Blanchir le linge sale en famille

28 décembre 2016 à 23:52

Les Rafferty ont atteint une période de leur vie, sur un plan aussi bien familial qu’individuel, qui semble enfin stable. Des années après la mort du patriarche de la famille, Donna et ses 4 enfants (3 d’entre eux à présent adultes) ont une situation, comme on dit. D’ailleurs, ce jour-là, quasiment tous les Rafferty ont une bonne nouvelle à annoncer, dont deux demandes en mariage mais aussi l’acquisition d’une toute nouvelle maison.
C’est hélas le jour que choisit l’oncle Trevor, pas vraiment un oncle mais présent auprès des Rafferty depuis le décès de leur père, choisit pour être mis en état d’arrestation. Ah, et de faire une crise cardiaque, aussi.

Le pire reste toutefois à venir : Donna est bientôt suspectée par la police d’être la complice de l’oncle Trevor. Complice de quoi ? Eh bien de rien moins que de blanchiment d’argent.

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Les protagonistes de Dirty Laundry commencent l’épisode introductif de la série comme dans à peu près n’importe quelle dramédie feelgood d’Océanie : c’est vivant, mais un peu cliché, et assez inoffensif dans l’ensemble. C’est normal : c’est une série de Rachel Lang et Gavin Strawhan, deux scénaristes qui collaborent depuis des années et ont donné à la télévision néo-zélandaise quelques uns de ses succès les plus mainstream. Citons entre autres Outrageous Fortune ou Nothing Trivial (mais je vous invite à vous référer à la bio de Rachel Lang pour plus de détails). Ce n’est qu’une fois l’arrestation de Donna effective que la série prend enfin un peu de rythme, et surtout des enjeux véritables.

Kat l’avocate un peu pincée, Matt le bobo un peu naïf, et Bianca l’énergique, les trois enfants adultes de Donna, vont découvrir que derrière les petites magouilles de leur mère et de leur oncle se cache un système bien rodé, qui touche aussi le salon de coiffure de Bianca, et qui est alimenté par un salon de massages coquins dont ils ignoraient l’existence. Ils tombent des nues, forcément ! Mais pour tirer leur mère de cette mésaventure, ils vont devoir eux-même continuer à faire tourner les affaires pas très propres de Donna…
Rien que de très classique dans ce ressort, vous l’aurez compris. Ce n’est franchement pas la première fois que des personnages supposément innocents héritent d’un business douteux de personnes qui leur étaient proches. Des hordes de séries sont en fait construites à partir de cette idée, de Hard à Casino en passant par The Strip. Et j’en oublie forcément. La composante la plus dérangeante dans ce trope est le recours quasi-systématique au travail sexuel comme raison pour laquelle la découverte d’un business caché est choquante. Les héritiers de telles entreprises ont une nette tendance à rarement donner de leur personne, du coup. Bref l’arrière-goût est rarement autre que désagréable, au moins de prime abord.

Pour trouver de la personnalité et de l’intérêt à Dirty Laundry, voire même de l’émotion, il faudra donc attendre la toute fin de ce premier épisode. Kat, ulcérée d’apprendre que sa mère a conduit un business aussi illégal que le sien pendant des années, vient lui rendre visite pendant sa détention provisoire, et s’apprête à lui sauter à la gorge.
C’est alors que Donna, apparaissant soudainement dans toute sa vulnérabilité, délivre une explication poignante : après le décès de son époux, elle devait élever 4 enfants seule, et sans les combines de l’oncle Trevor, n’aurait jamais pu le faire. N’aurait jamais pu garder la maison. N’aurait jamais pu envoyer sa fille aînée en droit. Et lorsque celle-ci s’insurge que la pauvreté n’était pas honteuse, Donna, presque sans amertume, fait comprendre à sa fille que Kat en a, tout justement, été protégée par ces opérations de blanchiment contre lesquelles aujourd’hui elle est furieuse, et qu’en réalité elle ne sait rien du poids de la pauvreté.
Devant cette scène si forte, qui obtient l’effet voulu sur Kat c’est-à-dire la faire descendre de ses grands chevaux, on a envie d’aimer Dirty Laundry. Soudain ce n’était plus au trope de l’héritage d’un business « sale » à la Hard que je pensais, mais au type d’héritage laissé par Veronika dans Arvingerne, celui d’une histoire familiale dans toute sa complexité et sa vulnérabilité. Le personnage de Donna se sort grandi de cette scène de confrontation, et j’ai soudain ressenti une immense empathie envers les Rafferty.

Hélas je doute que cela augure d’un changement de ton, et c’est tout mon problème. Dirty Laundry replonge ensuite dans un certain nombre de clichés gentillets, faisant de l’intrigue principale le blanchiment de l’argent, et non la découverte d’un secret familial un peu douloureux. Personnellement je comprends le choix, j’ai juste du mal à le suivre. Quant aux intrigues secondaires, notamment autour de la séparation de Matt d’avec sa compagne (séparation au milieu de laquelle se retrouve Oscar, un petit garçon queer), elles tournent rapidement en rond et ne s’avèrent pas spécialement émouvantes ni drôles.
Je ne m’étonne donc pas franchement de la réception tiède faite à Dirty Laundry lors de sa diffusion en septembre dernier. Après un bon démarrage, la série a subi une brutale hémorragie de spectateurs qui a conduit la chaîne TV One à annuler la série et diffuser deux par deux, jusqu’à des heures indues, les épisodes qui lui restaient sur les bras.

Quand on sait que Dirty Laundry a coûté, du haut de ses 13 épisodes, la rondelette somme de 6,8 millions de dollars néo-zélandais (ça va taper dans les 4,52 millions d’euros) à la télévision publique et à l’organisme de fonds audiovisuels publics NZ On Air, ça fait forcément un peu mal. Tout ça pour être remplacée plusieurs semaines trop tôt par des rediffusions d’un docudrama australien, en plus !
En Nouvelle-Zélande, et plus généralement en Océanie, le sujet de la fiction nationale (essentiellement financée par l’agent public) est souvent sensible. Le revers de Dirty Laundry ne fait que rouvrir les vieilles plaies, d’autant qu’il intervient après les soucis plus tôt cette année de Filthy Rich, sur TV2, des mêmes créateurs ; Lang et Strawhan avaient en effet décroché le financement copieux de ces deux séries alors qu’ils venaient de créer leur propre structure de production (ils venaient de quitter la société South Pacific Pictures qui les avait longtemps produits). Or, peu de nouvelles séries sont subventionnées chaque année en Nouvelle-Zélande, ce qui signifie qu’en donnant le feu vert à ces deux onéreuses séries auprès de ces auteurs supposément fiables (mais qui pour la première fois devaient également assurer la production de leurs créations), ce sont une fois de plus des auteurs arrivant avec des concepts plus innovants qui se sont vus claquer la porte au nez. Et ça, ça agace pas mal que ce soient toujours aux riches que les décideurs publics prêtent… surtout pour obtenir ces résultats. Gageons que si Dirty Laundry avait captivé le public, la frustration ne serait pas aussi vibrante.

C’est un peu triste que Dirty Laundry n’ait une chance de rester dans l’histoire télévisuelle néo-zélandaises que dans pareil contexte. Mais il mérite notre attention car il explique, au moins en partie, pourquoi la fiction des antipodes se pose des questions similaires à la fiction française.
Les conséquences pour Dirty Laundry sont peut-être cuisantes, mais moins que pour les séries néo-zélandaises.

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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