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  • Passe décisive

    26 mai 2024 à 19:18 • Review vers le futur •

    Je m’étonne toujours secrètement de n’avoir jamais vu de série produite dans un pays arabe qui parle de football : le ballon rond n’y est-il pas populaire ? Asie, ça s’est vu. Europe, pas de problème. Amérique du Sud, le comble du choix. Même les USA en ont eu !!! Mais monde arabe… rien ? En tout cas rien que je ne puisse trouver.
    Ce mois-ci, la plateforme Shahid m’a rassurée, en lançant Forsan Graih, une dramédie se déroulant dans un club de foot en bien mauvaise santé.

    Graih (qui semble être un endroit fictif ? ou alors je suis vraiment nulle) est un petit trou perdu, avec une équipe de foot à l’avenant. Le manager, Abu Othman, est aux abois après une énième défaite : trois buts encaissés face à une équipe à laquelle il manquait un joueur ! Le voilà donc qui tente à tout prix de sauver les meubles. Pour cela, il va avoir besoin d’aide…

    La première chose à savoir dudit Abu Othman, c’est que c’est un connard. Il a une très haute idée de lui-même (en partie parce que son chauffeur et homme de main Hamdan est un yes man pur jus… et pour cause, il ne parle pas, il ne fait qu’aquiscer !), nourrit de grandes ambitions pour le club, et cultive une propension certaine à piocher dans les caisses. Une combinaison qui n’augure de rien de bon. Mais lorsque l’équipe de Graih perd une fois de plus un match de façon lamentable, son ego est piqué, et il décide de s’investir dans l’amélioration du club.
    Problème : ce n’est pas lui qui contrôle les cordons de la bourse, mais son oncle, l’entrepreneur Fahd Al Ajizi, qui commence un peu à en avoir ras-le-bol que l’équipe lui coûte aussi cher, sans aucun résultat derrière. Il semble aussi suspecter qu’il y ait anguille sous roche dans le comportement de Abu Othman lui-même… L’oncle Fahd propose donc de lui donner un chèque de 4 millions de riyals (un peu moins d’un million d’euros), une somme plutôt confortable, pour remettre de l’ordre dans le club. Vous imaginez bien que pour Abu Othman, c’est une aubaine !
    …Bon, il y a quand même une condition. L’oncle Fahd veut qu’une personne de son choix soit présente au club, et lui envoie un rapport quotidien sur les actions entreprises. Et, ça va de soi, sur chaque ligne de dépense.

    Maintenant qu’il se sait surveillé, Abu Othman doit donc se débrouiller pour à la fois redresser le club de foot de Graih, et quand même essayer de ne pas trop dépenser, histoire de s’en garder un peu de côté.
    Alors, pour remplacer son entraîneur brésilien qui n’a absolument rien amélioré (et pour cause, c’est juste un Saoudien qui a aussi un passeport brésilien, mais il n’est pas coach de profession !), il se rapproche de Shafi, un ancien joueur du club. Il y a plusieurs années, Shafi était la star de Graih, mais pendant un match, il a glissé au mauvais moment et raté un but essentiel pour son équipe ; devenu la risée des supporters et rendu fou de rage par l’humiliation qui s’en est suivie, il a arrêté le foot. Désormais, il tient un food truck de pois cassés, qui d’ailleurs n’a pas franchement de clientèle, et passe ses journées à rêver nostalgiquement à sa gloire passée. Toutefois, cette nostalgie se double aussi de ressentiment, et il faudra le convaincre de revenir travailler pour le club, au nom d’une gloire passée que l’obséquieux Abu Othman n’hésite pas à exagérer.
    Pendant que Shafi est convaincu, à grand renfort d’excuses et bien-sûr de promesses salariales, de revenir au club Graih, l’oncle Fahd engage comme convenu quelqu’un pour veiller sur ses affaires : Lina, une femme qui a déjà travaillé pour lui dans le cadre de la remise à flots d’une autre de ses compagnies, mais qui n’y connaît rien au foot.

    L’épisode initial de Forsan Graih se traine un peu, mais son humour pince sans rire passe plutôt bien. Abu Othman y est résolument notre point d’ancrage dans l’intrigue, mais avec suffisamment de recul et, d’ailleurs, de nuance : il est peut-être fondamentalement malhonnête, mais une part de lui ressent vraiment de l’intérêt pour le club, et voudrait le voir gagner. Shafi pourrait sembler être un personnage plus positif, qui est là pour l’amour du sport ; or il se présente surtout comme un grand colérique (il va menacer de frapper plusieurs personnes au cours de cet épisode… y compris les trois supporters qu’il considère comme les plus irrespectueux), amer, et prêt à tout pour un peu de gloire. Rien qu’avec ces deux personnages au centre de la série, Forsan Graih promet de n’être, mais alors, vraiment pas du Ted Lasso optimiste. Pour le moment je ne sais pas trop qu’attendre de Lina, un personnage à peine vu dans deux scènes ; c’est vraisemblablement le salaire qui l’a convaincue d’accepter l’offre de l’oncle Fahd, donc il est possible qu’il y ait une part de cupidité dans sa démarche aussi ; toutefois, elle semble plutôt être révulsée à l’idée d’aller s’enterrer dans un trou perdu minable. Les épisodes suivants (si je mets la main dessus) clarifieront éventuellement quel genre de protagoniste elle est. D’ailleurs, je me demande dans quelle mesure le fait qu’elle soit une femme va peser dans les réactions de l’équipe… surtout c’est aussi la seule femme du club, et par extension de l’épisode. Enfin, oui, si : on voit brièvement l’ex-femme d’Abu Othman, mais ça va si vite que je ne suis même pas convaincue qu’elle réapparaisse dans des épisodes ultérieurs.

    Même si ce n’est pas un coup de coeur pour moi, Forsan Graih est donc amusante, et surtout j’aime son côté cynique. Par contre j’ai une question probablement idiote, mais… le terrain de foot, il est en moquette ?!


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  • Enjoy the suffering

    25 mai 2024 à 17:19 • Review vers le futur •

    Autre série lancée ce mois-ci sur le thème de la prostitution, Heeramandi se distingue de Bangkok Khanika par son désir de ne pas traiter l’angle historique comme un prétexte, mais bien comme un thème à part entière. L’autre différence, et non des moindres, est que Heeramandi est une magnifique oeuvre de télévision ! Ce n’est pas très étonnant lorsque l’on sait que son réalisateur est Sanjay Leela Bhansali, l’une des grandes figures du cinéma indien et à l’origine (entre autres) du Devdas en 2002. Il signe ici une fresque romanesque, grandiose dans sa forme.

    Trigger warning : violS en réunion.

    Il y a beaucoup, beaucoup de choses à dire sur Heeramandi ; à plus forte raison parce que la review qui va suivre couvre l’intégralité de son unique saison (considérez-vous prévenue !). Mais vous remarquerez que j’ai commencé par vous dire du bien de son esthétisme… et il y a une excellente raison à cela.

    Heeramandi tire son titre du quartier de Heera Mandi (pas sûre d’avoir saisi le pourquoi de la nuance orthographique choisie par la série ici) dans le Lahore du milieu des années 40, avec toutefois quelques flashbacks dans les années 20. C’est un endroit que la série présente avec opulence, et il est difficile de résister à l’envie de vous en montrer un aperçu… et au passage, notez que toutes les miniatures de cette review sont cliquables.

    Les plans sont souvent larges, embrassent des décors sublimes dans toute leur splendeur, se déroulent au crépuscule ou à l’aube, on emploie des centaines de bougies pour mieux les couvrir d’or (ou plus exceptionnellement d’argent), bref, c’est sublime. Tout dans la réalisation de Heeramandi souligne la façon somptueuse dont vivaient ses héroïnes, et met toute son emphase sur les années glorieuses du quartier. La série est à ranger, avec la regrettée The Empire, dans la catégorie des séries indiennes qui soignent leur photographie. Cela sert particulièrement bien les quelques numéros musicaux, puisque d’ailleurs il y en a. Chose plutôt rare dans les séries indiennes, rappelons-le au passage.

    Lorsqu’il s’agit de filmer les intérieurs, la série aime que ses protagonistes prennent la pose, ouvrant sur des tableaux sublimes dont il est impossible de détacher les yeux pendant la scène qui suit. Je n’irais pas jusqu’à dire que chaque plan est une oeuvre d’art, mais on s’en approche de suffisamment près. Il ne fait aucun doute que Heeramandi est une série de réalisateur… et d’un réalisateur qui avait les moyens de se faire plaisir qui plus est.

    Et encore, je n’ai pas mentionné les costumes. Chaque tenue (et elles sont bien-sûr nombreuses) est magnifique, détaillée et parée de bijoux. Les protagonistes traversent également chaque scène avec des ghungroo aux pieds, également ; si on ne les voit pas forcément, en tout cas on les entend, et ajoutent un rappel sonore à la parure des protagonistes. Les actrices ne méritaient pas moins pour briller dans leur écrin.

    D’ailleurs si vous voulez en savoir plus sur la production de la série, je recommande cet article du New York Times, qui inclut des photos des coulisses, et donne une idée de l’ampleur de ce projet.
    Cet esthétisme est sans nul doute la plus grande qualité de Heeramandi maaaaais… c’est en fait aussi un peu ce qui cloche avec elle. Toutefois, avant d’expliquer plus en avant ce qui ne va pas dans cette mini-série, car il y a deux-trois choses à lister, parlons pour commencer de son intrigue.

    Tout commence en 1920, au sein du Shahi Mahal, le plus glorieux des palais de courtisanes de Lahore. Dirigé par la huzoor Rehana, il rassemble toute une famille étendue de tawaif ou de jeunes filles destinées à le devenir ; le kotha est en effet une structure matriarcale. Sous l’autorité de Rehana vivent donc, entre autres, ses jeunes soeurs Mallika and Waheeda, ainsi que sa fille Fareedan. Or donc, Mallika est tombée enceinte, enfantant d’un fils… et Rehana vend le bébé à un riche nawab qui n’avait pas d’héritier. Du point de vue de Rehana, ce choix tombe sous le sens : il est une évidence qu’un garçon n’a pas sa place dans un kotha (à moins d’être un eunuque), sans compter qu’il n’y a pas de petit profit. Et puis, surtout, en tant que huzoor, elle a droit de vie et de mort sur les personnes qui habitent son kotha, et donc très logiquement, elle a vendu le nourrisson. Mais pour Mallika, la vente de son fils, plus encore dans son dos pendant qu’elle était endormie, est évidemment un acte impardonable. Aussi, peu de temps après cette vente et avec l’aide de son mécène Zulfikar, elle tue Rehana et fait passer sa mort pour un suicide. Cela lui permet de prendre sa place en tant que huzoor du Shahi Mahal, ainsi que d’hériter de Khwagbah, le second manoir que possédait Rehana, situé juste de l’autre côté de la rue dans le quartier de Heera Mandi.
    Dans la panique des événements, Fareedan n’a eu d’autre choix que de prendre la fuite : elle n’était alors qu’une enfant. Mais 25 ans plus tard, la voilà qui réapparait à Lahore, bien décidée à reprendre ce qui lui revenait de droit. Normalement, c’est elle qui aurait dû hériter du Shahi Mahal et de Khwagbah.

    Cependant, Heeramandi n’est pas un revenge drama ; cet axe de l’histoire va même progressivement passer au second plan.

    En 1945, Mallikajaan (le suffixe « jaan » semble être une marque honorifique acquise par une tawaif, mais j’ai un peu de mal à trouver une source expliquant cela en détail) est toujours à la tête de Shahi Mahal ; elle a désormais deux filles. L’aînée Bibbojaan est douce, docile, et une excellente chanteuse ; la benjamine Alamzeb, férue de poésie, doté d’un caractère un peu plus fort, n’a pas encore commencé à travailler. Mallikajaan a également accueilli une protégée, Lajjo, qu’elle traite comme une troisième fille. Waheeda vit toujours dans le même kotha, bien que nourrissant beaucoup de ressentiment envers son aînée après les évènements de 1920 (d’autant qu’elle a été défigurée par Zulfikar pour ne jamais pouvoir prétendre à une carrière importante). Waheeda n’a presque plus de clients, et la promesse qui lui a été faite d’emménager à Khwagbah, elle aussi, a sans cesse été repoussée par Mallikajaan. Sa fille Shama est, quant à elle, trop jeune encore pour avoir fait ses débuts, mais comme Alamzeb elle se prépare à devenir tawaif prochainement. Heeramandi s’intéresse à un peu toutes ces femmes, bien que pas forcément dans les mêmes proportions, et raconte leurs parcours, bien au-delà des jalousies et des rancunes.
    L’un des grands sujets de Heeramandi, en particulier, consiste à montrer combien le style de vie à Heera Mandi est incompatible avec l’amour. Bien que ne perdant pas une occasion de faire répéter à Mallikajaan combien leur métier est celui d’artistes, la série est plus intéressée par l’impossibilité d’une romance pour des prostituées. Heeramandi a en fait beaucoup de mal à ne pas se contredire, clamant d’un côté que ses héroïnes occupent une fonction culturelle réservée à une élite, mais montrant régulièrement que leurs moeurs sont dissolues, et que du coup, beaucoup de monde hors de leur communauté les méprise et les considère comme des moins que rien.
    Ce paradoxe devient le pillier de l’intrigue lorsque Alamzeb tombe amoureuse du fils d’un nawab, le séduisant Tajdar, et qu’évidemment leur union est impossible.

    C’est tragique, cette histoire d’amour impossible. Et nous voyons bien, à plusieurs reprises, que l’amour tragique est la seule chose que connaissent de l’amour les femmes de Heera Mandi. Leur statut les rend impossible à épouser, bien-sûr. Mais elles vivent aussi dans une forme de servitude, qui fait qu’elles ne sont pas maîtresses de leur destinée ; bah oui, si elles pouvaient changer facilement de statut, il n’y aurait pas de tragédie. Mallikajaan est la première convaincue de l’impossibilité de vivre autre chose que des amours déçues, et pourtant régulièrement elle s’assure que les femmes vivant sous son autorité soient dans l’impossibilité d’entretenir une relation sincère. La série va lui donner plusieurs fois raison, à travers l’intrigue de cette pauvre Lajjo, puis de Bibbojaan, et enfin faire culminer ce thème avec la romance entre Alam et Tajdar.


    Toutefois, ce n’est pas la seule problématique traitée par Heeramandi. En fait, ce n’est même pas l’intrigue principale (eh non, toujours pas !), même si le temps qu’on passe sur cette histoire est largement supérieur quantitativement parlant. Car il y a une raison pour laquelle la série se déroule spécifiquement dans les années 40, dans une Inde qui aspire à l’indépendance de l’emprise coloniale britannique : Heeramandi veut tisser son histoire de servitude de tawaif… à la servitude de la population indienne.

    Pour bien se remettre dans le contexte, il faut comprendre qu’en 1945, soit après le bond dans le temps de l’intrigue, la Seconde Guerre mondiale a largement accaparé l’attention des Britanniques, bien-sûr, mais a aussi conduit à l’utilisation de soldats indiens sur le front. Cela n’a fait que renforcer le sentiment d’injustice déjà présent en Inde : après avoir colonisé le pays, envoyer ses enfants sur un front lointain est un énème affront carnassier. Mais c’est, aussi, peut-être une opportunité d’enfin se libérer, et la rébellion s’organise, y compris à Lahore, pendant que la Couronne semble avoir les mains occupées.
    La situation y est d’autant plus complexe que les nawab sont certes les mécènes des tawaif, mais ils forment aussi une caste qui doit son statut et sa fortune à la coopération avec les Britanniques ; les kotha de Heera Mandi bénéficient donc indirectement de l’occupation. Toutefois, ils sont vu comme de vulgaires lupanars par les colons, qui méprisent les tawaif, symboles d’une culture dont ils ne se préoccupent pas de comprendre les nuances. Les choses sont d’autant plus compliquées que ce sont les Britanniques qui font la loi à Lahore, et que c’est donc l’un d’entre eux qui a jadis été chargé de l’enquête sur la mort de Rehana ; leur implication dans l’intrigue est ainsi inévitable à plusieurs niveaux. A son retour en ville, Fareedan va d’ailleurs se rapprocher d’Alastair Cartwright, un officier, pour essayer de se procurer les preuves (aujourd’hui disparues) des méfaits passés de Mallikajaan.

    Se libérer est donc vraiment ce qui préoccupe Heeramandi. Le parallèle entre la libération de ces femmes, asservies par un rôle qui leur a généralement été attribué de par leur naissance, et la libération de l’Inde, est constant. Dans cet ordre d’idées, Mallikajaan aura ces mots : « Une tawaif ne s’élève pas vers les cieux ; elle se libère. Les hommes se battent pour leur liberté, une tawaif meurt pour la sienne. Et la liberté ne devrait jamais être pleurée, seulement célébrée ». Heeramandi se veut une célébration de cette liberté.

    Il faut également noter que, si la question de l’indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne est plutôt un sujet courant pour la fiction indienne, et que la fibre patriotique est dans l’air du temps en Inde, Heeramandi procède à l’exploration de cette période à travers un prisme bien spécifique. L’intrigue se déroule en effet à Lahore et… vous savez où ça se trouve aujourd’hui, Lahore ? Au Pakistan. Et vous savez quelle est la religion de toutes les protagonistes non-anglaises de la série ? Elles sont musulmanes, comme le rappelleront régulièrement les dialogues et de multiples détails (ainsi qu’une scène de prière sur la fin). C’est-à-dire que Heeramandi met en scène la libération de l’Inde à travers leur point de vue ; à l’heure où l’islamophobie bat son plein en Inde, et vu les relations avec le Pakistan, c’est une perspective rare qui est mise en avant ici.
    Comme le fera remarquer Bibbojaan : « On n’écrira pas sur nos sacrifices dans les livres d’Histoire, mais notre sol se souviendra ». Heeramandi fait en sorte que le sol se souvienne, malgré tout.

    Tout cela est bien joli (littéralement !), sauf que Heeramandi est loin d’être une série parfaite. Voici donc venu comme promis le moment du « mais ». Pluriel, en fait.

    Le premier à s’imposer est celui de la violence exercée contre les héroïnes de la série à plusieurs reprises, et que la série aime à tourner comme tragique… mais porteuse de sens. C’est par amour pour leur art que les femmes de Shahi Mahal ne peuvent vivre de romance heureuse, et doivent donc continuellement accepter d’être mal considérées par les hommes. Les nawab les traitent extrêmement mal, globalement ; entre Lajjo qui est rejetée par l’homme qu’elle aime lorsqu’il décide de se marier et fait montre de cruauté à son égard, ou Bibbojaan qui est délaissée comme un jouet cassé dés que son mécène change de tawaif préférée à Heera Mandi, la série rappelle ne manque pas une occasion de rappeler la violence qui s’abat, plus ou moins symboliquement, dés que leur statut est invoqué. Toutefois, vous le savez pour avoir lu l’avertissement en ouverture de cette review, la violence est aussi physique dans Heeramandi. A deux reprises, la série traite le viol en réunion comme un choix noble, une souffrance que s’impose volontairement l’une des héroïnes au nom de quelque grandiose geste supposé sauver quelqu’un d’autre. Certains passages concernant Alamzeb ainsi que la scène finale de la série subliment également la violence perpétrée envers une protagoniste, quoique cette fois la violence ne soit pas sexuelle. Il est également troublant que l’acte qui est à l’origine du conflit entre Mallikajaan et Fareedan (c’est-à-dire la vente du bébé de la première, conduisant au meurtre de la mère de la seconde) soit finalement traité comme une excuse ; on retrouvera, un quart de siècle plus tard, le fils de Mallikajaan, mais son existence sera traitée comme tellement mineure que c’est à se demander pourquoi tant de souffrance a été infligée en son nom. Dans Heeramandi, ces femmes qui n’ont connu que la tragédie doivent en endurer toujours plus au nom de l’intérêt d’autrui, et accueillir chaque sacrifice à bras ouverts. Et très franchement, la répétition de cette thématique ad nauseam laisse un goût amer dans la bouche.
    Il faut en outre noter que ce sont uniquement des femmes que la série associe à la prostitution qui se voient réserver ce sort : les femmes « respectables », qui certes sont peu présentes dans la série, vivent globalement plutôt bien… sauf quand elles sont des victimes collatérales des intrigues des tawaif.

    On pourrait aussi mentionner l’étonnante place des protagonistes queer dans Heeramandi. Car il y en a ! Ou en tout cas, suggérées comme telles, même si la série évite de trop expliciter les choses. Ce n’est du coup pas vraiment un spoiler d’en parler ici vu le peu de développement qui en est fait, mais si vous voulez vous réserver la surprise, n’hésitez pas à sauter les deux paragraphes qui vont suivre, afin de passer directement à la prochaine image.

    De façon hélas très classique pour beaucoup de fictions (…peut-être pas des fictions diffusées en l’an de grâce 2024, cela dit), les trois protagonistes dépeintes comme ayant des relations homosexuelles sont ici… des « méchantes ». Ou au moins, ont ces relations homosexuelles quand elles sont présentées comme des protagonistes négatives. C’est le cas de Cartwright, clairement un antagoniste de la série à plusieurs égards, qui va passer une nuit (dont il n’est pas très clair si elle est consentie, d’ailleurs), avec Ustaad Ji, personnage secondaire sur lequel je reviens dans un instant. C’est aussi le cas de Fareedan, qui est montrée lors de son retour à Heera Mandi comme une force négative, presqu’une sorcière, et qui à ce moment-là de l’intrigue sera ravie d’inviter une femme dans son lit ; ce n’est plus jamais mentionné par la suite, à mesure que le personnage est humanisé voire présenté sous un jour plus favorable elle va même multiplier les partenaires masculins.
    Ustaad Ji est un personnage troublant, parce qu’outre le fade to black qui implique qu’il passe une nuit avec Cartwright, il est également codé comme étant gay, trans ou intersexe (Heeramandi se refuse à toute clarification et il est difficile de déterminer sa compréhension de ces différentes identités). Dans les sous-titres anglophones, il est genré au masculin, en tout cas ; hélas je ne connais pas assez bien le hindi pour m’avancer quant à son traitement par les dialogues originaux. Il est paré d’un certain nombre de bijoux et tatouages au henné similaires à ceux des tawaif de la série, très loin du style arboré par les Britanniques, bien-sûr, mais aussi de celui des nawab, ou même les hommes de condition humble de la série (employé du kotha, libraire, commerçants divers, etc.). Il y a en particulier une scène, qui à mon avis est imbitable pour une grande partie du public international de la série, dans laquelle Fareedan lui offre un nath, bijou typiquement féminin, comme pour accepter son identité (du moins c’est mon interprétation, mais Heeramandi en plus de maintenir le flou n’en fera plus jamais mention). Or, Ustaad Ji est un personnage détestable, obséquieux à l’extrême, et manipulateur ; n’hésitant pas à collaborer avec les pires personnes quand bien même il fait mine d’avoir de l’allégeance envers Mallikajaan. L’associer à une identité queer est donc un choix particulier. It’s not a good look, et j’aime autant vous dire que les critiques LGBT en Inde ne sont pas ravies, évoquant une vision très coloniale des identités queer. Pour note : historiquement, les Ustaad étaient, à Heera Mandi, l’équivalent masculin des tawaif ; leur statut social était un peu moindre, mais tout de même reluisant… ce qui m’amène à ma critique suivante.

    Le plus gros soucis de Heeramandi tient dans la question de la réalité historique. Je sais qu’une série n’est pas un documentaire, et normalement on en est toutes conscientes. Cependant, le portrait qu’elle dresse des tawaif elles-mêmes pose problème.
    Je l’ai dit, la série oscille entre deux positions : d’une part, celle qui considère que ces femmes sont des artistes (une position qui est principalement revendiquée par Mallikajaan, laquelle tire à de nombreuses reprises une grande fierté de la tradition artistique dans laquelle elle s’inscrit), et d’autre part, celle qui part du principe que leur corps est à vendre. Alors certes, il y a une dimension élégante et raffinée car on ne fait pas le tapin à un coin de rue… mais que dans le fond, le sexe est quand même leur fond de commerce, et ce qui leur permet d’obtenir ce qu’elles veulent, et qu’elles sont payées pour cela par leurs mécènes. Ainsi, malgré les voeux pieux de sa première position, c’est bien la seconde qui finit par prévaloir dans les épisodes : chaque fois que Heeramandi dépeint l’une des tawaif comme ayant un mécènes, c’est toujours par l’angle sexuel qui prime. Nombreuses sont les critiques, dans la presse indienne, se lamantant quant à la façon dont sont présentées ces artistes, dont la tradition remonte à l’empire mughal voire plus tôt, et qui est régulièrement comparé à l’art des geisha. Ici, paradoxalement, derrière les voeux pieux de sublimation (notamment esthétique), c’est finalement le point de vue des Britanniques sur les « nautch girls » qui s’exprime dans la série.

    Il s’agissait d’une micro-société matrilinéaire se transmettant une palette de talents et connaissances dans des domaines aussi variés que la musique, la danse, la poésie, l’art de la discussion, les bonnes manières, les langues… Un accès à l’éducation qui était à l’époque inégalé pour les femmes, et pour beaucoup des hommes aussi d’ailleurs. Autant de talents qui sont, de surcroît, montrés très superficiellement : Bibbojaan est connue pour son don en chant, mais c’est présenté comme exceptionnel par la série ; a contrario, l’amour d’Alamzeb pour la poésie est traité comme superflue, voire une phase qui doit lui passer pour qu’elle puisse devenir une tawaif.
    En fait, pour que son parallèle avec le mouvement indépendantiste fonctionne, Heeramandi a besoin que ces femmes soient moins autonomes, moins capables, plus vulnérables… alors que c’étaient des entrepreneuses qui possédaient leur kotha, et parfois même d’autres titres, passant de femme en femme depuis des décennies. Or, ce n’est qu’en 1956 que la loi a accès à toutes les Indiennes le droit à la propriété !
    Outre le traitement anhistorique des tawaif par la série, ce fascinant article souligne également un autre aspect : Heera Mandi vivait ses dernières heures dans les années 40, l’art des tawaif ayant disparu peu après l’indépendance de l’Inde. La série est incroyablement muette sur le sort de toute une branche artistique qui s’est effacée précisément suite aux événements de l’intrigue, poussant les dernières tawaif à vivre dans le dénuement après avoir été des pilliers de la vie culturelle locale pendant plusieurs siècles. Heeramandi ne fait montre d’aucun intérêt pour le sort du quartier dont il porte le nom, ce qui est plus que dommage ! Comme si, une fois de plus, leur sacrifice était utile et noble, mais leur existence elle-même de peu d’importance.

    Pourquoi cela pose un problème ? A l’heure où je vous parle, Heeramandi compte parmi les séries non-anglophones les plus populaires de Netflix pour ce mois-ci. La semaine de son lancement, elle était même la troisième série la plus vue dans le monde derrière Baby Reindeer et El caso Asunta, et en particulier figurait dans le Top10 de 43 pays, pour reprendre les chiffres fournis par la platforme. Trois semaines plus tard, elle reste dans le Top10 global (en grande partie grâce aux abonnées asiatiques et africaines).
    C’est le plus dérangeant. Beaucoup des personnes qui regardent Heeramandi découvriront le monde des tawaif et/ou cette période historique uniquement à travers la série. Et, d’ailleurs, n’auront peut-être jamais plus l’occasion d’y repenser, moins encore d’approfondir le sujet. Il est bon de noter qu’Heeramandi n’a pas faux sur tout : elle est plutôt exacte quant au fait que de nombreuses tawaif ont participé au mouvement d’indépendance (si vous voulez approfondir le sujet, je recommande cet article). Mais sur la profession elle-même, la série véhicule une image erronée, que les spectatrices auront peu d’opportunités de décortiquer ultérieurement. C’est donc l’esthétisme de Heeramandi qui restera dans les esprits plus que les libertés prises avec l’Histoire, sa vision de la condition féminine ou le traitement des personnages queer.

    Soyons claires : je ne cherche absolument pas à vous détourner d’un visionnage de Heeramandi. Au contraire, c’est, au risque de me répéter, une oeuvre magnifique. Cependant, je crois que je ne serais pas dans mon rôle si je ne vous avertissais pas sur autre chose que ce que les articles congratulatoires racontent : la série a trouvé une large popularité internationale, en partie méritée. Mais il y a aussi pas mal de polémique dans la presse indienne quant à l’approche choisie par la série, qui mérite qu’on s’arrête dessus, à mon sens, plutôt que d’être tue au nom du succès international de la série de Netflix d’après les chiffres fournis par Netflix. Vous voyez ce que j’essaie de dire ?

    Et encore, je n’ai pas mentionné pour le moment son budget pharaonique : Heeramandi agace aussi parce qu’elle est la série indienne la plus chère jamais produite pour la SVOD : 200 crore (soit un peu plus de 22 millions d’euros ?!), ex aequo avec le budget pour Rudra, l’adaptation indienne de la série Luther pour Disney+ Hotstar. C’est également le budget qui a été nécessaire pour produire DEUX saisons de Sacred Games ou de Made in Heaven pour Amazon. Bref, c’est colossal.
    Vous allez me dire : alors ouais, c’est cher, mais au moins, ça se voit. Et certes, les décors sont immenses, les costumes sont impeccables, et la série a largement bénéficié de ce budget. Et en plus le tournage s’est étendu sur trois ans ! Toutefois, ce que regrette la presse indienne, c’est aussi que l’essentiel de ce budget soit passé dans les cachets. Y compris celui de l’actrice Sharmin Segal (Alamzeb ; ci-contre), richement rémunée pour une interprétation pas du tout convaincante (ce sur quoi je suis assez d’accord, elle est sûrement parfaite pour Instagram mais son visage figé et sans émotion m’a vite agacée), et dont l’obtention du rôle est largement attribuée au fait qu’elle est… ah, oui, ya ça aussi. C’est la nièce du réalisateur Sanjay Leela Bhansali.
    Encore une fois, il ne s’agit pas de vous décourager. Il y a par ailleurs des performances exceptionnelles dans la série, notamment de la part de Sonakshi Sinha (qui incarne à la fois Rehana et Fareedan). A elle, on peut bien donner tous les millions du monde ! Manisha Koirala (impeccable en Mallikajaan) et Aditi Rao Hydari (dont l’incarnation de Bibbojaan est bien plus satisfaisante que son rôle d’Anarkali dans la série historique mughale TAJ… ce qui d’ailleurs a dû la forcer à des tournages en parallèles, si j’ai bien compris le calendrier) ne déméritent pas non plus. Mais il s’agit vraiment de garder en tête que l’excellence affichée par Heeramandi est loin d’être sans revers de la médaille, et que les médias occidentaux ont tendance à gommer ces nuances en parlant du succès de cette série indienne. Et donc, a priori, probablement d’autres séries internationales aussi.

    S’il y a bien une chose à garder à l’esprit lors de nos voyages télévisuels, c’est que nous n’avons pas toujours toutes les cartes en main pour déceler ce qui ne va pas dans une série, en particulier historique. Ce qui ne signifie pas qu’il faut vous priver du visionnage de Heeramandi, qui, pardon de le redire, est proprement magnifique ; simplement un peu de fact checking n’est jamais superflu.


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  • La liberté a un coût

    25 mai 2024 à 17:14 • Review vers le futur •

    Ce mois-ci, deux séries asiatiques ont démarré sur le thème de la prostitution, au moins (ça peut être plus, surtout vu qu’il y a des pays où j’ai très peu de visibilité). J’ai trouvé la coïncidence d’autant plus intéressante que toutes les deux sont également des séries historiques !
    Parlons pour commencer de la série thaïlandaise Bangkok Khanika, ou Bangkok Blossom de son titre international (on reviendra sur Heeramandi dans une autre review). Lancée par oneD, une plateforme de streaming qui n’a que deux ans mais propose déjà plusieurs séries originales, en plus d’être la plateforme sur laquelle on peut trouver les séries de plusieurs chaînes linéaires. Il y a d’ailleurs une autre série récente de oneD que j’aimerais bien trouver avec des sous-titres, Phu Langka ; espérons que je puisse revenir sur son cas prochainement.
    Mais pour le moment, partons pour 1892 et entrons dans la maison close de Bangkok Khanika, pour y rencontrer ses trois héroïnes. Ce qui ne se fera, naturellement, pas sans un petit avertissement…

    Trigger warning : viol en réunion.

    Au juste, je ne sais pas à quoi vous vous attendiez vu le sujet.

    Dans le très vivant quartier de Sampheng (surtout la nuit !) se trouve la maison Buppachad, un bordel bien connu des élites de la ville. L’endroit est géré par une femme du nom de Madame Ratree, qui traite les prostituées qui travaillent pour elle comme des moins que rien. Cela inclut les soeurs Kularb, Botan et Tianyod ont grandi sous son toit.
    Apparemment, Ratree a élevé les trois soeurs depuis leur enfance, mais je n’ai pas compris si elles étaient ses filles biologiques… ou juste ses « filles ». Il y a pas mal de cultures dans lesquelles le même terme est utilisé pour « mère » et pour « patronne d’une maison close » (y compris en français, avec l’expression « mère maquerelle »), et je ne connais pas assez les subtilités du thaï sur ce point. Il y a eu un moment pendant lequel j’ai cru comprendre que Ratree avait gardé trois cordons ombilicaux en souvenir, donc peut-être est-elle réellement leur mère ? Mais la série ne joue pas vraiment sur ce lien du sang, et uniquement sur le lien hiérarchique. D’ailleurs, Madame Ratree ne les appelle pas ses filles, mais uniquement ses esclaves… Ambiance.

    Tout le propos de Bangkok Khanika est que ces jeunes femmes sont beaucoup plus que ce que Ratree voit en elles. Kularb, l’aînée, est une femme superbe et d’une grande douceur ; elle est apparemment la prostituée la plus populaire de l’établissement. Mais c’est aussi une jeune femme douée pour la musique, et qui rêve de voyager pour découvrir des pays étrangers. Elle a, en outre, fort caractère lorsqu’il s’agit de défendre ses consoeurs (qu’elles soient liées par le sang ou non), et se montre combative en deux occasions de cet épisode introductif. Botan a un tempérament plus revêche et fier ; elle a tendance à dire ce qu’elle pense, quitte parfois à être un peu cinglante, et son regard mitraille toute personne qui l’agace. Pourtant elle cache beaucoup de tendresse, qu’elle réserve à Nat, le conducteur d’un rickshaw avec lequel elle a noué secrètement une idylle, quand bien même c’est souvent lui qui l’emmène chez des clients. Enfin, il y a Tianyod, la plus jeune ; elle n’a encore que 17 ans et dans le premier épisode, elle prend la fuite temporairement avant d’être rattrapée : elle veut absolument éviter de devenir une prostituée, qui est le sort qui l’attend dans quelques mois. Oui voilà, faisons ça : prétendons que Madame Ratree est scrupuleuse et n’a jamais mis une mineure au turbin. A la place, elle a appris d’un moine visité secrètement comment lire et écrire, et espère poursuivre un jour des études pour devenir rien moins que docteure. Ses soeurs la protègent du mieux qu’elles peuvent, et espèrent effectivement lui éviter le sort qu’elles ont connu.
    Dans Bangkok Khanika, il est évident que la prostitution n’est pas choisie. Les héroïnes le répètent suffisamment souvent. Cette servitude est même le moteur de l’intrigue, puisque, prise à partie une fois de plus, mais pour une fois avec un témoin extérieur (l’officier Khun Phra Naren), Ratree doit accepter que si les trois soeurs parviennent à réunir assez d’argent, elles pourront lui acheter leur liberté. Toutefois, comme il n’est pas question pour elle de laisser partir sa meilleure gagneuse, elle fixe le prix extrêmement haut… Il faut donc trouver une sacrée somme, et il faut la trouver vite : Ratree leur a donné trois mois, à la suite de quoi elle mettra aux enchères la virginité de Tianyod.

    Alors que faire ? Le suspense ne va pas durer longtemps. Kularb est la prostituée préférée de Phraya Charan, un homme riche qui lui voue de l’affection, et n’hésite pas à la conseiller pendant l’une de leurs sessions. En entendant parler de ses troubles financiers, il évoque les clubs de strip tease qu’il a vus lorsqu’il était à l’étranger, et aide les trois soeurs à entrer en cachette dans un club similaire en ville, tenus par des Occidentaux. Kularb, Botan et Tianyod peuvent ainsi voir par leurs propres yeux que des hommes sont prêts à dépenser des fortunes pour un spectacle affriolant, sans qu’elles n’aient à coucher avec eux. Tout le défi va être désormais de monter des spectacles similaires qui attirent la foule.
    Eh oui ! Bangkok Khanika, malgré son sujet, cache en fait bien son jeu et a toutes les intentions d’être aussi une série musicale ! L’épisode se conclut en effet sur un numéro sexy (mais plutôt sage, toutes proportions gardées) organisé par les trois soeurs dans l’espoir de gagner de l’argent supplémentaire.

    Hélas pour elles, elles sont obligées d’organiser ce spectacle entre les murs de la maison Buppachad, et dépendent donc du bon vouloir de Madame Ratree (qui après les y avoir autorisées, prélève sa part, n’en doutez pas). Mais cette entreprise semble leur permettre, même si ce n’est que temporairement, de réfléchir à leur avenir autrement.

    Je n’ai pas toujours accroché à tous les choix que faisait cet épisode introductif, et notamment, je me serais volontiers passée des quelques moments de comédie (surtout quand ils emploient des effets sonores venus tout droit de TikTok…), et plus encore, des scènes de bagarre entre les soeurs et Madame Ratree, dont les décibels ont pété toutes les vitres de mon appartement. Je n’aime pas quand les séries crient, et là vraiment, je pense qu’il y avait moyen de montrer les mêmes choses sans verser dans ces scènes d’hystérie collective qui, en plus, donnent une impression de soap cheap. Heureusement ces passages étaient très minoritaires par rapport au reste ; mais zéro passage, ç’aurait été encore mieux.
    Cela étant, globalement c’est une plutôt bonne surprise quand même. Bangkok Khanika met un point d’honneur à montrer des femmes aux personnalités nuancées plutôt qu’à se reposer sur des stéréotypes ; la série passe également le Bechdel test haut la main parce que pas une seule conversation ne porte sur les hommes, pourtant nombreux dans la série ! Les enjeux amoureux ne sont pas inexistants (Botan et Nat sont déjà ensemble quand commence l’intrigue ; Kularb tombe progressivement sous le charme de Kuea, le fils d’un riche marchand de tissus qui a voyagé internationalement), mais ce n’est vraiment pas ce sur quoi la série a envie de porter son attention. C’est très secondaire dans sa vision des enjeux, et j’aime ça dans une série !

    Bangkok Khanika est d’abord et avant tout une histoire de femmes, coincées dans une condition considérée comme inférieure socialement (l’épisode insiste plusieurs fois sur ce point) en plus d’être la cause de souffrances. D’ailleurs, accrochez-vous, il y a une scène de viol collectif orchestrée par le sadique Khun Narong, un riche client du bordel ; même si ce n’est pas très graphique, c’est quand même dur à digérer… Au passage : on vit dans un monde où ce message a besoin d’être explicitement délivré pendant une scène de viol, quand même. On en est là. Bangkok Khanika ne saura être accusée de glamouriser la profession qu’elle dépeint, ça c’est certain ! A la fin de l’épisode, Khun Narong commence d’ailleurs à convoiter Tianyod, donc je ne pense pas que les horreurs se limitent à cette introduction.

    Dans le fond, la reconstitution historique a peu d’importance dans Bangkok Khanika. Si effectivement il y a de jolis costumes (par exemple pendant les scènes de foule), j’ai l’impression que c’est vraiment la prostitution qui est au coeur de la série, et pas « la prostitution il y a très longtemps ». C’est pas Harlots ou Maison Close ici, qui insistent sur l’appartenance de ces pratiques à un passé lointain.
    C’est plutôt intéressant d’ailleurs, comme parti pris, à un moment où la Thaïlande envisage de légaliser le plus vieux métier du monde, incluant la création potentielle d’un arsenal juridique pour protéger les victimes de traite humaine et des mesures visant à fixer à 20 ans l’âge à partir duquel les personnes pourront obtenir une licence légale de prostitution. Le texte est d’ailleurs en passe d’être étudié bientôt, sauf si j’ai loupé quelque chose. Aucune idée si c’est un hasard du calendrier ou quelque chose de volontaire de la part de oneD, mais dans tous les cas ça fait de Bangkok Khanika une série résolument d’actualité.


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  • We care about your privacy

    24 mai 2024 à 19:15 • Review vers le futur •

    Le futur qui nous attend est celui de la surveillance ; ce n’est pas une prédiction bien risquée étant donné que c’est déjà notre présent. La question qui se pose donc, ce n’est pas comment échapper à cette surveillance de chaque instant, mais plutôt comment trouver un endroit où vivre qui traite nos données avec un minimum de respect. Corcordia est cet endroit.
    A Concordia, une ville expérimentale basée en Suède pilotée par une compagnie éponyme, les cameras sont partout, les captures biométriques omniprésents, les systèmes de traitement de donnée râtissent la moindre seconde. Il est impossible d’échapper à la surveillance, mais ce n’est pas grave : le plus important, ce sont les garanties qui sont fournies aux habitantes. Leurs données ne seront jamais vendues, et seront principalement traitées par une intelligence artificielle ; sauf cas extrême, aucune personne humaine ne saura jamais ce que vous avez fait à tel ou tel moment de votre journée. Grâce à cette infrastructure exceptionnelle, utopique presque, Concordia est vue comme un lieu à la pointe de la modernité. C’est, aussi, un endroit particulièrement sûr, où jamais aucun crime n’a été commis.

    Du moins, jusqu’à ce que le corps d’un jeune homme soit retrouvé juste en-dehors des limites de la ville. Bienvenue dans Concordia, la série du même nom, qui vient de démarrer sur plusieurs télévisions de la planète ; mais ça, j’y reviens.

    Or, donc, il y a un mort. Et la thèse de l’accident est assez facile à écarter vu la façon dont le cadavre a été retrouvé. La question est donc : qui a tué Oliver Miller ?
    Pour répondre à cette interrogation, d’autant plus importante que c’est la réputation de la ville expérimentale qui est en jeu, l’enquêtrice et spécialiste de crise Thea Ryan est dépêchée par les Amin, la famille qui finance Concordia (en particulier, le nom de Fatemah Amin est prononcé, mais pour l’instant elle n’apparaît pas dans ce premier épisode). Sur place, elle fait équipe avec Isabelle Larsson, community officer dans une ville qui n’a pas vraiment de police et dont la tâche, d’ordinaire, consiste plutôt à faire de la prévention et du social ; pour elle aussi, ce type d’investigation est tout nouveau.
    Malgré la multitude de cameras présentes à Concordia, toutefois, les choses ne sont pas si simples. Ne serait-ce que parce que le principe fondateur de cette ville est le respect de la vie privée, et qu’il n’est pas acquis que les images collectées peuvent être visionnées par des humains. Et puis, quelles images ? Jusqu’où remonter ? A quel point fouiller dans l’intimité de la victime est-il éthique ?

    Le premier épisode de Concordia a fort à faire : il lui faut à la fois expliquer le fonctionnement de son univers, mettre en place ses protagonistes, introduire le mystère sur lequel repose l’intrigue, et… et, ma foi, ce qui m’intéresse, c’est bien-sûr ce que ce premier épisode n’a pas beaucoup le temps de faire. L’interrogation sur la vie privée n’en est pas absente, mais elle est forcée de rester au second plan pendant que la série établit le reste.
    Il y a toutefois quelques indices intéressants de ce qui pourrait, à terme, se dire dans la série. Un montage (vraisembablement promotionnel) en début d’épisode nous montre ainsi plusieurs personnes parler de leur expérience à Concordia, de la raison pour laquelle elles ont choisi de vivre là (l’épisode est muet, en revanche, sur les difficultés à obtenir de la place dans cette ville, ou sur le tri social qui peut se produire en amont), dévoilant par la même occasion leur vision de ce qu’est la « vie privée », à l’heure de la videosurveillance omniprésente et de la monétisation de la moindre donnée. Il y a dans le lot des choses qui méritent d’être entendues. Les règles qui régissent le traitement des données à Concordia vont aussi, c’est de plus en plus clair, être au coeur de l’enquête.

    Cependant, ma scène préférée à ce sujet est apparue bien plus tard dans cet épisode d’exposition, lorsque Thea et Isabelle ont dû demander à la mère d’Oliver dans quelle mesure elles devaient lui dire ce qu’elles allaient trouver au cours de leur investigation. Cathy Miller a alors ces paroles, que je trouve prometteuses : « I want to know the truth about what happened. But… were there parts of his life that he wouldn’t have wanted to share ? That he had to figure out for himself ? I’m sure there were. So, if you see something that can help you find out what happened to him and you need to tell me, fine. If not… please let me remember my son through my own eyes« . Je trouve cette idée fascinante parce que, dans n’importe quelle série à vocation policière (même si ici, techniquement, la police n’est pas vraiment impliquée, juste incarnée par un personnage qui pour le moment est tenu à l’écart de la majorité des investigations), cette idée de la vie privée est totalement écartée. Au nom de la quête de vérité, l’intimité est régulièrement piétinée ; qu’il s’agisse des agissements de la victime, de sa vie amoureuse ou amicale, ou même de son corps lui-même, ouvert pendant l’autopsie. Dans une série policière, normalement, la victime perd toute intimité ; c’est la seule façon, nous a-t-on toujours implicitement dit, de parvenir à lui rendre justice. Or, Concordia pose avec ce monologue une question que je n’avais jamais entendu une autre série poser, permis bien-sûr par l’univers de science-fiction de la série : et la vie privée, alors ? Ironie du sort, c’est dans une ville où l’on est filmée à tout moment et où notre moindre battement de coeur est examiné par des algorithmes que la limite, pour la première fois, est posée.

    Si Concordia veut vraiment étudier ce thème, ce que je la suspecte de vouloir faire au moins en partie avec un point de départ pareil, alors ça peut donner une série intéressante. Peut-être même qu’elle vaut la peine de se coltiner une fiction aux mécanismes de l’investigation policière ! Croyez-moi, ça me coûte de le dire ; surtout que sans ces miettes de réflexion sur la vie privée, le premier épisode de Concordia se présente autrement une série assez classique, et pas nécessairement aussi excitante que sur le papier. Parce que, je l’admets, on ne sent pas une différence folle entre l’intérieur des limites de la ville expérimentale dont elle nous répète qu’elle est unique (…pour le moment : une expérimentation, c’est généralement un premier pas !), et l’extérieur qui ne semble pas spécialement souffrir de la surveillance systématique de sa population. En outre, malgré une référence faite au réchauffement climatique, tout le monde a l’air de vivre dans un monde plutôt agréable… Le world building laisse un peu à désirer pour le moment.

    Concordia s’inscrit dans cette tradition récente, très récente, consistant pour des diffuseurs d’Europe de l’Ouest à s’associer à des diffuseurs japonais. Imaginez ça : on est passées de décennies entières pendant lesquelles la télévision européenne faisait mine de complètement ignorer l’existence de séries live action produites au Japon, à considérer ce pays comme un excellent partenaire potentiel. Sans transition. Sans vraiment (à part quelques timides tentatives, principalement sur arte) importer de séries japonaises, par exemple. Non, directement on est passées à la coproduction !
    Ce qui, ces dernières années, nous a donné des séries comme :
    – The Head, partenariat entre l’Espagne et le Japon ;
    – Der Schwarm, mélange de diffuseurs en Allemagne, France, Suisse, Autriche, Suède et Japon (reviewée l’an dernier) ;
    – Les Gouttes de Dieu, impliquant l’audiovisuel public en France et Hulu au Japon ;
    – et maintenant Concordia, production unissant l’Allemagne, la France, le Japon et… ET ?!
    Attendez une minute. A quoi « MBC » fait-elle référence ? Je connais plusieurs chaînes qui s’appellent MBC dans le monde. Bougez pas, je m’occupe de fouiller…

    Hm. C’est très vague. Je vais tenter autre chose…

    Oh tiens. Ce que ne disent pas du tout les articles de presse qui mentionnent MBC, c’est qu’il s’agit du groupe panarabique basé aux Emirats Arabes Unis ! Le même qui possède la plateforme de streaming Shahid, et c’est d’ailleurs comme ça que j’ai eu la confirmation de quel MBC était impliqué dans ce projet. Il semblerait donc que nous ayons là une co-production internationale impliquant également un pays du Golfe ! Assez incroyable ça tout de même.
    Et fascinant de voir combien les articles de presse semblent timides à ce sujet, aussi. De là à supposer que l’embarras vient de la production elle-même, et que les différents articles s’en font involontairement l’écho… Faut le dire si vous avez honte !

    Enfin bref, Concordia, actuellement dans toutes les bonnes crèmeries et prochainement sur France2, mérite qu’on la… surveille.


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  • Pas un cadeau

    24 mai 2024 à 13:22 • Telephage-o-thèque •

    Au large des côtés du Connemara, dans une petite ville portuaire qui vit (à grand’peine) de la pêche, les frères Magill viennent d’hériter d’une usine de conditionnement de poisson suite à la mort de leur père. Cet héritage date d’il y a un mois seulement, et a déjà suscité des tensions : au lieu de Macdara, l’aîné, c’est son frère JJ qui est devenu le gérant de l’entreprise familiale. Revenu du Canada où il vivait, JJ a la mauvaise surprise de découvrir une fois dans son rôle de directeur de l’usine que celle-ci est à deux doigts de déposer le bilan.
    Alors qu’il vient d’annoncer une (première ?) vague de licenciements à ses employées (certaines ayant passé toute leur vie dans cette usine), JJ est appelé à intervenir en mer. Avec Macdara, il fait en effet partie de l’équipe de sauvetage volontaire de la ville, et ce soir-là, un petit bateau de pêche à la dérive est identifié alors qu’une tempête se lève. A bord, les deux frères, avec un troisième sauveteur nommé Jakob Soja, découvrent le corps d’une femme et une quantité impressionnante de drogue que de toute évidence personne ne va réclamer. Le nom de ce bateau ? An Bronntanas.

    An Bronntanas, soit « le cadeau », est également le nom de cette mini-série irlandaise dont je me promets depuis des années de vous parler. En fait, ça fait dix ans, les tags m’en soient témoins ! Mais comme je l’ai revue ce mois-ci, je me suis dit que c’était le bon moment pour enfin tenir ma promesse. Je sais, vous étiez toutes impatientes…
    Pourquoi ça fait dix ans que je repousse l’échéance d’écrire sur An Bronntanas ? Vous allez très vite comprendre. Et en même temps, vous allez m’en vouloir de n’avoir pas partagé ma trouvaille plus tôt.

    Revenons sur ce sauvetage avant de nous atteler au reste : malgré la tempête qui fait rage, très vite les trois hommes décident d’embarquer les kilos de drogue trouvés sur le bateau, de revenir à la terre ferme, et de prétendre n’avoir pas trouvé le bateau. Se pose maintenant la question de ce que l’on fera de la providentielle cargaison : le dilemme commence.
    …Euh, désolée de ruiner le suspense : il faudra environ 7,12 secondes à JJ, Macdara et Jakob avant de décider de revendre la drogue. Comme des gens normaux, ils se disent immédiatement : « oh hey, voici plusieurs kilos de drogue, on va les refourguer » sans avoir le moindre doute. Personnellement moi c’est pas le premier truc auquel je pense mais go off. Leur projet est de renflouer les caisses de l’usine Magill, et ainsi de ne pas avoir à supprimer des emplois dans les mois à venir ; projet fort louable au demeurant. Cette hésitation étant réglée, la question se pose à partir de là de savoir comment procéd-… et non en fait c’est super simple, il suffit d’aller voir le trafiquant de drogue du coin, qui fait son business assis au bar-funerarium (…au quoi ?!) de la ville avec son homme de main. Ah ben oui, suis-je bête. L’évidence-même.

    Il y a des séries qui veulent forcer leurs protagonistes à lutter avec leur conscience avant de basculer dans l’illégalité, et puis il y a An Bronntanas. Cependant, la raison de ce choix réside dans le fait que, très vite, il apparaît comme une évidence que la série n’est pas là pour faire dans l’interrogation morale ou philosophique, et à la place, elle veut plutôt précipiter ses personnages dans une situation qui ne va cesser d’empirer. C’est un vrai thriller avec des morceaux dramatiques dedans, pas l’inverse.
    Or donc, la situation empire sur plusieurs fronts. D’abord parce que la Garda, bien-sûr, s’en mêle. Il ne faut même pas 24h pour que le bateau soit retrouvé, ramené au port, et que le corps de la jeune femme soit découvert à l’intérieur, avec la plaie béante dans son torse et tout. C’est l’inspecteur Fiachra Greene qui est chargé de l’enquête ; fils d’un flic en uniforme et connaissance de longue date des frères Magill, il entretient avec les héros une longue histoire d’hostilité. Il place immédiatement les trois hommes sur sa liste de suspects (n’ayant, il est vrai, personne d’autre à lier au bateau), bien que n’ayant pas encore réussi à leur trouver à motif pour ce crime. Du coup, il mène un peu l’enquête à charge dés le départ. Fort heureusement, les preuves semblent continuellement lui échapper ; par exemple les enregistrements automatiques du bateau de secours n’ont ce soir-là pas fonctionné.

    Pendant ce temps, JJ et Macdara, toujours aidés par Jakob qu’ils apprennent un peu à connaître, tentent de fourguer leur drogue… avant de réaliser que Tom Thumb, le trafiquant local, attendait précisément une livraison de drogue et qu’il apprécie peu qu’on essaie de lui vendre son chargement une seconde fois. Voilà donc maintenant que la racaille du Connemara est après nos trois hommes, en plus de la police.
    Tout cela alors que l’usine Magill continue de rencontrer des difficultés, à plus forte raison parce qu’ils n’ont toujours pas l’argent nécessaire pour assainir ses finances ; la banque menace donc l’usine. Même avec l’aide de Róisín, l’ex de JJ (…et apparemment, brièvement, celle de Macdara aussi !), une ex-infirmière tenant aujourd’hui un bar mais qui vient aider sur la compta, les frères commencent à devenir très pessimistes quant au sort de l’entreprise familiale.

    En fait, ce qui est fascinant dans cette série, c’est qu’elle avait absolument tous les ingrédients pour être bonne. Je le pense sincèrement : sur le papier, c’était du solide.
    This show has everything
    : une rivalité entre frères, une question d’héritage à la fois matériel et immatériel, une intrigue sur le traffic de drogue en milieu rural, un propos sur le pouvoir des banques, une romance avec une ex, et un Tom Thumb (c’est quand le trafiquant de drogue est un homme de petite taille).
    Ç’aurait dû être la série de l’année !

    Alors où les choses se sont-elles plantées ? Probablement dans le fait que An Bronntanas est courte, déjà. N’avoir que 5 épisodes fait qu’aucune situation n’a vraiment le temps d’être explorée. Mais de toute façon, elle ne donne pas l’impression d’avoir envie de discuter de ce qu’elle évoque. Par exemple on nous dit que JJ est dévasté à l’idée de devoir diminuer le nombre d’emplois à l’usine ; ça dure environ un quart de secondes. Et c’est pareil pour tout : l’alcoolisme de Macdara (on apprendra brièvement que le père Magill était lui-même alcoolique, et JJ également, et que Macdara est en fait le seul à n’avoir jamais réussi à se sevrer), qui explique pourquoi ce n’est pas lui qui a hérité de l’usine mais qui n’aura plus jamais la moindre importance ; le fait que JJ se soit tiré au Canada pour travailler dans des mines, ce qui n’aura pas vraiment d’impact dans l’essentiel de l’intrigue ; le fait que Róisín tienne un bar (comparativement, elle pansera un petit bobo de JJ qui permettra de mettre à profit ses connaissances d’infirmière) ; je ne suis même pas sûre qu’on ait, avant la fin de la série, une réponse définitive quant à ce que décide de faire la banque vis-à-vis de l’usine Magill. D’ailleurs sur ce sujet, je recommande bien plus sa compatriote Clean Break…
    Bref, An Bronntanas est un gigantesque bordel. Ya plein d’idées. Yen a pas une qui est exploitée ! Ce qui veut dire qu’il est très difficile de s’investir émotionnellement dans ce qui se passe, parce qu’on n’a jamais la sensation que le scénariste ne soit, lui-même, très attaché. En revanche pour nous fournir des retournements de situation réguliers, y compris à quelques minutes de la fin quand ça n’a plus autant d’intérêt, là d’accord.
    Un autre problème de cette mini-série, un peu adjacent je suppose, tient dans son obstination à être aussi vague que possible. D’après mes notes, le mot « cocaïne » ne sera prononcé qu’une fois dans toute la saison, vers la fin du dernier épisode ; le reste du temps, tout le monde parle de « drogue ». Ce qui, bon, une fois, deux fois, peut-être trois fois, admettons. Mais cinq épisodes… ça commençait à devenir risible. Et en parlant de choses risibles, le fameux Tom Thumb, dont c’est réellement le pseudonyme dans les environs comme si c’était très impressionnant pour un trafiquant, est un personnage pas du tout pris au sérieux par la réalisation, avec une direction d’acteur désastreuse qui le tourne en personnage clownesque. Ses répliques ainsi que celles de son bras droit, Big Tone, ne sont pas du tout dans le même registre que le reste de la série, ce qui termine d’achever toute crédibilité à l’oeuvre.
    Tout ça sans mentionner le fait que An Bronntanas est filmée comme… écoutez c’est bien simple, moi ça m’a rappelé Bergerac.

    An Bronntanas n’est vraiment pas la série de l’année. Ni maintenant, ni lors de sa diffusion en 2014. Et je peux le prouver !
    Qu’est-ce que l’audace ? C’est présenter une version re-montée d’An Bronntanas aux Oscars dans la catégorie du meilleur film de langue étrangère. Franchement, je savais que l’Irlande était un pays fier, mais je croyais pas que c’était un pays sans honte. Pour vous donner une idée : cette année-là, c’est La grande bellezza de Paolo Sorrentino qui a gagné le prix du meilleur film dans la compétition non-anglophone… effectivement on jouait pas dans la même catégorie. An Bronntanas était donc la proposition pour l’Irlande en 2014, et bien-entendu, ça n’a pas pris.

    Voilà, ça fait dix ans que je me dis qu’il faut absolument que je vous parle de An Bronntanas, la série irlandaise qui semble convaincue qu’elle fait des choses très sérieuse mais qui en fait part dans tous les sens. Je sais que nombre d’entre vous adorent le hate-watching, et je pense que la série se prête sûrement très bien, pour qui le pratique, à du stone-watching. Donc je m’en voudrais de vous laisser louper ça, d’où cette review tardive, mais bien intentionnée… juste avant le weekend qui plus est. Voilà, c’est cadeau.


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  • Fleur fanée

    23 mai 2024 à 18:43 • Telephage-o-thèque •

    Puisque nous parlons de Little Bird à l’occasion de sa diffusion en France aujourd’hui, c’est l’occasion parfaite d’évoquer aussi Pour toi Flora, une série dont Céline m’avait rappelé l’existence, et je l’en remercie. Pour toi Flora, produite par la télévision canadienne francophone, prédate Little Bird d’une année ; c’est aussi le tout premier projet autochtone produit au Québec. En effet, il n’existe pas d’équivalent francophone au Canada pour les nombreuses productions d’APTN on a pu mentionner par le passé des séries comme Hard Rock Medical (que j’ai a-do-rée), le drama Blackstone, ou encore la série policière et fantastique Rabbit Fall, et ce sont toutes des séries anglophones. APTN est, cependant, partenaire de la production de Pour toi Flora ; peut-être le début de quelque chose.

    Trigger warning : maltraitance (dont sexuelle) de mineures, PTSD.

    Contrairement à Little Bird qui est une série historique, Pour toi Flora se déroule principalement de nos jours, et a pour protagonistes centrales deux adultes qui ont subi une scolarité dans un pensionnat autochtone.

    Il ne faut en effet pas oublier que le dernier de ces pensionnats a fermé ses portes en 1996 ; c’est-à-dire que des personnes de ma génération y ont fait tout ou partie de leur scolarité. Il s’en trouvera toujours pour dire que « c’était il y a longtemps maintenant », mais il n’empêche que pour ces enfants aujourd’hui adultes, la réalité de ces pensionnats est un traumatisme encore d’actualité. C’est précisément ce qu’ambitionne d’explorer Pour toi Flora, et le visionnage du premier épisode est un peu rude pour cette raison. Il n’y a pas vraiment de données inconnues, de souvenirs oubliés, de passé perdu ici, au contraire de Little Bird à qui cela permettait d’euphémiser certaines choses, d’évoquer certains sujets plus implicitement.

    Pour toi Flora s’est choisi un cadre narratif un peu original : un frère et une soeur anishinaabe ont été retirées à leurs parents dans les années 60 ; envoyées dans une aile séparée du pensionnat religieux qui devait les « civiliser », elles ont vraisemblablement perdu tout contact. Or, à l’âge adulte, Rémi Dumont/Kiwedin choisit d’écrire un livre sur son expérience. Comme le suggère le titre de la série, il l’adresse à sa soeur Flora/Wabikoni. Rémi espère ainsi panser les plaies du passé en les exposant. Les souvenirs du pensionnats sont donc ponctués de commentaires en voix-off, délivrés par Rémi dans son manuscrit pour revenir sur ses émotions d’alors, et ses émotions d’aujourd’hui, comme une main tendue à sa soeur. Mais aussi comme un avertissement, adressé à d’autres lectrices : « Plus personne ne peut nier ce qui s’est passé ».
    Aujourd’hui, avec leurs propres enfants voire des petits-enfants, les deux adelphes semblent avoir continué leur vie. Mais séparément. Dans quelles conditions cette séparation a-t-elle eu lieu ? Le premier épisode de Pour toi Flora ne l’explicite pas encore ; il est possible que ce soit tout simplement à leur arrivée au pensionnat, lorsque les religieuses ont séparé filles et garçons, mais peut-être que la cassure réelle a eu lieu ultérieurement… Je vous avoue que ce premier épisode ayant été dur à voir, je ne me suis pas encore trouvée dans la disposition d’esprit me permettant d’aborder les suivants.

    Pendant que Rémi/Kiwedin travaille à son manuscrit, et reçoit un appel d’une éditrice qui semble intéressée pour le publier, l’intrigue nous montre aussi Flora Turcotte/Wabikoni.
    Celle-ci est, malgré son âge avancé, encore en proie à des crises de panique, et souffre d’une anxiété invalidante qui pendant un temps l’a forcée à prendre du repos. Elle a récemment repris ses activités au sein de sa paroisse, où elle aide pour des projets caritatifs, mais elle n’est clairement pas totalement remise. L’un des déclencheurs de ses crises, c’est bien-sûr la mention des pensionnats indigènes ; or, ceux-ci font régulièrement l’actualité, et sont largement débattus dans la société, ce qui ne laisse qu’assez peu de place au calme pour Flora. Quand la série commence, c’est son anniversaire, que sa fille organise un peu à reculons. Les proches de Flora ne semblent pas savoir les origines anishinaabe de Flora lorsque le sujet des First Nations émerge dans les conversations… ce qui ne fait qu’ajouter au stress de la vieille femme devant les microaggressions racistes qu’elle se prend en pleine face.
    Toutefois, pendant ce repas de fête qu’elle ne goûte pas vraiment, Flora va apprendre que sa fille, éditrice, envisage de publier le manuscrit d’un certain Rémi Dumont sur son expérience en pensionnat… et réalise que sa fille est sur le point de publier le livre de son frère.

    Pour toi Flora a choisi de parler du traumatisme de personnes adultes (Rémi et Flora ont la cinquantaine bien sonnée, voire le début de la soixantaine), ce qui est rarissime à la télévision. Ce choix s’explique probablement, au moins en partie, par le fait que le grand-père de la réalisatrice Sonia Bonspille Boileau était lui-même un survivant de l’un de ces pensionnats. Les souvenirs du pensionnat, bien-sûr, sont difficiles à regarder et ce n’est, très certainement, que le début ; mais comme je le dis toujours, si des enfants ont dû subir ces choses, alors que des adultes les regardent en fiction n’est vraiment rien que le strict minimum. D’ailleurs, la réalisatrice a poussé plus loin encore l’expérience d’empathie avec William, un projet de fiction en réalité virtuelle, filmé à 360°.
    Alors que l’on retrouve encore des sépultures dans le sol canadien (et qu’il s’en trouve malgré tout pour nier ces faits !) il y a encore beaucoup à dire sur le sujet de ces pensionnats ; Pour toi Flora fait figure d’introduction à ce sujet difficile. Rien de ce qui s’y dit, ni dans la façon dont c’est dit, ne relève de la fulgurance ou de l’originalité, mais ce n’est pas le genre de série où cela a la moindre importance.
    Le pire dans un génocide, ce n’est pas d’en parler de façon prévisible, mais bel et bien de ne pas en parler du tout.


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  • Fly home

    23 mai 2024 à 18:41 • Telephage-o-thèque •

    Il n’est plus à prouver qu’arte est la chaîne de la curiosité téléphagique, et ce sera une fois de plus démontré avec la diffusion ce soir de l’intégrale de Little Bird, une série canadienne dont j’avais eu l’occasion de vous parler brièvement à l’occasion de Series Mania l’an dernier. Little Bird n’a pourtant pas un sujet facile, ni même très connu en France, puisque la série s’intéresse au vol légalisé d’enfants indigènes.

    Trigger warning : maltraitance et violences incestuelles sur mineures, suicide.

    L’intrigue de Little Bird trouve son origine en 1968 dans la réserve de Long Pine, dans le Saskatchewan, près de la ville de Regina, lorsqu’un jour, les services sociaux interviennent pour une broutille, et retirent la garde des enfants d’une famille tranquille. Mais l’essentiel de l’intrigue, en revanche, se produit dix huit années plus tard soit en 1985, lorsqu’Esther, étudiante en Droit adoptée par une famille juive de Montréal, se retrouve confrontée au racisme de sa future belle-famille, qui la propulse dans une quête de vérité sur ses origines.

    Esther n’avait que 5 ans lorsqu’elle a été adoptée ; ses souvenirs de l’époque où elle s’appelait encore Bezhig sont confus et lointains. En outre, sa mère adoptive l’a découragée de poser trop de questions (ses parents adoptifs étant divorcés, c’est essentiellement cette relation qui sera explorée par la série). Sa vie s’est poursuivie dans la communauté juive de Montréal, où elle s’est liée d’amitié dans l’enfance avec David, le fils d’une autre famille juive aisée, et qui désormais, à 23 ans, est son fiancé. Tout semble avoir tourné pour le mieux : elle, future avocate ; lui, jeune interne en médecine… Mais le jour de leurs fiançailles, Esther entend par hasard une conversation dans laquelle la mère de David tient des propos d’un racisme extrêmement violent. Blessée, Esther décide de quitter la fête, et le lendemain, sur un coup de tête, elle part pour le Saskatchewan, seule piste qu’elle possède sur ses origines.
    Rien de plus naturel. Ce que la mère de David a souligné par ses propos dégueulasses, ne pensant être entendue que par des personnes qui lui ressemblent, c’est qu’Esther n’est pas exactement à sa place dans la communauté de juive de Montréal. Or, ce que la jeune femme réalise, c’est qu’elle veut ça, elle aussi. Elle le veut comme elle ne l’a jamais voulu avant. Elle veut être parmi les siens. Elle veut être chez elle.

    Little Bird suit cette quête, en même temps qu’elle procède à de nombreux retours dans les années 60, nous dévoilant comment les choses se sont précisément passées pour sa famille.
    Des détails dont beaucoup seront perdus pour Esther/Bezhig, mais auxquels la série nous donne accès parce qu’il ne s’agit pas d’individualiser l’histoire de son héroïne, mais bien de l’employer pour nous donner une leçon d’Histoire comme les livres en produisent peu. Et une Histoire encore récente, voire même d’actualité. En effet, au Canada, selon les chiffres les plus récents, les enfants indigènes ne représentent que 7,7% des enfants du pays… mais 53,8% des mineures placées. C’est dire si l’histoire de Little Bird n’est pas qu’une oeuvre à vocation historique : ses effets sont toujours palpables dans les communautés autochtones. Parler de l’Histoire, c’est donc parler d’une continuité. Aujourd’hui encore, les First Nations se battent toujours contre les services sociaux coloniaux. Des histoires comme celle de Bezhig continuent de s’écrire.

    En 1968, à partir du moment où un incident attire l’attention des autorités sur la famille (la police d’abord, puis les services sociaux contactés par elle, tout ça en une seule journée), il est clair que toute parole, tout comportement, toute émotion y compris parfaitement légitime, sont prêtes à être pathologisées et criminalisées. Lorsque les assistantes sociales interviennent ce jour-là, les choses vont aller très vite ; Patricia, la mère, qui est seule à la maison avec les trois plus jeunes enfants, est rapidement prise à partie. Sa terreur puis sa colère face à la situation (qui est son pire cauchemar devenu réalité) sont utilisées comme des preuves de son incapacité à s’occuper de ses enfants. Les trois petites lui sont immédiatement retirées, et elle est même menotée à sa cuisine. Lorsque le père, Morris, revient en fin de journée avec son fils ainé Leo dans la voiture, les enfants sont déjà loin ; son indignation face au traitement de sa famille, et sa colère face à la violence vécue, sont là encore reçues par les policiers présents comme un comportement déviant. Il est immédiatement roué de coups et embarqué… il finira sa vie à l’hôpital peu de temps après. Pendant ce temps, désemparée, Patricia essaie en vain de retrouver la garde des trois enfants enlevées ; mais tout ce qu’elle fait et dit, si tant est qu’on lui donne la parole, est utilisé contre elle. Quand le jugement de garde a lieu, les enfants sont déjà bien loin. Le message est clair : une fois que le système a mis la main sur vous, il ne vous lâchera plus…
    A cette violence initiale, d’autant plus insensée qu’elle découle directement du traitement des populations indigènes (comme par exemple leur reprocher leurs conditions de vie quand il n’y a ni l’eau ni l’électricité dans la réserve), s’en ajoute donc une autre, plus lente, au fil des années. Bezhig en fait les frais : tout est fait pour gommer son identité et détruire son appartenance, de près ou de loin. Le choix par les services sociaux des Rosenberg comme famille adoptante est parlant : elles habitent à l’autre bout du pays, sont d’une autre religion, etc. Au moment où elle commence à passer du temps à Regina pour essayer de remonter la trace de sa propre histoire, la jeune femme rencontre sur un parking un certain Cliff, un inconnu avec lequel elle échange quelques mots amicaux ; dans ses propres paroles, Bezhig qui trahit qu’elle parle des First Nations comme d’une altérité, pas d’un groupe auquel elle appartient. Et qu’elle n’a, évidemment, pas les codes de sa propre culture (ne comprend pas la question de Cliff, « where are you from ?« , comme une marque d’appartenance tribale par exemple ; ou elle parle de costume que la fille de Cliff porte pour un pow wow). Tout lui a été volé. Il s’avère également que le certificat de naissance de Bezhig a été modifié après son adoption, coupant son lien avec sa famille en plus de changer son nom. Devenue Esther, elle n’a jamais appris la langue de sa communauté Ojibwe, ou même… la prononciation de « Bezhig ». Imaginez qu’on vous prenne jusqu’à la capacité de prononcer votre propre nom ! Lorsqu’elle prend la mesure de tout ce qui lui a été confisqué, Bezhig va d’ailleurs s’indigner : « You can’t just stick a new name on a person and pretend that nothing happened« .
    Toutefois, le propos de Little Bird est très clair : si cette violence est systémique, elle n’est pas anonyme. En fait la série est très intéressée par le rôle que jouent les protagonistes non-indigènes dans le drame vécu par la famille de Bezhig Little Bird. La déshumanisation fait ce système, mais ce système est porté, protégé et perpétué par les protagonistes telles que les flics (trop heureux de frapper le père Morris) ou les assistantes sociales. Il y a un moment terrible pendant lequel une assistante sociale plus expérimentée (et la plus sévère, aussi) explique à sa jeune consoeur qui hésite à démissionner : « You have to think to yourself, I’m saving these children from a life of poverty. You know, the best thing to do at the end of a long day is do what men do. Go home, kiss that handsome husband of yours, or better still, wrap your legs around him, pour yourself a drink, kick your feet up, and watch something on television. Not the news. You know, something funny. And try not to think about the office too much, okay ?« . Se répéter qu’on a raison, ne surtout pas s’interroger, balayer d’un geste la vérité de ce que l’on voit et de ce que l’on fait pour éviter de remettre en question notre responsabilité… Little Bird insiste sur ce point parce que c’est bien beau de dire que dans l’abstraction, des choses atroces ont été infligées à des générations d’autochtones, mais par qui ? Qu’est-ce qui motivait ces personnes à effacer tant ? Qu’est-ce qui leur permettait de se regarder dans le miroir tout en continuant d’arracher des enfants à leur mère ? …Qu’est-ce qui les autorisait à adopter les enfants d’autrui, sous couvert de quels mensonges, aussi ? Little Bird aura quelques mots choisis pour la mère adoptive de Bezhig ; l’adoption transraciale est, après tout, au coeur de son intrigue.

    Little Bird est l’occasion progressivement pour Bezhig de lever le voile sur une partie de son passé. Jamais tout : il est des choses qu’on ne peut pas restituer, et même pas reconstituer. Mais sa tenacité paie à plusieurs reprises, aidée par un peu de chance. Elle trouve ainsi la trace de sa jeune soeur, Dora (« The whole time I was like ‘I know I have a sister somewhere’, I didn’t know if I was making it up« ), ce qui permet à la série de parler d’autres trajectoires. Puis Bezhig va se mettre en quête de réponses sur l’aîné de sa fratrie, Leo, et sur ce qui a pu arriver à son frère Niizh… Tout le monde dans la famille de Bezhig n’a en effet pas connu le même sort qu’elle. Se pose au travers des parcours de chacune la question de la vulnérabilité des enfants adoptées, notamment dans les adoptions transraciales (vulnérabilité aux abus, notamment, mais aussi à la difficulté d’être crue plutôt que les enfants biologiques), celle des traumatismes avec lesquels vivent les parents indigènes ayant vu leur famille fracturée par les autorités blanches, celle des destinées qui semblent s’inscrire dans les stéréotypes, d’être blamée pour les schémas que l’on reproduit faute de choix… Beaucoup de souffrance est mise au jour par les recherches de Bezhig sur sa famille. Et encore, elles n’ont pas fait l’expérience des pensionnats pour enfant autochtones ; c’est en revanche le sujet d’une autre série, Pour toi Flora, dont je vous propose du coup une review ici.

    Pendant tout ce temps, Little Bird multiplie les parallèles entre 1968 et 1985, les protagonistes des deux époques fréquentant plusieurs fois les mêmes lieux à dix huit années d’écart. Les unes au pire moment de leur vie, les autres essayant de comprendre ce qui s’est passé à ce moment-là. C’est comme si elles passaient les unes à côté des autres, sans pouvoir se voir. Les réponses nous sont données, mais restent insaisissables à Bezhig…
    C’est un long, poignant parcours que celui qui consiste à revenir en arrière et fouiller méticuleusement dans chaque plaie. A mesure que la série avance, les spectatrices réalisent que cette quête de vérité détruit autant qu’elle construit : on ne rouvre pas si facilement les portes de la mémoire. Pas quand ce qui se cache derrière est aussi douloureux. Et pourtant, que pourrait-elle faire d’autre ? Revenir sur ce qui fait mal lui permet, paradoxalement, d’avancer. Explorer cette douleur l’autorise à envisager d’aller de l’avant, cette fois avec TOUTE la vérité.
    Malgré sa brièveté, Little Bird n’oublie pas de parler de la façon dont Bezhig peut se réparer. Comment cette quête lui permet, grâce à certaines réponses, de renouer avec ses origines, et de se trouver accueillie par sa communauté. De la même façon que Cliff lui dit avec tendresse qu’il dansera pour elle au pow wow, Bezhig trouve de l’hospitalité, de coeur et de fait, dans une communauté dont progressivement elle apprend la culture. Sa culture. Tout ne sera pas effacé. Tout ne sera pas résolu. Certaines plaies seront même neuves ; trouver les siens c’est désormais avoir plus à perdre. Mais Little Bird veut finir sur une note d’espoir, pour toutes les petites filles indigènes qui veulent rentrer chez elles.


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  • Diet culture

    22 mai 2024 à 20:19 • Telephage-o-thèque •

    Suis-je juste quant aux séries dont je parle ? J’ai toujours cette appréhension, même après 17 années à écrire des reviews. Peut-être que je vous donne une idée faussée des séries dont je vous fais part.
    L’air de rien, ça m’angoisse beaucoup. Le choix de mes mots, des images, des séries elles-mêmes d’ailleurs… j’essaie de faire en sorte à la fois de donner mon avis, de vous faire découvrir des choses, et de peindre un portrait équilibré de la télévision des quatre coins du monde. Des objectifs qui d’ailleurs ne sont pas toujours compatibles les uns avec les autres… Ce n’est pas toujours évident de trouver la bonne façon de parler d’une série, tiraillée que je suis entre ma curiosité sur ce que ces séries ont à raconter d’un ailleurs, ma joie de découvrir une nouvelle fiction, et mon désir de ne pas donner une fausse idée d’une série (ou, pire, de la production d’un pays tout entier). J’ai en ce moment pas moins de cinq brouillons sur lesquels je me prends la tête à ce sujet, à divers degrés.

    Et puis, parfois, il y a des séries qui me rendent les choses faciles.

    Trigger warning : troubles du comportement alimentaire.

    Non, vraiment. Prenez soin de vous, cette série ne mérite pas que vous vous mettiez en vrac.

    Au centre de cette radieuse photo de promo, c’est Tobi. Elle est l’héroïne d’une série que j’ai découverte après avoir mis la main sur une nouvelle source nigériane (passez me voir à mon bureau si vous voulez le lien). Et cette série s’appelle Awkward Things About Losing Weight.
    Oh. Bon. Bien, me dis-je. Une série sur une « ancienne grosse », c’est intéressant. Je ne sais pas trop à quoi m’attendre. Quelque chose d’aussi politique que Shrill l’étasunienne ? D’aussi mordant que My Mad Fat Diary la britannique ? Ou tout simplement, d’aussi léger que Skinny Girl in Transit, une websérie également nigériane ?

    Amies téléphages, rien de tout ça. Voici le déroulé du premier épisode de Awkward Things About Losing Weight :
    – Tobi nous raconte qu’elle était grosse avant, et que cela lui causait bien de la peine
    – mais maintenant elle a presque perdu tout le poids qu’elle voulait perdre, sauf sur les cuisses et aussi un peu le ventre
    – elle liste tous les plats qu’elle aime manger, même si aujourd’hui elle ne mange que des remèdes « anti-boulimie » (coupe-faim, quoi) tellement infâmes qu’ils la font vomir, ainsi que des poudres et des compléments alimentaires en cachets
    – nous la suivons pendant son jogging dans la rue avec des amies, pendant lequel elle croise sa « némésis », Cindy
    – elle va à la piscine mais a trop honte de son corps et n’ose pas entrer dans l’eau
    – Cindy lui demande conseil pour perdre du poids et irrite Tobi parce que Cindy est mince
    – elle finit par se décider à aller dans l’eau, mais glisse et tombe en arrière, si bien qu’elle a besoin d’être portée hors de la piscine
    Euh, bon. C’est supposé être une histoire, ça ? Mkay.
    Tout ça prend vingt minutes, parce que chaque fois qu’une nouvelle protagoniste apparaît, la scène se met en pause et son nom apparaît à l’écran, avec deux-trois qualificatifs pour la définir ; par exemple, Ejiro est « Bestfriend / Colleague / Flatmate« , vous voyez le genre. Ce qui a tendance à prolonger la durée de l’épisode artificiellement, mais a aussi la curieuse manie d’introduire les personnages par ce biais, plutôt que d’essayer de nous les décrire en situation pendant que se déroule l’intrigue.
    Ajoutant l’insulte à l’injure, ce premier épisode qui pourtant dure vingt minutes n’a QU’UNE SEULE MUSIQUE EN FOND SONORE. Les mêmes cinq notes, en boucle. C’est hélas courant dans les séries africaines sans budget, mais là c’était vraiment hardcore.

    Awkward Things About Losing Weight semble en fait n’éprouver qu’un désintérêt blasé pour des choses aussi banales que planter le décor. Mêmes dans les scènes qui auraient dû nous dire quelque chose, il ne semblait rien se dire ; par exemple quand Tobi sort faire son jogging avec deux amies, sa voix-off nous dit : « Je suis pas quelqu’un qui aime faire de l’exercice, alors, s’étirer avant de faire de l’exercice est important pour moi ». Qu’est-ce que…? Quel genre d’information…? Pourquoi justifie-t-on les étirements de…?! Vu et s’en tape, un peu, non ? Ben, si, quand même.
    Ce désintérêt pour l’exposition est à un tel point, que quand Martins apparaît pour la première fois à l’écran, Tobi nous dit simplement « les graphismes vont expliquer ce qui se passe », c’est-à-dire que ses qualificatifs incluent « Tobi’s Crush / Cindy’s Crush« . Mais… on a besoin de lire une information comme celle-là ? C’aurait pas été plus intéressant à nous dire de vive voix qu’un monologue sur les étirements ?! Et d’ailleurs, ne serait-ce pas plus important de mettre cela en images, même ? Le fameux show, don’t tell !
    On s’en approche de très près pendant l’épisode, d’ailleurs. Il y a un moment pendant son jogging où, incapable de rivaliser avec Cindy en matière de forme physique alors qu’elles essaient toutes les deux de courir pour rattraper Martins, Tobi s’affale, épuisée, en bordure de route. L’image se fige et Tobi nous confie alors : « laissez-moi vous expliquer ce qui vient de se passer… Ejiro, Cindy, Martins et moi, on travaille dans la même compagnie, et on vit dans les logements pour staff de la compagnie aussi ». Et du coup la série décide de nous montrer plusieurs scènes dans les bureaux de la compagnie, pendant lesquelles les personnages ont des conversations (sans le son, pour pas couvrir la voix-off). Je. Bah… C’est un choix, je suppose. Mais ça explique pas vraiment ce qui vient de se passer en fait. Il n’y vraiment avait aucun besoin de faire un freeze frame pour ça.

    Je trouvais ça drôlement suspect, quand même. Des séries mal écrites, je commence à en avoir vu deux ou trois avec le temps, mais ce n’était même pas vraiment le problème ici. Awkward Things About Losing Weight ne ressemblait pas à une exposition pour une fiction. C’était plutôt une litanie d’actions. Expliquer pourquoi Tobi se sentait mal quand elle était grosse (elle était moquée, mise au ban lors d’événements, etc.) avait du sens au début de l’épisode, mais expliquer par le menu comment elle fait pour perdre du poids, bof quoi.

    Attendez… à moins que…? Mes soupçons s’orientaient vers une explication potentielle, mais je n’osais y croire. Pourtant, à la toute fin de l’épisode, juste après l’aperçu de l’épisode suivant, ils ont été confirmés. Et de la plus ahurissante des façons :

    …Je n’en croyais pas mes yeux. Awkward Things About Losing Weight est écrite pour enjoindre ses spectatrices à faire un régime ?! C’est pas du tout une fiction en fait, c’est une émission lifestyle déguisée en fiction ! Et qui délivre donc des conseils pseudo-médicaux sous couvert de raconter les tribulations de Tobi. What in the Instagram Stories is this ?!

    Vous voyez, parfois j’ai la tâche facile : Awkward Things About Losing Weight est une odieuse bouse. Et je vous mets au défi de me dire que ce n’est pas le jugement juste.


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  • Lie to me

    16 mai 2024 à 21:49 • Zappeur, Zappeur n'aies pas peur ! •

    « Everybody lies…every day, every hour, awake, asleep, in his dreams, in his joy, in his mourning. If he keeps his tongue still his hands, his feet, his eyes, his attitude will convey deception – and purposely. »
    (Mark Twain)

    Et donc, tout le monde ment. Mais ça n’est pas intéressant, ça. Ce qui est intéressant, c’est pourquoi les gens mentent. Et comment. Le mensonge peut même être un art ! C’est en partie de tout cela qu’Actor, la série iranienne que lance aujourd’hui arte sous son titre international de The Actor, veut explorer.

    Et effectivement quels meilleurs personnages pour parler de mensonge que des acteurs ? Ali et Morteza sont amis, et tous deux acteurs de profession. Lorsque démarre la série, ils veulent monter une pièce intitulée Actor, qui serait une adaptation d’une pièce d’Anthony Shaffer écrite par Ali. Pour garantir leur liberté artistique, ils tentent de produire la pièce de façon indépendante, louant un vieux théâtre… ou disons que ce serait le cas s’ils n’avaient pas pris du retard dans le paiement de leur loyer. Il faut dire que pour payer les factures, ils n’ont d’autre choix que de faire des petits boulots, se faisant engager pour des animations et des mises en scène diverses. Dans le premier épisode, on les voit par exemple prétendre braquer un couple d’amies pour une demande en mariage pourrie inoubliable, ou faire semblant de se battre pendant la soirée d’un riche étudiant en médecine. Et ce serait presqu’un moyen de gagner leur vie comme un autre, si Morteza n’avait pas décidé de dépenser le peu d’argent qu’ils ont dans un cadeau pour Sara, la belle vendeuse de parfum dont il est épris, et dont c’est justement l’anniversaire. Donc maintenant, ils peuvent encore moins payer leur loyer. Super.
    La galère ne dure pas, fort heureusement. Dans le deuxième épisode de la série, Ali et Morteza sont embauchés par Ghafouri, un ex-flic travaillant pour une agence de « fixer » pour utiliser leurs talents d’improvisation plus en avant encore. Désormais, ils vont conduire pour lui des missions nécessitant des talents d’acteur, s’infiltrer quelque part, et mener des sortes d’enquêtes simples. Toutefois, Actor n’est pas une fiction formulaïque, et l’on ne verra en réalité que deux de ces affaires être conduites de bout en bout.

    Et quand je dis « de bout en bout », je le pense : la série suit de très près les phases de préparation, de repérage, de répétition. C’est un peu Mission: Impossible en Iran. Oh, attendez, je sais… c’est Mission : Iranpossible !
    …Ce qui, bien-sûr, a beaucoup de sens pour une série qui s’intérese à des acteurs ; toutefois cette approche, ainsi que le choix de s’appuyer sur le feuilletonnant plutôt que d’accumuler les investigations, montre que le but d’Actor n’est que d’utiliser cet ingrédient, pas d’en faire son objet central ; son vrai intérêt est pour le thème du mensonge au sens large. Ali et Morteza ont des superpouvoirs : ils sont capables de devenir n’importe qui, de s’adapter à n’importe quelle situation. Que dit ce don d’eux, de leur moralité, de leur conception de la vie ? Plus encore quand ce don est à vendre ? Sont-ils d’ailleurs les seuls à mentir ?
    Bien-sûr que non. Ne serait-ce que parce que le mensonge est au coeur de leurs deux enquêtes, mais aussi récurrent dans leur vie personnelle. C’est là que se loge toute la sève dramatique d’Actor : dans l’exploration des situations qui poussent les protagonistes à mentir, mais aussi à faire le choix de la vérité.

    Pour Actor, la vie est une performance (ce n’est pas pour rien que chaque épisode s’ouvre sur l’une des plus célèbres citations de Shakespeare). L’amour est une performance. L’amitié est une performance. La famille est une performance. La légalité est une performance… et ainsi de suite. Il y a des scènes, des interactions, des dialogues, qui soudain révèlent que ce que nous tenions pour acquis, ou au moins, ce sur quoi nous ne faisions que nous poser des questions, est plus complexe et trouble qu’au premier abord, et pas nécessairement vrai. Nous croyons connaître les personnages ou leurs motivations, et c’est, généralement, faux. Si bien qu’au bout d’un moment, on ne sait plus trop à quoi ou qui se fier.
    C’est quelque chose dont un thriller serait coutumier… mais Actor n’est pas écrite comme un thriller, mais comme une dramédie ou éventuellement une fiction dramatique (le sérieux de son ton oscille pas mal, elle est difficilement classable sur ce plan). Sa façon de mettre en lumière les mensonges n’est pas exactement de nous retourner le cerveau, ou de nous laisser en suspens (hors le season finale, je l’admets), mais plutôt de nous impliquer émotionnellement dans cette discussion que la série a avec nous sur ce qu’est une relation honnête.
    Deux des personnages ont par exemple, au cours d’une conversation, cet échange :
    – Je pourrai jamais te mentir.
    – Qu’est-ce que t’en sais ? Peut-être qu’il se passera quelque chose qui t’obligera à me mentir un jour.
    Et c’est ça, qui intéresse Actor. C’est exactement à cela qu’elle veut que nous montrions attentives. A tous les mensonges, demi-vérités, mensonges par omission, pieux mensonges et vérités indicibles qui se logent dans nos vies ; les nuances entre la personne telle que nous voulons être aux yeux d’autrui, et la personne que nous voudrions être ; les mensonges que l’on dit pour obtenir la vérité de quelqu’un d’autre…

    Tout dans nos vies est performance. Tout ?

    Pendant ce temps la pièce Actor prend progressivement forme. A travers le financement, la construction du décor, les répétitions (des scènes dont la réalisation devient plus élaborée à mesure que le projet avance ; la répétition générale ressemble même à un film), Ali et Morteza sont, paradoxalement, sincères. Ils sont prêts à beaucoup de choses pour faire aboutir ce projet, en particulier Ali qui est l’auteur de la pièce (et généralement le cerveau de notre affaire), pour qui cette adaptation est un rêve de longue date. Jouer cette pièce, c’est la vérité de ce que font Ali et Morteza, la raison pour laquelle autrement ils mentent si allègrement. Toute leur vérité est dans leur art ; et nul part ailleurs.
    Actor se régale de la progression de leur projet artistique, passe de longues minutes à leur faire réciter leur texte ou discuter de références culturelles (d’ailleurs attention, Actor inclut du blackface iranien). J’imagine que dans la deuxième saison, puisque le créateur et réalisateur de la série Nima Javidi semble tenir pour acquis que deux saisons d’Actor seront produites, on verra enfin la représentation ? Pour le moment, je n’ai toutefois pas trouvé trace de cette deuxième saison ; elle n’est probablement pas encore diffusée.

    Actor se montre touchante, à sa façon. Aussi touchante que peut l’être une série dans laquelle on ne peut totalement croire personne, disons.
    Les relations entre Morteza et Sara (même si celle-ci passe largement au second plan pendant la deuxième moitié de saison) ou Sara et son matron ; entre Ali et Nâzi (c’est malencontreux, mais c’est vraiment un prénom), la psychologue qui travaille dans la même agence que Ghafouri ; entre Ali/Morteza et Alma, l’actrice qu’ils engagent lorsqu’ils ont besoin d’une protagoniste féminine dans leurs investigations et avec laquelle ils commencent à former une petite troupe… sont autant de façons de construire un rapport à l’autre même voire surtout quand on ne lui dit pas tout. La série explore ce thème sous l’angle amoureux, mais aussi amical voire même familial, avec dévotion ; elle adore l’idée que l’on puisse créer des liens même sans sincérité complète. N’est-ce pas la vérité de toutes les relations ? On ne dit jamais tout, même quand on le voudrait, même quand on le pourrait ; or, on ne le veut pas toujours, et on ne le peut pas toujours.
    Parfois, c’est même par le mensonge que l’on crée du lien. A plusieurs reprises, Ali, Morteza ou Alma vont être surprises, en plein mensonge, par la vérité d’autrui, qui ressort à un moment émouvant. C’est un échange émouvant avec un couple qu’on voulait manipuler, la video d’un vieil homme prise alors qu’on se faisait passer pour une réalisatrice, et ainsi de suite. Parfois, vous, vous mentez ; mais cela crée une situation dans laquelle autrui, parfaitement sincère, vous confie quelque chose qui autrement ne serait jamais sorti, suscite un moment de partage qui n’aurait pas existé. Actor adore prendre par surprise ses protagonistes et les confronter, avec une délicate brutalité, à une vérité inattendue. Et belle.

    A cette grande interrogation sur le mensonge, s’ajoute un autre, qui me semble quasiment accidentel ou en tout cas très secondaire, autour de l’âge et de l’abandon. A plusieurs reprises, on trouve des protagonistes secondaires âgées qui se désolent d’être délaissées, plus ou moins littéralement, par leurs proches plus jeunes. Dans un épisode, « Bibi » la mère d’Ali, semble devenir catatonique par désespoir de n’être plus visitée. Dans un autre, la troupe d’actrices doit vérifier si quelqu’un est entré dans une maison de retraite très select, et découvre que beaucoup des pensionnaires vivent comme une blessure de vivre dans une cage dorée loin de leur famille. Parfois Actor glisse des références extrêmement rapides à ce constat, comme lorsqu’Alma confesse secrètement que si elle gagnait plusieurs millions, cet argent irait à son père ; ou quand Ali rencontre une adorable vieille dame en maison de retraite, qui se torture à l’idée d’avoir été abandonnée par son mari quand celui-ci est décédé ; ou même quand Nâzi parle de ses beaux-parents avec une forme de tendresse. Je n’ai pas trop réussi à déterminer si Actor a vraiment envie d’en faire un fil conducteur de son intrigue, ou d’utiliser cet axe pour dire quelque chose de son thème sur le mensonge (les personnes âgées sont capables de mentir autant que les autres !). Mais il est évident qu’elle porte une grande affection à ces protagonistes secondaires voire tertiaires.
    Peut-être que, de la même façon que chaque épisode se conclut sur un baisser de rideau, le dernier acte d’une vie fascine Actor…?

    Actor me donne l’opportunité, pour la première fois dans l’histoire du Dotcom, de reviewer l’intégralité d’une série iranienne ! Après la Somalie et le Malawi, j’ajoute donc maintenant l’Iran à mon tableau de chasse. Certes, techniquement ce n’est pas la toute première review d’une série iranienne… parce que j’avais déjà parlé d’Actor l’an dernier dans ma review globale des 36 séries vues à Series Mania. Vous admettrez que l’occasion mérite quand même d’être soulignée ! Et vous savez combien je me régale des premières fois… mais il est important de noter que ce n’est, en revanche (et contrairement à ce que beaucoup d’articles pas super documentés vous racontent cette semaine), pas la toute première série iranienne vue en France. Ce titre revient à Happiness, certes co-produite par… arte. Vous le savez, arte est pour moi LA chaîne française de la découverte téléphagique, mais là ça se confirme.
    L’an dernier, je prédisais après avoir vu le premier épisode d’Actor que « c’est triste de savoir que je n’en connaitrais sûrement jamais la suite, considérant le nombre de séries iraniennes achetées et diffusées en France en règle générale ». Bien contente qu’arte ait fait de moi une menteuse.


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  • Retour à la case départ

    14 mai 2024 à 21:48 • Telephage-o-thèque •

    Si ça ne tenait qu’à Hallmark, la chaîne commanderait 25 versions de When Calls the Heart et Chesapeake Shores, mais évidemment, ça commencerait à se voir (pas faute d’avoir commandé un spin-off pour l’une d’entre elles, When Hope Calls… je vous laisse deviner pour laquelle). Même son public commencerait à se douter de quelque chose, et pourtant le Dieu de la Téléphagie sait s’il n’est pas bien regardant.
    The Way Home est un moyen pas si détourné que ça de quand même arriver au même but, en forçant une fois de plus des héroïnes qui n’en demandaient pas tant à se retrouver coincées dans une toute petite ville de province, idéalement dans une ferme. Parce que rien ne parle autant au public conservateur que cette idée selon laquelle la vie est forcément meilleure dans une « small town« … et Hallmark est un tout petit peu conservatrice, voyez-vous.

    Dans le premier épisode, Katherine dite « Kat » perd son job, mais bon ça à la limite on s’en fout, c’est surtout qu’elle est en plein divorce et que sa fille Alice ou « Al » a été exclue de son lycée. Voilà, ça, ce sont de vrais problèmes. Le jour-même, LE JOUR-MÊME VOUS M’ENTENDEZ, elle reçoit une lettre de sa mère à laquelle elle n’a pas adressé la parole depuis des années, et décide donc de changer de vie… pour retourner à la case départ. Avec quelques valises et sa fille sous le bras, la voilà donc qui emménage à nouveau dans la maison de son enfance. Evidemment elle a laissé sur place un homme charmant, et divorcé, forcément divorcé, qui est ravi de la voir revenir au bercail !
    Donc, oui, vous l’avez vu cent fois, cette épisode.

    Boooon, ok, j’exagère un tout petit peu. The Way Home ne nous sert pas la soupe habituelle sans un petit twist… mais avant d’y venir, il me faut vous avouer que cet épisode inaugural n’est pas entièrement mauvais. Du moins si vous aimez les violons et les psychodrames familiaux.
    Car la raison pour laquelle Kat n’a pas parlé à sa mère Delilah alias « Del » depuis des lustres, c’est que leur famille s’est réduite à peau de chagrin : Jacob (ou « Jake »), le petit frère de Kat est décédé lorsqu’il était encore enfant, puis son père Colton (mieux connu sous le nom de « Cole ») est parti à son tour quelques années plus tard. Ces deux deuils ont terrassé les deux femmes. On n’a pas trop les détails du pourquoi du comment, mais il n’est pas difficile d’imaginer que perdre deux êtres chers ont largement rendu les choses difficiles pour les survivantes de cette cellule familiale. Le premier épisode de The Way Home revient donc dans cette maison qui a jadis connu le bonheur, assume de raviver des souvenirs, et appuie là où ça fait mal.
    Beaucoup de scènes sont des clichés dans cet épisode, mais les plus réussies sont sans conteste celles qui opposent Del (jouée par une Andie MacDowell qui fait semblant de n’être pas tombée bas) et Kat (Chyler Leigh, qui pour sa part ne pouvait pas faire pire après Taxi Brooklyn, donc tout va bien). La première a dû continuer sa vie, seule, dans une maison remplie de souvenirs, et s’est donc adaptée avec le temps ; l’autre voudrait tout retrouver comme elle l’avait laissé, notamment en cherchant une trace des membres de la famille qui n’y vivent plus, ce qui est injuste mais aussi compréhensible. A cela, The Way Home parvient à donner un tour humain, et touchant, toute proportions gardées. Ou en tout cas elle commence à le faire, car le reste de l’exposition va venir empiéter sur ce travail dramatique qui sera, n’en doutons pas, exploré plus en avant dans les épisodes ultérieurs.

    Mais, donc, il y a un conflit. Et pour l’arbitrer, voilà qu’Al l’ado rebelle (il en faut bien une, c’est contractuel) se retrouve dans une situation incroyable : elle découvre qu’un étang dans la forêt attenante à la ferme est en réalité un portail lui permettant de voyager dans le temps ! Elle s’en aperçoit par accident quand après être tombée dans l’eau, ce qui la fait arriver en 1999, dans la ferme où sa mère Kat est alors une adolescente de son âge ! Oui bon bah c’est un peu tiré par les cheveux, mais c’est la seule façon qu’on a trouvé de parler de l’histoire de cette famille… et de quand même y inclure une adolescente qui n’avait pas du tout envie de s’en mêler à la base. Elle avait suffisamment claqué de portes et roulé des yeux pour le prouver ! Et comme pour mieux l’y forcer, The Way Home fait aussi d’elle le trait d’union entre Kat et Elliot (soit « El », parce qu’apparemment cette série ne pense pas que ses spectatrices soient capables de retenir des noms de plus d’une syllabe), avec lequel de toute évidence une idylle va se produire, et qui est… le prof de sciences d’Al.
    Comme si souvent dans les fictions Hallmark, la série prétend être « familiale », mais s’adresse en fait principalement aux mères, et c’est la raison pour laquelle la crise d’adolescence d’Al est si vite reléguée au second plan pour servir l’intrigue de Kat et de Del (ou remettre en route la vie amoureuse de Kat). C’est… bon, un choix, on va dire. Pas un super choix de mon point de vue, mais un choix. Et je suppose que dans un monde téléphagique où tant de séries n’ont que faire des protagonistes parentales, plus encore si elles ont l’outrecuidance d’avoir quarante ans ou plus, c’est un choix qui n’est pas infondé. Et puis, considérer que l’état émotionnel d’une adolescente est quantité négligeable, cela dit, colle plutôt bien avec l’idée de retour dans le passé qu’affection The Way Home, à bien y réfléchir.

    Reste que c’est quand même difficile de prendre la série totalement au sérieux vu la grossièreté des ficelles, et surtout, étant donné la façon dont un personnage dont le mal-être devrait être pris au sérieux, devient un instrument au service des intrigues de sa mère. C’est un peu toujours le problème avec les séries conservatrices : on croit qu’elles sont inoffensives parce que leurs intrigues sont dépourvues de violence, mais en réalité, elles véhiculent quand même quelque chose d’un peu pourri.


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