A matter of time, un abrégé historique de la durée des épisodes (director’s cut)

13 avril 2017 à 12:00

En ouverture de Séries Mania, le débat de cette année portera sur « Y a-t-il trop de séries ?« , une problématique qui nous touche tous de près, parce que nous avons d’atroces problèmes.
La discussion promet d’aborder des choses intéressantes, comme de savoir « comment les fans (et les critiques !) peuvent-ils survivre dans cet océan de sollicitations ? », et je me suis dit que pour mon traditionnel article de préambule au débat, j’allais aborder un point spécifique de cette problématique. Nombreux sont les téléphages qui, en effet, semblent cruellement manquer de temps pour tout voir (la légitimité de cette angoisse a été abordée dans un précédent manifeste). L’époque de Peak TV semble, aussi, être une époque où chaque minute de télévision compte…

Dans ce contexte, la durée des épisodes revêt donc une importance capitale. Or, simultanément à ce phénomène de Peak TV, la durée des épisodes des séries notamment américaines semble en pleine mutation, alors qu’elles ne répondent plus aussi précisément à des critères rigoureux et des classifications simples. Il a l’air si loin, le temps où l’on pouvait prédire avec exactitude que regarder un sitcom occuperait précisément 23 minutes et qu’un drama en nécessiterait à peine 45 !

…Et pourtant, cette durée, bien que considérée comme « normale » par bien des téléphages, n’a rien de systématique, et encore moins d’universel. Aujourd’hui je vous propose donc d’explorer la question de la durée des épisodes sous un maximum d’angles, à travers un tour d’horizon historique mais aussi géographique de la durée des épisodes de séries. Toutes les séries.

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D’emblée il faut mettre quelque chose au point : cette proportion (une demi-heure pour les comédies, une heure pour les dramas ; publicité comprise) n’a rien de gravé dans le marbre… même aux États-Unis. En fait, aux débuts de la télévision, la fiction ne répond à aucun code ou format précis. Lorsque les premiers networks américains proposent leurs programmes, dans les années 40, de façon régulière, tout est à inventer…

15 minutes of fame

Commençons par réhabiliter une durée télévisuelle aujourd’hui (officiellement) tombée en désuétude, mais jadis très populaire : les épisodes de 15 minutes. En 15 minutes, on peut en faire, des choses… et on n’a pas attendu les webseries ni les séries mobiles pour le découvrir.

thetelevisionghost-300C’est en effet sous cette forme qu’apparaissent les premières séries américaines dans les années 30. Mais pas qu’elles : il faut noter qu’à l’époque, le format de 15 minutes est loin d’être circonscrit à la fiction ; en fait, dès les tous premiers programmes télévisés des années 30, la durée d’un quart d’heure est la plus répandue quel que soit le type d’émission (fiction, information, divertissement… ). Ainsi l’une des toutes premières séries au monde, et l’une des premières anthologies au passage, serait (les archives ne sont pas très détaillées sur l’époque) un thriller lorgnant sur le fantastique nommé The Television Ghost ; ses épisodes durent déjà un quart d’heure environ. En-dehors de la photo que vous voyez ci-contre, on n’a pas gardé beaucoup de traces des épisodes diffusés en direct entre 1931 et 1933, mais l’on sait que la station qui la diffuse à l’époque propose les épisodes en parallèle d’une transmission audio sur certaines stations de radio de CBS… ce qui, comme vous allez le voir plus bas, n’a rien de très surprenant.
Cependant, il faut souligner que cela ne signifie pas que toutes les séries des années 30 optent pour le format d’un quart d’heure. Il faut bien garder en tête que le caractère expérimental des premières années de la télévision (l’autorisation faite aux chaînes d’émettre régulièrement de façon commerciale n’intervient qu’en 1941) permet aux différentes stations, dont certaines ne sont encore raccordées à aucun des jeunes networks et donc soumises à aucune obligation d’aucune sorte, de faire un peu ce qu’elles veulent… c’est-à-dire, bien souvent, ce qu’elles peuvent. A l’époque, les grilles n’en sont pas vraiment : l’irrégularité de certaines transmissions rend les choses un peu aléatoires. Mais ces 15 minutes reviennent régulièrement dans les quelques traces qui ont été conservées de la fiction sérielle de cette décennie à la télévision américaine.

IrnaPhillips-300A la fin des années 40 puis dans les années 50, le format d’un quart d’heure concerne en particulier les soap operas de daytime, qui en systématisent l’usage. Et si vous êtes tenté de hausser les épaules à l’idée qu’un soap opera puisse servir de maître-étalon, oh boy, vous êtes vraiment en train de lire le mauvais article : les variations de durée des soaps vont au contraire tenir un rôle ca-pi-tal dans l’évolution de la durée des séries en général. Mais n’allons pas trop vite !
Voilà donc qu’en 1949 apparaît These Are My Children, tout premier soap de daytime créé par Irna Phillips (ci-contre… encore elle ! je vous ai déjà parlé par le passé de cette pionnière de la fiction télévisée), alors proposé chaque jour à 17h par NBC pour 15 petites minutes seulement. Très vite, les séries de daytime qui lui font suite prennent le même chemin : Search for Tomorrow en 1951, ou Guiding Light en 1952, adoptent également cette durée.
Pourquoi ? Pour plusieurs raisons, bien-sûr, comme toujours ! L’une d’entre elles est que jusqu’au début des années 50, les moyens techniques sont encore un peu hésitants ; il faut prendre en compte le fait que l’enregistrement n’est alors pas encore possible (il se démocratise parmi les networks pendant la seconde moitié des années 50). Or, produire des programmes en direct plus longs demande plus de travail, notamment en matière de préproduction ; si l’on peut prendre ce temps pour une pièce filmée proposée à titre exceptionnel, le temps d’une soirée par exemple, et au moins jusqu’à un certain point pour une série hebdomadaire, c’est un temps qu’en revanche on ne peut pas consacrer à une série diffusée de façon quotidienne. Il faut aussi rappeler qu’à l’époque, on pense que les gens n’auront ni le temps ni l’envie de tout arrêter pour consacrer de longues minutes à la télévision, qui contrairement à la radio ne laisse qu’une liberté de mouvement limitée ; à ce titre on considère donc qu’un quart d’heure est amplement suffisant, sans quoi on court le risque de perdre les spectateurs qui voudraient reprendre une activité normale ! Autres temps, autres mœurs…
Mais l’une des raisons les plus essentielles est aussi beaucoup plus simple, et j’y faisais allusion plus haut : les soaps radiophoniques (comme celui de Guiding Light, sur les ondes depuis les années 30) durent déjà une quinzaine de minutes, et le standard est donc tout bonnement appliqué à l’identique. Comme pour beaucoup de choses au moment des débuts de la télévision, la radio sert encore souvent de référence, voilà tout.

AsTheWorldTurns-Titles1956-300L’adoption systématique de la durée de 15 minutes, cependant, est bientôt soumise à des évolutions : le 2 avril 1956, les soaps Edge of Tomorrow et As the World Turns introduisent pour CBS une petite révolution, en optant pour des épisodes de 30 minutes chacun (ils sont qui plus est lancés l’un à la suite de l’autre dans les grilles du network).
L’idée viendrait entre autres d’Irna Philips (elle est à la tête d’As the World Turns), qui souhaite rendre plus complexe la structure de son soap après des années passées à exploiter le format de 15 minutes. Ainsi, au lieu de ne s’intéresser qu’à un personnage central et à ses interactions avec une galerie de personnages secondaires, comme c’est souvent le cas jusque là, la voilà armée d’un peu plus de temps pour développer toutes sortes de protagonistes ! Si bien que le passage à une demi-heure transforme les soaps en ensemble shows pléthoriques, tels qu’on les connaît encore en Amérique du Nord aujourd’hui.
La plupart des séries quotidiennes nées avant le 2 avril 1956 ne modifient pas tout de suite leurs habitudes, mais cela va se produire progressivement pendant la décennie suivante. En fait, avant la fin des années 60, les soaps étasuniens vont tous opter pour le nouveau standard d’une demi-heure ; Guiding Light le fait en 1968 par exemple, mais cette série est loin d’être la seule… ou la première. Quant aux séries quotidiennes qui apparaissent dans les années 60, toutes affichent d’emblée une durée de 30 minutes, à l’instar de General Hospital.

Parce que cette transition ne touche pas que les séries de daytime, le format de 15 minutes disparaît ainsi aux États-Unis à la fin des années 60, après une brève mais passionnante heure de gloire. On constatera au passage que l’évaporation de ce format accompagne aussi la tombée en désuétude de la radio.

Contagion

AustraliaUpfronts-300…Mais dans l’intervalle, cette popularité de la durée d’un quart d’heure n’a pas concerné que la télévision étasunienne, bien au contraire. Le modèle nord-américain des séries quotidiennes de 15 minutes s’étend ainsi jusqu’en Australie, où il est adopté dès 1958.
Autumn Affair, qui apparaît cette année-là, devient le premier soap produit sur le territoire australien. Il se limite à un quart d’heure quotidien d’intrigues s’articulant autour de la vie d’une veuve prise dans un triangle amoureux, ainsi que de l’existence de sa fille. Quinze minutes par jour, trois jours par semaine, c’est déjà un sacré défi : Autumn Affair n’est que la seconde fiction produite par et pour la télévision australienne dans toute son histoire. La première était une série dramatique, The House on the Corner, dont les épisodes ne duraient que 10 minutes et étaient diffusés sous forme de segment à l’intérieur d’une émission de divertissement. Je mets ici volontairement de côté The Adventures of Long John Silver, tournée spécifiquement pour l’export et avant même que les Australiens n’aient la télévision.
L’effort de production fourni pour Autumn Affair n’est donc pas anodin ; d’autant que la télévision australienne n’existe que depuis 2 ans lorsqu’arrive ce soap opera ! Diffuser quotidiennement 15 minutes est un défi de production pour cette industrie naissante ; malgré tout, 156 épisodes réussissent à être ainsi produits, en dépit de l’absence de sponsor publicitaire permettant de financer la série. C’est d’ailleurs ce qui lui vaut son annulation au bout du compte : l’épineuse question de son financement.
D’autres tentatives de séries quotidiennes australiennes émergent à sa suite, comme The Story of Peter Grey (l’un des quelques soaps télévisés de la planète s’articulant autour d’une figure masculine, ici un prêtre catholique), qui dure 164 épisodes entre 1961 et 1962, également pour une durée de 15 minutes.
La tradition des épisodes quotidiens d’un quart d’heure se poursuit en Australie jusqu’à la fin des années 60 également. Il faut attendre Number 96 (né en mars 1972) pour voir apparaître le premier soap opera d’une demi-heure… certes proposé dans une case nocturne, et non en journée.

musumetowatashi-300En Asie, le format de 15 minutes est au contraire sur le point de s’installer durablement sur les télévisions japonaises, avec la naissance de l’asadora.
A contrario des soaps occidentaux, cette série est proposée en début de matinée, cette fois. En revanche, son format quotidien (6 jours par semaine) et sa cible féminine (l’idée est de proposer une série aux mères au foyer une fois leurs enfants partis pour l’école et leur mari au travail) ne sont pas sans rappeler le soap opera tel qu’il est né aux USA. Première en son genre, Musume to Watashi, ci-contre, débute sur la chaîne publique NHK au printemps 1961… après avoir été d’abord une série radiophonique en 1958. Une fois encore, la radio a fortement imprégné les choix de programmation des télévisions du monde, et cela, ainsi que l’existence de séries similaires outre-Pacifique, explique sans doute le choix du format de 15 minutes. Il y a également une véritable question idéologique derrière cette durée, les exécutifs de NHK estimant que 15 minutes sont entièrement suffisantes pour divertir une femme au foyer sans l’inciter à négliger son travail domestique… ah bah oui ce sont les années 60, hein.
Toutefois, et contrairement à ce qui se déroule aux USA, ce format d’un quart d’heure est appelé à durer : l’asadora (un format et donc une appellation unique à NHK, rappelons-le) dure, encore aujourd’hui, une quinzaine de minutes. Ce, quand bien même son horaire de diffusion a quant à lui évolué avec les décennies : la série est désormais proposée à 8h15 (actuellement c’est le cas de Hiyokko qui vient de commencer sa diffusion pour 6 mois), et non plus 8h40 comme cela pouvait être le cas dans les années 60 pour Musume to Watashi.
L’asadora n’est, à l’époque, pas le seul type de fiction télévisée japonaise dont la durée se limite à 15 minutes : c’est également le cas des premières séries proposées en début de soirée (Bus Doori Ura, première série nippone destinée à cette case horaire, apparaît en 1958 entre 19h15 et 19h30 ; il faut, il est vrai, préciser qu’il s’agit là aussi d’une série quotidienne). Contrairement à l’asadora, toutefois, cette durée n’est pas appelée à subsister pour les séries diffusées le soir dans les grilles japonaises, et elle va disparaître totalement après quelques années.

SuaVidaMePertence-300Ce n’est pas le seul recoin de la planète où les soaps américains vont avoir de l’influence sur les standards de pays étrangers, puisque leur influence va être ressentie dans toute l’Amérique du Sud ! Je l’ai déjà mentionné dans des articles passés, mais cette fois on ne va pas juste l’évoquer : la radionovela, genre évidemment radiophonique qui a ensuite donné naissance à la telenovela avec l’avènement du petit écran, doit son existence aux publicitaires étasuniens… avec les conséquences que cela implique dans le cadre de notre sujet du jour.
Dans les années 30, les publicitaires sont en effet les producteurs des fictions proposées à la radio US pour le compte des divers annonceurs qui les emploient ; ce sont donc des créatifs du monde de la publicité qui doivent trouver le moyen de faire concorder l’image d’une marque avec le contenu d’une fiction, et bâtir celui-ci autour d’un produit à vendre. Mais puisqu’il s’agit là de concepts publicitaires, plusieurs firmes réalisent qu’elles peuvent pitcher des séries à des annonceurs autres qu’américains ! C’est ce qui se produit alors, et naturellement, les publicitaires proposent un format qu’ils connaissent déjà : des épisodes d’une quinzaine de minutes environ. Cela a l’effet que vous imaginez : à la radio sud-américaine aussi, le format standard est d’abord d’un quart d’heure. Alors naturellement, lorsque la télévision de nombre de pays de la région commence à mettre en place ses premières fictions pendant les années 40, ces 15 minutes s’insèrent naturellement dans les grilles naissantes des stations et chaînes hispanophones ; au début des années 50, c’est systématiquement vrai des toutes premières telenovelas qui voient le jour : Sua Vida Me Pertence au Brésil (en photo ci-contre), en Senderos de amor à Cuba, ou encore La criada de la granja au Venezuela… Toutes durent 15 minutes, et les séries qui prennent leur relais dans les années suivantes également.

marykayandjohnny-300Pas si vite, revenez ! Nous n’en avons pas encore fini avec le format de 15 minutes ! Celui-ci ne se limite pas aux mélodrames proposés en journée… y compris aux États-Unis. Indifféremment de leur genre, leur horaire et leur rythme de diffusion, les premières séries américaines ont massivement opté pour le quart d’heure, et cela inclut… les comédies de primetime.
En 1947 naît ainsi Mary Kay and Johnny, tout premier sitcom américain et qui apparaît sur le network DuMont (aujourd’hui disparu). Mary Kay and Johnny est la première d’une longue liste de comédies se passionnant pour la vie domestique, à plus forte raison parce que Mary Kay et Johnny Stearns, qui occupaient les rôles-titres, formaient un couple à la ville comme à l’écran. Mais le plus important est surtout qu’à ses débuts, Mary Kay and Johnny dure en fait… 12 minutes (15 si l’on compte la publicité : le compte est bon).
On est donc loin, à l’origine, du standard d’une demi-heure que nous estimons naturel pour une comédie aujourd’hui. Peut-être qu’une piste d’explication à cela est que Mary Kay and Johnny est diffusée… de façon quotidienne ? Toujours est-il que cela ne va être que temporaire…

Les 30 (minutes) glorieuses

Car très vite, pour l’essentiel, les premières décennies d’existence de la télévision décident de faire la part belle aux épisodes d’une demi-heure, auxquel, nous avons commencé à le voir, des séries ont commencé à se ranger dès les années 50. Ce sont ces épisodes de 30 minutes, les véritables héros de cet article, et je m’apprête à vous le prouver de multiples façons.

annandharold-300Faisons d’abord un crochet par le Royaume-Uni, pour y découvrir que la télévision a longtemps refusé d’appliquer une quelconque norme aux séries de fiction.
Ainsi Ann and Harold, la toute première série feuilletonnante produite en Grande-Bretagne en 1938, dure-t-elle presque 20 minutes par épisode. Ce drama raconte les différentes étapes d’une romance entre deux jeunes gens de la haute société.
La série s’inscrit là encore dans la tradition radiophonique en ce qui concerne la durée de ses épisodes, en essayant de garder une certaine brièveté, mais sans aller jusqu’à en respecter à la lettre les normes de durée. Le nombre de ces épisodes, cependant, est dû à l’une des premières annulations de la télévision mondiale, si ce n’est la toute première ! Lorsque l’actrice principale Ann Todd décide de rejoindre la distribution d’une pièce de théâtre, Ann and Harold est en effet raccourcie, passant de 6 épisodes à seulement 5… Il faut dire que lorsqu’on tourne en direct, si l’actrice décide de ne pas se présenter, on ne peut pas trop négocier ! Tiens, ç’aurait pu faire l’objet d’un fun fact sympathique, ça ; mais c’est pas grave c’est pour moi, c’est ma tournée.
Les premières séries britanniques prennent de toute façon pas mal de libertés, et ce bien plus longtemps que les séries américaines, comme ce peut être le cas pour Stranger from Space, première série feuilletonnante de science-fiction pour la jeunesse qui débute en 1951, et dont les épisodes ne durent qu’une dizaine de minutes.

PinwrightsProgress-300Malgré tout, la tendance est progressivement à l’augmentation de la durée des épisodes. En novembre 1946 naît le tout premier sitcom de l’histoire de la télévision, plusieurs mois avant Mary Kay and Johnny. Je veux parler de Pinwright’s Progress, un sitcom qui ne dure que 10 épisodes, mais qui emploie des codes qui vont lui survivre bien au-delà. C’est le cas notamment en ce qui concerne sa durée : une demi-heure de rires, proposés en direct. Eh oui, en 1946, rappelons que l’enregistrement n’est pas encore techniquement possible, aussi la performance de James Hayter (qui incarne le héros Pinwright, et que vous pouvez voir ci-contre) est-elle impressionnante.
L’idée de faire des séries de comédie n’est pas neuve : elle existe de longue date à la radio, mais beaucoup de comédies radiophoniques durent encore un quart d’heure ; le choix de Pinwright’s Progress apparaît donc comme audacieux au moins sur la question du format. Mais il va progressivement faire des petits et s’avérer être un précurseur…

TheHoneymooners-300L’idée de s’étendre sur une demi-heure n’est pas tout de suite adoptée aux États-Unis, où les premiers sitcoms, à l’instar de Mary Kay and Johnny, préfèrent jouer la sécurité, et optent pour 15 minutes sur le modèle initial ; le fait que plusieurs de ces comédies soient des adaptations de séries radiophoniques n’aide évidemment pas à changer les choses. On trouve même des comédies encore plus courtes : The Honeymooners est initialement proposée en 1951 sous la forme d’une parenthèse humoristique de 6 minutes environ, diffusée pendant l’émission de variété de DuMont nommée Cavalcade of Stars. A ce stade il s’agit plus d’un sketch que d’autre chose, ce qui après tout n’est pas surprenant sur un médium qui se cherche et expérimente encore pas mal les possibilités d’un nouveau support. En gagnant en popularité, la vignette humoristique s’étend petit-à-petit à une douzaine de minutes (comme on se retrouve !), avant de passer à une durée d’une demi-heure, lorgnant à l’occasion sur les 35 minutes. Eh oui : aucune durée n’étant imposée aux auteurs, ils pouvaient donc moduler la durée de leur comédie d’un épisode de Cavalcade of Stars à l’autre.
The Honeymooners devient un sitcom multi-camera indépendant de l’émission en 1955, et adopte alors un format fixe plus proche de la demi-heure, ce qui d’ailleurs pose quelques soucis à ses scénaristes qui se sentent limités. Assez normal vu la liberté dont ils avaient joui au sein de Cavalcade of Stars !

IloveLucy-300Les années 50 permettent à de nombreuses séries d’expérimenter sur divers plans, dont bien évidemment celui de la durée. Avec l’évolution des formats sériels créés pour la radio, dont beaucoup passent eux aussi à une demi-heure dans les années 50, sans parler de l’évolution des séries quotidiennes que l’on évoquait plus haut, la télévision américaine finit par se mettre au diapason et s’accorder environ un quart d’heure de rallonge ! C’est bien-sûr I Love Lucy qui entérine le format d’une demi-heure pour les comédies, bien qu’il lui soit préexistant. La fameuse comédie avec Lucille Ball va faire entrer le format de « une vingtaine de minutes environ + publicité » dans les annales.
En grande partie responsable de cette contagion, William Asher joue un grand rôle dans cette formalisation : après avoir réalisé la majorité des épisodes d’I Love Lucy, on le trouve régulièrement derrière la camera de plusieurs autres séries humoristiques des années 50 et 60. Cela lui permet de répliquer les méthodes de production de la comédie dans de nombreux autres sitcoms… à plus forte raison parce qu’il en devient également producteur (ce sera notamment le cas pour l’intégralité de Bewitched dans les années 60).
Le succès des séries en question, et l’omniprésence de William Asher dans l’industrie en général, suscitent donc un alignement des pratiques ; les comédies adoptent toutes ce format d’une trentaine de minutes pendant les années 60.

Dramaaaaaa !

Un point important, toutefois : en matière de primetime, cette contagion du format d’une demi-heure ne se limite pas du tout aux comédies. Je répète pour ceux qui sont assis au fond de la salle : pas que les comédies !
Les productions étasuniennes dans leur ensemble opèrent leur transition vers le format d’une demi-heure au plus tard dans les années 60. Il permet, on l’a vu pour les soaps, de détailler les intrigues, ce qui est encore plus précieux pour des séries dramatiques que pour des comédies. En outre, il est rendu possible par la démocratisation (au moins parmi les professionnels, pas encore du côté des spectateurs) des outils d’enregistrement et de montage, qui autorisent les producteurs à délaisser le direct et donc à s’autoriser des épisodes plus longs. Mais surtout il permet… d’insérer plus de pages de publicité. Vous pensiez quoi, que c’était par seul amour de l’art ? Allons donc : c’est de télévision dont on parle !

HopalongCassidy-300Très vite, les séries dramatiques vont donc préférer durer plutôt 30 minutes ; c’est le cas pour les (très) nombreux westerns de l’époque, dont un grand nombre adopte la demi-heure de façon automatique. Et ce dès les origines : le tout premier western, Hopalong Cassidy, ci-contre, est précisément une série d’une demi-heure, et ce en dépit du fait qu’il s’agisse de la suite des aventures d’un cowboy né au cinéma dans des films d’une heure.
On pourrait éventuellement penser (parce que vraiment cette histoire de séries dramatiques d’une demi-heure, c’est trop bizarre, pas vrai ?) que la durée de Hopalong Cassidy est due au fait que la série s’adresse à des enfants. Que nenni : les intrigues portant sur le plus connu des héros de l’Ouest, le sombre Marshal Matt Dillon de Gunsmoke, se limitent également à une demi-heure sur les 6 premières saisons d’existence de la série (soit entre 1955 et 1961). Et il ne fait aucun doute que Gunsmoke s’adresse bel et bien aux adultes !

En produisant 233 épisodes sur ce format, étant donné sa popularité, Gunsmoke sert forcément de modèle en la matière aux autres séries en son genre, ou en tous cas renforce cette norme. Par conséquent, il est pendant longtemps impensable de produire une série de western plus longue qu’une demi-heure. Lorsque l’on sait combien de séries de western ont été produites à l’époque (sur les networks comme en syndication), on imagine l’effet normatif que cela peut avoir sur les grilles au sens large, au-delà de la question des genres, pour le primetime… Les networks commencent en effet à organiser leurs diffusions en tablant sur des créneaux horaires adaptés aux séries d’une demi-heure, ce qui a un effet assez prévisible : les autres séries doivent s’aligner et donc durer une demi-heure également.
Alors, outre les westerns, les épisodes durant 25 à 30 minutes environ sont aussi adoptés par les séries d’aventure (Lassie, Harbormaster), les séries policières (Man Against Crime, Dragnet), les séries de science-fiction et/ou fantastiques (The Twilight Zone), les anthologies policières ou dramatiques (Academy Theatre, The Big Story), les thrillers d’espionnage (Passport to Danger), les séries historiques (The Gray Ghost, Combat Sergeant)… Écoutez, c’est bien simple, tous les genres y passent. En fait, pour l’essentiel de ce qu’on appelle « the Golden Age of Television » (l’Âge d’Or de la Télévision, une période qui commence avec les premières émissions commerciales régulières en 1947 et couvre jusqu’au début des années 60), quasiment toutes les séries étasuniennes adoptent le format d’une demi-heure.
…A une seule exception près : certaines anthologies dramatiques. Kraft Television Theatre, Kaiser Aluminum Hour et leurs consœurs, sont à l’époque les seules séries dont les épisodes durent environ 50 minutes, plus rarement plus (DuPont Show of the Month, de par son caractère de toute évidence mensuel, s’autorisait par exemple à durer 90 minutes). Il faut dire que leur principe anthologique lui-même autorise les équipes de production à s’organiser pour préparer des épisodes complexes à l’avance : ni les acteurs, ni les auteurs, ni même les réalisateurs, n’ont besoin de travailler sur plus d’un épisode à la fois. A l’époque, on est loin de l’anomalie statistique : un grand nombre d’anthologies existent sur les télévisions américaines. Pour autant, le recours au format long n’a rien de systématique pour les anthologies, et nombreuses sont celles de l’époque à ne durer elles-mêmes qu’un peu moins d’une trentaine de minutes, comme Gruen Playhouse ou Four Star Playhouse.

Il est toujours 30 minutes quelque part

L’épisode de 30 minutes devient donc, avec les années 50, incontournable sur les écrans étasuniens quel que soit le moment de la journée, et quel que soit le genre. Et ailleurs ? Eh bien ailleurs… pareil.

DixonofDockGreen-300Repassons faire un tour au Royaume-Uni : l’histoire télévisuelle y est différente de la télévision étasunienne, bien-sûr, mais elle a des implications particulières. La BBC a en effet une longue tradition en matière de production de fictions originales financées par l’argent public, qui a débuté dès les années 30 ; mais il s’agit pour l’essentiel de pièces filmées et autres programmes proposés en l’espace d’une seule diffusion. Leur durée peut donc être très variable, même si l’on trouve, effectivement, des productions de ce type ne durant pas beaucoup plus de 30 minutes. Les cas comme Ann and Harold restent sporadiques, et la télévision publique ne commence vraiment à investir dans des séries de plusieurs épisodes qu’à partir des années 50. C’est justement à ce moment-là qu’elle se lance dans ses expérimentations de forme, et de facto de genre. Eh bien, l’immense majorité des séries qui résultent de ces diverses tentatives s’avèrent durer une demi-heure, précisément, comme tant de séries de cette décennie.

Lorsqu’apparaît ITV en 1955, et que la chaîne décide d’investir plus encore dans la fiction et notamment dans la fiction grand public (plutôt que dans les productions dites d’excellence dont la BBC s’est fait une spécialité), la jeune chaîne opte naturellement pour des séries, et en particulier des séries dont les épisodes durent, eux aussi, une demi-heure. Qu’est-ce qui termine d’asseoir cette durée comme un standard pour les années 50 ? Le fait que la seconde moitié de la décennie soit fortement influencée par les productions américaines, largement importées et/ou copiées par ITV, qui façonnent à la fois les goûts des spectateurs et les références des exécutifs pour la construction de leurs grilles…
Or, on l’a dit : les séries étasuniennes sont elles-mêmes précisément en train de vivre leur fameuse transition vers le format de 30 minutes. Nombre de séries britanniques produites pendant cette période vont donc coller à ce standard. C’est par exemple le cas de la première série de science-fiction pour adultes, The Quatermass Experiment, en 1953, mais aussi des premières séries policières comme Dixon of Dock Green (ci-contre, lancée en 1955 et qui passera à une durée de plus d’une demi-heure au début des années 60), et des séries d’aventures qui connaissent alors une vague de popularité, comme The Adventures of Sir Lancelot ou The Adventures of William Tell (respectivement en 1956 et 1958).

Pente savonneuse

L’influence de la télévision américaine s’étend bien au-delà des seules productions hebdomadaires… et c’est ici que, oui, mais en même temps je vous avais prévenu, nous allons parler à nouveau de soaps.

emergencyward10-300Inspirée par les séries de daytime diffusées par les networks américains, la télévision britannique se lance également dans l’aventure de la série quotidienne dans les années 50. Or dans les années 50, justement, les soap operas américains sont en train de passer au format d’une demi-heure également ; le Royaume-Uni va donc suivre, tout bêtement, cette transition.
Considérée comme la première du genre au pays de Shakespeare (pour autant que les archives le laissent penser en tous cas), The Grove Family apparaît sous la forme d’une série hebdomadaire de daytime en 1954 dont les épisodes durent entre 15 et 20 minutes. So far, so good, comme on dit : on est dans la fourchette classique des premières séries du genre. Mais lorsque le premier soap opera régulier de fin de journée (bi-hebdomadaire en l’occurrence), Emergency – Ward 10, est proposé par ITV à partir de 1957 (ci-contre), ses épisodes durent légèrement moins d’une trentaine de minutes, à l’instar des autres fictions que la chaîne propose (originales ou importées).
A partir de là, toutes les séries qui seront diffusées de façon quotidienne, quelle que soit l’heure de la journée, se calqueront sur ce modèle ; c’est toujours le cas des soap britanniques actuels, qui sont nés bien plus tard, comme Coronation Street, Emmerdale ou encore EastEnders !

televisa-ve-300Toujours dans les années 50, mais cette fois en Amérique du Sud, les telenovelas s’alignent. La transition est aisée : à ce moment-là, la plupart de ces séries durent entre 25 et 30 épisodes (soit environ un mois de diffusion), et tout changement organique de l’industrie s’imprime dans les grilles en l’espace de très peu de temps. Après avoir, comme on l’a vu, commencé par des telenovelas de 15 minutes, la révolution est introduite en 1956 par El tercer acto, une fiction vénézuélienne écrite par  Ligia Lezama pour TeleVisa (rien à voir avec la chaîne mexicaine du même nom) et qui dure donc 30 minutes. C’est encore une fois la perspective de pouvoir en dire plus, qui influe dans cette décision, mais aussi une donnée d’importance : TeleVisa est la toute première chaîne privée du Venezuela, et elle a besoin de ses recettes publicitaires, ne soyons pas naïfs.
Or, à l’époque, le Venezuela compte parmi les plus grands pôles de production télévisuelle sud-américaine, et nombre de telenovelas nationales se trouvent régulièrement acquises par d’autres chaînes de la région et/ou adaptées. Son adoption du format d’une demi-heure va donc progressivement être imitée par les pays voisins, bien que certains pays se mettent au diapason plus vite que d’autres (l’avancement technologique et le budget des chaînes jouant un rôle). Avant la fin des années 50, la durée de ces feuilletons passe à 30 minutes de façon quasiment systématique ; les premières tentatives de produire des telenovelas aux épisodes d’une heure ne se produiront pas avant le milieu des années 60.

A la fin des années 50, l’effet de lissage que l’on observe à l’époque en Amérique du Sud n’est pas unique, non plus que les pratiques d’ITV au Royaume-Uni : l’exportation des séries d’une demi-heure joue un grand rôle dans le formatage des grilles de la planète entière. En achetant des séries de 30 minutes à l’un ou l’autre des référents télévisuels (étasunien, comme c’est le cas en Europe ou en Russie ; ou issu d’un des diffuseurs hispanophones majeurs, comme en Asie par exemple), les chaînes du monde commencent très souvent à considérer ce format comme une norme qu’elles appliquent ensuite à leurs propres productions. C’est encore plus vrai pour les pays où la télévision est encore jeune : l’industrie étant inexistante dans les années 40 et 50, les expérimentations de format et la préférence pour la durée de 15 minutes ne se sont jamais produites. Il s’agit alors, en quelque sorte, de prendre le train en marche, et de se mettre au diapason.

HumLog-300Ce phénomène de boule de neige va perdurer encore assez longuement ; pour certains pays se mettant assez tardivement à la fiction originale, cela se produira encore lorsqu’arriveront les années 80 !
Un exemple parlant (parmi bien d’autres) est celui de l’Inde : au début de la décennie, le ministre de l’Information et des Telecommunications Vasant Sathe se rend au Mexique pour un voyage diplomatique, au cours duquel il étudie de près les telenovelas notamment grâce à sa rencontre avec Miguel Sabido, un homme de théâtre mexicain reconverti dans les sciences comportementales. Notre ministre découvre alors que loin de n’être que des divertissements vides de sens (ce qui était jusque là suspecté par les décideurs de la télévision publique indienne Doordarshan), les telenovelas sont fortement chargées de propos sociaux et de messages facilitant la communication sur la culture au sens large. A son retour en Inde, il importe donc les méthodes de production pour imaginer Hum Log. Mais dans ses bagages, le ministre Sathe n’a pas simplement ramené des histoires, il a aussi importé le format d’une demi-heure des telenovelas de daytime !
Bien qu’il existe des exceptions (en particulier pour les event series hebdomdaires nées ces dernières années sur les écrans du pays), ce format de 30 minutes reste la norme pour les séries quotidiennes indiennes, quel que soit leur ton, quel que soit leur genre, quel que soit leur horaire de diffusion. Une généralisation du format d’une demi-heure qui est également vraie dans plusieurs autres pays, notamment d’Asie… l’influence des séries indiennes dans une partie de la région n’ayant rien arrangé au phénomène de propagation de cette durée.

Prolongations

Bon, de toute évidence, on a beaucoup parlé des séries d’une demi-heure ; à juste titre, bien entendu : il s’agit, encore à l’heure actuelle, d’un format particulièrement populaire auprès des diffuseurs de la planète. Dans les pays dont l’industrie est la moins riche et/ou la moins développée, ce format continue de présenter des avantages multiples (par exemple en Afrique francophone où il est presque toujours privilégié, là encore tous genres confondus).
Mais évidemment, à un moment, on va finir par parler des séries de 45 minutes, qui sont pour l’essentiel des séries dramatiques.

TheVirginian-300La balance étasunienne d’une demi-heure pour les comédies et trois quarts d’heure pour les dramas, considérée par beaucoup de téléphages comme la norme universelle (ils savent maintenant où est leur erreur) n’a commencé à se faire que pendant les années 60.
Le précurseur, on le trouve sur NBC au printemps 1967, et il s’appelle Don Durgin ; il est président du network, et il a vu le vent tourner. Depuis quelques années, les dramas ont eu tendance à devenir un peu plus longs sur les networks étasuniens (parfois de beaucoup : le western The Virginian, publicité non-comprise, dure la bagatelle de 75 minutes depuis 1962… mais c’est une exception). Face à cette évolution, Durgin décide d’effectuer un véritable plongeon : lorsqu’il annonce la grille de ses programmes pour la saison 1967-1968, pour la première fois, ses commandes comportent une minorité de comédies et de séries d’une demi-heure en général, et donc une majorité de séries plus longues. Au total, pour cette saison-là, seules 6 séries commandées durent une trentaine de minutes, contre 16 séries d’une heure (publicité comprise), sans parler des téléfilms ou du cas particulier de The Virginian (ci-contre). Durgin vient de faire du format d’environ 45 minutes sa nouvelle norme.
Là encore, la réaction des autres networks ne se fait pas attendre : à l’époque, NBC est le seul network dont les audiences grimpent de façon constante depuis 5 ans, et même si CBS a une nette tendance à tout de même dominer les audiences, cette évolution fait envie. En outre, elle offre une fois de plus des possibilités alléchantes, aussi bien sur un plan créatif (plus de temps ! plus d’histoires !) que, bien-sûr, publicitaire et donc financier (on avait dit qu’on arrêtait la naïveté).

TheRuralPurge-650Mais ce choix en accompagne un autre : à la fin des années 60, les networks essaient de rajeunir leur cible, afin de toucher les baby boomers. Cela conduit à l’élimination d’un nombre de programmes, y compris certaines séries, à l’antenne depuis trop longtemps, et dont le contenu est considéré obsolète parce qu’il s’adresse aux plus de 50 ans. Ce rafraîchissement des grilles, qui s’échelonne sur plusieurs années, inclut le phénomène de la Rural Purge, qui a nettoyé les séries campagnardes et une grande partie des westerns des catalogues des networks.
Alors qu’est-ce qu’il faut proposer ? Eh bien, à la fin de la décennie, le public des jeunes adultes que les networks espèrent séduire a des préoccupations bien différentes. Celui-ci est généralement plus urbain, plus actif, plus impliqué dans les mouvements de libération sociale (sur un plan racial, sexuel, etc.), bref, il est amateur d’histoires qui lui ressemblent, et ces histoires semblent un peu plus complexes, juste un peu plus. Pour répondre à ce désir de complexité, les networks systématisent le recours au format d’une heure (publicité comprise) pour les dramas ; l’un des exemples de séries mises à l’antenne dans ce contexte est par exemple The Mod Squad, sur ABC, qui répond parfaitement au cahier des charges. Les comédies, elles, peuvent conserver leur durée d’une demi-heure, héritée entre autres de pionniers comme William Asher évoqués plus tôt, et dont il est généralement admis qu’elles sont un peu plus familiales (même si leur ton évolue lui aussi).

Centennial-300Lorsque commencent les années 70, cette répartition de durée entre les genres est devenue absolument systématique ; les trois networks et la syndication (quand on y commande des séries originales) ne procèdent plus autrement. Comme ç’avait été le cas précédemment pour les séries d’une demi-heure qui s’étaient généralisées sur la planète, cette mutation se répercute bientôt sur certaines télévisions de la planète. En fait, c’est à cela que l’on peut repérer les pays du monde qui importent leurs programmes essentiellement des Etats-Unis : à leur adoption quasi-systématique de cette répartition 25/45.
Avec une exception notable : l’arrivée à la fin des années 70, et au début des années 80, de mini-séries ambitieuses à grand budget dont les épisodes durent plutôt 75 à 90 minutes. C’est même plus encore pour Centennial (ci-contre), mais c’est un cas particulier : certains de ses épisodes durent jusqu’à 3 heures !

Tout est possible

Oz-300C’est dans les années 80 que les choses se compliquent aux USA, avec l’arrivée de la concurrence des trois grands networks, et en particulier l’arrivée du câble sur le marché de la fiction originale.
Jusqu’alors, la télévision câblée américaine, c’était la diffusion ou la rediffusion de films et séries, pas la commande de programmes scriptés originaux, et la question de la durée ne se posait donc pas. Mais lorsque le câble s’intéresse à la commande de fictions originales, il échappe aux contraintes de la télévision de network. Parmi ces contraintes, bien-sûr, se trouve celle de la censure : il ne peut pas tout se dire, et surtout pas en primetime, sur les chaînes généralistes ; mais sur le câble et a fortiori sur les chaînes à souscription comme HBO, il n’y a pas de limite. Mais plus encore, ce qui est vraiment important dans le cadre de notre sujet du jour, c’est que la publicité n’existe pas ; cela a pour conséquence directe d’autoriser HBO, et les autres chaînes câblées qui s’engouffrent dans la brèche à sa suite, à commander des séries dont les épisodes dépassent les formats 25/45 minutes devenus incontournables pendant la décennie précédente.
HBO se met donc à expérimenter les possibilités qui s’ouvrent à ses séries. Philip Marlowe, son tout premier drama lancé en 1983, oscille entre 45 et 50 minutes environ, timidement ; à l’inverse, la série carcérale Maximum Security commence par un pilote de 45 minutes, mais le reste de la saison possède des épisodes d’une demi-heure. Se passant de pilote, la série dramatique Lifestories: Families in Crisis adopte quant à elle directement l’option de durer 30 minutes par semaine.
Ces expériences conduisent finalement HBO à voir plus grand, plutôt que plus petit, et Oz est en 1997 la première de ses séries dramatiques dont les épisodes durent environ 55 minutes, parfois même légèrement plus : la chaîne laisse une grande liberté à ses showrunners pour moduler la durée des épisodes selon leur besoin. Autrefois dépendants de la patience dont on soupçonnait les spectateurs d’être capables, de la durée et du nombre de pages publicitaires qui pouvaient être casées en une heure de diffusion, les épisodes voient aujourd’hui leur durée déterminée par ceux qui les imaginent. Si David Chase décide qu’il veut 75 minutes pour un season finale de The Sopranos, eh bien roule ma poule. Je vous accorde que l’exemple est extrême, et que les séries de HBO ont rarement des épisodes de plus d’une heure, mais l’option existe, en tous cas.
C’est depuis devenu la norme pour les séries dramatiques de la chaîne câblée, et cette durée « étendue », bien souvent, a été adoptée par les autres chaînes souhaitant suivre son modèle, dont AMC ou FX. En particulier pour les séries dramatiques « d’excellence », a fortiori parce qu’elles sont feuilletonnantes, la notion que plus de temps équivaut à plus de complexité sous-tend en partie ce choix d’une durée d’épisodes plus longue…

theoa-300Un processus en outre facilité par la démocratisation des magnétoscopes et de leurs descendants directs, genre TiVo : si le spectateur peut regarder un programme quand ça l’arrange, alors la durée de l’épisode a moins d’importance. Il s’arrangera pour libérer 55 minutes de sa journée, plutôt que 45, sans aucune conséquence pour le diffuseur.
C’est une logique que n’a pas manqué de suivre Netflix, bien-sûr. On l’a dit : le service de VOD s’est inspiré à bien des égards de la politique de fiction de HBO. Eh bien c’est également vrai en ce qui concerne à la fois les durées de ses épisodes (n’hésitant pas à rejeter les standards des networks) et la liberté laissée aux showrunners à cet égard. Le principe directeur de la compagnie, c’est qu’on a tout le temps du monde pour regarder les séries que l’on aime… et dans le fond, si le spectateur s’est lancé dans une opération de bingewatch d’une dizaine d’heures, est-ce que ce sont vraiment 5 minutes de plus qui vont faire une grosse différence dans sa disponibilité ? Ou 10 minutes. Ou plus.
L’exemple plus parlant en la matière est celui de The OA, une série mise en ligne en décembre dernier. La série est composée d’un total de 8 épisodes, mais leur durée n’est pas uniforme, loin de là. Certains épisodes de The OA durent, effectivement, 50 minutes environ, mais il peut arriver qu’un épisode dure 31 minutes, ou un autre pas moins de 71 minutes. Cette amplitude, le scénariste Zal Batmanglij l’explique par le fait que la contrainte d’un scénario de 50 pages exactement repose sur des concepts capitalistes, mais pas créatifs. D’autres séries de Netflix, bien qu’à un degré moindre, connaissent également des variations d’un épisode à l’autre, à l’instar de Strangers Things, par exemple.
Là encore, Netflix est loin d’être la seule entité où l’on trouve ce genre de phénomène. Egalement dans ce cas : Horace & Pete, dont les épisodes peuvent durer entre 30 et 67 minutes. Du simple au double, donc.

Les exceptions qui confirment qu’il n’y a pas de règle

…Pas de règle universelle, en tous cas. Il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que la soi-disant traditionnelle division 25/45 n’est pas suivie, voire ne l’a jamais été. Elle n’a pas de sens dans le contexte national. Voici, pour votre culture téléphagique et surtout pour élargir vos horizons, quelques exemples de la réalité bien plus complexe de la télévision mondiale quant à cette histoire de durée…

rakuen-300Au Japon, on l’a vu, l’asadora est né sous un format d’un quart d’heure qui existe encore aujourd’hui ; la plupart des séries d’une demi-heure ont, elles, disparu des écrans nippons.
Pourquoi si peu de séries de 30 minutes ? Le fait qu’il existe très peu de comédies dans le panorama télévisuel national influence sans nul doute la situation ; on dénombre en effet moins d’une demi-douzaines de sitcoms dans toute l’histoire de la télévision de l’Archipel, les chaînes ayant une préférence pour la comédie en single camera (laquelle s’accommode fort bien d’une durée plus longue). N’ayant jamais importé massivement le format de comédies imposé par les USA, le Japon est donc totalement passé à côté de la normalisation de ce format. A l’heure actuelle, les séries japonaises de 30 minutes répondent à deux cas de figure éminemment spécifiques : soit il s’agit d’une série quotidienne de la mi-journée (Yasuragi no Sato, qui vient de démarrer sur TV Asahi dans une toute nouvelle case horaire dite silvertime, dure même 20 minutes seulement), soit il s’agit d’une série de énième partie de soirée (c’est le cas des séries de TV Tokyo le vendredi soir par exemple, comme Kodoku no Gourmet). En-dehors de ces cas, la demi-heure, connaît pas ; et ce sont, vous l’aurez compris, des cas marginaux.
La norme est au format de 55 minutes ; ce sera par exemple le cas, au cours de Séries Mania, de la série Rakuen (ci-contre). On trouve quelques séries un peu plus courtes, dans des cases là encore bien précises, à l’instar du jidaigeki, la série historique de la télévision publique diffusée chaque dimanche à 20h pendant une année ; Onna Joushu Naotora, la série qui occupe cette case depuis janvier, dure ainsi 45 minutes.
Vous l’aurez sûrement compris, ce n’est pas tant le genre d’une série qui détermine sa durée au Japon, que sa case de diffusion, dont le chronométrage se fait à la minute (conformément à ce qu’annoncent les programmes télé japonais, Kodoku no Gourmet démarre chaque vendredi à 00h12 ; pas 00h11, et certainement pas 00h13 sans quoi l’univers s’effondre sur lui-même). Et cette case dépend, eh bien ma foi, de la cible, pas tellement du contenu, même si évidemment il y a une certaine causalité inévitable.

chicagotypewriter-300A quelques brasses de là, la Corée du Sud aussi a ses petites préférences, où la norme sur les chaînes gratuites lorgnerait plutôt sur la soixantaine de minutes. Ou, si l’on veut être précis, deux fois une soixantaine de minutes, puisque les séries de primetime sont diffusées deux jours consécutifs par semaine (lundi-mardi ou mercredi-jeudi).
Bien que ne suivant pas nécessairement ce rythme de diffusion, ou pas les mêmes jours ou pas en primetime, les séries du câble vivent en revanche du même type de durée. La vraie nuance étant que ces chaînes, à l’instar d’OCN ou tvN, s’autorisent à l’occasion des épisodes plus longs, en particulier pour l’épisode introductif d’une nouvelle série. A titre d’exemple, le premier épisode de Chicago Typewriter qui vient d’être lancée tourne autour de 75 minutes.
Evidemment, cela ne signifie pas qu’il s’agit là des seules séries visibles à la télévision sud-coréenne; à titre d’exemple, les séries diffusées dans la case matinale de TV Soseol (et semblables à des soaps sur le principe) durent plutôt 40 minutes, et ont même parfois duré moins au cours de leur histoire depuis le lancement de cette case thématique à la fin des années 80, certaines séries pouvant descendre jusqu’à 25 minutes. Il faut noter que ces séries comptent jusqu’à 10 fois plus d’épisodes que les fictions destinées au primetime.

Icerde-300Dernier exemple, que je vous propose aujourd’hui, celui de la Turquie, qui a de quoi surprendre : la durée de ses séries est… fixée légalement ! C’est la RTÜK, l’équivalent turc du CSA, qui spécifie la durée autorisée pour les fictions ; cette durée n’a cessé d’augmenter ces 15 dernières années.
Actuellement, cette norme est de produire des épisodes de 120 à 150 minutes (avec la publicité, cela peut impliquer des épisodes de 3 heures), et pire encore, il s’agit d’en produire entre 35 et 45 par saison. La diffusion hebdomadaire et les standards de production toujours plus élevés, ainsi que les enjeux économiques (la Turquie est le deuxième plus gros exportateur de séries au monde), font d’ailleurs râler les producteurs qui se plaignent d’éreinter leurs équipes. Mais, comme je vous le disais notamment au moment de la review d’İçerde, il est de nombreux cas dans lesquels cette durée ne pose absolument pas problème, voire ne se ressent pas du tout du côté du spectateur. L’intérêt principal de cette pratique est surtout de rendre celui-ci captif sur une chaîne pour toute une soirée, alors autant qu’il y prenne du plaisir !

Il y aurait encore beaucoup à dire des « exceptions » au modèle tenu pour acquis par les téléphages gorgés de séries américaines ; la préférence pour le format 90 minutes (longtemps dominant en Allemagne mais aussi en France) en est une, par exemple. Mais je ne saurais tous les citer sans occuper tout votre après-midi ! Et d’ailleurs, on a encore un dernier cas de figure à aborder…

The short term is in the long term

Au cours de notre pèlerinage télévisuel, nous avons abordé la télévision, la VOD… mais la fiction sérielle prend désormais d’autres visages. Avec l’avènement de la série dite « digitale », nommée ainsi non pas parce qu’on la regarde avec les doigts mais parce qu’elle a débarqué sur les nouveaux supports numériques. Webseries et séries mobiles sont encore un autre cas de figure dans l’univers des durées d’épisodes, de par leur préférence pour le format court.

replay-300La norme en matière de webseries et désormais de séries mobiles c’est… eh bien, qu’il n’y a pas de norme. Il est communément admis que les spectateurs sont plus volages sur le web ou sur smartphone, et qu’une durée réduite est donc préférable ; une majorité de ces séries se trouvent par conséquent dans une fourchette de 3 à 15 minutes par épisode, avec des variations assez négligeables d’un épisode à l’autre (mais quand on dure 3 minutes, 30 secondes de plus ça peut faire beaucoup !). Ce format réduit peut donc, à l’occasion, se rapprocher de celui des premières séries télévisées d’un quart d’heure, mais cette fois, sans que cette durée ne soit due à la réplication d’un format employé par un autre médium, mais bel et bien pour s’adapter aux spécificités de la consommation numérique. Cela a d’ailleurs conduit beaucoup d’entre elles à repenser leur structure et leur narration, voire leur modes d’introduction, mais c’est une autre histoire pour un autre article.
Bien que la moyenne tourne autour de 8 minutes environ pour les séries mobiles (en particulier sur les plateformes spécialisées, qui semblent manifester une tendance à l’uniformisation), rien n’empêche l’une de ces séries d’opter pour un format plus long. Récemment je vous parlais ainsi de RePlay, une série mobile dont le premier épisode donne dans les 18 minutes. Un luxe infini ! C’est autant qu’un épisode de The Big Bang Theory écourté par CBS pour vendre plus de publicité.

Les séries dites digitales, si elles doivent composer avec la supposée volatilité de leur public (qui est pourtant le même que celui qui regarde Netflix pendant des heures, simplement pas dans le même contexte), sont libérées d’un grand nombre des contraintes qui enserrent les durées des séries plus traditionnelles. Elles ne sont ainsi, généralement, pas interrompues par la publicité, leur visionnage est gratuit ou monétisé de façon globale (abonnement à Studio+ par exemple), et à l’instar des séries de Netflix et consorts, leur visionnage est totalement libre. Leurs épisodes peuvent donc parfaitement revêtir des durées variables au cours d’une saison.

Le marché de la série « digitale » est en pleine explosion, et la question de la durée des séries va continuer de se poser sur les nouveaux supports ainsi investis. Mais vous le savez à présent, la série en tant que forme artistique (…et commerciale, ne retrouvons pas notre naïveté tout de suite) a pris de nombreuses formes depuis sa naissance, a su raconter des histoires simples, complexes, drôles, dramatiques, feuilletonnantes ou procédurales, sur toutes sortes de durées à travers les décennies. Et elle a toujours réussi à fasciner…
…Au point que maintenant, il y ait presque « trop » de séries à regarder ! Mais ce sera l’affaire du débat de cet après-midi, bien-sûr. Vous pensez qu’il va durer combien de temps ?

par

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Et pour ceux qui manquent cruellement de lecture…

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