatives parfois risquées de jouer avec les genres.

    Tout cela (et bien plus, mais à un moment je dois bien vous rendre à la vie civile) donne ce qui est à mon sens l’une des meilleures séries de l’année. J’ai du mal à croire qu’en 2020, oui, cette année-là en particulier, nous ait donné une série si douce et nuancée. Si réparatrice. Et que penser du fait que cette série ait été tournée pendant une épidémie mondiale, avec des bébés et tout ? L’entreprise de folie quand même non ?
    Je ne dis pas ça souvent d’une fiction asiatique, mais j’espère bien que les appels à motiver les spectateurs qui voudraient réclamer une deuxième saison seront suivis d’effets. Une fois n’est pas coutume, je veux vivre de longues années avec ces héroïnes. Les unes avec les autres, les unes malgré les autres, les mères de Serenity partagent de nombreuses expériences de la maternité dans cette première saison, mais il y en a encore beaucoup devant elles, potentiellement. Alors si Sanhoojoriwon pouvait devenir une institution télévisuelle pour me laisser regarder ces personnages (et leurs enfants) grandir, ça me ferait un plaisir de folie.


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  • Tricked

    24 décembre 2020 à 19:29 • Love Actuality •

    Peut-être avez-vous entendu depuis le début de la semaine le bruit qui se fait autour de Trickster, une série canadienne lancée par la chaîne publique CBC début octobre, et dont la saison 2 avait été annoncée avant même la diffusion. Ce n’est donc pas la commande, les audiences ou le renouvellement de la série qui sont au cœur des discussions.
    Si vous n’avez pas vu tout cela se dérouler, laissez-moi essayer de vous en parler (ce qui me semble un peu être ma mission dans ces cas-là) tout en vous proposant une review du pilote. Les deux sont liés, vous allez le voir.


    Bon alors, Trickster, c’est quoi ? C’est une série de pour l’instant 6 épisodes qui suit un personnage adolescent First Nation, Jared.
    Le premier épisode s’ouvre sur une scène énigmatique pendant laquelle une femme vient d’accoucher (décidément c’est la journée !) dans les bois, et tente d’empêcher un étrange inconnu d’emmener son nouveau-né. Quelques 16 années plus tard, cette même femme éduque son fils Jared, qui a passé toute sa vie dans une réserve. Comme tant d’autres, cette réserve est un endroit peu accueillant, où la pauvreté fait des ravages, l’emploi est rare, l’abus de diverses substances endémique, et les perspectives d’avenir bouchées (au mieux). Jared lui-même fait l’expérience de nombre de ces difficultés : sa mère Maggie passe sa vie à boire et faire la fête, son père Phil survit à peine grâce à une pension d’invalidité (et a trouvé le moyen de mettre sa nouvelle compagne enceinte), son job pourri dans un fast food lui prend trop de temps pour prêter attention à ses études… et pire encore, Jared s’est lancé dans un trafic d’ecstasy artisanale pour payer les factures de tout ce petit monde, puisqu’il est le seul responsable dans cette famille disloquée. Il ne manque pas d’amour, il faut le noter, mais la situation est particulièrement volatile et rien ne semble s’arranger, vu qu’un dealer local réclame plusieurs milliers de dollars à sa mère par-dessus le marché. Quels que soient les efforts que Jared produit pour maintenir sa famille à flot, tout est toujours contre lui.
    Le premier épisode de Trickster détaille le quotidien de cet adolescent, racontant, avec minutie, à la fois les difficultés auxquelles Jared fait face et la maturité teintée de fatalisme dont il fait preuve. Mais le but affiché de Trickster n’est pas de nous faire un Breaking Bad dans la réserve. En fait, c’est même tout le contraire.

    Car dés la première scène du pilote, nous avons assisté à quelque chose d’étrange, annonciateur d’une touche surnaturelle dans la série. A mesure que l’épisode se développe, Jared va être à son tour le témoin de choses de plus en plus étonnantes, et même, angoissantes. Je pense personnellement que ç’aurait été plus élégant de laisser ces ingrédients se mêler organiquement à la vie de Jared, plutôt que de nous servir la scène d’introduction qui nous dit (avant que Jared ne le comprenne) une grande partie de ce qui se joue, mais enfin, pour l’essentiel cet épisode introductif fait un plutôt bon boulot.
    Il n’y a pas réellement de grande surprise, en fait, et c’est un peu ce qui me gêne. Trickster porte pour nom, après tout, un terme récurrent dans le folklore de nombreuses tribus nord-américaines (on est ici dans le voisinage de l’approche de Cleverman et son utilisation de la mythologie aborigène en Australie). On ne peut pas dire non plus que le personnage qui incarne ce terme soit aussi mystérieux que la série le prétend. Mais si l’on regarde Trickster sous l’angle de la série adolescente et/ou du parcours initiatique, ça n’est pas tellement grave, dans le fond. Trickster est très clairement moins intéressée par son aspect fantastique que par son portrait d’une adolescence indigène désabusée, après tout. Et puis naturellement ce n’est que le premier épisode et les choses peuvent devenir plus originales par la suite.

    Alors, revenons-en à l’actualité : pourquoi Trickster fait les titres dans la presse canadienne (et au-delà ?), a fortiori alors que le final de sa première saison a été diffusé début novembre ?
    Eh bien parce qu’il a été révélé que la co-créatrice, co-scénariste et réalisatrice de la série, Michelle Latimer, n’était pas une First Nation. Une enquête menée par CBC (oui, la chaîne qui a commandé et diffusé Trickster) est formelle : il ressort que tous ses ancêtres sont blancs, sauf deux qui ont vécu au 17e siècle. L’intéressée, bien entendu, s’est dépêchée de le reconnaître une fois le pot-aux-roses découvert, et s’est retirée de Trickster.
    Il n’empêche. Vingt années de carrière, et le monde audiovisuel canadien découvre à présent que cette femme, qui s’est présentée à de nombreuses reprises comme indigène et plus précisément issue de communautés algonquines, n’a aucun lien apparent avec ce groupe ethnique et social. Ou disons… si elle en a, il est superficiel.
    Et là on rentre dans le cœur du problème, parce qu’on n’est pas tout-à-fait dans un cas à la Rachel Dolezal, du fait des spécificités des cultures natives d’Amérique du Nord.

    Par le passé, il est arrivé que des célébrités se trouvent sur la corde raide, en particulier lorsqu’il s’agissait d’incarner un personnage Native American, parce qu’elles étaient blanches. C’était par exemple le cas de Johnny Depp pour son rôle en tant que Tonto dans le film The Lone Ranger (une franchise avec une longue histoire problématique en la matière mais passons) ; la parade habituelle étant de trouver, quelque part dans l’arbre généalogique, un quart de centième de dixième de moitié de tiers de sang Cherokee. Cela ulcérait les premiers concernés : demander que des acteurs indigènes incarnent des personnages indigènes va au-delà de la question des origines et/ou la couleur de peau (le redface a longtemps eu cours), combinant les difficultés d’égalité des chances dans l’accès à l’emploi au sein des industries du divertissement (et même l’emploi tout court), et plus abstraitement, de la représentation artistique d’une expérience vécue par ceux qui la connaissent réellement. Mais l’honneur était sauf côté relations publiques, au moins. Et c’était quand même bien l’essentiel !
    De plus en plus pourtant, les First Nations font valoir que ce qui pose problème, c’est l’appartenance à une communauté. Comme l’explique magnifiquement la cinéaste Elle-Máijá Tailfeathers dans cette tribune de NOW Magazine, appartenir à une tribu, c’est une question de réciprocité. Il ne suffit pas de se réclamer Kitigan Zibi du côté de la tante du cousin germain par alliance, comme l’aurait rapporté un grand-père sur son lit de mort : la tribu doit vous compter parmi les siens. Cela signifie avoir des liens dans la tribu, quand bien même ils ne sont pas nécessairement familiaux, y avoir une présence active, un engagement. Vraiment, si vous comprenez l’anglais, lisez la tribune.
    Or Michelle Latimer n’avait apparemment pas du tout cela ; elle avait utilisé ses ancêtres (qui sont avérés, hein, mais pas franchement avec un impact sur son existence) pour accéder à des programmes, à des prix, à des structures permettant de porter les voix indigènes au Canada… mais elle n’avait été reconnue par personne. Et si elle a réussi, pendant deux décennies, à faire carrière malgré cela, c’est qu’il reste extrêmement difficile d’imposer à des personnes se disant de descendance autochtone de prouver leur appartenance à une communauté, alors que celle-ci a été déchirée de façon systémique pendant des siècles, et alors que jusque dans les années 90, des enfants autochtones étaient encore retirés à leurs communautés et élevés dans des pensionnats blancs. On ne s’étendra pas sur les horreurs qui y ont été vécues, mais il y aurait long à dire sur le déni culturel, spirituel et linguistique que ces écoles ont représenté… difficile d’aller dire aux personnes First Nation qui y ont vécu qu’ils doivent prouver leur connexion à une culture qui leur a été retirée de force ; c’est parfois le travail de toute une vie que de retrouver ses racines et se réconcilier avec son identité. C’est la raison essentielle pour laquelle Latimer n’a vraiment jamais été mise en doute jusque récemment, ou seulement dans des cercles fermés n’ayant pas les moyens de vérifier ses dires.

    Maintenant parlons de ce que cela signifie dans le contexte de Trickster. Parlons de représentation. Parlons de… oui, je vais dire un gros mot : « diversité ».
    Eh bien, ce que cela veut dire, c’est que l’une des rares séries canadiennes mainstream se déroulant dans une communauté First Nation a en fait été créée par une femme blanche sans aucune expérience de la vie dans une réserve, pour commencer (quand bien même elle s’appuie sur un roman écrit par une autrice indigène, Eden Robinson, que Latimer avait personnellement pitchée pour adapter son oeuvre pour la télévision). Le co-créateur de la série Tony Elliott (qui avait travaillé précédemment sur Orphan Black, entre autres) a cette semaine annoncé quitter la série, suite aux révélations autour de Latimer, mais il est bel et bien blanc (dans son message annonçant son retrait, il se qualifie lui-même de « settler« ). D’autres membres de l’équipe ont également quitté la production de la série, et de façon notable c’est le cas de Danis Goulet, productrice exécutive de Trickster, qui opérait comme consultante (son expérience en tant que personne Cree/Métis ayant vraisemblablement nourri la série plus qu’aucune autre), pensant travailler sur un projet mené avec d’autres personnes indigènes.
    Et pas qu’un peu, d’ailleurs. Quand on regarde la façon dont Trickster était promue, l’appartenance de son équipe à diverses tribus était systématiquement mise en avant, comme un argument d’authenticité. Finalement cet argument a surtout permis à Latimer de vendre son projet à CBC, sur le dos des personnes autochtones.


    A l’heure actuelle, l’avenir de Trickster est donc un gros point d’interrogation. Son renouvellement pourrait bien être annulé a posteriori, vu les circonstances, et pour cause : il n’y a plus de créateur, plus de scénariste, et plus de réalisateur ! Par contre il y a potentiellement des acteurs autochtones qui pourraient bien se retrouver au chômage (dans une industrie où ils ont souvent du mal à exister) alors que, eux, sont parfaitement sincères a priori. On en revient toujours aux mêmes dynamiques.

    Plus que ce cas individuel, il faut aussi réfléchir au-delà de cette question finalement assez futile du renouvellement.
    Conçue et vendue comme une série ownvoices, Trickster était une production de CBC, la télévision publique canadienne… qui historiquement n’a pas beaucoup investi dans la fiction par/pour/avec des artistes First Nations ; cela est plutôt l’apanage de chaînes spécialisées, en particulier APTN dont j’ai déjà pu vous parler par le passé, et qui avec de bien plus maigres moyens a mis en chantier au fil des ans des séries comme Blackstone, Rabbit Fall, Moccasin Flats, Hard Rock Medical, Mohawk Girls, Tribal… Autant de créateurs, d’auteurs, de réalisateurs et/ou d’acteurs qui n’ont jamais eu la chance de se voir offrir les moyens d’une série de CBC mais qui ont tenté d’exister tout de même, de raconter leurs histoires, de représenter leurs communautés. Quand l’orage sera passé, il faudra sûrement que CBC s’interroge sur les raisons qui ont pu favoriser, involontairement peut-être mais favoriser tout de même, le parcours d’une femme blanche plutôt que le parcours de ces artistes-là, et tous ceux ayant encore moins eu accès à l’industrie audiovisuelle jusqu’à présent.
    En ce moment, la télévision canadienne est traversée par l’électrochoc causé par les révélations autour de Latimer, mais il est nécessaire à terme que le système tout entier réévalue sa vision de la « diversité ». Cela implique de se poser des questions compliquées, on l’a vu, sur la façon dont on peut « prouver » son appartenance à une communauté donnée, ou la véracité de ses expériences, et ce débat n’appartient pas aux personnalités blanches du milieu (et certainement pas à moi non plus, en passant). Par contre ces dernières, et en particulier quand elles occupent des postes exécutifs, doivent impérativement s’interroger sur les voix qui ont, oui ou non, droit au chapitre à la télévision canadienne. D’ailleurs c’est aussi CBC qui a profité (bien qu’apparemment sans le savoir) de l’identité indigène de son cast pour promouvoir Trickster dans les profils que je vous montrais plus haut… Qui bénéficie de cette « diversité » à l’heure actuelle ? Accessoirement c’est une question qu’il serait temps que la télévision étasunienne se pose aussi, parce que la « diversité » pour le moment, les artistes Native American n’en ont pas tellement vu la couleur. Il faut espérer que Reservation Dogs change un peu la donne, mais je ne saurais qu’encourager FX à faire un double background check.
    C’est inconfortable, mais nécessaire pour quiconque prend au sérieux les changements promis depuis des années à grand renfort de communiqués de presse et de déclaration enflammée pour la « diversité », que d’interroger les mécanismes de promotion au sein de l’industrie. Et de revoir à la hausse, par la même occasion, le financement de projets ownvoices par la télévision publique canadienne, si possible.


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  • Dissection

    15 décembre 2020 à 21:12 • Review vers le futur •

    Levons le voile quelques minutes sur le making of de ces colonnes. Ces derniers jours, j’ai eu les yeux plus gros que le ventre (et ce n’est pas peu dire), puisque je me suis attelée à deux reviews de saison ET fait des recherches pour un autre article de fond, plus abstrait. J’avais essayé de me concentrer là-dessus en me disant : surtout, tu finis ce que tu as commencé avant de toucher à quoi que ce soit d’autre (d’autant que l’une des saisons commençant à dater, j’avais souvent besoin de revenir sur certaines scènes pour me rafraîchir la mémoire). Je tenais même le bon cap, quand bien même c’était lent. Et là, patatras. Pour dîner, ce soir, j’ai mis le premier épisode de The Wilds.

    The Wilds commençait comme une série assez banale, dans l’ensemble, étant donné tous les Khweng, les The I-Land, toutes ces variations autour de Lost, qui se ramènent régulièrement sur nos écrans. L’idée d’isoler des personnages du monde, dans un contexte qui ne fait qu’à moitié sens (tout le monde comprend le concept d’échouer sur une île ou plage déserte, mais ça n’est pas facile à appréhender pour autant), n’est pas franchement neuve.
    Le problème c’est que comparer The Wilds à ces séries est simpliste. Erroné, même. C’est s’attacher aux points communs les plus superficiels que d’emprunter ces raccourcis. Dans les faits, The Wilds est plus proche de Dare Me que de toute autre série.


    Parce que ce qui intéresse The Wilds, c’est l’expérience de l’adolescence. Et plus particulièrement, d’en découper la chair au scalpel, d’en épingler les membres sur la table, et d’exposer à la lumière du jour ses entrailles pour mieux les observer. Il n’y a pas de complaisance, et malgré la voix-off fournie par Leah, l’héroïne de 16 ans de la série, il n’est pas vraiment question d’elle. The Wilds est là pour parler de ce que représente l’adolescence en général… et en particulier l’adolescence féminine.
    La thèse de The Wilds est explicitée très tôt dans ce premier épisode : l’adolescence féminine est un trauma.

    Aussi lorsque l’intrigue commence à mettre ces jeunes filles dans un avion, à être secouées par des turbulences, à se réveiller (souvent blessées) dans l’eau ou sur une plage humide, The Wilds ne considère pas que les ennuis commencent maintenant. Sa situation, elle la voit moins comme un événement déclencheur que comme un révélateur, et la nuance est importante parce que c’est de ça que sont faits les meilleurs human dramas (ce n’est pas sale). En fait c’est à un tel point que très tôt dans l’épisode on commence à flairer le coup fourré, qui nous est confirmé juste avant le générique de fin (au pire, un peu de media literacy : on n’obtient pas Rachel Griffiths au générique pour la montrer uniquement dans une B-roll, soyons logiques), et que pourtant on sait que ce n’est pas le nerf de la guerre. Ce n’est pas là que les choses se jouent. Et d’ailleurs à bien y réfléchir, je me dis que si quelqu’un a été surpris du tour qu’ont pris les choses sur ce plan, ils en arrivent exactement au même point malgré tout, qui est qu’on va observer ce traumatisme et ses manifestations. Même dans un contexte aussi particulier, avec cette storyline à suspense, avec ce high concept qui se trimbale dans le fond de l’intrigue, c’est bien cet angle qui prime.

    Et alors, vous me connaissez, moi, dés qu’il s’agit de traumatisme, je réponds présente. Exactement comme pour Dare Me, j’ai eu ce sentiment de fascination viscérale (et pour une autopsie ça tombe plutôt bien) parce que même si je n’ai pas eu la même expérience que Leah, ou qu’une autre adolescente de la série, je retrouve en filigrane quelque chose de similaire dans le ressenti. The Wilds prend aux tripes.
    Il y a quelque chose de fondamentalement brutal dans la façon dont les deux séries dépeignent l’adolescence et en particulier l’adolescence féminine. D’ailleurs sur ce point, les 5 premières minutes de ce pilote sont une masterclass d’exposition à la fois des personnages et de la thèse de la série, tout en posant une ambiance et un discours implacables à leur sujet. Être une adolescente, c’est ça le trauma. Dans le fond il n’y a qu’une adolescente qui oserait dire des choses aussi dramatiques… et pourtant en tant que féministe, si je n’ai pas lu ces mots exacts, en tout cas ils résument bien certaines choses qui sont dites sur le parcours initiatique qui mène à la féminité. Ce ne peut être un hasard, d’ailleurs, que la destination des adolescentes, à laquelle en théorie elles n’arrivent jamais, soit une retraite féministe.
    Est-ce que vous la sentez, la teenage angst ? Non mais pas juste, « ah oui je me souviens », vraiment, est-ce qu’elle vous attrape les boyaux comme il y a 5, 10, 15 ou, dans mon cas, 20 ans ? Des séries comme Dare Me et maintenant The Wilds proposent de vous la faire revivre, en mieux parce que désincarné, mais en pire parce que transcendé par la fiction. Comme si regarder ces personnages imaginaires au vécu différent du vôtre vous donnait des flashbacks. C’est violent à revoir parce que ce n’est pas vous, mais ça fait appel à votre expérience de la plus intime des façons. Ca va chercher la vous d’alors et ça la fait hurler dans votre tête toutes les choses qu’avec l’âge vous pensiez avoir oubliées, parce que qui veut se rappeler des pires expériences de l’adolescence ? Les meilleures peut-être, et encore elles s’émoussent avec le temps, mais les pires ?! Et pourtant The Wilds est là, à vous déballer les intestins sur la table juste pour le plaisir. Parce que, le plus absurde, c’est que c’est une série, quelque chose que supposément vous regardez pour le plaisir ! C’est quel genre de masochisme, ça ?
    Bah c’est le masochisme de quelqu’un qui est passé par un trauma. Je valide totalement la thèse de The Wilds.

    Le contexte lostien de The Wilds est là pour chirurgicalement tout découper autour de l’adolescence féminine. Retirer la société, retirer les adultes, retirer les adolescents masculins, retirer les portables, retirer tout. Chaque millimètre de peau, chaque tendon, chaque nerf, chaque boule de graisse, finement prélevés pour ne laisser que la chair, saignante, à observer sur la table d’autopsie.
    Du coup, merci pour rien, hein ! Je vais devoir commencer une troisième review de saison. On n’est pas aidés.


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  • Illness is bullshit

    11 décembre 2020 à 22:51 • Telephage-o-thèque •

    L’une de mes séries préférées dont je ne parle jamais (hors Twitter du moins) est People Watching. C’est une série animée initialement proposée par Cracked (ce qui explique le référencement des épisodes en saison 1), mais aussi CBC au Canada (le créateur Winston Rowntree est Canadien), et qui, si elle avait été commandée par Netflix mettons, serait devenue une critical darling. A la place, eh bien à la place rien. On peut en tout cas se consoler en se disant que ses deux saisons sont intégralement visibles gratuitement.
    Je la revois régulièrement, parce que quelle que soit l’humeur et quelle que soit la préoccupation, il y a toujours un épisode qui me parle exactement de la façon dont j’ai besoin. Tout justement, en regardant le premier épisode de La linea verticale, une série italienne de 2018 qui trouve une seconde vie à l’international grâce à Amazon Prime, j’ai eu une pensée pour son épisode « Death is bullshit« , dans lequel l’un des personnages récurrents de la série, Candy/Joan, est hospitalisée suite à un accident de la route, et raconte combien cette expérience a radicalement changé son point de vue et ses croyances sur la mort. Parce que c’est lors de ces séjours à l’hôpital, hors du temps, qu’on a tout le loisir de considérer ce genre de choses.

    Le premier épisode de La linea verticale offre une parenthèse similaire à son héros, Luigi, lorsque celui apprend que le sang dans ses urines est en fait l’unique symptôme d’une grosse tumeur au rein. Il doit se faire opérer aussi vite que possible. Sa vie est donc mise en pause pendant son hospitalisation, et le voilà confronté à ces réflexions qu’on ne s’autorise pas à avoir autrement.

    La première pensée de Luigi, après avoir appris la mauvaise nouvelle, est de penser à son enterrement. Quel genre d’enterrement veut-il ? Que veut-il que les gens fassent et surtout ressentent ce jour-là ? C’est un peu morbide, mais qui ne le serait pas en pareilles circonstances…
    Pourtant La linea verticale prouve bien vite qu’elle n’est pas une tragédie, mais plutôt qu’elle s’inscrit dans la suite des dramédies ambivalentes qui ont gagné en popularité depuis un peu plus d’une décennie. Evidemment il est difficile de ne pas penser à The Big C, mais pas seulement. Plus que de parler de ce qu’il y a autour de la maladie (ce qui, certes, viendra peut-être dans un épisode ultérieur de cette saison de 8 épisodes), La linea verticale fait cependant le choix de présenter aux spectateurs un regard réaliste, mais humain, de ce que cela signifie que de traverser la maladie.

    A son arrivée à l’hôpital, Luigi remarque ainsi que désormais il vit dans un monde à part, et qu’il a accepté en signant la décharge d’être dépourvu de son droit à l’auto-détermination. Désormais toute décision sera prise par autrui : qui peut le visiter et quand, quand dormir, quand manger, comment s’habiller, quand sortir. La situation s’étant précipitée en très peu de temps, s’abandonner à l’hôpital et ses rouages qu’il présume bien huilés est en fait un peu un soulagement, quand bien même il ne peut pas tout-à-fait s’empêcher de se faire du soucis. Ce qui est normal. On sent au cours de ce premier épisode que, de par le choc, mais aussi parce qu’il le faut bien, il essaie de se concentrer sur ce qui n’est pas annonceur du pire.
    Ce n’est pas toujours facile. Lorsqu’il débarque dans sa chambre, il découvre un autre patient poussé vers la sortie, par un médecin qui n’a pas vraiment l’air de savoir ce qu’il a, mais qui a décrété que sortir plus vite aidait à récupérer plus vite ; les protestations du patients, vieux et fragile, sont récompensées par une escorte au milieu de deux larges brancardiers. A mesure que l’épisode passe et que les scènes (de plus en plus brèves) se succèdent, l’absurdité du monde hospitalier se révèle à lui. Les phrases vides de sens, les procédés à deux doigts de n’être plus humains, les règles plus brutales que pratiques. Le simple fait qu’il se trouve à l’hôpital alors qu’il n’a pas mal, mais qu’il aura mal après l’opération, est en soi absurde. Mais Luigi tient bon pour le moment, malgré la détresse, et trouve même du réconfort dans ce qu’il perçoit, comme la gentillesse de l’aide-soignante « Filippa », le nombre de patients dans l’unité d’urologie qui vivent exactement la même inquiétude que lui, ou le charisme solaire de son chirurgien, l’énigmatique Zamagna.

    C’est précieux, cette façon dont La linea verticale se concentre sur l’hôpital, son fonctionnement, son idéal et sa réalité, pour parler de l’expérience de Luigi. Il en ressort une absurdité qui parvient à souligner, en creux, la véritable absurdité de ce qu’il se passe : la maladie n’a pas de sens. En fait c’est à elle que Luigi doit la perte de son pouvoir décisionnaire dans sa propre vie ; pouvoir imputer ce genre de choses à l’hôpital (non que celui-ci soit, hm, tout blanc) permet de survivre au choc qu’est cette annonce. Hospital is bullshit because death is bullshit.
    Il est également plus que louable que La linea verticale offre quelques scènes à Elena, la femme de Luigi. Il ne s’agit pas de centrer la série sur elle, fort heureusement, mais de tout de même envisager son point de vue. Quel est son rôle dans cette épreuve ? On la verra batailler pour que l’infirmière en cheffe accepte ses visites quotidiennes, ou prendre sur elle de lire la décharge à la place de Luigi… quand bien même les choses sont difficiles de ce point de vue-là aussi. Elena est après tout enceinte jusqu’aux yeux, et doit continuer de s’occuper de leur fille de 7 ans en même temps que tout cela se produit.

    La linea verticale offre pendant sa première demi-heure un petit bijou doux-amer, vous rappelant à votre propre vulnérabilité, à plus forte raison si vous avez eu des expériences similaires en milieu médical. Personne ne ressort de ce visionnage avec les joues sèches. PERSONNE.
    Son ton ne doit rien au hasard : la série est l’adaptation d’un livre éponyme écrit par Mattia Torre, qui est également le scénariste de la série (on lui doit d’autres séries italiennes, comme Boris), et pour qui je soupçonne que le projet ait été grandement autobiographique. Je ne sais pas quel sera le sort de Luigi au terme de cette unique saison, mais je ne suggère pas de googler ce qui est arrivé à Torre en juillet 2019. C’est vicieux ce que je viens de faire là, j’en conviens.
    Si vous avez besoin d’une catharsis en ce mois de décembre 2020, c’est ma recommandation du jour.

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  • Life game

    10 décembre 2020 à 22:55 • Dorama Chick •

    On se connaît depuis quelques temps vous et moi, du coup vous ne serez pas étonnés d’apprendre que j’ai sauté sur l’occasion de découvrir Imawa no Kuni no Arisu (ou Alice in Borderland de son titre international), la dernière série originale en date de Netflix pour le Japon. Non que je sois fan du manga (que je n’ai jamais lu) ou de la version animée (que je n’ai pas vue non plus), mais à cause de ma passion totalement avouée pour les séries high concept japonaises.

    Le high concept japonais, on va ne va pas répéter de quoi il s’agit : j’ai déjà pu vous offrir un historique complet de la question précédemment. C’était une tendance très forte à la télévision linéaire il y a quelques années, et si le soufflet est un peu retombé depuis, il continue d’y avoir régulièrement des séries du genre, parce que cette approche permet plein d’expériences de pensée et/ou d’expériences sociales, notamment.
    Alors, qui sont nos cobayes cette fois-ci ?


    De bons gros losers. Des ratés parmi les plus ratés. Des inutiles.
    Ryouhei Arisu est un jeune homme dont la vie est partie dans le décor. Depuis la mort de sa mère, il est totalement désabusé et ne fait plus rien de ses journées. Pire : il ne veut rien. Il vit sa vie au jour le jour, sans but mais aussi sans envie, passant l’essentiel de son temps sur des jeux video ou à échanger des messages avec ses potes. Ce serait sympa si Imawa no Kuni no Arisu arrêtait de m’attaquer personnellement.
    A ce stade son père et son frère ne savent plus quoi faire. D’ailleurs quand s’ouvre le premier épisode de la série, Ryouhei a fait l’impasse sur un entretien d’embauche que son frère s’était démené pour lui obtenir dans sa boîte. Et il n’en a mais alors rien à péter. C’est le moment où sa famille baisse les bras, où son père lui indique que tout ce qu’il veut à présent c’est juste de ne pas entraîner son frère dans sa chute, et où Arisu prend la porte. Vous noterez que le titre international gomme le jeu de mot du titre, Alice s’orthographiant effectivement « アリス » soit arisu, mais c’est aussi un nom de famille plutôt courant, s’orthographiant « 有栖 » soit… arisu, le nom de famille du héros, par lequel ses amis l’appellent.
    Son premier réflexe est de vouloir boire un coup avec ses potes. Et les potes en question ne mènent pas une vie tellement plus radieuse, entre Daikichi Karube, un grand type bagarreur qui bosse dans un bar et se tape la copine du patron (…du coup quand le patron s’en aperçoit, il ne bosse plus dans le bar), et Chouta Segawa, un salaryman insignifiant dont les maigres ressources financières sont systématiquement pompées par sa mère. Des losers, on vous dit.

    Ce jour-là donc, après que chacun ait eu une preuve supplémentaire de ses échecs, ils décident de se retrouver dans le quartier populaire tokyoïte de Shibuya, et d’essayer de trouver un quelconque bar ouvert en milieu de journée. Ils essaient de se changer les idées et d’oublier leur inutilité, et l’espace d’un instant, dans la foule de Shibuya, ils se sentent libres, tous les trois ensemble, au milieu de la chaussée… quitte à provoquer une collision entre voitures. Par crainte de la maréchaussée, ils se précipitent dans les WC de la station de métro la plus proche… et soudain, c’est le drame.
    Ou plutôt c’est le vide. Parce que d’un coup d’un seul l’électricité est coupée dans la station. En fait, même leurs portables ne fonctionnent plus. Ils sortent des WC et découvrent ce qui alarmerait n’importe quel Japonais : un Shibuya entièrement vide. Pas âme qui vive. En fait, toute la ville semble s’être évaporée en une fraction de seconde.
    Non, ce n’est pas une version nippone de The Leftovers : s’il est vrai qu’ils sont préoccupés un temps par ce vide incroyable, ils se montrent finalement soulagés. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent maintenant. Le monde (ou ce qu’il en reste ?) leur appartient. Ils sont là, entre potes, et finalement est-ce que c’est si terrible ?

    Vous vous doutez bien que oui. Et c’est là qu’entre en jeu l’aspect high concept. Littéralement.
    Quelques heures après avoir découvert un Tokyo entièrement abandonné, Arisu, Karube et Chouta (je sais pas pourquoi Chouta est le seul qu’ils appellent par son prénom, mais passons) ont la surprise de voir un immense message s’afficher sur la façade d’un immeuble, leur indiquant que le JEU va bientôt commencer, et leur indiquant une direction vers laquelle se rendre. Surpris (et peut-être quand même un peu soulagés, hein) de découvrir que quelqu’un d’autre serait en ville, ils se dirigent vers l’endroit. A l’intérieur d’un building, le fléchage les conduit vers des téléphones portables (qui, eux, fonctionnent), et leur apprend qu’ils sont inscrits au JEU. Deux autres personnes apparaissent, une jeune femme et une adolescente, qui sont également inscrites au JEU. Et du coup le JEU commence.

    Soyons précis : ce JEU, personne n’a demandé à y participer. C’est même un mécanisme récurrent dans les séries high concept japonaises, qui va souvent plus loin : on ne sait que le JEU existe qu’une fois qu’on a été enrôlé. Mais il va bien falloir s’adapter, apprendre à comprendre les règles, jouer, et surtout gagner. Perdre, dans ce cas précis, c’est mourir (dans d’autres séries similaires, perdre peut signifier endosser une immense dette, comme dans LIAR GAME, ou quelque chose d’aussi irréversible, mais pas nécessairement morbide). Or Arisu, Karube et Chouta sont désœuvrés, mais pas suicidaires.
    Au Japon, ce sous-genre a un nom : on appelle ça une fiction sabaibukei, autrement dit : death game.


    Imawa no Kuni no Arisu n’est pas toujours d’une grande finesse. Il faut dire qu’elle a deux twists à intégrer dans son épisode d’introduction : d’abord le vidage de Tokyo, et ensuite cette histoire de JEU dont elle va même donner un premier aperçu qui ne sera pas sans rappeler les enjeux de la franchise cinématographique Cube. Tout ça en établissant qui sont les personnages, et quels sont les enjeux philosophiques de son sujet. Mais la série prouve une maîtrise totale des tenants et aboutissants du genre.
    Car au bout du compte, pourquoi dans les séries high concept japonaises ce type de JEU est si fréquent ? Pourquoi créer des environnements si absolus pour que le JEU puisse se tenir ?

    Parce que les séries high concept japonaises, et en particulier les death games, voilà ce qu’elles montrent : un jeu qui nous dépasse, auquel on n’a pas demandé à participer, dont on ne connaît pas les règles, mais qu’il va falloir dominer sous peine de voir sa vie changée à jamais, ou, pire, achevée. Les death games sont donc, j’espère que vous en mesurez l’ironie, des séries sur la vie. La vie en société, avec ses obligations, ses règles, et les conséquences désastreuses si on fait les mauvais choix.
    Au risque de faire de la psychologie de comptoir, ce n’est pas très étonnant que ce genre parle au public japonais. Mais plus encore, le public de ces fictions (j’englobe là le manga, l’animation, le cinéma ou bien-sûr la télévision) est très souvent un public masculin, jeune, geek… Oh et, l’apparition et la popularité de ces fictions correspond à, je vous le donne dans le mille, une décennie de crise économique (une deuxième « génération perdue ») qui a entraîné auprès de cette population un fort taux de chômage à la fin des études, une explosion des carrières fragmentées (jobs à temps partiel, par exemple), et une remise en question des structures sociales et familiales. A un moment on ne peut pas faire une fiction plus sur-mesure que ça.

    Dans Imawa no Kuni no Arisu, la société a été retirée de l’équation… au moins en apparence : effectivement, Arisu, Karube et Chouta peuvent vérifier de leurs propres yeux que ni leur famille, ni leur petite amie, ni leur patron, ne sont encore là. Ils semblent libérés de ce qui les oppressait précédemment, et surtout libérés du regard que les autres pouvaient porter sur eux et leurs actions. Comment peut-on être le rebut de la société quand il n’y a pas de société ? Ca semble être un soulagement, mais le JEU réintroduit progressivement ces notions, et les pousse à leur paroxysme. Il va leur falloir apprendre comment réussir, et l’appliquer rapidement s’ils veulent survivre. La première manche du JEU dans cet épisode inaugural de Imawa no Kuni no Arisu met à l’épreuve les capacités qu’avant ils n’avaient pas su mobiliser, mais dont il est établi, en particulier pour l’un d’entre eux (au hasard, celui qui a son nom dans le titre ?), qu’elles sont préexistantes. Elles n’ont simplement jamais été mobilisées. Pour gagner, il faut donner le meilleur de soi-même, pas être un autre.
    Il est d’ailleurs intéressant de noter un choix de la série dans son adaptation du manga original : au départ, Arisu, Karube et Chouta sont des lycéens. Des lycéens qui sont aussi des ratés, oui, mais auxquels le jeu sert de parcours initiatique.

    Avec ses faux airs d’escape game tragique et son univers surprenant (voir une mégalopole comme Tokyo entièrement vide, ça fait un petit choc), Imawa no Kuni no Arisu est bien décidée à pousser ses protagonistes au-delà de leurs limites, les confronter à leurs échecs et, normalement, si tout va bien, les pousser à se dépasser. La survie est, après tout, à ce prix.

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  • Kismet

    9 décembre 2020 à 21:29 • Telephage-o-thèque •

    Hey, vous savez de quoi on ne parle pas assez souvent ? Des trésors du patrimoine télévisuel mondial qu’on peut trouver en ligne. C’est difficile à chiffrer, mais il existe des heures et des heures de télévision sur des plateformes comme Youtube, Dailymotion ou Vimeo (et je ne parle même pas des plateformes « locales », mais il y aurait long à dire des trésors qu’on trouve sur des équivalents russes ou chinois). Evidemment, dénicher une pépite dans ces recoins d’internet où l’indexation est aléatoire (et souvent évitée volontairement), et où les contenus peuvent disparaître du jour au lendemain pour des questions de droits, c’est une expérience très différente du streaming de Netflix, Amazon Prime et Hulu. Il n’y a aucune espèce de promotion ou publicité, non plus. Bref, accéder au patrimoine télévisuel, c’est souvent une affaire de curiosité, d’initiative et… de chance.
    Hier, alors je préparais un article (que finalement je n’ai pas eu le temps de finir, mais c’est pas grave, hein ? J’essaie de ne pas trop me mettre la pression alors que je suis en phase de « convalescence téléphagique« ), je suis tombée par le plus grand des hasards sur le premier épisode de Wanda at Large, un sitcom étasunien remontant à 2003. Qu’évidemment j’ai aussitôt regardé !
    Il semble y avoir d’autres épisodes en ligne, si j’en crois mes recommendations, mais pas l’intégrale… telle est la dure loi d’internet en la matière.


    Comme beaucoup de séries construites autour d’une personnalité connue (les Américains appellent ça un vehicle), plus encore s’il s’agit de quelqu’un venant du monde du stand-up, Wanda at Large est explicitement centrée sur la comédienne Wanda Sykes, qui garde donc jusqu’à son nom. Le parcours de l’héroïne est d’ailleurs si j’en crois Wikipedia calqué sur le parcours de l’interprète : Wanda Sykes a travaillé pour la NSA avant de se consacrer au stand-up, eh bien Wanda Hawkins est apparemment une ancienne employée du gouvernement américain aussi, mais qui a réorienté sa carrière. Ce sont des ressorts très courants pour un sitcom de ce type, même si, pour être honnête, ce n’est pas beaucoup développé dans cet épisode d’introduction, qui ambitionne principalement de mettre en place les situations à venir plutôt que d’expliquer qui vient d’où et pourquoi.
    Wanda Hawkins y est dépeinte (et là encore c’est assez proche de l’image publique de Sykes) comme quelqu’un de jovial, drôle, mais doté d’un certain je-m’en-foutisme. Elle ne craint ni les déconvenues, ni même la réaction négative de gens qu’elle pourrait caresser à rebrousse-poil avec ses bons mots… sans jamais être dans la méchanceté, bien entendu. C’est un peu la raison pour laquelle il est si facile de tomber sous son charme. Son neveu et sa nièce, qui vivent dans le même immeuble, apprécient clairement sa présence à cause de cette attitude ; on n’en parle pas beaucoup dans cet épisode initial, mais ils ont perdu leur père et vivent désormais uniquement avec leur mère, une veuve que Wanda est supposée aider à élever ses enfants. En théorie elle a donc un rôle de support dans leur vie, mais dans la pratique, son approche est plus celle de la « cool aunt« .

    Dans le premier épisode, Wanda Hawkins se retrouve par un concours de circonstances à une soirée de travail au sein de la chaîne de télévision où bosse son ami Keith, producteur pour WHDC TV. Elle est avant tout venue là pour boire gratuitement, mais dans le feu de l’action elle impressionne le patron de Keith et finit par dégoter une place au sein d’une émission de débats, où elle est entourée de gens très sérieux. Elle est évidemment tout leur contraire.
    L’originalité essentielle de ce premier épisode en est sa chronologie. Aujourd’hui c’est devenu monnaie courante si ce n’est une obligation légale que de commencer in media res, interrompre l’action, puis faire un bond dans le passé pour expliquer comment on en est arrivés là avant d’enfin délivrer une conclusion. Mais pour un sitcom multicam et à plus forte raison au début des années 2000, c’est encore assez rare. Cela a en tout cas le mérite de souligner l’énergie inépuisable de son héroïne, et son état d’esprit anticonformiste. Je veux dire, qui d’autre se rendrait au travail en peignoir parce qu’il ne sert à rien de s’habiller si de toute façon on va se faire virer ? 

    Wanda at Large est avant toute chose l’occasion d’apprécier ce type d’énergie, venant de quelqu’un qui n’a à la fois honte de rien, et qui en même temps fait les choses avec sincérité et tendresse. J’ai tendance à penser que beaucoup de gens qui se présentent comme « honnêtes » et qui ne font que « dire ce que les autres n’osent pas » sont de gros connards égocentriques, mais ce n’est pas tout-à-fait ce qui se joue ici. La franchise de Wanda (la comédienne comme le personnage) est plus une façon de faire parler quelqu’un qui a peu voix au chapitre en temps normal : Wanda est une bonne vivante (elle aime l’alcool… et d’autres substances), mais surtout une femme noire venant d’une classe sociale peu aisée. Le panel dont elle fait partie, et qui se gargarise de débats intellectuels, ne représente pas son expérience ; Wanda revendique le droit d’énoncer sa vérité haut et fort plutôt que de s’en excuser. Et même d’en faire sa force, au final. D’ailleurs la raison première pour laquelle elle choque ses nouveaux collègues en critiquant la chirurgie esthétique de l’une des journalistes présentes n’est pas tant qu’elle s’est attaquée à l’apparence de celle-ci, il y a une réflexion plus profonde derrière, même si elle n’est pas exprimée selon les habitudes du milieu où Wanda évolue à présent.

    Tout cela n’est pas exactement un manifeste politique… mais quand même.
    Le signifié dans Wanda at Large est clairement de donner les pleins pouvoirs à Wanda Sykes pour être pleinement elle-même et avoir le contrôle de ce qu’elle dit. D’ailleurs je l’ignorais mais apparemment Wanda at Large est la première série créée, écrite, produite et interprétée par une femme noire. Sykes ayant fait son coming out plusieurs années après, on pourrait aussi ajouter qu’il s’agissait d’une femme noire lesbienne, qui plus est.
    Wanda Sykes ne s’est jamais cachée d’avoir des opinions bien tranchées. De se revendiquer du petit peuple (c’est vrai pour beaucoup de comiques, pour être honnête), de parler avec la voix qui est la sienne, celle d’une femme noire venue du Sud des Etats-Unis. Celle d’une femme qui ne devrait pas nécessairement être là, du moins pas si elle avait dû écouter les autres. C’est également vrai dans ses spectacles de stand-up ; mon préféré, même s’il commence à dater, est résolument Ima be me (dans lequel elle parle entre autres de son coming out lesbien, mais aussi de la présidence d’Obama ou de sa « nouvelle » vie après un mariage, la naissance de ses enfants, et les changements de son corps avec l’âge).

    Une voix que, si je n’avais pas fait une recherche spécifique hier, je n’aurais pas entendue. Il n’est pas certain que j’aurais vu ne serait-ce qu’une seule minute de Wanda at Large sans la mise en ligne de cet épisode par un anonyme sur Youtube, non plus (chose d’autant plus vraie que le DVD de Wanda at Large est sorti en 2015, assez discrètement en plus).
    Et c’est vrai de dizaines, centaines, voire peut-être un bon millier d’autres pilotes que je vais régulièrement chercher et récupérer sur la plateforme, pour les garder au chaud des fois qu’ils soient retirés. Je sais qu’on vit à une époque où tout le monde aime se rassurer en disant qu’il y a « too much TV« , et où on essaie tant bien que mal de s’organiser pour voir ce qui nous intéresse sans pour autant perdre de vue que ça doit rester un plaisir. En outre, notre dépendance croissante aux plateformes de streaming légales, qui ne se gênent pas pour occuper tout l’espace médiatique avec leurs nouveautés, et éventuellement seulement quelques séries bankable de leur catalogue plus ancien, fait qu’on n’a pas toujours du temps à consacrer à ce genre de choses.
    Cependant, le visionnage de ce premier épisode de Wanda at Large m’a rappelé deux importantes leçons. D’abord que le hasard n’existe presque plus dans notre consommation telle que prescrite par Netflix et consorts. Et surtout que, l’histoire télévisuelle, elle a été faite par de nombreuses séries qui par définition ne sont pas récentes, et que ce patrimoine n’est quasiment jamais mis en avant par la culture téléphagique actuelle. Du coup j’ai pas fini mon article, mais j’ai appris plein de choses.


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  • The Marvelous Mrs. Bhatnagar

    7 décembre 2020 à 23:55 • Review vers le futur •

    C’est une charmante petite comédie qui a démarré la semaine dernière sur Netflix, avec Bhaag Beanie Bhaag, mais hélas pas une comédie très originale. L’histoire est celle de Beanie Bhatnagar, une jeune femme passionnée par l’humour et notamment le stand-up, et qui réalise soudainement que cette passion a trop longtemps été reléguée à l’arrière-plan de sa vie.


    C’est difficile de ne pas faire de comparaisons avec d’autres séries similaires, soyons honnêtes. Beanie est une femme qui semble avoir tout dans la vie, et dans ce premier épisode, ce tout devient plus tout encore : Arun, l’homme qu’elle fréquente depuis 3 ans, lui propose de l’épouser. C’est un homme d’affaires issu d’une famille riche, les parents de Beanie l’adorent, et même s’il est un peu soporifique, c’est quand même un peu le rêve ultime de n’importe quelle jeune femme indienne. Sauf que Beanie n’est pas n’importe quelle jeune femme indienne, bien-sûr. Les fiançailles lui font comprendre, un peu violemment, qu’elle aspire à reprendre le stand-up, qui lui sert de soupape. En plus, bien qu’elle ne se soit pas trop investie depuis qu’elle a commencé à voir Arun, son travail sur scène est apprécié et reconnu, y compris par un talent scout… le contraire de ce qui se passe dans l’entreprise où elle tient un emploi de bureau avec un patron ridicule et qui a un béguin malsain pour elle.

    Le conflit de ce premier épisode n’en est pas vraiment un, osons le dire : lorsque Beanie se voit offrir la possibilité de figurer sur l’affiche d’un des spectacles les plus influents du stand-up indiens, qui pourrait lancer sa carrière… celui-ci a lieu le soir de ses fiançailles. A votre avis, que va choisir Beanie ?
    Alors au début, bon, malgré l’angoisse grandissante (surtout en découvrant que tout le monde a une idée très précise des prochaines années de sa vie, et du nombre de bébés à y produire), Beanie tente de faire bonne figure, se plier à ce qui est attendu d’elle, laisser sa belle-mère organiser la soirée et même lui choisir une robe, en bonne petite fiancée. Mais lorsqu’elle découvre son cadeau de fiançailles, elle atteint le point de rupture. Comme on s’y attendait.

    Et c’est vraiment la tragédie qui se joue dans le premier épisode de cette comédie. Bhaag Beanie Bhaag n’est pas mauvaise, au contraire la belle énergie de son interprète principale, Swara Bhaskar, opère un charme réel ; à défaut d’avoir le matériel le plus hilarant qui soit devant le micro, en revanche c’est un plaisir de la voir réagir dans la vraie vie. Mais en-dehors de ça, c’est un peu convenu, et tout se passe exactement comme on peut l’imaginer, y compris lorsqu’un comédien américain (Ravi Patel, dans son presque propre rôle) débarque dans le tableau. Il n’y a pas de will-they-won’t-they ici, on se doute largement de ce qui se prépare. On fait semblant de prétendre.

    Peut-être que dans les épisodes suivants, on verra Beanie travailler son art et pas juste se prendre les pieds dans le tapis sous un angle personnel. Mais ce n’est pas garanti. Je me doute que des transformations conséquentes l’attendent, mais à tout le moins, si une série s’intéresse au monde du stand-up (et a fortiori du stand-up indien, bien moins représenté dans la fiction que son homologue nord-américain), j’aimerais voir du bon stand-up. Ce ne devrait pas être révolutionnaire que de l’espérer.

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