Daddy’s little judge

29 mai 2022 à 23:42

Canal+ Afrique continue de lancer des fictions locales pour étoffer son catalogue, et le mois dernier c’était le cas d’Eki, une série gabonaise, devenant la 12e création originale sur le continent ; elle s’est achevée il y a quelques jours. Cette fois-ci, il s’agit d’un legal drama, ce qui fait qu’évidemment j’avais encore plus envie d’y jeter un oeil ! On a déjà pu parler de quelques séries judiciaires africaines par le passé, francophone (comme dans la review d’Allô Tribunal) ou non (je vous renvoie à celle de Castle & Castle, ou dans un autre registre celle de The LAB), mais vous me connaissez, ce n’est jamais assez ! Quand on voit toutes les séries de ce genre qui nous parviennent d’autres régions du monde, c’est difficile de se sentir rassasiée avec si peu.

Trigger warning : viol, violences reproductives.

Avant que je ne commence, si vous souhaitez tenter le coup par vous-même, bonne nouvelle : le premier épisode est disponible sur Youtube. Certes, la qualité video est un peu aléatoire (en particulier pendant les scènes d’action ou certains gros plans), et Canal+ Afrique ne met en ligne que le premier épisode de ses séries et pas les suivants… mais enfin, vu les circonstances, c’est mieux que rien. En tout cas, si vous préférez voir l’épisode avant de lire la review, vous avez l’option !

La série porte le nom de son héroïne, Eki Nyonda, une juge spécialisée dans les affaires de divorce. Elle est également la fille d’Edouard Nyonda, un haut magistrat dont elle a tout appris. En fait, Eki fait le choix de privilégier l’exposition de la relation entre le père et la fille pendant une large partie de son épisode inaugural, prenant de prime abord des airs de série dramatique plutôt que judiciaire. Edouard célèbre en effet ses noces d’émeraude (40 ans de mariage, donc) avec Chantal, son épouse et la mère d’Eki ; or, si le père et la fille sont proches, ce n’est pas du tout le cas de la mère et la fille, qui n’ont rien en commun. Lors de la soirée fêtant l’amour intemporel du couple, nous allons avoir tout le loisir de découvrir à quel point Eki et Edouard partagent non seulement leurs professions mais aussi leurs goûts (pour les échecs, notamment ; Eki semble s’être choisi ce jeu comme métaphore récurrente). Il est clair en revanche que Chantal, qui ne parle que de mariage et d’enfants, de mieux s’habiller ou se coiffer, ne fait qu’agacer la jeune femme, qui n’a aucun goût pour ces choses-là, pas plus que pour les mondanités.
On apprendra aussi, plus tard dans l’épisode, que lorsqu’elle était enfant, Eki a été élevée seule par Edouard pendant 7 ans, Chantal étant au loin (pour une raison qui n’a soit pas été dite, soit pas été claire pour moi). Cela n’a, évidemment, fait que creuser le fossé entre elles.

La fête tourne toutefois court lorsque la police fait irruption pour procéder sans ménagement à l’arrestation d’Edouard Nyonda, devant le gratin de la ville, comme le pire des malpropres. Pour sa fille Eki, c’est choquant, mais la série nous a préparées un peu mieux à cela, en nous présentant en tout début d’épisode la découverte macabre du corps d’une petite fille de 12 ans, ainsi que de sa nourrice, dans des conditions absolument atroces. La mère de la jeune victime, une dénommée Vanessa Mba, semble être une call girl frayant avec la haute société gabonaise. Le lien nous apparaît comme assez évident sur le moment. Surtout après avoir regardé Pandore plus tôt cette année (ce n’est probablement pas le cas du public de Canal+ Afrique, évidemment).
Pour Eki, toutefois, le lien est ailleurs : l’actuel procureur est Hugues Madéké, un homme qui a une dent contre elle et par extension sa famille (plusieurs allusions à un passif houleux ayant provoqué une blessure d’orgueil chez Madéké l’indiquent). Pour la juge, il est évident que le procureur veut profiter de l’affaire pour nuire aux Nyonda, et que l’enquête est menée à charge… mais c’est parce qu’elle n’a pas encore toutes les pièces en sa possession (et qu’elle ignore que la tagline de la série est « La famille c’est secret » !).

Là où j’ai du mal à suivre Eki, c’est dans la suite du déroulé de l’épisode. C’est que, si l’intrigue sur le meurtre de la fille de Vanessa Mba se poursuit effectivement, et est clairement amenée à occuper une grande partie ou toute la saison… eh bien, la série insiste pour adopter aussi une structure semi-procédurale, et suit Eki Nyonda dans les affaires qu’elle gère au bureau. C’est un choix étrange parce que, si l’affaire de ce premier épisode n’est pas dénuée du tout d’intérêt (d’ailleurs Eki indique explicitement après son générique : « Cas de divorces librement inspirés de faits réels »), elle induit des rupture de rythme et de ton assez surprenantes. Lorsqu’Eki officie au palais de Justice le lendemain de l’arrestation de son père, elle semble totalement détachée de l’affaire qui pourtant, dans les autres scènes, la préoccupe. Sans être entièrement déconnectées de l’intrigue en fil rouge (par exemple Eki va recevoir un appel dans son bureau, ou y être dérangée par la presse), ces scènes induisent une déconnexion émotionnelle, d’autant qu’Eki est évidemment très professionnelle et ne montre rien de son inquiétude aux justiciables qui défilent devant elle… mais du coup, à nous non plus. S’instaure qui plus est une dynamique plutôt légère avec sa nouvelle greffière, Jessica Obamba, qui sert de caution humoristique à plusieurs reprises. Personnellement, j’aime bien ce personnage (d’autant que j’ai trouvé Eki injustement cruelle avec elle), mais je ne comprends pas trop comment on en arrive à de telles variations sur le fond et sur la forme.
Encore une fois, je n’ai pas de problème avec l’affaire sur laquelle Eki Nyonda statue dans cet épisode. Elle est même très intéressante, et l’occasion d’en apprendre plus sur le système judiciaire gabonais.
Un pasteur se présente pour demander le divorce aux torts exclusifs de son épouse, qu’il accuse d’avoir fui le domicile conjugal pour aller vivre avec un autre homme. Selon la loi, le pasteur est dans son bon droit… mais en interrogeant l’épouse, Eki et Jessica commencent à avoir quelques doutes. Au début, la jeune femme indique être d’accord pour porter la responsabilité entière du divorce, quand bien même cela signifie qu’elle n’aura aucune pension alimentaire pour son fils ni quoi que ce soit. En poussant un peu, les deux juristes vont découvrir que la réalité est bien plus horrible : l’épouse, jugée incapable de donner un enfant à son mari, est passée par toutes sortes de traitements violents imposés par le pasteur et réalisés par un nganga. Elle a tout supporté sans rien dire, jusqu’à ce que le nganga tente un jour de sacrifier son fils ! Malheureusement, elle n’est en mesure d’apporter aucune preuve de ses dires…
Comme vous le voyez, l’affaire est complexe. Elle est en outre accompagnée de nombreux flashbacks qui décrivent la colère grandissante du pasteur, et les différentes interventions du nganga. Si Eki avait été une série à la Law & Order pour ne s’intéresser qu’à ce dossier, ç’aurait pu être un épisode complet sans problème !

…C’est le mélange des deux qui est parfois un peu maladroit. Je dois dire que, avec la personnalité d’Eki (le peut qu’on sait d’elle personnellement ne pousse pas exactement à l’empathie), ce sont les deux limites que je vois à cet épisode inaugural. Fort heureusement, le personnage central est voué à s’épaissir avec les épisodes ; et peut-être qu’à mesure que l’enquête autour d’Edouard avance, la série va trouver son rythme. C’est tout le mal que je lui souhaite, même si je doute d’un jour pouvoir le constater par moi-même.


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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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